Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique Philip Fermin Dit bestand biedt, behoudens een aantal hierna te noemen ingrepen, een diplomatische weergave van Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique van Philip Fermin uit 1770. p. 4, 20, 42, 58, 71: Een deel van de tekst is moeilijk leesbaar. Dat is hier steeds tussen vierkante haken aangevuld uit exemplaar Koninklijke Bibliotheek Den Haag, signatuur: KW 1793 D 131. fol. *3r: raison’? → raison?’: ‘saine philosophie & de la raison?’ Les Ecrivains’. p. 51: dane → dans: ‘on trouve des traces dans l'Histoire tant’. ferm001diss01_01 DBNL-TEI 1 2017 dbnl exemplaar Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, signatuur: 992, scans van Gallica Philip Fermin, Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique. Jacques Lekens, Maastricht 1770 Wijze van coderen: standaard Nederlands Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique Philip Fermin Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique Philip Fermin 2017-02-22 RK colofon toegevoegd Verantwoording Dit tekstbestand is gebaseerd op een bestand van de Digitale Bibliotheek voor de Nederlandse Letteren (https://www.dbnl.org) Bron: Philip Fermin, Dissertation sur la question s'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, et de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique. Jacques Lekens, Maastricht 1770 Zie: https://www.dbnl.org/tekst/ques002lauw01_01/colofon.php In dit bestand zijn twee typen markeringen opgenomen: paginanummering en illustraties met onderschriften. Deze zijn te onderscheiden van de rest van de tekst door middel van accolades: {==13==} {>>pagina-aanduiding<<} {==Figuur. 1: Onderschrift van de afbeelding.==} {>>afbeelding<<} {==*1r==} {>>pagina-aanduiding<<} Dissertation sur la question S'il est permis d'avoir en sa possession des esclaves, & de s'en servir comme tels. dans les colonies de l'Amerique. PAR PHILIPPE FERMIN, Docteur en Médecine, Membre de l'Académie Impériale des Curieux de la Nature & de la Société Zélandoise des Sciences de Vlessingue. [vignet] A MAESTRICHT, Chez JACQUES LEKENS. MDCCLXX. {==*1v==} {>>pagina-aanduiding<<} A Messieurs les habitans de la colonie de Surinam. {==*2r==} {>>pagina-aanduiding<<} Messieurs, Aprés avoir publié, l'année derniere, ma DESCRIPTION DE SURINAM, differentes affaires particulieres, qui m'intéressoient d'avantage, m'ont empêché, pendant longtems, de m'occuper d'un article, concernant cet Ouvrage, que j'ai trouvé inféré dans la Gazette Litteraire de L'Europe, Juillet 1769. Tome xxxii. No 7. & ce n'est que depuis mon retour de {==*2v==} {>>pagina-aanduiding<<} Berlin, il y a six mois, que je me suis vu affez de loisir pour remercier le Journaliste des éloges qu'il me prodigue, & pour répondre à la Critique qu'il fait du seul Chap. xi. de mon prémièr Tome, qui lui a paru contenir un Panégyrique odieux de la servitude. La défense légitime de mon honneur, & la justice de ma cause, m'invitent donc également à remettre ici sur le tapis, la fameuse Question? s'il est permi d'avoir en sa possession des Esclaves, & de s'en servir comme tels dans les COLONIES DE L'AMERIQUE. Je crois entendre déja mon Censeur s'écrier encore, que cette nouvelle Dissertation n'est pas plus propre que la premiere, à me recommander auprés des amis de l'humanité; Mais s'il en connoissoit bien les droits lui même, s'il vouloit apprendre aux autres a les respecter mieux; enfin, s'il craignoit de s'exposer à donner une mauvaise idée, non seulement de l'élévation de son Ame & de la noblesse de ses sentimens; mais aussi de la bonté de son esprit, & de la solidité de son jugement, devoit-il ajouter ‘qu'il faut être, en effet, descendu de la race proscrite de CHAM pour soutenir une opinion aussi {==*3r==} {>>pagina-aanduiding<<} contraire aux principes d'une saine philosophie & de la raison?’ Les Ecrivains qui sont si ardens à chasser aprés les jeux de mots & les pointes, s'écartent souvent de ces mêmes principes, & tombent dans les extrémités opposées. En effet, cette ridicule faillie manque de justesse autant que d'humanité, & implique une contradiction manifeste; car, si j'étois descendu de la race proscrite des Esclaves, comment serois-je le panégyriste de l'esclavage & de la tyrannie? D'un aurtre côté, si je ne suis pas né Négre, ou que le Journaliste ne puisse le prouver, il me fait un outrage, en m'attribuant une origine si odieuse à ses propres yeux; mais laissone-le appliquer l'Emplâtre que sa bonté compatissante vient offrir à la playe qu'il m'a portée lui-même. Le Chap.xiii (dit-il, trois pages plus bas) contient des reflexions sur la ‘maniere de bien gouverner les Esclaves, trés importantes pour ceux qui sont chargés de cet emploi, des maximes d'humanité trés sages & capables de faire oublier que l'auteur a défendu la cause de l'esclavage & de la tyrannie.’ {==*3v==} {>>pagina-aanduiding<<} Aprés cette réparation, il est bien juste que j'oublie aussi l'injure de ce Journaliste, pour ne m'attacher qu'à éclaircir le mal-entendu qui me l'a attirée, &, s'il se peut, lui faire reconnoître la bonté de la cause que j'ai entrepris de défendre. J'ai soutenu, & je soutiens encore, que l'on peut licitement avoir des Esclaves, & qui cette possession n'est contraire ni à la Loi Naturelle, ni même à la Loi de l'Evangile. C'est donc en vertu de mon assertion que j'ose hazarder de mettre une seconde fois la main à la plume, dans la vue de combattre l'oppinion opposée. Ce point vous interesse trop MESSIEURS, pour que je n'y emploie pas toutes mes facultés; mais asin de le faire avec ordre, il sera nécessaire 1o de comparer l'homme sauvage, errant au gré de ses besoins pour les satisfaire, avec l'homme en société, abandonnant l'usage de la force pour y substituer les loix, la police & la concorde, en observant les différence qu'ont fait naitre les institutions humaines. 2o De mettre ensuite en porblême, s'il est permis d'avoir en sa possession des Esclaves, & de les retenir dans la servitude. 3o De démontrer la légi- {==*4r==} {>>pagina-aanduiding<<} timité de leur achat sure les côtes d' Afrique, pour les transporter dans les Colonies. 4o De prouver que leur sort y devient infiniment plus heureux qu'ii ne l'est dans leur propre Patrie. 5o De tirer quelques conséquences relatives à la question proposée, & 6o de donner, enfin, des avis sur la maniere de bien traiter ce Peuple Esclave ‘puis-qu'il fait la source de vôtre bonheur & de vôtre prospérité.’ Tel est le plan que je me suis tracé, en réduisant ces six propositions en autant de Chapitres. Puissent mes voeux, MESSIEURS, répondre à mon attente, & contribuer à vous rendre tous aussi heureux que je vous le souhaite du fond de mon Ame? J'ai l'honneur d'être avec de dévouement le plus parfait, MESSIEURS, Votre très humble & très affectionné Serviteur Maestricht le 20.May 1770 PH. FERMIN. {==*4v==} {>>pagina-aanduiding<<} Table des chapitres. Chapitre I. Des deux Etats dans l'homme. II. S'il est permis d'avour en sa possession des Esclaves, & de les rentenir dans la servitude. III. De L'achat des Esclaves en Afrique, pour les transferer dans les Colonies. IV. Du sort heureux que les Esclaves éprouvent dans les Colonies. V. De quelques conséquences relatives à la question. VI. Avis sur la Maniére de bien gouverner les Esclaves. {==1==} {>>pagina-aanduiding<<} Dissertation sur la question S'il est permis d'avoir en sa possession des Esclaves, & de s'en servir comme tels, dans les colonies de l'Amerique. Chapitre premier. Des deux Etats de l'Homme. SANS adopter aucun Systême sur l'origine des Nations, il est certain, que tous les Peuples du Monde ont été sauvages. L'Amérique, & la plus grande partie de l'Afrique, pourroient en fournir des preuves suffisantes. Mais les {==2==} {>>pagina-aanduiding<<} préjugés des Asiatiques & des Européens, à cet égard, demandent d'autres témoignages autentiques & irrécusables. L'Histoire nous apprend, que les premiers Habitans de la Grèce étoient sauvages; ils se refugioient dans des antres; ils ne vivoient que de racines & d'herbes des champs, au point, que celui qui leur apprit à se nourir de glands, mérita l'honneur de l'Apotheose. Les anciens Peuples d' Italie, les Aborigènes, les Etrusques, les Crétois, les Siciliens & autres, se trouvoient dans le même cas; ils habitoient les bois, comme les animaux, & ne vivoient que des plantes & des fruits que la terre produisoit sans culture. Ces hommes errans & timides faisoient leur demeure dans les creux des rochers & sur les arbres; c'est-là qu'ils alloient goûter un repos mille fois interrrompu & par la crainte de se précipiter, & par celle de devenir la proie des bêtes féroces, acharnées à leur faire une Guerre cruelle, comme à des ennemis, qui leur enlevoient, ou qui diminuoient sensiblement leur subsistance, jusqu'à ce que, manquant {==3==} {>>pagina-aanduiding<<} tout-à-fait de nourriture, les animaux se dédommagerent, sur l'espèce humaine, de la disette qu'ils éprouvoient par ses ravages. On sent assez, qu'une vie'aussi brutale ne pouvoit adoucir les moeurs, ni le caractère des Peuples; au contraire, chaque homme, chaque chef de famille, qui en rencontroit un autre dans le même lieu, où il cherchoit sa pâture, ne manquoit pas de lui livrer un combat, dont la victoire seule devoit décider à qui appartiendroit la proie qu'ils se disputoient l'une à l'autre. Par la même raison, le premier état de l'homme fut un état de Guerre, d'autant plus terrible, qu'il s'agissoit d'appaiser la faim, besoin indispensable, qui ne connoît d'autre frein que la nouriture, & qu'il faut absolument satisfaire ou périr. Dans ces tems malheureux, la force étoit la seule Loi & l'unique moyen de se procurer les nécessités de la vie; l'homme le plus puissant & le plus riche étoit donc le plus respecté, parce qu'on le craignoit davantage; & le tyran des foibles, avantagé par la nature, eut untel ascendant sur les esprits, {==4==} {>>pagina-aanduiding<<} qu'on regarda la violence comme une vert[u], comme un titre de supériotité; enfin comme un droit réel, qui effaçoit celui de l'égal[ite] primitive des conditions. La grande multiplication des quadrupedes, dont les uns dévoroient la mince subsisiance que la terre produisoit d'elle-même, & les autres, avides de sang, ne se repaissoient que de chair, augmentant de plus en plus la disette, & la terreur parmi l'espece humaine, qui avoit été souvent la triste victime de ces fléaux, tout cela concourroit à exciter des idées. Chaque chef de famille, instruit par les brutes même, comprit, que sa conservation demandoit des efforts; & dès lors il se mit en devoir des les faire. L'esprit s'aiguisa par le besoin, & l'amour de l'existance enfanta le genie. L'homme, jusques là peu different des animaux, si ce n'est par la noblesse de sa nature, s'éleva bientôt, au-dessus d'eux par ses propres perceptions; il usa de la force pour se deffendre, & de son intelligence pour se mettre à l'abri des dangers. Des bras robustes & ner- {==5==} {>>pagina-aanduiding<<} veux arrachent, brisent & font voler en éclats les arbustes, les grosses branches des chênes sont abattues par sa viguere; ce n'est point un palais qu'il se bâtir, c'est une chetive cabane rustique; il l'environne de pieux bien affermis; son ouvrage est informe, mais solide; une mousse légere lui tient lieu de duvet; desormais ni lui, ni les objets cheris de ses amours ne seront plus exposés à être dévorés par les Bêtes féroces. Le Lion, l'Ours, le Tigre le Loup, vont être terrassés par son adresse, ou relancés dans le fond des forêts; leurs fourrures serviront à le garantir contre les injures de l'Air; & ces utiles dépouilles seront en même tems des marques glorieuses de son courage & de sa tendresse paternelle. Bientôt les Arts succèdent à ces premiers soins; les grains, épars de côté & d'autre, sont recueillis avec soin, & femés de nouveau avec succès; l'agriculture est au berceau, & la découverte des métaux, due au simple hazard, lui fait faire les progrès les plus rapides. L'homme sentit en ce moment ce qui man- {==6==} {>>pagina-aanduiding<<} quoit encore à sa sureté & à son repos, les Animaux étoient, pour lui, des ennemis moins à craindre que ses semblables; de quoi pouvoient lui servir tous ses travaux, si quelque autre individu venoir lui en enlever le fruit, par la force, ou par la ruse? On s'invita donc mutuellement à convenir de s'aider, de se respecter, & de se soûtenir contre les perturbateurs de la tranquilité publique, on sit une Loi, elle fut jurée, & la Societé s'etablit. Jusqu'alors la force, & la ruse avoient été le seul droit connu parmi les hommes; les biens de la terre appartenoient aux plus puissans, ou aux plus adroits; les idées du juste & de l'injuste étoient absolument ignorées. Une anarchie odieuse & cruelle désoloit la terre, & la remplissoit de crimes; mais aussi-tôt que le besoin, la crainte & l'amour de la vie, eurent cimenté les liens de la societé, tout changea heureusement de face. Dès ce moment la raison publique prit sa consistence, & la conservation de la vie & des biens des nouveaux membres, devint la baze sur laquelle tout l'Edifice social fut sondé. Cette Epoque est célèbre dans les fastes {==7==} {>>pagina-aanduiding<<} du Monde. C'est à ce point qu'il faut remonter pour bien connoître l'origine de l'harmonie qui règna depuis entre les premieres Peuplades, & qui leur fit porter la vertu à un dégré si sublime, que l'Histoire nous en paroîtroit fabuleuse, si les Etrusques, les Crétois, & les Egyptiens ne l'avoient prouvé à tous les âges. En effet, quelle prudence, quelle sagesse, quelle piété, ces anciens Peuples n'ont-ils pas fait éclater. Ce fut alors qu'on vit la Religions s'établir, l'éducation uniforme se fixer, & les Loix sur l'oeconomie ou l'agriculture briller avec une splendeur, que tant de siècles révolus n'ont point encore ternie. Avouons, cependant, que, parmi ces Loix si sages & si justes, il s'en trouvoit une, qui paroît aussi singuliere que cruelle, c'erst celle de faire mourir tous les Etrangers; mais, avont que de la condamner, il faut remarquer; 1o que les hommes de chaque contrée ne se sont pas réunis en société dans le même tems, & que ceux qui ont été les premiers à en donner l'exemple, environnés, de tous côtés, par ceux qui étoient encore sauvages, devoient naturellement s'en défier & se tenir constamment en garde contre eux: 2o Que {==8==} {>>pagina-aanduiding<<} les mots Ennemis & Etrangers, étoient synonimes, & que par la même raison, le maintien de la sureté publique, rendoit cette rigueur indispensable; 3o Que les divers gouvernemens, choisis par chagque Peuple, pouvoient être un obstacle à la tranquilité générale. 4o Enfin, que cette Loi fut abrogée par tout, dès que l'inégalité des conditoins eut forcé le genie à se developper, ce qui donna naissance à tous les Arts connus, agrandit la sphère du Commerce, & forma, entre les différens Peuples, un lien de communication, inutile & même nuisible dans les premiers tems, mais qui devint nécessaire & avantageux lors qu'il y eut plus d'idées & plus de besoins parmi les hommes. Dans ces tems fortunés, que les Poëtes ont célebrés sous le nom de l'Age d'Or, les hommes modestes & règlés, menoient une vie tranquille; la Justice règnoit sans acception de personnes, le Pouvoir suprême s'exerçoit avec douceur & moderation; l'obeïssance étoit analogue à une sujettion raisonnable & volontaire, l'égalié des biens excluoit tout faste, toute ambition; on ne connoissoit d'autre Souverain que la Loi, qui, gravée dans les coeurs, plus profondément {==9==} {>>pagina-aanduiding<<} que sur la pierre ou l'airain, parce qu'elle ne respiroit que l'équité, les modeloit, par dégrés, aux vertus sociales. Ainsi la concorde & L'amour de bien public, animoient tous les membres de la République, le simple soupçon de la fraude paroissoit un crime, & l'humanité se voyoit placée sur le Thrône de l'Univers. Mais ce périod fut de trop courte durée pour le bonheur des hommes. L'époque fatale de son terme fit bientôt rentrer l'espèce dans son premier état; que dis-je? Elle la précipita dans un abyme de nouveaux maux, d'autant plus déplorables, que le Monde ne s'en affranchira jamais Des milliers de causes fortuites & inopinées ont pu produire la disproportion actuelle des conditions parmi les hommes; sans prétendre les rechercher à une si prodigieuse distance de nous, toujours est-il certain, que l'égalité a existé, & que l'inégalité n'est que trop sensible. Cependant on est assez fondé à conjecturer, qu'en général les opinons diverses sur le culte religieux, les motifs d'une juste désense, les jalousies, les haines, les animosités, qui renaissent encore constamment, de nos jours entre les Nations, comme entre leurs individus, ont préparé les voies à cet événement, {==10==} {>>pagina-aanduiding<<} le plus funeste que aît jamais accablé l'humanité: Je veux dire la revolution des fortunes. Pour peu qu'on soit versé dans l'Histoire, il n'est personne qui ne sache, que, dans ces tems reculés, toutes les Peuplades, soit en Asie en Afrique ou en Europe, concentrées dans de petits cercles isolès, formoient autant de Royaumes séparés, témoin ceux de Troye, d'Argos, de Sycione, d'Athénes, de Sparte&c. On en comptoit quatre dand l'Egypte même; c'étoient ceux de Thébes, de Memphis, de Chus, & de l'Egypte inférieur. J'ai parlé plus haut de la Loi rigoureuse, qui faisoit regarder tout Etranger comme un Ennemi: cette Loi barbare n'avoit pu être statuée sans cause; chaque Peuple, renfermé dans ses propres limites, étoit donc l'ennemi naturel de ses voisins; il se voyoit exposé à leurs attaques, & devoit être sans cesse sur ses gardes. L'Histoire confirme singuliérement ce que j'avance, &, pour nous borner à l'Egypte, nous apprenons, qu'un certain Roi de Thèbes, nommé Aménohis, subjugua enfin les autres Etats, qui avoient subsisté plus de mille ans. {==11==} {>>pagina-aanduiding<<} On sait, d'ailleurs, que la plupart des Guerres que se faisoient les divers Peuples de ces contrées, avoient pour motif la Religion; chacun soutenoit que son Dieu étoit le seul véritable, & détestoit celui de ses voisins. Cette cause seule suffisoit, sans doute, pour armer les uns contre les autres; & de quelles horreurs n'a-t-elle pas été suivie dans des tems moins éloignés? Ignore-t-on lès excès monstrueux auxquels les Chrétiens même se sont portés, lors qu'animés par un faux zèle, & pieusement excités par leurs Prêtres, ils couroient, comme des forcenés, plonger le poignard dans le sein de leurs frères? Quand je prends l'Egypte pour un exemple de ce qui s'est passé par-rapport à l'origine de l'inégalité des conditions, je ne prétends pas que cette révolution d'Etat aît été amenée par elle; mais c'est seulement pour rendre la chose plus sensible. Supposé donc que le Royaume de Thèbes & celui de Memphis, soient entrés en Guerre, & que leurs divison aient été fomentées par un zèle religieux, n'en a-t-il pas dû arriver alors ce qui arriveroit encore de nos jours, si nous {==12==} {>>pagina-aanduiding<<} avions les moeurs & la superstition de ces anciens Peuples? Remplis d'une sainte fureur, & bravant tous les dangers, nous irions chercher mille fois la mort, ou la donner, pour venger la majesté du Dieu que nous adorons, & que nous croirions outragée. La désolation & le carnage ne nous effraieroient pas, &, sous le voile de la Religion, nous ne quitterions les armes que Vainqueurs, ou Vaincus. Dans l'Antiquité, la défaite entrainoit naturellement l'Esclavage, &, par la Loi, une Nation soumise étoit anéantie. Ainsi voilà d'abord un Peuple entier devoué à la misére, aux travaux les plus pénibles, à la mort même, en cas de désobéïssance envers ses nouveaux maîtres. Mais, si le vaincu, qui gémit dans les fers, a perdu sa fortune, le Vainqeur conservera-t-ii sa modération, son innocence & sa vertu? Ce seroit peu connoître l'homme, que de le croire capable de résister à l'aiguillon de l'ambition & de la cupidité, qui nourrit cette possion malheureuse. Lors que le tems de la ferveur de la vertu est passé, la molesse, la voluptè, prennent la place de l'amour du travail & de la tempérance. Tel a été le sort de tous les Peuples {==13==} {>>pagina-aanduiding<<} indigens & vertueux, qui ont essayé leurs forces, & dompté leurs ennemis. C'est ainsi que ces anciennes Nations, qui ont triomphé des autres, se sont vues comme forcées à changer leurs moeurs, leurs coutumes, leurs Loix, des que la Victoire leur eut arraché le bandeau sacré, qui tenoit leurs yeux fermès à l'opulence, au faste & à l'ambition. Je m'explique: Les premières Peuplades, qui prirent les armes les unes contre les autres, pour tel motif que ce soit, étoient composées d'hommes de différens caractéres; plus ou moins vigoureux & braves, ou foibles & timides. Cependant tous combattoient bien, parce que c'etoit pour la cause commune; mais, parmi les vainqueurs, il dût y en avoir qui se signalerent, & qui, dans l'ardeur du Combat, montrerent une superiorité marquée. Ne se crurent-ils pas audessus des autres par leur conduite & par leur courage? Leur amour-propre, encore flatté par les éloges de leurs concitoyens, trop simples alors pour n'être pas sincères, trop équitables pour ne point reconnoître ces service, acheva de leur enfler le coeur, & de leur inspirer des vues ambitieuses. J'ai peine à me refuser à la vérité de ce {==14==} {>>pagina-aanduiding<<} sentiment inné, il me paroît étre dans la Nature, & même le seul, qui puisse rendre raison de tout, pour expliquer le passage de l'égalité, à línégalité conditions. En effet, le Roi, le Cacique, ou le Chef de ce Peuple, n'eut garde, sans doute, de s'épargner dans cette occasion; le choix libre & volontaire d'une Nation vertueuse l'avoit élevé au Commandement; il en étoit donc le plus digne. Ce choix le transforrme dans un instant; Il commande, il est victorieux. Suivons la marche de l'ambiton, qui s'est déjà emparée de son coeur; Elle va revêtir les dehors de la vertu, &, sous le masque imposant de la reconnoissance, préparer des chaînes au genre-humain. La perfection de l'individu réside dans son organisation, les objets excitent les sensations, agitent l'ame, & lui causent des émotions voilentes, qui lui font sentir la douleur, ou goûter le plaisir, dans toute son étendue. Ce Cacique, quoique sage & vertueux, sera-t-il indifférent aux accens de la joie publique, qui se rapportent principalement à lui, comme au Chef, dont on chante partout les louange? Non! enyvré de cet encens, qui, pour être justement mérité, n'en {==15==} {>>pagina-aanduiding<<} est pas moins délicieux, le trouble dont son ame est saisie, se peint dans ses yeux. Il jette d'abord un regard complaisant sur lui-même; il l'abaisse ensuite avec mépris sur cette troupe de Captifs infortunés, qui, prosternés à ses pieds, implorent sa clémence, il contemple leurs riches dépouilles, qui sont tombées en partage aux Vainqueurs; il mesure en idée ces terres nouvellement conquise, qui semblent augmenter leur force & leur puissance. Tant de succès, si peu attendus, l'étonnent & le ravissent à la fois; son air inquíet decèle les mouvemens confus de son ame; il paroît sevére envers les Supplains; froid envers ses Compagnons; le degré où il est monté le charme & l'embarasse, mais tout-à-coup une foule d'idées s'offre à son esprite, agité de differentes passions, & porte, en un instant, la lumière sur ce qu'il doit faire; il va parler à son peuple: Ecoutons. ‘Chers & fidèles Compagnongs, favorisés du Ciel, nous menions une vie douce & tranquille, au sein de la paix & de l'abondance: Nous ne formions tous qu'une même famille, dont la vertue, la justice, l'amour, & la concorde étoient les liens facrés, quand ce Peuple impie vint trou- {==16==} {>>pagina-aanduiding<<} bler notre rèpos. Il méprisoit, il blasphémoit le Dieu que nous adorons: mais cet Etre suprême a beni nos armes, ses ennemis & les nôtres sont humiliés Jai usé du droit que vous m'aviez concédé, pour marcher à votre tête & combattre sous vos yeux; satisfait du succès de mes soins, je ne vous en demande d'autre récompense, que de reconnoître libéralement le zèle & la fidélité des braves Guerriers, qui se sont signalés dans cette mémorable journée. La fortune nous a été favorable, & vous êtes riches en dépouilles & en domaines; Apres avoir rendu au souverain Maître de l'Univers, les Actions de graces que vous lui devez à tant de titres, si vous voulex mériter la continuation de ses bontés, respectant les instruments dont il a daigné se servir pour opèrer votre bonheur, étendez votre munificence sur ceux, dont le courage & la valeur vous ont arrachés à l'Esclavage ou à la mort.’ Ces instans, si précieux pour les Génies qui savent les saisir, ne manquent jamais de produire l'effet désiré. Dans les transports d'une joie imprudente, dont la réflexion est bannie, les yeux encore frappés des objets {==17==} {>>pagina-aanduiding<<} de son admiration, ce Peuple trop simple accorde des distinctions à ceux qu'il juge les avoir le mieux méritêes, & s'empresse de les favoriser dans le partage des Dépouilles, des Terres & des Esclaves, dont il leur laisse le choix. Le Chef est dèslors plus considéré, plus respecté; Politique habile, il intéresse la Religion, il l'associe, pour ainsi dire, à sa Dignité, il en ordonne les Ministres; il fixe leurs revenus, les Sacrifices deviennent obligatoires & les Cérémonies sont multipliées. Tout change de face en un moment, & ceux que l'aurore avoit éclairés dans l'égalité, se virent, avant la fin du jour, à une distance immense les uns des autres. Alors la porte fut ouverte à tous les vices, la modération reléguée auprès de la médiocrité, & la justice anéantie avec la liberté du Peuple. Le Prince, encouragé par le succes, sçut s'attacher les braves & les opulens par ses bienfaits, & par des titres fastueux qui flattoient leur intérêt ou leur Amour-propre; & ces ames mercenaitres, renoncerent a la qualité respectable de Citoien, pour devenir les créatures de Tyran, ses Conseillers & ses adulateurs. {==18==} {>>pagina-aanduiding<<} Une semblable révolution ne pouvoit se soutenir que par la force; la demeure des Rois fut changée en une Forteresse, une garde nombreuse entoura leurs personnes, les biens des Vaincus servirent à assujettir les vainqueurs, & pour distraire les esprits, on chercha de nouveaux ennemis; la guerre se rallume, on la poursuit avec chaleur, des Victoires réïtérées augmentent le nombre des calamités; la confusion se répand par-tout, & les Peuples soûmis les derniers, traités d'abord avec une douceur simulée, assurent de plus en plus la domination de l'Oppresseur. L'association de diverses Nations sous un même Gouvernement, l'Esclavage forcé par les vaincus, qui étoient trouvés les armes a la main, l'interêt introduit pour les Débiteurs envers les Créanciers, devoient naturellement augmenter le Codes des Loix; mais, ce qui semble, en cette occassion, être si conforme à la raison & à l'équité, fut encore une source fameuse de la distraction entiere des fortunes. La sociabilité étoit déjà rompue par l'inégalité; la hauteur qu'inspire le rang, la protection du Prince, la possession des richesse, avoient pris un trop grand as- {==19==} {>>pagina-aanduiding<<} cendant sur la clasle inférieure du Peuple, & bientôt le pauvre se vit opprimé sous le poids de ces mêmes loix, destinées à maintenir une forte d'égalité, mais qui étoient mal interprétées ou altérées par des Juges iniques. En attendant cette distinction entre les conditions contribua beaucoup aussi à la perfection de certains Arts, & à la culture des sciences les plus sublimes. Les riches, devenus en peu de tems somptueux & sensuel, les Edifices, les Vêtemens, les Meubles, la Table, demanderent des hommes, qui se confacrâssent à nourrir le luxe & la volupté; l'intérêt & plus encore, le désire de se distinguer de ses semblables, furent un puissant aiguillon pour inventer; on voit tout-à-coup sortir des Mines & des Carriers, les Métaux précieux & les Pierres de taille. Des milliers de bras sont employés de toutes parts à les façonner, ou a fournis d'autres tâches nécessaires, pour orner, embellir, & satisfaire l'orgueil & l'opulence. Les forêts retentissent des coups redoublés que le vigoureux Bucheron, armé de sa coignée porte au tronc des plus gros arbres, qui sont précipités du sommet des Montagnes dans la plai- {==20==} {>>pagina-aanduiding<<} ne, pour construire des Palais & des Navires. L'Architecture se perfectionne, la Navigation & le Commerce produisent tout ce qu'exigent le luxe & la délicatesse. L'Art des Nombres, la Géometrie, l'Astronomie, la Médecine s'élévent à un degré éminent, enfin, toutes les Sciences brillent du plus grand éclat. Mais si les hommes s'en orgueillirent de leurs perceptions & de leur génie, ils eurent lieu de s'humilier en voyant les fruits amers de l'inégalité distiller un poison mortel sur toute l'espéce. La misére, le mépris, les maladies attachées à l'indigence, la haine, l'envie, la chicane, la cruauté, la fraude, la parjure, le larcin, le meurtre, les emprisonnemens, & ces crimes, que l'horreur qu'ils inspritent empêche de nommer; [t]els furent, & tels sont encore, les effets malheureux de cette cause destructive, qui ne cessera plus ses ravage qu'avec la fin du Monde. L'homme, tant par les qualités de la matiere dont il est composé, que par les imperfections qui se rencontrent dans son organisation, est sujet à être Vicié. L'ignorance, {==21==} {>>pagina-aanduiding<<} défaut attaché à l'humanité, est souvent invincible, sur-tout quand, par un vice d'organes, les facultés de la reminicence & de la perception sont affoiblies ou détruites par quelque cause que ce soit. En ce cas, les sujets viciés sont incapables, ils ne peuvent en aucune façon s'instruire, & c'est ce qu'on appelle communément simplicité d'Esprit. Une seconde cause de l'ignorance des hommes est le manque de fortune, qui empêche les indigens de recevoir une éducation convenable; &, en général, ceux, qui s'appliquent à une profession, à une science particuliere, sont peu propres à remplir d'autres emplois; de sorte qu'en ce sens tous les hommes sont ignorans, puis qu'il est impossible qu'ils soient instruits de tout, & les Esprits les plus transcendans sont destinés, comme les autres, à ignorer ce qu'ils ne peuvent percevoir. En qualité d'ami de la vertu j'ai fait voir, sous un prémier période, deux états différens dans l'homme; celui de sauvage, qui ne connoit que la force, & celui d'homme sociable, gouverné par les Loix de l'équité & par l'amour du bien public, qui faisoient la {==22==} {>>pagina-aanduiding<<} félicité de la Societé primitive & celle de tous ses Membres, bonheur qui fut resté stable à jamais sans la catastrophe, qui les arma les uns contre les autres; J'ai démontré, sous un second période, que l'inégalité des conditions avoit fait rentrer l'homme dans son premier état, puis-que la dis-proportion des fortunes le tient dans une Guerre continuelle avec ses semblables, en opposant sans cesse le mensonge à la vérité, la ruse à la candeur, l'adulation à la Naïvité du sentiment: Delà aussi le mépris riches envers les pauvres, les fourberies & les supercheries du Peuple, pour sortir de sa misére en trompant les opulens, de-là l'invention des Arts & des sciences, enfans de l'industrie & de l'indigence, & de-là, enfin, des accidens & les vices qui ont affecté la Société depuis l'introduction du luxe. Par l'inégalité qui existe actuellement plus que jamais, les hommes se trouvent donc dans un si violent état de Guerre les uns contre les autres, qu'on ne doit pas être surpris de la voir constamment régner de même chex des Peuples tels que les Asiatiques, les Africains, & les Américains, qui ne connoissent {==23==} {>>pagina-aanduiding<<} point les droits de l'humanité, & qui n'ont aucune idée des vertus sociales. De tout ce qu'on vient d'exposer, il est aisé de conclurre, combien l'état de l'homme est déchu, depuis l'inégalité des conditions, & combien cette révolution a été funeste à l'innocence, à la justice, & à l'humanité. Je ne suis point de ceux qui croient que tout est exactement compensé, en ce qui, si l'homme a perdu de côté de la droiture & de la bonté, il à regagné, de l'autre, par les Arts & les Science. Eh! ne vaudroit-il pas mieux habiter la plus chétive chaumiere, ou même l'antre le plus sauvage, dans la concorde & la tranquillité, exemt de toute passion, excepté celle de l'amour social & paternel, que de se glorisier de mesurer avec précisoin la Terre & les Cieux, de connoître le cours des Astres, d'élever des Edifices immenses & superbes, qui souvent ne servent de demeure qu'aux vicieux; de decouvrir de nouvelles Terres, de nouveaux Mondes, pour y fomenter, par le luxe & l'abondance de l'Or, la cupidité, l'avarice, la débauche & les crimes qui deshonoreront à jamais l'espéce humaine? {==24==} {>>pagina-aanduiding<<} Il ne sera pas superflu, pour plus grand éclaircistement, de faire observer qu'au commencement Dieu créa l'Homme parfaitement libre, c'est-à-dire, pleinement maître de sa personne & de toutes ses actions, n'étant assujetti qu'au seul Auteur de son existence; mais le péché, en entrant dans le monde, à causé un étrange renversement dans l'état de l'homme, qui, par se revolte contre l'Etre suprême, est honteusement déchu de cette pleine & parfaite liberté qu'il en avoit reçuë. L'abus qu'il en a fait, en voulant, par orgueil, se soustraire à la douce & juste dépendance de son Créateur & de son unique Maître, l'a précipité dans une servitude presque universelle, n'ayant conservé, de sa premiere liberté, qui ce qui la constitue essentiellement, & qui appartient inséparablement à sa nature, la faculté intérieure de suivre toutes ses volentés, sans contrainte. Il est devenu l'Esclave, non seulement du péché, du Démon & du Monde, mais encore de son propre esprit, de son corps, de ses sens, & généralement de tous les objets qui l'environnent. Condamné par la Justice Souveraine du Tout-Puissant, qu'il a offensé, à traîner sur {==25==} {>>pagina-aanduiding<<} la Terre une vie miserable, toutes les Créatures animées, & inanimées sans en excepter ses semblables, s'arment de concert & se soulévent contre lui, pour lui déclarer la guerre, & il s'y trouve assujetti a mille douleurs, qui sont la juste peine de ses crimes. Je conclus de tout ce qui précede, que comme les Négres sont nécessaires à la culture des Colonies, c'est pécher contre l'Etat & faire un très grand mal, que d'en blâmer le trafic comme contraire à la charité, & à l'humanité; dès qu'il est innocent & légitime; s'il s'y glisse des abus, il faut les corriger, & laisser subsister ce qui est bon. J'en dis autant de la maniere dont on traite ses Esclaves en se conformant aux Ordonnances du Souverain, & en usant de toute la bonté possible à l'égard des Négre, leurs Maîtres n'auront rien à se reprocher. Il s'ensuit de-là qu'on peut licitement avoir des Esclaves & s'en servir, dès que les achats se font du consentement du Souverain, à qui ils appartiennent, & que ces Négres sont vendus par ceux qui en ont le droit, tels uqe les Peres & Meres, ou les Maîtres, dont ils sont Esclaves; En pareils cas, je soutiens que cette posses- {==26==} {>>pagina-aanduiding<<} sion & le commerce qu'on en fait en Afrique ne sont contraire ni à la loit naturelle, ni à la loit de l'Evangile, c'est ce que ja vais prouver dans le Chapitre suivant. {==27==} {>>pagina-aanduiding<<} Chapitre II. S'il est permis d'avoir en sa possession des Esclaves, & de les retenir dans la servitude. Je réponds à cette question, que l'on peut licitement avoit des Escalve, & les retenir dans la servitude, dés que celà n'est contraire, ni à la Loi Naturelle, ni à la Loit de l'Evangile. Si l'on consulte l'Histoire des differens Peuples, même les plus anciens, & les plus policés, on y verra, que partout, & de tout tems, il a été d'usage d'avoir des Esclaves. L'Ecriture sainte nous en fournit suffisamment d'exemples, pour prouver clairement; que la servitude n'est point contraire au Droit naturel. Le Journaliste ayant reconnu que je puise mes plus forts argumens dans l 'Ecriture sainte, j'ai cru devoir en tirer un plus grand nombre, qu'il trouvera encore plus forts. Dans les maledictions que Noé, seul Juste parmi les hommes au tems de Déluge, donna à son petit fils Canaan, il repéta jusqu'à {==28==} {>>pagina-aanduiding<<} trois fois, qu'il seroit serviteur des serviteurs de ses Freres.Genese Chap.ix.v.25.27. La sentence de Noé, eut son effet: ainsi elle fut prophétique, & l'Ecriture ne la blâme aucunement de l'avoir prononcé. Belle raison s'écrie mon Censuer, pour conclure qu'il est permis de vendre & d'acheter les hommes comme un vil troupeau de bétes? Ce n'est pourtant pas la seule, que j'eûsse alleguée en faveur de ma These. Ces anciens Justes, qui vivoient sous la Loi de Nature, ces Patriarches, dont St. Paul exalte la bonne foi & la vertue eurent des Esclaves. Abraham le Pére des Croyans, en avoit un très grand nombre, puisque, selon le xiv. Chap. de la Genese v.14. & suiv.il arma troiscents dix huit de ses serviteurs, qui étoient nés dans sa maison pour marcher contre divers Rois ligués ensemble, & délivrer Loth son Neveu de leurs mains. Au Chap.xvii du même Livre v.12.13.23. & 27 on trouve l'ordre que Dieu donna à ce Patriarche, de circoncire tout enfant mâle de huit-jours, tant celui qui étoit né dans sa maison, qui l'Esclave acheté par argent, de tout étranger, qui n'étoit point de sa race; Mais le Chap.xvi. {==29==} {>>pagina-aanduiding<<} qui précede v.8. & 9. confirme encore mieux la légitime authorité des Maîtres sur leurs Esclaves, par l'exemple d'Agar, servante Egyptienne, qui, toute enceinte qu'elle étoit d'Abraham fuiant de devant Sara, dont elle avoit été maltraitée, lorsque l'Ange de l'Eternel lui ordonna de retourner à sa Maitresse, & de s'humilier sous elle. Sara la chasse ensuite avec son sils, & quoi que cela déplût fort à Abraham, Dieu lui dit d'obéir à la parole de Sara; desorte, qu'il renvoya sa servante & l'enfant, après avoir donné à Agar, du pain & une bouteille d'eau qu'il lui mit sur l'épaule. Genese Chap.xxi.v.10.14. Cet exemple dont on ne sauroit revoquer en doute l'authenticité, ne prouve t-il pas clairement le droit qu'ont les Maîtres sur leurs Esclaves, tant pour les tenir dans la servitude, que pour les punir, lorsqu'ils tombent en faute? Si cette Loi étoit contraire au Droit des Gens, Dieu, qui est l'Auteur de la Nature, n'auroit point ordonné à cette Esclave fugitive de se soumettre aux traitemens que sa Maitresse avoit droit de lui infliger. On passe {==30==} {>>pagina-aanduiding<<} sous silence d'autres Patriarches & pieux personages, qui ont eu de même un grand nombre d'Esclaves. [f] Les Grecs & les Romains, comme les Juifs, en avoient aussi; & si l'on remarque à cet égard, quelque difference entre les Coutumes des diverses Nations, elle ne consiste, que dans le plus ou le moins d'étendue de pouvoir qu'on y déféroit aux Maîtres sur leurs Esclaves. Les Loix Grecques & Romaines leur attribuoient droit de vie & de mort; droit qui, dans la suite a été reservé au seul Souverain. Ils pouvoient, selon ces Loix, mettre à la torture les Esclaves en faute, les faire fouetter, leur ôter même la vie, sans l'intervention du Magistrat; ensorte, que leur puissance étoit tout-à-fait despotique. Si un Roi a le droit sur ses sujets, pourquoi un Maître ne l'auroit-il point sur ses Esclaves? La puissance de l'un, n'est ni moins légitimes, ni moins fondée en raison que celle de l'autre, quoi qu'elle ne soit pas toujours aussi pleine & aussi absolue. Toutes deux sont de même nature, coulent de la même source, {==31==} {>>pagina-aanduiding<<} & émanent également de Dieu, selon ce principe du grand Apôtre: Omnis autem potestas à Deo est. Epit. aux Romains Chap.xiii. D'où il s'en suit, qui'il n'est pas plus permis de se soulever contre l'une que contre l'autre, & que condamner la puissance des Maîtres sur leurs Esclaves, c'est condamner ce que Dieu même a ètabli. Cet usage d'avoir des Esclaves sous sa domination se trouve autrorisé par le Droit des Gens, lequel loin d'être opposé au Droit naturel, en dérive immédiatement, sans autre difference, si ce n'est, que celui-ci est antérieur à celui-là, & qu'il a beaucoup plus d'étendue. Le premier suppose une parfaite égalité entre les hommes, & en conséquence exclut toute distinction & toute subordination entr'eux: au lieu que le second suppose la difference des états déja établie par le fait, & reconnoit une subordination nécessaire & inévitable, sans laquelle la societé ne pourroit subsister. Qu'appelle t-on, en effet, Droit, des Gens, sinon une raison naturelle établie parmi les hommes, afin qu'elle soit communément reçuê & observée par toutes les Nations? {==32==} {>>pagina-aanduiding<<} Les Interprêtes divisent le Droit des Gens, en Jus gentium primarium, & Jus gentium secundarium. Le premier est le Droit, que la raison seule a inspiré aux hommes, & que l'Etre suprême a gravé dans leurs coeurs; savoir la connoissance du bien & du mal. Le second est le droit que les hommes, par un raisonnement fondé sur les commodités de la vie, se sont fait, dans differens tems, suivant les differentes nécessités qui les y ont portés, pour établir & entretenir la société humaine, Et quant au Droit Civil, ce sont des Loix propres à chaque Peuple ou Nation. L'un & l'autre me serviront d'appui pour l'affirmative de la question proposée. C'est en vertu de ces Droits, que chez tous les Peuples policés, les crimes sont punis. On ne sauroit regarder le Droit des Gens, comme contraire au Droit Naturel, en ce qu'il autorise l'usage d'avoir des Esclaves, qu'en supposant que, suivant les principes de la loi naturelle, tout homme a un droit à son entiere liberté; on le suppose ainsi. Je conviens que si l'on remonte à la premiere institution des choses, tous les hommes sont parfaitement libres par leur nature, & égaux entr' {==33==} {>>pagina-aanduiding<<} eux; Mais le péché, en prenant naissance, a bien changé ce premier ordre; & la difference des Etats établis par le Droit des Gens, est devenu une suite inévitable de ce triste & funeste changement. C'est ce qui a occasionné l'établissement de Chefs pour entretenir chaque Nation dans son devoir; de-là, la dépendance & la subordination est devenue nécessaire, car, sans elle la société n'auroit pu subsister ni se maintenir. Je soutiens, d'aprés la définition que donne Justinien de la servitude, qu'elle est une constitution du Droit des gens, par laquelle un homme se trouve assujetti à un autre, comme à son Maître, contre la disposition de la nature. Servitus est constitutio Juris Gentium, quâ quis Domino alieno contrà naturam subjicitur. Ceci doir s'entendre, de la nature de l'homme, considerée dans son Origine, ou premiere institution lors de la création, & antécédemment au péché, autrement il se seroit contredit lui même. Il établit ailleurs un principe, parlant de ce même Droit des gens, qui autorise la servitude, & dit, qu'il est un accord commun entre les differens {==34==} {>>pagina-aanduiding<<} Peuples, dicté par la raison naturelle, Quod naturalis ratio inter gentes omnes constituit. Il faut entendre, dans le même sens, ce que cet Auteur si célébre dit, & aprés lui plusieurs Jurisconsultes, qu'en ne considérant que le Droit Naturel, tous les hommes naissent libres. Il ne s'agit ici, que du Droit Naturel considérê en lui même en envisageant les hommes tels qu'ils ont été originairement crées en Adam, avant le péché' & eu égard au penchant naturel qu'ils se sentent pour posseder cette liberté. Je conviens que la Loi naturelle, considérée dans toute sa force, ne dépouille personne de sa liberté; mais aussi elle ne donne non plus à personne le droit d'exemption de la servitude. Le savant Grotius à 'très bien développé ces Idées, en disant, Naturâ nemo servus, sed naturâ nemo jus habet, ne unquam serviat. Sénéque lui-même, quoique vivant au milieu des ténébres du Paganisme, l'avoit bien conçu, & c'est ce qui a donné lieu à ces paroles remarquables. Neminem naturâ liberum esse, neminem servum: baec posteà nomina singulis imposuisse fortunam. {==35==} {>>pagina-aanduiding<<} Je ne disconviens pas que la servitude corporelle ne soit un joug des plus insupportables au vif penchant que l'homme a de conserver sa liberté, qui étoit un des principaux appanages de son innocence. Mais nous ne pouvons pas non plus nous dissimuler, en considérant son état présent, qu'il n'aît beaucoup perdu par sa faute, du droit qu'il y avoit, & dont il se montre encore si jaloux; & que, suivant les dispositions actuelles de la Providence, il ne se trouve bien des cas, où l'état de servitude devient, pour lui, un assujettissement, non seulement nécessaire, mais même utile & avantageux pour son salut. C'est Dieu qui met cette difference entre les hommes, qui diversisie leurs voies sur la terre, & qui décide souverainement, selon son bon plaisir, du droit de chacun d'eux. C'est lui qui fais le Roi & le sujet, l'Homme libre & l'Esclave, le muet & le sourd, le voyant & l'aveugle, ainsi qu'il est exprimé dans le Livre de l'Exode, Chap.iv. N'est ce pas moi, dit l'Eternel, qui a fait le muet & le sourd, ou le voyant ou l'aveugle? Quiconque est né Esclave, ou le devient, doit {==36==} {>>pagina-aanduiding<<} se soumettre à la volonté de cet Etre suprême, & dire ‘C'est Toi, Seigneur, qui as établi des hommes sur la Terre, pour nous gouverner, ta volonté soit faite & non la mienne?’ Or l'espece d'Esclaves, dont il est ici question, sont des hommes nés, ou devenus tels, par une suite inévitable des querres continuelles que leurs Chefs se font entr' eux. On ne les fait donc point Esclaves, en les achetant en Guinée; on les trouve déja réduits à la servitude la pluscruëlle & détenus dans les chaînes, au pouvoir des Maîtres barbares, qui ne les occupant point, les laissent manquer le plus souvent du nécessaire, & ne se font aucun scrupule de leur ôter même la vie, lorsqu'ils s'en trouvent embarassés, ou qu'ils ne peuvent s'en défaire d'une autre maniere. C'est en pareils cas, qu'un véritable Philosophe pourroit justement s'écrier * {==37==} {>>pagina-aanduiding<<} Précieux don de la Nature, faut-il qu'il y aît des coeurs assez malheureux, pour ne pas te connoïtre, ou pour te dédaigner. Tout ce qui résulte du Commerce qui s'en fait, est le changement d'une Esclavage excessivement dur, en un autre incomparablement plus doux & plus tolérable, ensorte que, l'état, où se trouve ce Peuple dans les Colonies de l'Amérique, n'est absolument point contraire au Droit des Gens, ou à la Loi naturelle. A l'égard des Loix Divines, il n'est pas moins évident, par celles qui furent données à Moyse dans le désert de Sinaï, qu'il continua, d'être permis aux Israëlites, d'acheter des Esclaves, non seulement étrangers, mais {==38==} {>>pagina-aanduiding<<} même Nationaux Exode chap.xxi.v.2.10. & de les chatier impunément, pourvu qu'il n'en mourûssent pas, au bout d'un jour ou deux. Ce pouvoir du Maître est exprimé d'une maniere bien remarquable par ces mots: car c'est son argent Ibid.v.20. & 21. La loi du Talion, qui ordonnoit oeil pour oeil, dent pour dent, étoit restrainte, en sa faveur, vis-à vis du serviteur ou de la servante, qui avoit souffert, de sa part, quelque mutilation en son corps Ibid.chap.xxiv.v.27.23. Si un homme avoit la compagnie d'une femme Esclave fiancée, & qui n'auroit pas été rachetée, la peine de mort, en ce cas, étoit commuée en celle du fouet. Levit. chap.ixi.v.20.22. Les Esclaves Hébreux devoient être affranchis la septiéme année, à moins qu'ils ne préférâssent de rester au service de leur Maître, qui, dans ce cas, leur percoit l'oreille, avec une Alesne contre la porte de sa maison en présence des Juges; ce qui étoit la marque de l'Esclavage, tant chez les Syriens, les Arabes & autres, que chez les Israëlites. Ibid.v.2.6. & Deuter. chap.xv.v.12.18. Le grand Jubilé de cinquante ans étoit encore le terme de prolongation de servitude. Alors les Esclaves Hébreux, pouvoient s'en {==39==} {>>pagina-aanduiding<<} retourner chez eux, libres, avec toute leur famille Lévitique chap.xxv.v.39.43. au lieu qu'en la septiéme année, le Maître étoit en droit de retenir la femme qu'il avoit donnée, & ses fils ou les filles qu'elle avoit enfanté à son Esclave, qui sortoit seul avec son corps. Exode chap.xxi.v.2.4. Dans tous ces cas, la Loi portoit, qu'ils ne seroient point vendus comme on vendoit les Esclaves; Livitique chap.xxv.v.39.43.46. & 53. & l'on doit remarquer, que c'étoit le pauvre, qui se vendoit lui-même; ou quelque fois le Pere, qui, réduit a l'indigence, vendoit ses propres enfans. Exode chap.xxi.v.7.11. outre ceuz qui étoient nés Esclaves, d'autres enfin le devenoient, par sentence des Juges, selon le délit qu'ils avoient commis. J'ai dit dans ma Description de Surinam, que la Loi de Dieu condamne un voleur, qui ne peut pas restituer ce qu'il a pris, a être vendu pour son Parein Ibid. chap.xx.v.10. & j'ai cité au même endroit, la parabole du vers 25. du chap xviii. de St. Matthieu, dont on peut inférer que l'usage étoit autre fois de faire vendre les débiteurs insolvables. Mais, ajoute l'Eternel, quant à ton Esclave & à ta servante . . . . .ils seront d'entre {==40==} {>>pagina-aanduiding<<} les Nations qui sont autour de vous; vous acheterez d'elles le serviteur & la servante. Vous en acheterez aussi d'entre les enfans des étrangers qui demeurent avec vous, même de leurs familles qui seront parmi vous, les quelles ils auront engendrées en votre Pays, & vous les possederéz. Et les aurés comme un héritage pour les laisser à vos enfans aprés vous, afin qu'ils héritent la possession, & vous vous servirez d'eux à perpétuité. Levitique chap.xxv.v.44.46. Rien de plus formel que ce droit, attribué aux Maîtres, d'acheter & de Posseder des Esclaves, rien de mieux exprimé que les distinctions que Dieu luimême a mises entre les uns & les autres. Le dernier Commandement du Décalogue, defend aussi de convoiter, entr' autres choses qui appartiennent au prochain, ni son serviteur, ni sa servante; paroles qui assurent très positivement, & sans aucune ambiguité, aux Maîtres, la propriété & le domaine sur leurs Esclaves. On trouve le droit de l'Esclavage, qui résulte de celui de Conquête, tout aussi bien établi par les exemples suivans. La Victoire que les enfans d'Israël remporterent sur les Madianites, dés le tems de Moyse, sit tomber entre leurs mains, outre {==41==} {>>pagina-aanduiding<<} un grand butin, & les hommes qu'on devoit mettre à mort, trente deux mille filles, qui n'avoient point eu compagnie d'hommes, & dont le tribut, pour l'Eternel, sut de trente-deux personnes, c'est à dire, de cinq cens, un de la moitié accordée aux Combattans; & de l'autre moitie appartenant à toute l'assemblée, Moyse par ordre de l'Eternel, prit encore le cinquantiéme tant des personnes que des bêtes, qu'il donna aux Lévites, qui avoient la charge de garder Le Pavillon de l'Eternel(?)Nomibres chap.xxxi.v.28. & suiv. C'est ainsi que sous Josué, les Gabaonites, ayant obtenu grace de la vie, furent employés, comme des Esclaves, à couper le bois & à puiser l'eau pour l'assemblée & pour l'autel de l'Eternel.Josué chap.ix.v.23.27. Une des Loix Militaires du Deuteronome Chap.xxxi.℣.10.14. porte en propres termes Quand tu seras allé à la querre contre tes ennemis, & que l'Eternel ton Dieu les aura livrés entre tes mains, & que tu en auras emmené des prisonniers; Si tu vois entre les prisonniers quelque belle femme, & qu'ayant conç pour elle de l'affection tu veuilles la prendre pour ta femme; alores tu la meneras en ta maison, & elle rasera sa tête, & fera ses ongles: Et elle ôtera de dessus soi les habits qu'elle por- {==42==} {>>pagina-aanduiding<<} toit lors qu'elle a été faite prisonniére, & elle demeurera en ta maison, & pleurera son Pere & sa Mére un mois durant; puis tu viendra vers elle & tu sera son mari, & elle sera ta femme. S'il arrive qu'elle ne te plaïse plus, tu la renovyeras selon sa volonté, mais tu ne la pouras point vendre pour de l'argent, ni en faire aucun trafic, parce que tu l'auras humiliée. Il s'ensuit donc que, hors ce seul cas, l'on pouvoit légititmement vendre pour de l'argent & trafiquer les prisonniers de Guerre, & par conséquent il étoit également permis de les acheter pour Esclaves, aussi ne trouve-t-on, dans toute l'Ecriture lainte, aucun passage, qui interdise ou qui condamne ce Commerce & cet usage. Je dis plus encore; c'est que, sous l'ancienne Loi, la servitude étoit un de ces chatimens auxquels la Justice Divine dévouoit les Nations rebelles, & à qui ils avoientmême souvent été prédits long-tems en avance. Moyse termine ses maledictoins contre Israël, par ces mots: Et l'Eternel te fera retourner en Egypte sur des Navires . . . . & vous vous vendréz là à vos ennemis pour être Esclaves & servantes, & il n'y aura personne qui vous ra[c]hette.Deuter chap.xxviii.v.28. {==43==} {>>pagina-aanduiding<<} L'Historien Joseph, nous apprend, que Prolemée, Roi d'Egypte, ayant fait un grand nombre de Juifs prisonniers, dans la querre qu'il eut avec cux, les avoit fait emmener en Egypte, où ils avoient été vendus pour Esclaves Antiq. Jud.l.13.chap.2. & ailleurs il rapporte, que Tite aprés avoir ruiné toute la Judée, envoya en Egypte dix septs mille Juifs, pour y être employés à des ouvrages d'Esclaves Cuerre des Juifs l.7. Combien de fois l'Eternel ne les a ti-il pas vendus en la main de leurs ennemis, & délivrés de leur servitude, sous le tems des Juges? sous le régne de Sédécias, dernier Roi de Juda, Nebucadnetsar transporta à Babylone, tous ceux qui étoient échappés de l'épée, & ils lui furent esclaves . . . . afin que la parole de l'Eternel prononcée par Jérémie fut accomplie, Chron. chap.xxxvi.v.20 & 21. Encore une fois, il n'appartient point aux hommes de desapprouver les moyens que Dieu choisit pour chatier un Peuple par l'autre. Le Livre de l'Ecclésiastique Chap.xxxiii.v.25.32.quoique rangé au nombre des Apocryphes, contient de bons avis sur le traitement des Esclaves, & sert à donner une idée de la façon dont les Juifs avoient continué de les employer jusqu'aux tems qui ont suivi le retour de la Cap- {==44==} {>>pagina-aanduiding<<} tivité de Babylone. Le fourrage, le bâton & le fardeau sont pour l'âne, la nouriture, la correction & le travail sont pour le serviteur; mets ton serviteur en oeuvre, & tu trouvera du repos: Lâche lui les mains, & il demandera d'être affanchi. Le jeug & le licol font courber le côté du boeuf: il en est ainsi du fouet & de la torture a l'égard de l'Esclave malicieux. En voie-le au travail afin qu'il ne soit jamais oisif: car, l'oisiveté a enseigné beaucoup de malice. Emploie le aux Ouvrage qui lui sont convenables: & s'il n'obéit pas, donne lui des fers plus pesans. Toutefois ne commets à l'égard de qui que ce soit, & ne fais rien sans jugement. Si tu as un Esclave, entretiens-le comme ton ame: car, le possedant, il est comme le sang qui te fait vivre . . . . traite le comme ton frére: car, tu en as à faire comme de toi même; que si tu le maltraites à tort, & qu'il s'enfuie, par quel chemin le cherchera tu? On n'y trouve pas un seul mot, qui donne à entendre, que ce soit un mal d'avoir des Esclaves, au contraire, tout y suppose manifestement que cela est tres permis. Il me reste à faire voir, que cet usage, n'est pas plus contraire à la Loi de l'Evangile, ni à l'esprit du Christianisme, qu'il ne l'étoit à {==45==} {>>pagina-aanduiding<<} la Loi donnée aux Juifs par le ministère de Moyse. Il est vrai que par notre qualité de Chrétien, nous ne formons qu'un seul corps en Jesus-Christ, & nous sommes parconséquent tous membres d'un même corps. Mais dans ce corps, tous les membres ne tiennent pas le même rang, ni ne sont pas destinés à remplir les mêmes fonctions: Esau étoit frere de Jacob, & quoique l'aîné par sa naissance, Dieu voulut qu'il fut assujetti à son frere. Major serviat mineri. Le but de la mission de Jesus-Christ, ne fut jamais de mettre les hommes au même niveau, & de les rendre tous égaux sur la Terre; il n'est point venu confondre la difference des conditions, ni détruire la juste & nécessaire subordination, qu'il avoit plû à la Providence de mettre entre elles. Il n'est point venu apprendre aux hommes à mépriser l'autorité, & à résister aux Puissances instituées de Dieu: ni solliciter les serviteurs à se soustraire au droit légitime que l'Etre Suprême a accordé à leurs Maîtres sur eux. Son intention ne fut jamais de troubler le repos de la société, ni de renverser l'ordre Civil & Politique établis dans les Etats. Il nous prêche {==46==} {>>pagina-aanduiding<<} la douceur par-tout, dans son Evangile, l'humilité, la subordination, la soumission, & l'obéissance, dont il nous a donné lui-même de si grands exemples. Lors qu'il par la avec ses Disciples qui se disputoient entre eux sur la préseance, il leur dit: Le fils de l'homme n'est point venu pour être servi, mais pour servir & donner sa vie en rençon pour plusieurs; leur faisant clairement entrendre, non qu'il ne doit point y avoir de distinction, de rang & d'autorité entre les Chrétiens, mais qu'on ne doit pas ambitioneer le premier rang; ce qu'il explique ailleurs en termes encore plus exprès; quand il ajoûte; Celui qui voudra être le premier entre vous, sera le dernier & le serviteur de tous. Dans ses bénédictions, le Sauveur n'oublie pas les serviteurs fidèles à leurs Maîtres de prétendre que la Réligion Chrétienne rend tous les hommes égaux, & qu'elle exclut toute subordination entr'eux, c'étoit une des Erreurs des Gnostiques. La morale de Saint Paul, écrivant à Timothée, & à Tite, vérifie bien mieux l'assujettissement des Esclaves: Que tous les Esclaves, dit-il qui sont sous le joug de la servitude, sachent qu'ils sont obligés de rendre toute sorte d'honneur à leurs Maîtres; afin de n'être pas cause que le {==47==} {>>pagina-aanduiding<<} nom & la Doctrine du Seigneur soient blasphémés. Que ceux qui ont des Maîtres sidéles ne les méprisent points, sous prétexte qu'ils sont leurs freres. Mais plutôt, qu'ils les servent encore mieux; parce qu'ils sont fidéles & plus dignes d'être aimés, comme étant participans de la même grace. L'Apôtre donne le même avis à son Disciple Tite. Exhorté, dit-il, les Esclaves à être soumis à leurs Maîtres, a leur complaire en tout, à ne les contredire point, à ne détourner rien de leur bien, & à leur témoigner une entiére fidélité &c. Si L'autorité des Maîtres sur leurs Esclaves étoit absolument contraire à la Loi de l'Evangile, & à la charité Chrétienne, seroit-ce une oeuvre agréable à Dieu? Les Apôtres n'enseignent point aux Esclaves, que leur état soit imcompatible avec celui de Chrétien, ni qu'en embrassant une Réligion, ils acquiérent par-là, le Droit à leur liberté; cela pourroit avoir lieu, si le nombre des Esclaves étoit moindre dans les Colonies; car, quoique l'usage de se convertir à la Réligion Chrétienne soit établi dans les Isles Françoises, ils n'en démeurent pas moins Esclaves, & sont également traités que ceux des Colonies Hollandoises qui en embrassent aucune, {==48==} {>>pagina-aanduiding<<} à moins qu'on ne leur donne leur liberté. Le même Apôtre écrit aux Corinthiens: Que chacun demeure dans la condition où il a été appellé. Car l'Esclave qui est appellé à nôtre Seigneur, est l'affranchi du Seigneur, demême aussi celui qui est appellé étant libre, est l'Esclave de Christ. Il ajoûte de plus, aux Ephésiens Serviteurs obéissez à ceux qui sont vos Maîtres selon la chair, avec crainte & tremblement dans la simplicité de votre coeur, comme à Christ. Ne servant point comme voulant plaire aux hommes, mais comme serviteurs de Christ, faisant de bon coeur la volonté de Dieu, comme étant serviteurs de Christ, sachant que chacun, soit Esclave, soit libre, remportera du Seigneur le bien qu'il aura fait. On voit par-là, qu'il les exhorte à la soumissioin, au respect, à la fidélité envers leurs Maîtres, à une prompte exactitude à remplir avec zèle & ferveur leur devoir. Il adresse à peu près les mêmes exhortations aux Colossiéns. Mais rien n'est plus frappant, que l'exemple de Philémon, à l'occasion d'Onésime son Esclave, le quel s'étoit enfui de sa maison, & lui avoit fait quelque tort. Cet Esclave fugirif & répentant alla trouver Saint Paul, qui {==49==} {>>pagina-aanduiding<<} l'instruisit, le convertit, le baptisa & le renvoya ensuite à son Maître avec une lettre par laquelle il le prioit ‘de le recevoir avec bonté & de le traiter avec indulgence, ne le considérant plus comme un simple Esclave, mais comme un frère en Jesus-Christ, qui lui appartenoit, selon le monde, comme étant son Esclave; & selon le Seigneur par la nouvelle qualité de Chrétien.’ Enfin S.Pierre recommande aux Serviteurs ‘d'être sujets en toutes choses à leurs Maîtres, non seulement à ceux qui sont bons & équitables, mais aussi aux facheux.’ Il suit de là, que la Loi de l'Evangile, ni la charité Chrétienne, ne défendent nullement d'avoir des Esclaves, mais au contraire, elles préscrivent, comme on vient de le faire observer, les devoirs qu'ont à remplir les Maîtres & les Esclaves, les uns envers les autres; d'où je conclus, que, sans blesser l'équité & sans se rendre coupable d'injustice envers ses semblables, il est très permis d'avoir des Esclaves en sa possession & à son service; & que le commerce qu'on en fait en Guinée, n'est pas en soi illégitime, n'étant contraire, ni à la Loi Divine, ni à la Loi Naturelle, ni aux ordres du Souverain. {==50==} {>>pagina-aanduiding<<} D'ailleurs en achetants des Négres, on ne leur ôte point leur liberté, ils n'en jouissent plus; on ne les fait point Esclaves, on les trouve tels. Et tout ce qui résulte de cet achat, est d'améliorer leur sort; d'où il suit que, loin de leur faire injustice, & de leur causer aucun tort, on les sert au contraire, & on leur procure un très grand avantage, en les faisant passer, sous une servitude incontestablement plus douce & plus supportable que celle dont on les tire, c'est que je vais prover dans les Chapitres suivans. {==51==} {>>pagina-aanduiding<<} Chapitre III. De L'achat des esclaves, en Afrique, pour les transferer dans les colonies. Après avoir suffisament prouvé, par l'Ecriture sainte, que l'on peur légitimement avoir en sa possession des Esclaves & les rétenir comme tels, je passe à l'examen de la seconde question, qui est de savoir, si l'on peut légtitment acheter des Esclaves pour les revendre? Pour répondre à cette question, je dirai d'abord, que puisque l'Evangile ne condamne point la Servitude, le Commerce des Esclaves doit être parconséquent légitime & permis. Ce Commerce & celui des Aromates est le plus ancien dont on trouve des traces dans l'Histoire tant Sacrée que Prophane. Outre l'exemple d'Abraham, que j'ai cité, nous avons encore celui de Joseph vendu par ses fréres à des Marchands Madianites qui le revendirent à Potiphar en EgypteGenese chap.xxxvii. Homere dans son Odyssée parle souvent des Es- {==52==} {>>pagina-aanduiding<<} claves que les Grecs faisoient à la Guerre, ou par la Piraterie, qui n'étoit point alors un mêtier odieux ou infâme. Voyez aussi Thucydides. Ces deux questions sont si intimement liées ensemble, que de la solution de la prémiére dépend celle de la seconde, c'est-a-dire, que l'une n'est pas plus contraire au Droit des Gens, que l'autre est permise & tolerée par les Loix du Souverain. En effet, dès que la loi autorise d'avoir des Esclaves, d'où les tirevoit-on, si ce n'est par la voie de l'achat, ou par la force des armes dans une guerre légitime? Cette derniére voie n'est à la vérité reservée qu'aux Souverains, qui, par état se trouvent engagés à soutenir des Guerres contre des Nations voisines qui cherchent à empiéter sur leurs Droits. Pourquoi donc les Chefs de chaque Peuplade en Afrique n'auroient-ils pas pour faire la Guere à leurs voisins, les mêmes motifs qu'ont les Souverains de l'Europe de se la déclarer les uns aux autres? On ne sauroit cependant revoquer en doute, que la guerre d'une Puissance contre une autre Puissance, ne soit infiniment plus nuisible à l'Etat par rapport à la dépopulation qu'elle {==53==} {>>pagina-aanduiding<<} entraine ordinairement après elle, que ne l'est celle de ces Peuples éloignés, parce que la premiére se fait plus souvent par quelques motifs d'interêts, soit pour agrandir ses Etats, soit pour se rendre immortel auprès de la Postérité, tandis que la seconde n'a pour but, que de tâcher de se débarrasser de sujets ou voisins qui cherchent continuellement à les inquietter dans leur tranquillité; motif affez puissant pour engager les Chefs, à faire, sur ces rebelles des prisonniers, & à les éxclure du pays, en les vendant aux Chrétiens, pour les transporter dans les Colonies; d'où je conclus, que nos Guerres tendent à la destruction du genre-humain, & que celles des Africains, servent a procurer des secours aux Colonistes pour la culture de leurs Terres. Il est constant que des Guerres qui régnent entre ces Peuples barbares, il résulte un bien physique a l'Etat, en ce qu'elles fournissent des hommes capables de défricher & de cultiver des terres, dont malgré l'industrie des Européens & la force de leurs bras, ils ne pourroient jamais soutenir les fatigues, tant à cause des chaleurs accablantes du Climat, {==54==} {>>pagina-aanduiding<<} que par rapprot à l'intempérie constante de l'air qu'on y respire. Quelque recherche qu'on aît pu faire, on n'a pas trouvé de moyen plus convenable, pour la culture des ces terres, que celui des Afriquains, que nous connoissons sous le nom de Nègres. Ce sont eux aussi qui les ont redues fertiles à un point, que le Souverain & les Praticuliers, en retirent un bénéfice des plus confidérables. Pour parvenir à se procurer ces secours forcés, il a fallu établir avec ces Nations barbares, un commerce qu'on appelle la Traite des Négres. L'orgine de ce Commerce quoique très ancienne, & son exercice n'ont pas laissé cependant, que d'exciter à bien des personnes scrupuleuses une infinité de doutes sur sa légitimité; Mais on a grand tort de le blâmer, puisqu'il est prouvé, quíl n'est contraire; ni à la Loi du Souverain, ni à la Loi de l'Humanité, ni même à celle de la Religion. Il est encore bien plus surprenant, que l'on prétende que la Nature se revolte contre ce commerce, & cet usage, tandis que l'Ecriture ne condamne nulle part, ni l'un ni l'autre. {==55==} {>>pagina-aanduiding<<} Je demande, pourquoi l'on ne repugne point aussi à la coutume établie en Europe de lever des Recrues de force ou a vil prix d'argent. On achete le travail de l'Escalve, & le sang du Soldat. Un Milicien même le devient par le sort, malgré lui, & pour rien. Les Féodaux n'avoient-ils pas aussi des serfs? Le service des Militaires est-il moins pénible & moins dur que celui qu'on exige des Négres? Le feu & l'assaut, n'est-il pas le sort des premiers, & la Culture des terres celui des derniers? Encore s'il arrive que le Soldat deserte, il est puni de mort, au lieu que le Négre conserve sa vie par une punition corporelle. Il est d'ailleurs assez connu, que ce n'est pas l'Européen qui enléve au Négre sa liberté, il est trouvé tel & détenu dans les fers lorsqu'on va l'acheter pour le transporter dans les Colonies. Ne résulte t-il pas delà, que le joug de sa servitude devient beaucoup plus suportable, en changeant son état de barbarie, en celui de l'humanité? N'est ce pas, en effet, le tirer des mains des Tyrans, pour lui faire éprouver un sort plus doux & plus heureux, tant pour le corps, que pour l'ame? Car, il s'en trouve beau- {==56==} {>>pagina-aanduiding<<} coup, qui après de longs & fidéles services deviennent libres, & par sonséquent Chrétiens. Qu'on leur offre de les renvoyer dans leur Patrie, surement ils ne l'accepteront jamais. Si les véritables motifs que les Rois ont à entreprendre des Guerres, sont un secret de leur Cabinet dans lequel il n'est pas facile de pénétrer, ceux des Guerres perpétuelles que ces Peuples ont entr'eux, sont de même un Mystére pour nous, ensorte qu'il n'est pas possible de décider, si la guerre dans laquelle on a fait ces prisonniers à été juste ou non D'ailleurs ce n'est point à nous à en examiner les motifs; Il suffit ce me semble, que l'on soit moralement assuré, qu'en délivrant ces Peuples de la fureur des Tyrans, c'est exercer envers eux, le devoir de l'humanité, puisque par là, on les fait passer dans une servitude moins cruelle; Cet esprit de dissention n'est pas héréditaire aux seuls Africains. Les Arabes& les Sauvage de l'Amérique, ne connoissent d'autre métier, que celui de se faire la guerre de Natioin à Nation, quoi que les Européens n'aillent point acheter des Es- {==57==} {>>pagina-aanduiding<<} claves chez eux, comme chez les Africains. L'expérience prouve qu'on ne pouvoit, en effet, choisir une Nation plus propre que celle-ci à la culture des Terres dans les Colonies, par les differentes raisons que je viens de donner. Outre l'avantage que les Propriétaires en retirent de leur services, il en résulte un bien physique pour ces Peuples Esclaves, qui auparavant accoûtumés à vivre errans comme les animaux féroces, deviennent insensiblement, parmi les Chrétiens, plus traitables & plus policés, ensorte qu'on parvient à leur faire apprendre, non seulement l'agriculture, mais encore, toutes sortes de professions; Il s'en trouve même parmi eux, dont l'habileté égale dans le genre qu'ils ont embrassé, toute l'adresse des Européens. Ne vaut-il donc pas mieux mettre à profit, & pour nous & pour lui, les facultés de ce Peuple, que de le laisser dans son premier état d'abrutissement, lorsqu'il étoit détenu dans les chaînes? On en fait par ce moyen des membres utiles aux particuliers, ainsi qu'aux Souverains, tant pour la culture des Terres, qui sont d'un rapport immense, que par l'avantage que {==58==} {>>pagina-aanduiding<<} l'Etat reçoit des droits imposés sur ces riches produits. On voit clairement par tout ce qui vient d'être allegué aus sujet de l'achat des Negres, combien ont tort certains Philosophes, qui prétendent qu'on aggrave le joug des Esclaves qui sont transportés dans les Colonies. Au contraire, c'est leur rendre un très grand service, & exercer envers eux une oeuvre de charité que d'adoucir leur servitude. On les met par-là a porté de devenir un Peuple plus policé, & en éta[t] de discerner le bien d'avec le mal. Définitivement c'est un bien réel, que le Souverain aît permis qu'on envoie des Européens à la Traite des Negres, pour fournir aux Colons des secours dont ils ne sauroient se passer, de façon que je doute, que des personnes bien instruits de ces grands avantages, osent condamner le commerce des Esclaves, malgré tous les beaux préceptes des plus éclairés Phylosophes & Moralistes de nôtre siécle. Le Chapitre suivant est destiné à développer plus particulierement les avantage dont jouissent les Negres dans les Colonies. {==59==} {>>pagina-aanduiding<<} Chapitre IV. Du sort beureux que les Esclaves éprouvent dans les Colonies. Le préjugé commun où l'on est touchant le sort qu'éprouvent les Negres dans les Colonies, fait croire à bien des Gens, la plupart trompés par les faux Recits des voyageurs mal instruits, que leur condition est semblable à celle des Esclaves qui ont le malheur de tomber entre les mains des Algériens, ou autres Barbares infidéles. Ils s'imaginent qu'on les assomme de coups, ou qu'en les faisant travailler comme des Chevaux, on les laisse manquer de 'n'ecessaire. C'est une erreur grossiere de penser qu'on les maltraite ainsi, surtout lorsqu'ils appartiennent à des Maîtres raisonnables, qui ont sons de leur procurer tous les besoins de la vie, & qui sont trop intéressés à leur conservation, pour ne pas les traiter aussi humainement qu'il est possible. {==60==} {>>pagina-aanduiding<<} Que l'on consulte les Personnes qui ont habité ces contrées, on reviendra bientôt de cette prévention outrageante: Cependant comme il n'est point de regle sans exception, je conviens aussi qu'il y a des abus; mais où ne s'en trouve-t-il point? Les hommes ont leurs défauts, & ne sont ni tout-à-fait bons, ni tout-à fait méchans I'avoue qu'il y a dans les Colonies des Maîtres durs & inhumains qui maltraitent leurs Esclaves. Mais n'en voit-on pas, parmi nous, qui se montrent tels envers leurs Domestiques. Le travail qu'on exige de ce Peuple, n'est pourtant pas à beaucoup près, toute proportion gardée, aussi pénible que celui de nos Paysans, qui labourent la terre. Les jours & les nuits étant égaux sous l'Equateur, les Negres ne sont à l'ouvrage que huit ou dix heures par jour, & rarement la nuit, si ce n'est pendant la récolte du Caffé, parce qu'alors on emploie les soirées à sa préparation. Il en est de même pour les Cannes de sucre, que l'on doit faire passer au moulin, à mesure qu'elles sont coupées. On sait d'ailleurs assez qu'il est d'usage dans toutes les Plantations, de donner aux Negres, un terrein suffisant pour {==61==} {>>pagina-aanduiding<<} la culture de leurs vivres, qui consistent en differentes espéces de Pattates, des Ignames des Bananiers du Mahis & de la Cassave, au moyen dequoi, ils peuvent se nourrir à leur gré sans étre soumis à aucune ration comme le Matelot l'est sur son Vaisseau; Et si l'on observe envers ces Esclaves, toujours plus inclinés au mal qu'au bien, une discipline un peu févère, c'est qu'on y est obligé; car ils s'en trouve de si paresseux que sans des châtimens réiterés, on n'obtiendroit jamais d'eux le moindre travail; ensorte qu'il faut de toute nécessité, employer la force pour les faire agir. Il y en a qui savent si bien feindre d'être indisposés, qu'à les en croire, on les traiteroit pour de vrais malades; d'autres tâchent de le devenir, en mangeant des morceaux de pipes, des charbons, de la terre, même jusqu'aux excrémens des Animaux & autres immondices. Telles sont les ruses de ces Esclaves, qu'il faut bien connoitre avant que de les traiter comme ils le méritent, & l'on n'y parvient que par une longue expérience. Mais alors on doit employer la rigueur pour vaincre leurs opiniâtrété ou leur nonchalance. L'Esclave a besoin d'être ob- {==62==} {>>pagina-aanduiding<<} servé de près dans toutes ses démarches, sans quoi l'on est exposés par son penchant naturel, à se soustraire au travail, à éprouver, de sa part, toutes fortes de désagrémens; Il est même dangereux de le laisser oisis; & si on lui lâche trop la main, il cherche à devenir fugitif & à en entrainer d'autres avec lui, dans l'espérance de ruiner son Maître, & de s'affranchir par-là du joug de l'Esclavage. Voila qu'elles sont les suites funestes d'une discipline trop indulgent. Pourrat-on d'aprés de pareils procédés de la part de ces Esclaves, condamner les Maîtres de les punis sévérement pour les ramener à leur devoir? Pourra-t-on ensuite disconvenir qu'ils n'éprouvent, quoi qu'Esclaves, un sort infiniment plus heureux parmi les Chrétiens, qui ont toute la bonté possible à leur égard, & qui les fournissent du nécessaire, tant pour la vie que pour de corps, que s'ils se voyoient encore détenus dans les fers, manquant de ce dont-ils jouissent chez les Colons; Et pour peu qu'ils soient fidéles à leurs Maîtres, ils sont presqu'assurés d'en être récompensés, au lieu que la tyrannie & la barbarie de leurs Chefs, les en privent pour toujours. On a donc grand tort de se {==63==} {>>pagina-aanduiding<<} récrier contre le commerce des Esclaves, & de le représenter comme opposé à la charité Chrétinne, puisqu'il est évident, que d'un mal moral, il en resulte un bien physique. Mais il paroît visiblement que tous ceux qui blâment cet usage, le font par commisération naturelle, plutôt que par connoissance de cause, ou de sort heureux que les Esclaves, s'ils sont de bonne volonté, peuvent se faire dans les Colonies. Je crois que ces raisons, suffiront pour prouver la égitimité du trafic des Negres, & pour détruire toutes les opinoins qui y sont contraires, Elles serviront en même tems à dissiper les préjugés qu'on nourrit dans cet Hémisphere touchant le sort de ce Peuple, faute d'en être mieux instruit. La solution de cette question étant donnée, je vais maintenant passer aux conséquences qui y sont rélatives, & que je tâcherai de mettre dans tout son jour. {==64==} {>>pagina-aanduiding<<} Chapitre V. De quelques conséquence relatives à la Question. Pour peu que l'on téfléchisse sur le besoin qu'on a des Esclaves dans les Colonies pour la culture des Terres, on ne sauroit disconvenir, que c'est vouloir condamner la loi naturelle & celle du Souverain, que d'en proscrire le trafic, comme contraire à l'humanité, puisque l'une admet des régles en faveur de l'Esclavage, tandis que l'autre en autorise le commerce, & le ragarde comme légitime. Le plus grand malheur, en effet, qui pût arriver à ces Peuples Esclaves, ce seroit d'en interdire la traite en Afrique. Ils n'auroient alors aucune espérance de changer leur état de servitude la plus cruelle, pour jouir d'un sort plus heureux, ni de parvenir un jour à la connoissance d'une vraie Religion, pendant que chex eux, ils sont abandonnés dans les chaines a la tyrannie la plus barbare. Il seroit {==65==} {>>pagina-aanduiding<<} bien plutôt à souhaiter, qu'on en dépeuplât toute l'Afrique, pour en peuples l'Amérique, par le bien qu'il en résulte, tant pour ce Peuple Esclaves, que pour les Colonies. Il est d'ailleurs constant, comme je l'ai déja remarqué, qu'on ne van pas en Afrique pour y faire des Esclaves, on les y trouve tels, en les achetant, on les fait passer d'une servitude barbare & infidéle, dans une servitude plus humaine. Ensorte que celle-ci leur devient un moyen de salut. De croire donc que ce commerce est contraire à la charité Chrétienne, qui nous ordonne de regarder tous les hommes comme nos égaux, & qui ne permet pas qu'on traite ses freres comme des Esclaves, c'est ignorer la Loi de l'Evangile & la Loi du Souverain. Quand à la premiere, on ne sauroit revoquer en doute, qu'elle ne nous donne des régles pour les droits des Maîtres envers leurs Esclaves, & que ces régles une fois établies, n'ont rien de contraire à l'humanité, non plus qu'à la charité, car, si elles y étoient contraires, la Loi de Dieu, au lieu de les fixer, les auroit proscrites. Pour mieux s'en convaincre, il n'y a qu'à se rappeller, que S.Pierre& S.Paul prescrivent aux Maîtres & aux Esclaves leurs de- {==66==} {>>pagina-aanduiding<<} voirs mutuels, & que les Livres du Nouveau Testament n'autorisent pas moins que ceux de l'Ancien, le Domaine & la puissance des premiers sur les derniers. Ils s'ensuit de-là, que la Religion, ni la Charité Chrétienne, ne deffendent point aux Maîtres d'avoir des Esclaves, ni aux Esclaves d'obéïr à des Maîtres, puisque l'une & l'autre leurs prescrivent des devoirs réciproques. Si la Puissance des Maîtres sur leurs Esclaves étoit incompatible avec la charité & avec l'humanité, les Apôtres seroient fort à blâmer de n'en avoir pas averti les premiers, en les obligeant avant toute chose d'accorder le baptème & de rendre la liberté à leurs Esclaves. Rien n'étoit plus commun dans les premiers siècles de l'Eglise, que de voir des Chrétiens de tout état avoir des Esclaves, soit de leur Réligion, soit d'entre les infideles. L'exemple de Philémon doit justisier pleinement, que la charitê Chrétienne ne défend nullement d'avoir des Esclaves, mais qu'au contraire, Elle prescrit les devoirs réciproques aux uns & aus autres; c'est-à-dire, que les Maîtres doivent traiter humainement leurs Esclaves, & ceux-ci obéir volontairement à leurs Maîtres. Si après une telle conviction {==67==} {>>pagina-aanduiding<<} on prétendoit encore, que la Loi Naturelle en supposant une parfaite égalité entre les hommes, nous dicte le contraire, il faudroit alors avoir perdu route sa raison, pour soutenir une pareille hypotése; à moins que de confondre le privilége de la nature innocente, avec l'état de la nature déchue & criminelle. Dans l'état d'innocence, tous les hommes autroient été égaux, il n'y auroit eu ni Noble, ni Roturier, ni Seigneur, ni Vassal, ni Roi, ni Sujet &c. mais cet état n'existe plus. La Réligion nous apprends que nous sommes pécheurs; & la Loi Naturelle que nous sommes déchus des priviléges de l'innocence, & parconséquent sujet à des peines & à des châtimens que le jugement de Dieu nous inflige. C'est lui qui fait le Riche, comme le Pauvre, le Roi comme le Sujet, le Libre & l'Esclave, le Muet & le Sourd, celui qui voit & celui qui est aveugle. Celui enfin, qui est né Esclave ou qui de devient, doit se soumettre ausse bien, que celui qui est Libre, aux décrets de la Providence. Après tout, je ne conçois pas comment on s'allarme si fort pour l'humanité, quand on pense à la servitude des Negres, tandis qu'euxmêmes reconnoissent leur félicité, lorsqu'ils ont le bonheur de tomber entre les mains des {==68==} {>>pagina-aanduiding<<} Chrétiens, puisque leur premiere condition est infiniment pire que la seconde. Ne les achete t'on pas à prix d'argent, pour s'en servir, & les traiter avec plus de douceur & moins de barbarie qu'ils ne le sont dans leur pays natal? Or, dés qu'il est permis d'en acquérir d'une maniere légitime, ce n'est point pécher contre le Droit des Gens, ni contre le Droit Civil, en les revendant à d'autres. Je ne crois pas, qu'on puisse donner des preuves plus convainquantes en faveur de la legitimité du Commerce des Esclaves en Afrique, & du droit qu'on a de les transferer dans les Colonies, pour détruire toutes les opinions contraires à l'une & à l'autre de ces hypothéses. C'est un bien que la Providence aît permis, que par le besoin, qu'on a eu des Negres pour la culture des Colonies, les Européens soient allés dans leur Pays pour trafiquer avec les Chefs de cette Nation. Ils épargnent par ce moyen la vie à une infinité de malheureux, qui manquant du 'nécessaire, sont massacrés ou redutis à mourir de faim & de misére, des que leurs Maîtres n'ont pas occasion de les vendre, puisque ces Peuples ennemis se sont perpétuellement la Guerre; Et comme ils ne s'appliquent point à la culture des Terres, ces gens ne s'occupent qu'à {==69==} {>>pagina-aanduiding<<} roder continuellement pour exercer leurs brigandages. Les uns font des Courses sur Mer, d'autres sur les Afriquains naturels, qui, de leur côté, en font de même sur ceux qui sont répandus dans les Terres, soit pour se défendre, soit pour les attaquer comme usurpateurs de leur Pays. Il y a quelquefois des tréves entr'eux, mais jamais de paix stable. C'est une Guere ancienne, qui probablement subsistera jusqu'à la fin des siécles; d'où je conclus, que dés que la Loi Divine autorise d'avoir des Esclaves, le commerce qu'on en fait est utile, & même nécessaire à la conservation des Colonies, ainsi qu'au bien général de l'Etat. Il est encore avantageux pour ces Negres qu'on les achete; parce qu'on les fait passer d'une sevére captivité, à une servitude beaucoup plus humaine, dans laquelle ils sont mieux nourris, mieux vêtus & mieux soignés dans leurs maladies; l'interêt même de leurs nouveaux Maîtres les y engage, au lieu que, dans leur Patrie, leurs Chefs les laissent manquer de nécessaire, & les tuent quand ils ne trouvent occasion de les revendre. Qu'on décide à présent, lequel des deux {==70==} {>>pagina-aanduiding<<} est le plus conforme à la charité, ou de les abandonner à la servitude la plus dure, & à la mort même, ou de leur conserver la vie en les achetant, pour les transférer dans une servitude plus tolérable & plus humaine? Si l'on est bien persuadé de cette verité, je doute qu'il y aît des personnes vertueuses, qui balancent encore à accorder la préférence au dernier parti, d'autant que le devoir de l'humanité exige, qu'on délivre ces Esclaves de la plus cruelle barbarie, pour leur faire éprouver un sort plus heureux, en les assujettissant à une servitude beaucoup plus douce, au moyen de laquelle on les met au moins à l'abri de perdre miserablement la vie. Du rest quelles que puissent être les objections des Philosophes contre la légitimité de ce commerce, il paroît certain & incontestable, que l'Esclavage n'est pas contraire à la Loi Naturelle, & que ce n'est point agir contre le Droit des Gens, que de les acheter & de les revendre lorsqu'on en a besoin, en observant néanmoins de les traiter avec beaucoup d'humanité. Si malgré notre assertion, ils se trouve encore quelques Théologiens qui soutiennent {==71==} {>>pagina-aanduiding<<} que l'humanité se revolte à la seule idée de voir la liberté de son semblable mise à un vil prix d'argent, c'est sans doute par ce qu'ils ignorent que du tems des Anciens, il se faisoi[t] deux sortes de ventes publiques des Ecalves. La premiére regardoit ceux qu'on avoit nouvellement pris à la Guerre, qui ayant été amenés en triomphe, étoient ensuite vendus à l'encan par les Tribuns. La seconde, étoit celle des Esclaves qui appartenoient déja à des particuliers, soit qu'ils eûssent été anciennement pris à la Guerre, soit qu'ils fûssent nés Esclaves. En vain voudroit-t-on admettre l'opinion de ces hommes à grands sentimens, qui regarde le commerce des Esclaves comme illicite, cela ne prouveroit rien contre nous, puisque la Traite des Negres, & la possession des Esclaves a été prouvée légitime & permise. Il y a des préjugés de tems & de Nations, ce qui semble être deshonorant dans un siécle ou dans un Pays, ne paroît pas tel dans un autre. Toutes les choses qui se sont pratiquées & qui se pratiquent encore de nos jours, ne sont véritablement que ce qu'elles sont en ellen-mêmes, & ce n'est point par {==72==} {>>pagina-aanduiding<<} des préjugés; mais par la nature des choses qu'on doit en juger. Si cela est, pourquoi donc nous rapeller des préjugés qui ne s'accordent pas avec les nôtres. Les Portugais, les Anglois, les François & les Hollandois, ne regardent point comme illicite le commerce des Esclaves en Afrique, encore moins condamnent-ils l'usage qu'on en fait dans les Colonies pour la culture des Terres. Ce sont d'ailleurs des Gens de Probité qui l'entreprennent & ces Sociétés d'honnêtes Gens, sont autorisées par les Souverains. La Compagnie des Indes Occidentales s'étant formée. L.H.P. Les Etats Généraux des Provinces-Unies, lui ont accordé dans l'année 1674., un Octroi en faveur du Commerce de l'Amérique & d'une partie de l'Afrique, octroi qui a été renouvellé de tems à autre, & qui doit continuer jusqu'en 1791. Encouragée par cette concession, la Compagnie a d'abord établi, dans un certain district de l'Afrique d'environs soixante milles d'étendue au moins, differens Comptoirs, afin de faciliter le Commerce, tant pour les produits que ce Pays fournit à l'Europe, que pour la Traite des Negres, dont les autres {==73==} {>>pagina-aanduiding<<} Nations étrangeres doivent être exclus. On peut la-dessus consulter les ordres & les Réglemens donnés par L.H.P. à la même Compagnie; ils portent, qu'il est deffendu à toute Nation d'y aller négocier à la reserve des Natoinaux. Chaque Vaisseau Hollandois doit payer à la Compagnie une certaine reconnoissance, dont le montant est proportionné à l capacité ou au port du Navire; outre un droit de trois pour cent de toutes les Marchandises qui sont exportées sous connoissement en Amérique, & nul Vaisseau ne peut aller trafiquer sur les Côtes de l'Afrique, sans être muni d'un Passeport de L.H.P. sous l'attache de la Compagnie, s'il ne veut s'exposer au risque d'encourir les pénalités portées par l'ordonnance. Où sont à présent nos grands Philosophes & Moralistes, qui condamnent si témérairement la traite des Negres, tandis que les Loix de l'Etat l'autorisent & permettent de transferer ces Esclaves dans les Colonies, eu égard au bien qui en résulte? J'Espère qu'ils ne s'éléveront plus avec tant d'aigreur contre une institution, qui tend a retirer des mains de leurs cruels Tyrans, une race infortunée, d'hommes, pour leur {==74==} {>>pagina-aanduiding<<} procurer un sort infiniment plus doux & plus heureux à tous égards. Voila, ce me semble, des preuves bien convaincantes de la légitimité du Commerce des Negres; & bien capables de dissiper tout serupule à se sujet. Je Passe maintenant à la derniere partie de cette Dissertation, qui a pour but, de donner des Avis sur la maniere de bien gouverner ces Esclaves. {==75==} {>>pagina-aanduiding<<} Chapitre VI. Avis sur la maniere de bien Gouverner les Esclaves. Tout homme a ses passions: le vrai Chrétien tache de les dompter, & le sage fait tout son possible pour les tenir au moins cachés. La source de nos grandes passions, l'origine & le principe de toutes les autres subalternes, la seule qui naît avec l'homme, & ne le quitte jamais tant qu'il vît, est l'amour de soi-même: Passion primitive, innée, antérieure à toutes les autres, qui n'en sont, en un sens, que des modifications. Le principal effet des passions, est de nous dérober la connoissance de nous-mêmes. Cette connoissance néanmoins est la source de nos vertus; comme l'ignorance de ce que nous sommes, est la cause de nos foiblesses. L'homme prend ses passions pour soimême. Il prend le déréglement de son coeur pour son coeur: il ne peut concevoir qu'il y ait de la distinction entre lui & ses mauvait penchans: C'est l'affliger que de vouloir le corriger, il remercieroit un Médecin qui lui offriroit de le guérir de la fiévre, mais il ne {==76==} {>>pagina-aanduiding<<} sauroit souffrir une religion, dont le but est de le délivrer de ses passions. Ce malheur de l'homme vient de ce que les biens présens, sont pour lui une continuelle impression, qui lui cache l'interêt dont il seroit pour lui d obéir à la Religion, & de se conserver pour les biens qu'elle lui promet. Chaque homme à une passion dominante, & c'est toujours la plus difficile à vaincre. Les passions sont les séducteurs de l'ame, & la bride avec laquelle le Démon gouverne les hommes à sa fantaisie. Ce sont elles qui font & qui défont tout dans ce monde. Si la raison dominoit sur la terre, il ne s'y passeroit rien. On dit que les Pilotes craignent ces mers pacifiques où l'on ne peut naviger, & qu'ils veulent du vent, au hazard d'éssuyer des tempettes. Ces passions sont chez les hommes des vents nécessaires, pour mettre tout en mouvement, quoiqu'ils causent souvent des Orages: Elles ne s'affoiblissent point pour l'ordinaire pedant qu'on les suit, & qu'on remplit son esprit des idées qui les excitent: il est certain que pour les affoiblir, il faut faire ensorte, que l'esprite s'y applique peu, qu'il en soit souvent distrait, & qu'il n'aît pas le tems de les satisfaire & de les sentir. {==77==} {>>pagina-aanduiding<<} La source de toutes les passion est la sensibilité; l'imagination détermine leur pente. Tout Etre qui sent ses rapports, doit être affecté, quand ces rapports s'altérent & qu'il en imagine ou qu'il en croit imaginer de plus convenables à sa nature. Ce sont les écarts de l'imagination qui ajoutent le dégré de vivacité aux passions de tous les êtres bornés, même des Anges s'ils en ont, car, il faudroit qu'ils connussent la nature de tous les êtres, pour savoir que les rapports conviennent le mieux à la leur. Quoique la raison nous soit donnée pour nous servir de guide pour nous régler dans nos désirs & dans nos actions, combien peu y a t-il de gens qui l'emploient à cet usage? Nos passions nous emportent, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, comme un Vaisseau sans voile & sans Pilote, ensorte que, ce n'est pas la raison qui se sert des passions; mais les passions qui se servent de la raison, pour arriver à leur fin. Souvent même la raison voit ce qu'il faudroit faire, & elle est convaincue du néant des choses qui nous agitent. Mais elle ne sauroit empêcher l'impression violente qu'elle fait, sure nous. Que de prétendus braves alloient autrefois se battre en duel, en déplorant cette barbare coutume, en se blâmant eux-mêmes de la suivre; mais {==78==} {>>pagina-aanduiding<<} ils n'avoient pas pour cela la force de mépriser le jugement de ceux qui les auroient traités de lâches, s'ils eussent obéi à la raison? Que de gens encore se ruinent en folles & incommodes dépences, parce qu'ils ne sauroienr resister à la fausse honte de ne pas faire comme les autres? Un homme peut s'applaudir & se glorisier, lors qu'il à dompté ses passions favorites, & reprimé leurs mouvemens, c'est ici son ouvrage, il a seul part à ce travail, & peut, à juste titre, s'en attribuer la gloire. Il suit de-là, que toutes nos passions sont proprement des mouvemens impétueux & turbulens, qui tirent l'ame de son assiétte naturelle, & l'empêchent trés souvent de bien diriger ses actions. En admettant que nos facultés se trouvent réunies dans le même sujet, en agissant toujours conjointement, & qu'elles soient communes à tous les hommes, elles ne s'y trouvent pas toujours au même dégré, ni déterminées de la même maniére; outre que dans chaque homme elles ont leurs périodes, c'est-à-dire, leur commencement, leur accroissement, leur perfection, leur affoiblissement & leur décadence a peu près comme les organes de notre corps, elles varient aussi {==79==} {>>pagina-aanduiding<<} extrêmement d'une homme à l'autre. L'un a l'intelligence plus vive, un autre les sens plus subtils; celui-ci une imagination forte, celuilà les passions plus voilentes; Et tout cela se combine encore & se diversisie à l'infini, selon la difference des tempéramens, de l'éducation, des exemples & des occasions qui ont donné lieu à exercer certaines facultés, ou certains penchans plutôt que d'autres; car, c'est l'exercice qui les renforce plus ou moins. Telle est la source de cette prodigieuse variété de génies, de goûts & d'habitudes, qui constituent ce qu'on appelle les caractéres & les moeurs des hommes. Il est incontestable que toutes les actions humaines sont volontaires, en ce qu'il n'y en a point qui ne viennent de nous-mêmes, & dont nous ne soyons les auteurs. Cela étant, il faut que cette même volonté suppose l'intelligence, & que la lumiére de la raison serve de guide à la liberté. Ainsi l'entendement, la volonté & la liberté, les sens, l'imagination & la mémoire, les instincts, les inclinations, & les passions, sont comme autant de differens ressorts, qui concourent tous à produire un certain effet, & c'est par ces secours reunis, que nous parvenons enfin à la con- {==80==} {>>pagina-aanduiding<<} noissance de la vérité, & à la possession des vrais biens, dont dépendent notre perfection & notre bonheur. Pour peu qu'on se rappelle la définition que j'ai donnée des deux Etats de l'homme, celui de Sauvage, & celui d'homme sociable, on verra qu'il ný en a point de plus considérable, que celui de la société civile & du gouvernement. La Caractére essentiel de cette société, & qui la distingue de la simple société de nature, c'est la subordination à une autorité souveraine, qui prend la place de l'égalité & de l'indépendance. Originairement le genre-humain n'étoit distingué qu'en familles & non en peuples. Ces familles vivoient soud le gouvernement paternel de celui qui en étoit le Chef, comme le Pére ou l'Ayeul. Mais ensuit étant venues à s'accroître & à s'unir pour leur défense commune, elles composérent un Corps de Nation, gouverné par la volenté de celui, ou de ceux, à qui l'on remettoit l'autorité. De-là provient ce qu'on appelle le Gouvernement Civil, & la distinction du Souverain & du sujet. Exposons en peu de mots, qu'elle est la nature du Gouvernement Civil. {==81==} {>>pagina-aanduiding<<} Il y a selon, le Célébre Montesquieu, trois espéces de Gouvernemens; le Républicain, le Monarchique& le Despotique. Le premier est celui où le Peuple en Corps, ou seulement une partie, a la Souveraine Puissance. Le second, où un seul gouverne, mais par des Loix sixes & établies, au lieu que dans le troisiéme, un seul, sand Loix & sans régles, entraîne tout par sa volenté & par ses caprices. Il ne faut pas avoir beaucoup de connoissance pour comprendre, que ce n'est que par des loix bien dirigées, surtout dans un Gouvernement Républicain, que l'on peut maintenir l'ordre dans la société Civile. Mais aussi dès qu'on a le malheur, soit par de mauvais conseils, soit par ignorance ou par négligence, de faire cesser l'exécution de ces loix, on a bien de la peine à reparer dans la suite le mal qui en resulte, pourvu que l'Etat n'en soit pas déja perdu. Dans le Gouvernement Républicain, c'est la vertu qui forme les Loix, pendant que dans le Gouvernement Monarchique & Despotique, la force des Loix soutient l'un, & le bras du Prince toujours levé dirige l'autre. Car il est constant que dans un Gouverne- {==82==} {>>pagina-aanduiding<<} ment Monarchique, celui qui fait exécuter les Loix, se juge au dessus des loix, & il a moins besoin de vertu, que dans un gouvernement Républicain, où celui qui fait exécuter les Loix, sent qu'il est soumis lui-même & qu'il a parconséquent besoin de la vertu. Il n'y a donc que l'etablissement des Loix, qui puisse obliger les sujets à agir selon leurs véritables intérêts, & à entrer dans le chemin le plus sûr & le meilleurs, pour les conduire à leur destination, qui est la félicité. C'est dans cette vue, que le Souverain veut les Diriger, mieux qu'ils ne sauroient le faire eux-mêmes, & qu'il met un frein à leur liberté, de peur qu'ils n'en abusent contre leur propre bien & contre le bien public. En un mot, le Souverain commande à des Etres raisonnables; C'est sur ce pié-là qu'il traite avec eux, toutes ses ordonnances sont empreintes du sçeau de la raison; il veut régner sur les coeurs; & s'il emploie quelque fois la force, c'est pour ramener à la raison même, ceux qui s'égarent contre leur propre bien & contre celui de la société: D'ailleurs les Loix ont une double fin relative & au Souverain & aux sujets; l'intention du Souverain en les établissant, est de travailler à sa satisfaction {==83==} {>>pagina-aanduiding<<} & à sa gloire, en rendant ses sujets heureux; Ces deux choses sont inséparables, & ce seroit faire tort au Souverain, de croire qu'il ne pense qu'à lui-même, sans égard au bien de ceux qui dépendent de lui. Il faut de plus supposer dans la nature des Loix, trois conditions, la premiére, que les choses ordonnées par la Loi, soient possibles dans leur exécution; car; ce seroit folie, & même cruauté, d'exiger de quelqu'un sous la moindre peine, ce qui est, & qui a toujours été au dessus de ses forces. La seconde, il faut que la loi soit de quelque utilité; car, la raison ne permet pas que l'on gêne la liberté des sujets, uniquement pour la gêner, & sans qu'il en revienne aucun bien. La troisieme enfin, il faut que la loi soit juste en elle même, c'est-à-dire conforme à l'ordre, à la nature des choses & à la constitution de l'homme. Il s'ensuit de-là, que la loi juste & utile, une fois bien notifiée, impose aux sujets l'obligation de faire ou de ne pas faire certaines choses, & qui leur laisse la liberté d'agir, ou de ne pas agir en d'autres chose, comme il le trouve à propos. En un mot, la nature & la fin des loix fait connoître quelle en est la matiere ou l'objet; Et l'on peut dire {==84==} {>>pagina-aanduiding<<} avec certitude, que ce sont toutes les actions humaines, les intérieures ausse bien que les exterieurs; les pensées & les paroles aussi bien que les actions, celles qui se rapportent à autrui, & celles qui se terminent à la personne même, autant du moins que la direction de ces actions peut essentiellement contribuer au bien particulier de chacun, à celui de la société en général & à la gloire de l'Etat. Qu'un semblable Code de Loix vous serve de principes & de régles fondamentales dans le Gouvernement particulier de vos Esclaves; Traitez-les surtout avec douceur & humanité, n'ayez aucune prédilection pour l'un plus que pour l'autre; Ne vous familiarisez pas trop avec aucun d'eux, & particulierement moderez vos excés dans le commerce avec les Négresses, & que cette malheureuse Polygamie, qui n'est que trop innée chez vous, soit bannie de vos coeurs, à cause des suites funestes qu'elle entraîne après elle. J'en appelle à votre propre expérience, persuadé, comme je le suis, que vous ne disconviendrez pas, qu'elle cause encore aujourd'hui beaucoup de desordres dans l'oeconomie de vos Esclaves; en vous abandonnant à vos passions, plutôt qu'à la rai- {==85==} {>>pagina-aanduiding<<} son; Elle contribue beaucoup à accélerer votre perte, par la désertion continuelle de vos Esclaves. Mais ce qui a donné principalement lieu à l'origine de vos Esclaves Marons ou fugitifs; ce sont les cruautés qu'ont exercés sur eux vos Ancêtres & vos prédécesseurs. Ma plume se refuse au recit de toutes ces horreurs. On vous les a reprochées avec justice, & vous ne sauriés disconvenir que ces traitemens barbares ne soient la cause immédiate de la fuite de vos Negres, qu'une suite d'années a augmentés a un si grand nombre, & avec lesquels vous avez été forcé pour votre conservation, de contracter une paix aussi peu avantageuse pour la Colonie que peu honorable pour vous. Parvenu après une longue suite de guerres infructueuses à conclure efin un traité d'alliance avec ce Peuple, les principaux Députés de la part du Gouvernement, ont été force de leur jurer, par tout ce qu'il y a de plus sacré, une fidélité invoilable: D'un autre côté, ils se sont engagés à leur livrer toutes les années des armes a feu, de la poudre & du plomb, sous promesse de rendre fidélement tous les Negres fugitifs, moyenant encore une prime de cinquante florins par tête, aux dépens du Maître de l'Esclave. {==86==} {>>pagina-aanduiding<<} Depuis l'année 1759. que cette mémorable Paix a été signée, & ensuite approuvée par Messieurs de la Société, il a été défendu à tous les Planteurs sous des peines très rigoureuses, de molester ou d'inquiéter les nouveaux Alliés qui viendroient aux Plantages, encore moins ceux qui viendroient commercer avec les habitans de la Ville de Paramaribo. Quelle indignation ne doit pas vous inspirer un tel Traité d'alliance, en voyant journellement, devant vos yeux des gens, qui ont tué & massacré vos Ancêtres, & avec lesquels vous devez vivre comme avec des concitoyens? Si jamias vous avez le malheur de faire la moindre infraction à vos engagemens envers ce Peuple, vous pouvez être comme assurés, que le même sort vous arrivera, malgré toute la force de vos armes, par la raison que vous leur fournissez des couteaux pour vous couper la gorge, & par la trop grande licence que vous leur avés donnée de fréquenter vos Esclaves, qui tôt ou tard se joindront à eux, si vous ne les traitez pas avec plus d'humanité que vous ne faites. Je vous lái dit, & ne crois pouvoir assés le repeter. Hommes soyés humains & pour ce peuple & pour vous, car, il fait la source de vo- {==87==} {>>pagina-aanduiding<<} tre bonheur & de votre prospêrité. L'occasion de faire des heureux est plus rare qu'on ne pense, la punitioin de l'avoir manquée, est de ne la pouvoir plus retrouver. Malheur à qui ne sait pas sacrifier un jour de plaisir au devoir de l'humanité! Si c'est la raison qui fait l'homme, c'est aussi le sentiment qui doit le conduire. Des maximes si sages & si humaines, doivent être profondément gravées dans vos coeurs, * songés surtout que ce sont des Créatures comme nous, & quoi que nés Esclaves, on ne doit pas les traiter comme des Animaux que l'on fait travailler à force de coups. Que deviendroient vos terres qui vous procurent tant de richesses, si vous n'aviés pas des bras aussi vigoureux pour les cultiver? Il est de votre interêt de ne laisser manquer de rien à vos Esclaves, d'avoir soin d'eux quand ils sont malades, de ne point les surcharger de travail; & de tenir un juste milieu dans vos châtimens, en consultant la raison, plutôt que la passion, car, il n'est malheureusement encore que trop en usage chez quelques Colons, de les punir avec une rigueur qui tient de la barbarie. C'est dans pareils cas, qu'on ne doit pas être surpris que ces infortunés {==88==} {>>pagina-aanduiding<<} chercent à s'affranchir du jong agravant qu'on leur impose. A qui doit-on s'en prendre, en effet, quand de tels événemens arrivent, si ce n'est à vous-même, ou à ceux à qui vous avez confie la direction de vos Esclaves? Plus vous les traiterez avec dureté, plus vous augmenterez le nombre de vos Ennemis. Après tout, ne vous en resulte t-il pas un plus grand avantage si vous employez les voies de la douceur, à l'egard de ce Peuple? C'est le moyen le plus efficace pour l'encourager à vous aimer & à vous être fidèle jusqu'au péril de sa vie. Un exemple bien frappant & que vous ne devez par perdre de vue, c'est cette revolte générale, arrivée depuis quelques années aux Berbices, & occasionnée par des traitemens inhumains; Vous favés pour en avoir la triste experience, qu'un Gouvernement trop rigoureux, est la source de bien de malheurs imprévus. Mettez donc un frein à vos passions, & pensez qu'au dernier jour de Jugement, nous serons tous jugez selon nos mérites. Quiconque veut être homme, en effet, doit savoir redescendre. L'humanité coule comme une source pure & salutaire, & va feriliser les lieux bas; elle cherche toujours le niveau, elle laisse à sec ces rochers arides qui menacent la campagne & ne donnent qu'un ombre inutile, ou des éclats pour écraser leurs Voisins. Les mauvaises maximes sont pires que les mauvaises actions. Les passions déréglées inspirent les dernieres; mais les premieres corrompent la raison même, & ne laissent plus de ressource pour venir au bien. [f] Entr' autres Jacob, à qui ses deux femmes donnerent ausse leurs servantes, pour en avoir des enfans, Genese Chap.xxx.℣.v. & suiv. * Avec plus de raison que le Journaliste ne le fait contre moi, qui ne suis pas assés malheureux pour méconnoître, ou pour dédaigner la liberté, quoique je sois persuadé, que la servitude est un mal nécessaire dans presque toutes les conditions. Les hommes cherchent généralement à dominer les uns sur les autres. La République des Lettres a aussi ses Frêlons, qui non contents de se nourir du miel que les abeilles recueillent avec tant de peine, les tyranisent & les maltraitent encore. Ailleurs le Journaliste semble me faire un crime d'avoir décrit avec le plus grand sens-froid, certains usages qui lui paroissent indécens. Je ne suis pas plus d'humeur de faire l'Héraclite, que lui qui venoit de jouer le rôle de Démocrite, dans la plaisante Généalogie qu'il má trouvée, & donc je sui le premier a rire. * Le Journaliste me falt honneur de ces maximes, qui auroient du tout au moins m'épargner ses invectives.