Septentrion. Jaargang 29

Histoire

‘L'honneur sauf’: la bataille de Nieuport (le 2 juillet 1600)

Chaque nation a son ‘histoire bataille’ ses ‘invented traditions’. La France a la prise de la Bastille et la Flandre la bataille des Éperons d'or près de Courtrai (1302). Chaque fois, un puissant adversaire a mordu la poussière: l'ancien régime ou la fière armée des chevaliers français. Les Pays-Bas aussi ont leur grande bataille et la rondeur du millésime en facilite la mémorisation: le 2 juillet 1600, la bataille de Nieuport. L'armée des Sept Provinces Unies sous le commandement du stadhouder, le prince Maurice de Nassau, battit l'armée espagnole de l'archiduc Albert de Habsbourg dans les dunes et sur la plage de Lombardsijde, sur la rive droite de l'Yser.

Reconnaissons-le d'emblée: la jeune République remporta en 1600 une victoire éclatante mais inutile: la ‘Grande expédition à travers la Flandre’ fut un gouffre financier dévoreur de vies humaines et n'eut guère ou pas du tout d'effet. Mais il se trouve que la ‘machine à images’ fonctionne selon de tout autres critères: pour la première fois les tercios espagnols (des carrés de plus de 1000 soldats) réputés invincibles furent battus en bataille rangée par l'armée excellemment entraînée d'un jeune État en devenir.

Comment en était-on arrivé là? Le soulèvement des Pays-Bas contre le roi d'Espagne Philippe II avait débouché à la fin du xvi^e siècle sur la partition effective du Nord et du Sud. Dans le Nord, les provinces rebelles s'étaient constituées en République. Après la chute d'Anvers en 1585, le Sud resta aux mains des Espagnols. En 1596, Albert, fils de l'empereur d'Autriche, fut nommé gouverneur des Pays-Bas méridionaux. Il n'en restait pas moins dépendant de l'Espagne.

Le grand pensionnaire de Hollande, le téméraire Johan van Oldenbarnevelt, et les États Généraux voulaient profiter des mutineries dans l'armée espagnole pour conquérir les nids de pirates qu'étaient Nieuport et Dunkerque, lesquels infligeaient des pertes sévères à la flotte de commerce de la jeune République. Ils espéraient monter ainsi les Pays-Bas méridionaux contre l'archiduc Albert.

Le projet n'enthousiasmait pas le stadhouder Maurice: il redoutait l'armée espagnole et l'éloignement de sa base. Si Ostende était aux mains des Anglo-Hollandais, l'embouchure du Zwin (au-dessus de Bruges) et Sluis étaient occupées par les Espagnols. Mais, puisque le stadhouder devait obéissance aux États, les troupes s'ébranlèrent. Tandis que la flotte, qui devait fournir l'appui logistique, mettait le cap sur Ostende, 1300 bateaux firent traverser l'Escaut occidental à l'armée. A partir de la localité zélandaise de Philippine l'armée marcha sur Nieuport via Eeklo, Maldegem, Male, Bruges et Oudenburg. Maurice commit la bêtise de passer avec tout le train des équipages sous les murs de Bruges si bien qu'il ne pouvait plus être question d'attaque-surprise. Albert réagit promptement, rétablit la discipline et lança également ses troupes vers Nieuport. Au petit matin, à Mariakerke eut lieu un premier accrochage entre une partie de l'armée de Maurice et les Espagnols. Ce fut une victoire totale pour les Espagnols qui écrasèrent ou culbutèrent à la mer, où ils se noyèrent, les 800 Écossais de Maurice.

Dans l'après-midi on en vint à la grande bataille.

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Au moment où tout semblait annoncer une victoire espagnole, Maurice engagea son ultime réserve de cavalerie. Elle fit basculer les chances. L'archiduc Albert réussit de justesse à s'échapper mais le commandant espagnol, Don Francesco Mendoza, fut fait prisonnier. A 19 heures, les soldats de Maurice étaient maîtres du champ de bataille et tandis qu'on commencait à anéantir l'ennemi en fuite, Maurice descendit de son cheval, s'agenouilla sur la plage et, les mains au ciel, pria à haute voix: ‘O Dieu, qui sommes-nous, nous hommes à qui Vous avez fait un tel honneur et donné la victoire?’

Le bilan de la bataille était extrêmement sanglant: sur une superficie d'à peine 1,5 km² tombèrent en 4 à 5 heures de 5 000 à 7 000 soldats: 2 000 à 3 000 dans l'armée de Maurice et 3 000 à 4 000 chez les Espagnols. A quoi il faut encore ajouter les 800 morts de l'escarmouche de Mariakerke.

Le jugement final sur la bataille de Nieuport est démystifiant: cette campagne téméraire qui avait failli tourner au fiasco ne put enregistrer de succès durable parce que le siège de Nieuport qui s'en suivit échoua. Des pluies continuelles et l'ouverture des écluses inondèrent les polders qui entouraient la ville. Dunkerque, le deuxième objectif de l'expédition, resta hors d'atteinte. Le 1^er août 1600, les dernières troupes de Maurice embarquèrent à Ostende, ‘l'honneur sauf’.

Mais entre-temps, dans toute l'Europe, le prestige de Maurice en tant que chef militaire était établi et celui de la République conforté. Lorsque l'Espagne reconnut formellement le droit à l'existence de la République par le traité de Westphalie (ou de Münster, 1648), la bataille de

La bataille de Nieuport: l'amiral espagnol Don Francesco Mendoza est amené devant le prince Maurice, tableau de L. Moritz, 1820.

Nieuport, si relatif que fût son impact, put être incorporée à effet rétroactif dans la toute neuve histoire du nouvel État.

Au bout du compte, l'impact réel de la bataille des Éperons d'or fut également fort relatif. Mais la piétaille avait pour la première fois eu raison de la cavalerie; quelques provinces soulevées avaient pour la première fois battu une puissance mondiale sur un champ de bataille. David contre Goliath. Et quelle nation refuserait de figurer parmi les Davids?

Luc Devoldere

(Tr. J. Fermaut)