Fragments de correspondance Johannes Kneppelhout Dit bestand biedt, behoudens een aantal hierna te noemen ingrepen, een diplomatische weergave van Fragments de correspondance van Johannes Kneppelhout uit 1835. knep001frag01_01 DBNL-TEI 1 2017 dbnl exemplaar Koninklijke Bibliotheek Den Haag, signatuur: 9199 G 30 [5] Johannes Kneppelhout, Fragments de correspondance. J.G. La Lau, z.p. [Leiden] z.j. [1835] Wijze van coderen: standaard French Fragments de correspondance Johannes Kneppelhout Fragments de correspondance Johannes Kneppelhout 2017-10-31 NdG colofon toegevoegd Verantwoording Dit tekstbestand is gebaseerd op een bestand van de Digitale Bibliotheek voor de Nederlandse Letteren (https://www.dbnl.org) Bron: Johannes Kneppelhout, Fragments de correspondance. J.G. La Lau, z.p. [Leiden] z.j. [1835] Zie: https://www.dbnl.org/tekst/knep001frag01_01/colofon.php In dit bestand zijn twee typen markeringen opgenomen: paginanummering en illustraties met onderschriften. Deze zijn te onderscheiden van de rest van de tekst door middel van accolades: {==13==} {>>pagina-aanduiding<<} {==Figuur. 1: Onderschrift van de afbeelding.==} {>>afbeelding<<} {==*1==} {>>pagina-aanduiding<<} FRAGMENTS de CORRESPONDANCE. {==*2==} {>>pagina-aanduiding<<} {==*3==} {>>pagina-aanduiding<<} FRAGMENTS DE CORRESPONDANCE. 22 OCTOBRE - 26 NOVEMBRE. 1834. J'ai toujours aimé les correspondances.... Sainte-Beuve. IMPRIMERIE DE J.G. LA LAU. {==*4==} {>>pagina-aanduiding<<} {==*5==} {>>pagina-aanduiding<<} Préface. Que' pochi genj che si sono innalzati sopra tanti altri mortali mi spaventano di meraviglia; ma il Petrarca mi riempie di fiducia religiosa e d'amore; e mentre il mio intelletto gli sacrifica come a nume, il mio cuore lo invoca padre e amico consolatore. Ult. lett. di Jac. Ortis. {==*6==} {>>pagina-aanduiding<<} {==I==} {>>pagina-aanduiding<<} Préface. Nous qui publions aujourd'hui ces quelques pages que peut-être on trouvera bien minces, bien maigres, bien pauvres, bien peu intéressantes, si nous avions voulu utiliser pour nos concitoyens le séjour que nous avons fait pendant deux mois à Paris, nous nous serions mis après notre retour à refaire, à refondre, à délayer, à corriger notre journal, et quelque chemin que nous eussions pris, nous aurions fini toujours par aboutir à un guide pour les étrangers ou à une descrip- {==II==} {>>pagina-aanduiding<<} tion de paris. Nous n'avons pas voulu faire cela. Pour cela nous sommes venu trop tard. Les hommes voyagent trop dans le siècle où nous vivons pour avoir encore tant besoin de livres de ce genre, bien des gens ont vu Paris mieux, plus longtemps et plus complètement que nous, d'ailleurs nous avons dulaure avec le livre des cent-et-un et les guides ne nous manquent pas non plus. Nous sommes donc venu trop tard, aussi étions nous bien résolu à laisser ce voyage ne porter des fruits que pour nous seul, quand un soir en furetant dans notre correspondance, car nous n'aimons rien tant que la lecture de nos vieilles lettres, noires, sales, en lambeaux, et nos amis nous les prêtent toujours de bien bonne grâce, nous crûmes nous apercevoir que ces lettres telles qu'elles étaient n'étaient pas sans quelque attrait, qu'elles renfermaient tel et tel passage digne de voir le jour, et nous nous dîmes qu'il serait curieux et piquant de faire regarder le public par le trou de la serrure de notre correspondance. Nous nous avisâmes donc d'en publier quelques fragments. Les voici, avec leurs fau- {==III==} {>>pagina-aanduiding<<} tes, leurs négligences, leurs inexactitudes, vrais fragments de correspondance. - Mais, entendons-nous répéter de toutes parts, ce ne sont pas là des lettres sur Paris, ce sont des lettres sur Victor Hugo. Nous ne disons pas le contraire. - Sur Victor Hugo! Et voilà qu'on jette les hauts cris, voilà qu'on se... - ne craignons rien, disons toujours et tout - qu'on se fâche. Car il y a des personnes que ce nom là met dans une grande colère. C'est qu'il fait peur ce nom. Et vous savez qu'un chat vous saute au visage quand il a peur et vous arracherait les yeux. Pourtant cet excellent M. Hugo, artiste grave et sage s'il en fut, ne leur a jamais rien fait à eux. Les uns vous disent, car les observations ne manquent pas, que M. Hugo ne sait pas faire des vers, puisque dans ses drames il aime à les briser quand cela lui semble nécessaire, d'autres viennent vous chanter qu'il vous fait mal, que la société comme il la peint est révoltante, que ses hommes sont affreux, que tous ses ouvrages {==IV==} {>>pagina-aanduiding<<} crient désespoir, fatalité! Et si le monde est ainsi fait, que voulez-vous qu'il y fasse, lui? Si vous désirez du mensonge, de la vertu mensongère, de la nature mensongère, des hommes mensongers, de l'art mensonger et par suite caduc et boiteux et misérable, lisez M. le chevalier de Florian et M. le cardinal de Bernis et à peu près tout le siècle de Louis XV et à peu près tous ces auteurs musqués qui avaient autant de vérité dans leur costume que dans leur ame, et vous devrez être contents et heureux alors, il me semble. D'autres viendront vous dire qu'ils ont bâillé en lisant Notre-Dame-de-Paris, que ceci tuera cela est bien ennuyeux et surtout si long. A ceuxlà, voyez-vous, on n'a rien à répondre, sinon à dire au dieu Plutus la première fois qu'il se trouvera sur votre chemin. - Faites-moi un richard de cet homme-là pour qu'il lui vienne de l'esprit! D'autres encore vous font subir d'autres raisonnements tous de la même force et qui ressemblent à une saine critique comme l'hôtel-de-ville de Rotterdam à un hôtel-de-ville. Enfin, que {==V==} {>>pagina-aanduiding<<} dirons-nous? Il n'est pas d'argument ridicule et pitoyable dont on ne vous assomme, car il n'est pas d'idée si sotte et si misérable qui ne trouve son débiteur empressé. Généralement parlant, et nous le soutenons, on ne connaît pas Victor Hugo. Voici sur quoi on le juge. On connaît Lucrèce Borgia et encore deux ou trois de ses drames où ses ennemis trouvent de quoi mettre des fautes au grand jour et des beautés de premier ordre à mettre à l'ombre, on connaît Han d'Islande, oeuvre de jeune homme, nous dirions presque d'enfant, (1820) qu'on attaque sérieusement et vigoureusement comme si c'était nous ne savons quoi de grand, de fort et de puissant, on connaît quelquefois les Orientales et Notre-Dame-de-Paris, mais on connaît trop peu le dernier jour d'un condamné, savante étude psychologique, éloquente analyse de l'ame, qui restera toujours, quelque bien qu'il fasse jamais, une des plus admirables productions d'Hugo, on ignore ce que c'est que Cromwell et sa préface, ce que c'est que les Odes, si douces, si belles, si chastes, si pures, si sua- {==VI==} {>>pagina-aanduiding<<} ves, qui ont valu à leur auteur le titre de premier génie lyrique de France, ce que c'est que les feuilles d'automne qui sont l'expression la plus complète et la plus intime de Victor Hugo, on ignore surtout ce que c'est que littérature et philosophie mêlées. Et puis encore on ne le comprend pas, et quand nous disons comprendre, nous n'insistons pas sur la signification métaphysique que l'on donne à ce verbe, mais nous prétendons l'employer tout bonnement dans sa signification simple et naturelle, on ne l'entend pas. Si l'on savait combien nous vivons coudoyés de personnes qui ne savent pas le Français! Au moment où nous écrivons ceci nous pourrions en citer plus qu'il ne nous serait agréable, et des personnes qui sont membres de l'église Wallonne et qui iront au théâtre Français la première fois qu'il y aura spectacle. Après cela elles vous diront que le français de M. Hugo ne vaut rien, car rien n'est impertinent comme l'a-plomb de la stupidité. Peut-être maintenant nous fera-t-on un crime du respect, de l'amour que nous portons à notre {==VII==} {>>pagina-aanduiding<<} auteur, à notre poète. Qu'y faire? On ne nous changera pas pour cela, nous ne reculerons pas d'un pouce, et ceux qui voudraient prendre la peine de s'acharner contre aussi peu de chose que nous n'avanceront pas d'un pouce, ce seraient des efforts faits en pure perte. Nous aimons Hugo, nous l'adorons, nous le respectons. Nous qui vivons dans un siècle qui pourrait s'appeler à juste titre l'automne des illusions, nous qui les voyons tomber une à une de l'arbre de notre vie comme autant de feuilles sèches et mortes, qui voyons s'abîmer tout ce qu'il y avait de grand et de sacré jadis, qui voyons tomber et fouler aux pieds l'amour qui est jaune à le prendre pour de l'or, qui voyons tomber la paternité et la royauté qui est une espèce de paternité aussi, qui voyons se changer l'art en marchandise que l'un vend et que l'autre achète, qui voyons la plume se changer en outil dont on se sert comme d'une charrue pour féconder son avoir, qui voyons la littérature devenir un métier et l'égoïsme surgir devant nos pas partout où nous marchons, - et qu'on n'accuse pas ici notre jeu- {==VIII==} {>>pagina-aanduiding<<} nesse, notre peu d'expérience, tout homme qui a l'usage de ses sens n'a qu'à jeter les yeux sur ce qui se passe tous les jours autour de lui pour sentir la vérité de nos paroles, au lieu d'éprouver il n'a besoin que d'observer, et voilà aussi pourquoi notre génération est triste et ennuyée et morose et maladive, voilà pourquoi elle craint de mettre la main à l'oeuvre, craint d'aimer une femme, craint de prendre racine au sol, craint de s'attacher à quoi que ce soit au monde, tant elle a découvert et vu la pourriture de tout ce qui l'environne et que toujours, Sous la peau la plus fine et le plus doux transport Vous sentez percer l'os d'une tête de mort, - n'est-ce pas qu'il est doux et consolant pour nous d'avoir comme un oiseau mélodieux qui charme la nuit de notre ame, voyant tomber une à une lui aussi ses illusions fanées, bénissant celles qui tiennent encore, regrettant celles qui ont disparu, comprenant profondément la vie, se faisant un avec nous, nous soulageant en nous distrayant ou pleurant et gémissant avec nous, pensant ce que nous pensons, aimant ce que nous {==IX==} {>>pagina-aanduiding<<} aimons, un poète bien indépendant, bien illustre, bien honnête homme, qui nous fasse reprendre courage quand nous sommes abattu, qui nous montre le ciel quand nous doutons et quelquefois déride notre front à force de folie comme un frère aîné qui tout navré de douleur s'efforce de rire et d'être gai pour distraire son jeune frère au désespoir devant un lit de mort ou un cercueil rempli. Toutefois quoiqu'il en puisse être, ne perdons pas courage et espérons! Tenons surtout les yeux sans cesse ouverts sur la génération dans les rangs de laquelle nous sommes fier de nous compter! Déja bien des esprits, esprits pleins de sève et de vigueur, ont rompu en visière à leurs anciennes opinions, un monde intellectuel que naguère ils ne soupçonnaient pas s'est levé devant eux, leurs idées se sont élargies, leur instinct d'artiste s'est immensément développé, honneur à eux, qu'ils persévèrent! c'est pour eux surtout que ces pages se publient. Napoléon II se trouve en bien des mains, que disons-nous? est gravé en bien des têtes. Espérons, avançons toujours {==X==} {>>pagina-aanduiding<<} et foulons aux pieds et écrasons tous tant que nous sommes et prêchons en tout lieu et en tout temps une croisade furieuse et impitoyable contre tous les préjugés qui couvrent notre terre! Ne nous étonnons pas de la résistance qu'Hugo éprouve chez nous; tous les grands génies ont eu à livrer de bien rudes combats avant de se voir accepter par la foule rebelle. Qu'on se souvienne de Byron, qu'on se souvienne de notre Bilderdyk, qu'à la honte.... mais nous nous taisons; Hollandais, nous ne voulons pas vous forcer à rougir! J.K. Leyde le 22 Janvier 1835. {==XI==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre I. {==XII==} {>>pagina-aanduiding<<} {==1==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre I. Ce Paris! on s'y perd: le Havre tout entier, En se pressant un peu tiendrait dans un quartier. Quels bouts! quels bouts! quels bouts, mon ami, quelles rues tortueuses! c'est à se casser les jambes! Je ne parle pas des belles rues aux grands hôtels, des larges rues Rivoli et Castiglione avec leurs arcades toutes neuves où l'on se promène dessous, mais des rues de la Cité et du pays Latin avec leurs mille détours, leur saleté, leurs ordures, leurs exhalaisons fétides et nauséabondes. Dieu! les mauvais pavés, la boue grasse et gluante, c'est à se rompre le cou! Et voilà pourtant le côté le plus extérieur, le plus apparent, le plus public de Paris. Toutefois avec une bonne volonté, deux bonnes semelles et un plan de la ville on vient à bout de tout.................................................. je sais déja où il me faut frapper pour trouver {==2==} {>>pagina-aanduiding<<} Jules Janin. Il y a quelques jours, j'ai été chez lui. Il était charmant, il m'a reçu de la manière la plus bienveillante et m'a comblé de bontés, je puis venir chez lui quand je le veux, sa maison m'est ouverte..... Janin est bel homme, il a par exemple une chevelure noire, longue et bouclée dont je ne connais pas la pareille. Sa conversation est comme son style, gaie, spirituelle, piquante, vive, pétillante, à facettes. Vive Janin! .........................., ............ Voilà bien du bonheur sans doute, bien des voeux exaucés, bien des désirs accomplis............................................. Tu vois donc que je suis déja entièrement établi à Paris, que j'y suis déja tout-à-fait chez moi, aussi je t'assure que je m'y trouve fort content, fort heureux, pourquoi ne puis-je par un coup de baguette y transporter mes amis, ma mèrc, toi des premiers; mais non, toi, ne va jamais à Paris, ne va jamais à Paris qu'en curieux, pour voir la ville, ses musées, ses édifices, ses bibliothèques, ses théâtres, mais n'entre pas dans la société, ne te mêle pas au monde {==3==} {>>pagina-aanduiding<<} Parisien, car les hommes que tu y trouverais seraient frivoles et les femmes bien plus que cela. Oh! n'entre pas dans la société de France, car tu y serais malheureux, tu prends la vie trop au sérieux, tu es trop candide pour te précipiter dans cette infernale cuve qui s'appelle Paris, tu penserais trouver partout intérêt, amitié, et tu ne pourrais te persuader que tout cela n'existe plus en France, et qu'on n'y parle autant de beaux sentiments que par la seule raison qu'on n'en a plus. Le coeur est mort en France à force d'avoir tout senti, l'ame y est éteinte, la société y est corrompue et celui qui a dit. - La société française est une vieille courtisane qui peint de sa langue tous les styles et sur son visage toutes les passions. A dit une chose bien cruelle, bien désolante mais bien vraie. Paris est un abîme affreux caché sous des roses, c'est un spectre déguisé en jeune fille; arrache-lui sa robe blanche et tu verras percer ses os noirs et hideux par les lambeaux de son travertissement. Cher ami, que je suis heureux de t'écrire; {==4==} {>>pagina-aanduiding<<} longtemps déja, car vous autres vous roulez toujours dans ma tête, longtemps déja je guettais un moment pour causer un peu avec toi, car à te dire vrai les plaisirs, les distractions du monde absorbent tous mes moments; le matin je sors de bonne heure et ne rentre souvent que vers celle du dîner, je suis alors ou au Louvre, ou à notre-Dame, ou au Luxembourg, ou aux Invalides, et toujours en présence de grandes choses, le soir ce sont les spectacles qui me réclament, c'est Taglioni que j'admire, c'est Vernet qui me fait rire ou Dorval qui me fait pleurer, enfin je profite de quelques instants que je suis libre entre mon dîner et une prise de glaces chez Tortoni pour t'écrire. Tu me répondras bien vite, n'est-ce pas, et tu vas m'envoyer une longue, longue lettre, où tu m'écriras tout, jusqu'aux plus petites choses, jusqu'aux moindres bagatelles. - Tu feras mes compliments à tous mes amis et leur diras que chacun d'eux aura son tour dans ma correspondance. Adieu, je te laisse à regret. Paris, 22 Octobre. {==5==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre II. {==6==} {>>pagina-aanduiding<<} {==7==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre II. Me voici dans une excellente assiette d'esprit pour t'écrire. Le temps est mauvais, froid et brumeux, et je ne sortirai pas ce jour-ci à cause d'un peu de fièvre qui m'a pris cette nuit. C'est l'influence de l'automne et fort désagréable. Pourtant cela n'aura pas de suites, j'espère, et après m'avoir tenu chaudement chez moi au coin de mon feu pendant toute la journée, je me tromperais étrangement si cette maudite sorcière revenait encore me tourmenter...................... Et maintenant, mon ami, n'en parlons plus et chassons la fièvre à force de causerie. J'ai revu notre ami Firmin, dans... devine? dans une belle, bien belle pièce, dans Henri III et sa cour; c'est lui qui faisait Saint-Mégrin, Madame Dorval jouait le rôle de la duchesse de Guise. Firmin avait de sublimes moments, son défi au duc de Guise faisait frémir, c'était un {==8==} {>>pagina-aanduiding<<} vrai chevalier. Madame Dorval jouait avec une grande simplicité au commencement, sans doute afin de ménager ses moyens pour le cinquième acte. Là ce n'était plus la femme malheureuse, maltraitée, souffrante, c'était une lionne qui défendait son lionceau, elle était pâle et furieuse et haletante, elle parcourait la scène à grands pas de la fenêtre à la porte, de Saint-Mégrin au duc de Guise, de son amour à sa haine, et quand pendue à la porte par son bras, son bras qui lui servait de verrou, elle s'écriait. - Arrête, arrête, c'est le bras qu'il a déja meurtri! Sa voix plaintive versait un frisson sur tous vos membres. Je lui ai vu donner deux fois Misanthropie et Repentir. Elle joue le rôle de Madame Müller avec tant d'ame, avec une si profonde sensibilité, avec une si véritable éloquence, qu'à la dernière scène sa voix avait de la peine à se faire jour à travers les larmes, les sanglots des spectateurs. Des larmes valent bien mieux à mon avis que de froids applaudissements, sont de bien plus sublimes témoignages de la vérité du jeu, de la grandeur de l'artiste, de la toute-puissance du talent. {==9==} {>>pagina-aanduiding<<} M. de Châteaubriand a fait jouer sa tragédie de Moïse aux acteurs de Versailles. On n'est pas d'accord sur le motif qui l'y a engagé; les uns disent que voulant joindre à ses palmes littéraires celles du théâtre et redoutant peut-être le public difficile de Paris, il a donné sa pièce aux acteurs de Versailles, d'autres prétendent que ces Messieurs, pensant que ce serait une bonne affaire pour eux que de faire courir tout Paris à Versailles, ont pris la pièce malgré l'auteur. Quoiqu'il en soit je ne sais moi que ce que j'ai vu, à savoir: que, il y a quelques jours, les acteurs de Versailles ont joué Moïse pour une seule fois au théâtre de l'Odéon, que les deux premiers actes en ont été écoutés avec assez d'attention, mais que la pièce ne devant son mérite qu'au style et aux beaux vers, ceuxci étant impitoyablement écorchés et traîtreusement défigurés, la moindre petite étincelle a suffi pour allumer l'incendie des cris et des rires, et que la représentation s'est terminée au milieu des huées. On est allé si loin même que, au moment où un lévite vient annoncer que la foudre divine a frappé Nadab et que le peuple d'Israël {==10==} {>>pagina-aanduiding<<} s'arrête immobile et muet devant ce signe de la vengeance céleste du Seigneur, une voix céleste aussi, car elle partait du Paradis, a osé s'écrier. - Allons, embrassez-vous tous et que cela soit fini! Figure-toi l'explosion que produisit cette phrase. On disait que l'auteur assistait à la représentation. Mais j'irais te faire une lettre par trop théâtrale, ma foi! Parlons d'autre chose. Que fais-tu, toi et les tiens? Sais-tu que je suis très-curieux, mais excessivement curieux, d'avoir de tes nouvelles, de savoir ce que l'on fait, ce que l'on dit, ce que l'on écrit, ce à quoi l'on rêve dans ma bonne ville de Leyde, si tu fais déja gémir la presse, si M.... et V..... paraîtront bientôt ou ont déja paru, et mille choses encore. Moi je travaille à un petit roman, conte ou nouvelle, comme tu voudras, ensuite je lis quand j'en ai le temps. Je viens de finir pour la troisième fois Notre-Dame-de Paris, et me suis mis maintenant à étudier le cours de déclamation de la Rive, c'est un bel ouvrage, un livre utile, bien écrit, et rempli d'observations profondes et judicieuses. {==11==} {>>pagina-aanduiding<<} Je me suis rendu Vendredi dernier chez le proviseur du collège Louis-le-grand. Il m'a comblé de politesse et m'a fait voir l'établissement de long en large, de haut en bas, de la tête aux pieds. Si j'osais comparer l'enseignement classique de la Hollande à celui de la France, je dirais peut-être qu'en Hollande on enseigne aux enfants à comprendre, en France à sentir les auteurs, que chez nous ils lisent avec la tête et la grammaire, en France avec le coeur et leur propre intelligence. Il importe de donner à l'intelligence humaine l'étendue la plus large possible. La bonne société est encore à la campagne, elle ne revient à Paris que vers la fin de l'année, jusqu'à ce temps-là tout est tranquille et ce n'est véritablement qu'au mois de Janvier que commencent les soirées, les bals, etc. Dire que je ne m'amuse pas ce ne serait pas dire la vérité, mais pourtant tu ne saurais croire combien la solitude fait perdre de jouissances, elle ne procure jamais que des plaisirs négatifs. Oh! je voudrais bien quelquefois charger la sylphide Taglioni de voler vers l'un de vous et de me {==12==} {>>pagina-aanduiding<<} l'apporter ici couché dans ses bras transparents et couvert de son schall diaphane. Ce n'est qu'après mon retour que je commencerai à jouir véritablement de ce que j'ai vu, entendu, appris, quand je dirai à mes amis mes heures délicieuses, passées ou au doux murmure des vers, aux reflets magiques des décorations, aux danses enivrantes du théâtre, ou dans une aimable société de femmes charmantes et d'hommes distingués, vraie école de bonnes manières et de bon ton. Paris, 29 Octobre. {==13==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre III. {==14==} {>>pagina-aanduiding<<} {==15==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre III. Mon ami, je te donne à deviner qui s'est chargé de faire les honneurs de ma réception à Paris, quel a été l'objet qui pendant le premier quart-d'heure de mon séjour dans la capitale a attiré mes regards et mon attention, qui a frappé mes yeux dans les premiers moments que je passai dans cette ville, qui enfin m'a averti le premier, comme une enseigne signale une auberge, que je me trouvais à Paris. C'était... Eh bien! il me semble que tu dois le savoir déja!... C'était.... une grisette! Oui, tout fier d'être à Paris, j'étais assis comme un Pacha dans mon fiacre et me faisais traîner de la longue et bruyante rue Saint-Honoré jusqu'à la rue Saint-Lazare tranquille et malpropre, et je regardais tout ébahi à droite et à gauche avec un étonnement et une admiration dignes d'un honnête bourgeois de Leyde comme je suis, quand au coin d'une rue je vis, levant sa jupe {==16==} {>>pagina-aanduiding<<} à mi-jambe et se rangeant contre les maisons pour éviter les caresses de mon lourd fiacre, une jeune et jolie femme bien fraîche, bien rose, bien blonde, qui baissait les yeux comme une chaste Suzanne au bain. Il paraît que l'homme et la femme aiment toujours à se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas. Son visage tenait de la Vénus de Médicis et des Vierges de Raphaël, mais il y avait pour deux tiers de la Vénus. La rencontre de cette petite et gentille grisette me parut de bon augure, aussi je lui attribue toutes les bonnes choses qui m'arrivent depuis.................................................. J'ai rendu visite à M. Firmin de la comédie française, il était extrêmement aimable, il me reconnut tout de suite et ne tarit pas en éloges sur la Hollande qu'il appelle un charmant pays. Il compte y retourner l'automne prochain. Lundi matin j'ai été chez M. Victor Hugo. Malheureusement c'était son heure de travail, pourtant, et cela malgré moi, il a bien voulu l'interrompre un moment. Son salon est meublé à la François I, il est orné de quelques {==17==} {>>pagina-aanduiding<<} gravures et de deux tableaux de Boulanger, ce sont les portraits de ses enfants. Pendant le temps que je passai seul dans cet appartement je jouissais déja. Fouler son tapis, m'asseoir sur ses chaises gothiques, voir ce que ses yeux avaient coutume de voir, quel bonheur! Il entra. Je l'avoue, à sa vue je me troublai. Tant de souvenirs, tant de créations nées de son souffle, Didier, Hernani, Triboulet, la Esméralda, Quasimodo, tant de sublimes pensées, tant de beaux vers, tant de brûlantes pages, m'offusquaient, m'étourdissaient tellement de leur fantasmagorie, qu'au premier moment je crus sentir ma langue se coller à mon palais, d'autant plus que le visage sombre et pensif du poète m'examinait avec attention et que je croyais y découvrir une certaine défiance de ma personne; il me prenait peut-être pour un arracheur de dents, aussi eus-je hâte de me faire une égide du nom de Janin. L'effet en fut prompt, le visage d'Hugo prit une expression plus douce et il me dit. - Ah! vous connaissez Janin; vous vous occupez donc de littérature? Moi, je répondis bien humblement. {==18==} {>>pagina-aanduiding<<} - Oui, Monsieur, un peu. Là dessus il m'invita à venir le voir quand je le voudrais entre huit et neuf heures du soir et me dit en me reconduisant que j'avais fort bien fait de venir chez lui. Jamais, mon ami, non, jamais visite ne m'a fait une plus profonde impression................................................ On bâtit toujours beaucoup ici. Les ailes du château de Versailles se changent en musée, tandis que le château lui-même est sens dessus dessous à force d'ouvriers qui réparent et nettoient, la Madeleine paraît vouloir s'achever enfin, les arcades de la rue Rivoli se prolongent, l'abbaye de Saint-Denis gémit sous une restauration et Louis-Philippe a fait bàtir un pont suspendu sur les deux bras de la Seine qui s'appelle de son nom et mérite tous les éloges pour ce qui concerne l'utilité et l'élégance. Paris, 5 Novembre. {==19==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre IV. {==20==} {>>pagina-aanduiding<<} {==21==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre IV. Oui, ce sera pour un autre fois, mon cher! Figure-toi ma rage, ma furie, ma désolation, mon désespoir! On donne Robert-le-diable, le sublime Robert-le-diable, mon opéra favori, Nourrit chante, Levasseur chante, Damoreau chante, et, o puissance des grands hommes, o magie des poètes, o désir inexplicable de les voir, de les contempler de ses yeux, de les toucher de ses mains, je laisse Robert, je laisse Nourrit, Levasseur, Damoreau, ces dieux du chant, comme dit Janin, je laisse Taglioni, la légère Sylphide, la ravissante Bayadère, cette femme-oiseau, cette jeune fille aux ailes invisibles, dont les pieds redescendent à terre comme la neige qui tombe du ciel, tout cela je le laisse pour Hugo, pour l'enfant sublime, comme disait Châteaubriand, son prophète; j'ai besoin de le voir plus longtemps, de l'entendre causer, de savourer ses paroles, de contempler sa {==22==} {>>pagina-aanduiding<<} douce femme et ses charmants enfants dont je ne connais encore que les portraits, non, je ne veux pas perdre des jours davantage et différer plus longtemps d'aller chez lui, il faut que je puisse crier en revenant à tous ceux que j'aime. - Je me suis assis au foyer de l'auteur de Notre-Dame-de-Paris, j'ai pressé les mains qui ont écrit Notre-Dame-de-Paris, j'ai lu dans les yeux qui ont lu Notre-Dame-de-Paris! Je me trouve entre Robert et Hugo, entre un diable dont l'art a fait un ange et un ange que l'art rend diable parfois, et le dernier l'emporte. Après une heure entière de route, car il a choisi son habitation dans un lieu où il peut vivre paisible et solitaire, puisque ce n'est que dans la solitude qu'on peut travailler pour la foule, comme il dit, j'arrive enfin à sa demeure, et, trois fois malheur! la cage est vide, le corps sans ame, la maison sans poète, il n'y est pas. Ne pas entendre Nourrit, Levasseur, Damoreau et ne pas voir Hugo! De dépit je m'en retournai tout bêtement vers mon hôtel en pestant contre le destin et ma mauvaise étoile. {==23==} {>>pagina-aanduiding<<} J'aimerais tant voir Deburau, tu sais, celui qui a traversé sur un fil d'archal l'Allemagne, la France et tout le Bosphore de Thrace, celui qui a vu impunément les Odalisques du sérail, les Epouses sacrées de sa hautesse, les Houris redoutables dont un regard donne la mort et dont le palanquin voilé fait courber la tête du croyant qui passe, mais comme son théâtre est la réunion d'une espèce de gens qui ont rangé la politesse et la décence parmi les idées déchues, et que je crains beaucoup les pluies de pommes frites et autres choses, que d'ailleurs l'atmosphère y est chargé d'odeurs de suif, de sueur, d'huile, de linge sale, etc. j'attendrai à le voir jusqu'à ce que ce paillasse des paillasses ait franchi ses ignobles tréteaux pour se montrer dans un lieu plus convenable, ainsi que le firent avant lui ses illustres devanciers, Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume, Turlupin, etc. Pour me consoler je vais voir assez souvent Odry, ce dieu de la bêtise, cette bêtise incarnée, ce calembourg aux jambes de travers, au nez retroussé, au parler d'ouvrier. Bon Dieu! est-il commun, est-il gauche, est-il niais, Odry! {==24==} {>>pagina-aanduiding<<} L'autre jour je suis allé voir Cinna et les Femmes savantes. Cinna était assez bien joué, Madame Paradol est une belle femme et une assez bonne tragédienne, mais les Femmes savantes étaient représentées d'une manière admirable. Oh! c'était délicieux, c'était parfait! Quoiqu'on en dise, la haute comédie se joue encore supérieurement bien au théâtre-français. Paris, 12 Novembre. {==25==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre V. {==26==} {>>pagina-aanduiding<<} {==27==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre V. Enfin, oui, enfin il s'est accompli mon voeu, j'ai causé, j'ai parlé, je me suis trouvé face à face avec notre grand Victor, je me suis assis à son foyer domestique. Quel bonheur est le mien! C'était Vendredi dernier, le soir. A neuf heures M. Hugo sortit et je restai à causer avec sa femme jusqu'à.. devine? Jusqu'à dix heures et demie, alors seulement je pus m'arracher de chez elle. Grand Dieu! quelle famille, quel bonheur, quelle école pour cette France immorale et brillante que cette maison simple et pure jetée comme un oasis de vertu dans ce désert tout sablé de vice et de luxure! Voilà bien la vraie félicité, le véritable bonheur domestique, tel que le font rêver les feuilles d'automne, le voilà, non pas rendu en vers sonores et harmonieux, mais réel, mais palpable, mais tout en même temps aussi complet, aussi idéal, aussi ravissant, qu'un poète puisse le créer. Figuretoi une petite chambre gothique et sombre, tapissée de quelques tableaux et d'un bon nom- {==28==} {>>pagina-aanduiding<<} bre de médaillons en bronze, un foyer bien gai, bien pétillant au fond, et devant le foyer un homme debout qui cause et qui sourit, c'est Hugo; assise près d'une petite table ronde couverte de quelques livres et de quelques ouvrages périodiques une femme qui travaille à un ouvrage de tapisserie, c'est la sienne; un petit cercle autour du feu, ce sont ceux qui viennent voir le poète, puis sur les genoux de tout le monde, criant, chantant, folâtrant, courant, deux petits enfants aux longs cheveux, et tu auras une idée de l'appartement, tel qu'il était arrangé lorsque j'y entrai. M. Hugo a quatre enfants, deux fils et deux filles. Sa fille aînée déja célèbre de la célébrité de son père, qui lui a dit un soir. - Ma fille, va prier! Sa fille aînée est comme tous ses enfants d'une beauté très-remarquable et très-poétique. Ce n'est pas une enfant, c'est une apparition comme en vit Alp sous les murs de Corinthe. Elle est pâle et a de très-grands yeux très-noirs et de très-longs cheveux très-noirs; c'est la plus jolie des Orientales. Son fils aîné, que je n'ai pas bien vu puisqu'il s'est toujours tenu dans un coin où la lumière ne parvenait pas durant {==29==} {>>pagina-aanduiding<<} le reste de la soirée - rêverait-il déja aussi, serait-ce un autre Victor? - Son fils est venu de l'école et le poète a mis la main sur son front et en lui baisant la joue, lui a dit. - Mon Charles, mon cher Charles! Et il y avait dans ces paroles banales un ton inexprimable de paternité; c'est comme s'il nous disait. - Je suis heureux de ce fils! Madame Hugo est une femme d'une beauté éblouissante, elle est grande, gracieuse, fraîche, simple, aimable, d'une beauté qui m'était inconnue, d'une beauté espagnole, mauresque, de celle dont on nous peint les Odalisques et comme en doit rêver un Pacha. Mais, il faut le dire, ce n'est pas là une famille française, il y a trop d'éclat méridional dans les yeux et dans les âmes, il y a trop de chasteté et de domesticité dans les moeurs, le sud et le nord s'y croisent, il y a de tout cela et cela est unique. Je veux aller encore une fois chez lui avant que de partir. Oh! il faut que j'implore encore une heure à l'auteur de Notre-Dame-de-Paris, ce n'est pas lui trop demander; une heure d'audience, rien qu'une heure à la royauté du gé- {==30==} {>>pagina-aanduiding<<} nie, rien qu'une heure à le voir être heureux et apprendre à l'être comme lui! Oui, en les voyant là tous les deux s'aimant et s'adorant, elle heureuse du renom, du génie de son mari, lui heureux de la beauté, des vertus de sa femme, se chérissant mutuellement dans leurs enfants, chaîne divine qui se tient aussi intimement, aussi étroitement que la nature l'a forgée, on voudrait comme lui être époux et père et s'écrier en revenant de la Place-Royale. - Oh! une femme et des enfants pour que je puisse être heureux comme lui! L'amitié d'un grand homme est un bienfait des Dieux! Par bonheur il fait beau temps aujourd'hui! C'est un grand avantage en vérité, ici surtout où au moindre brouillard qui tombe, les rues se trouvent en peu d'instants si sales et si glissantes, qu'il est impossible, au beau sexe du moins, de se montrer à pied dans Paris. Nous avons eu plusieurs jours, où les rues vous faisaient peur, les trottoirs n'étaient plus que des crottoirs, on ne pouvait s'y tenir debout. (De boue!) Paris, 19 Novembre. {==31==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre VI. {==32==} {>>pagina-aanduiding<<} {==33==} {>>pagina-aanduiding<<} Lettre VI. Me voici dans l'embarras, mon ami; je ne sais auquel répondre, à toi, mon fidèle correspondant, ou à B.... qui fait longtemps attendre afin de donner ensuite un double plaisir, et qui vient de m'écrire une charmante lettre dont je le remercie mille et mille fois; pourtant après avoir considéré que deux amis, comme vous bien entendu, ne font qu'une âme et une lettre, puisque vous vous dites vos pensées et vous vous lisez mes lettres, je me suis un peu tranquillisé en me disant qu'il vaudrait autant répondre à tous les deux en même temps: twee vliegen in een' klap, comme on dit. Au moins j'espère bien que vous n'alliez pas vous brouiller en vous disputant la possession de la lettre, ce serait trop d'honneur pour moi.............................. Je jouis, oui, je jouis ici en vrai artiste du succès de Jose, chaque fois qu'une lettre vient {==34==} {>>pagina-aanduiding<<} m'apprendre un nouvel éloge d'un homme distingué, une critique, ou pour parler exactement, une louange plus récente de ce magnifique morceau, je me trouve plus grand, plus fier, plus puissant, je marche la tête haute, les bras arrondis et ne cède le pas à personne; il me semble qu'en me voyant chacun doit lire sur mon front rayonnant de la gloire de mon ami, - dont nous devons être fiers, H........, comme de son Victor Sainte-Beuve: Fesons pour nous, pour l'art, pour nos amis encor, Pour être aimés toujours de notre grand Victor. - - Je me sens supérieur à vous tous! Mais, hélas! faites donc de l'effet à Paris, cachez votre menton dans votre cravate et vos oreilles sous vos longs cheveux, regardez les écriteaux des épiciers d'un air aussi langoureux qu'une jeune fille qui rêve en voyant la lune monter au dessus de l'horison, et puis au moment où vous croyez être compris de la foule, au moment où vous êtes chatouillé de la flatteuse idée que tout le monde se dit. - Cet homme touche de toutes les extrémités de son âme à des choses qui sont au-dessus de nous, vil peuple! {==35==} {>>pagina-aanduiding<<} Jetez les yeux dans la rue et voyez passer les passants qui font plus d'attention aux boues des trottoirs et au ruisseau du milieu, qu'à vous, l'ami du poète, l'admirateur de Jose! Cela est désespérant, mon ami, désespérant à se jeter dans la Seine! Ah! pour gagner la faveur du public, pour la gagner, pure, douce et sans mélange, ne va pas te faire auteur, jeune homme; n'écris pas de drames, jeune homme, pour te faire lêcher par l'hydre populaire que tu crois en vain émouvoir; ne fais pas d'odes pour te faire cajoler par tel ou tel homme réputé célèbre; ne fais ni romans, ni contes, ni histoires pour faire pendant deux ou trois misérables jours aboyer les journaux après toi; non, fais mieux, jeune homme, prie jour et nuit les Dieux tout-puissants, pour qu'après ton trépas ils rendent ton âme l'habitante d'un corps de cygne dans le bassin des Tuileries, d'un joli cygne blanc, au bec rouge, au cou flexible; crois-moi, sois cygne, et tu seras le plus heureux de tous les animaux de la terre, à pieds, à pattes, à nageoires et autres. Passe, si tu ne me crois pas sur parole, passe à telle heure du jour que tu voudras, car la nuit on ferme {==36==} {>>pagina-aanduiding<<} le jardin, le long des bassins des Tuileries, et la première fois que tu verras les deux cygnes seuls, sans être admirés, caressés et nourris de la main de quelques Parisiens au coeur tendre, tu pourras me pendre et mes biens prendre. Oui, encore une fois, sois cygne, et te voilà amadoué, flatté, cajolé par tout un peuple qui ne passera jamais devant toi sans te jeter un bien tendre coup-d'oeil, encore ne sera ce que la bonne compagnie, puisque les gens en veste et en casquette ne sont point admis dans le jardin. Mais voilà, il me semble, une assez longue spéculation sur le moyen d'être heureux, occupons-nous de choses plus positives. La grisette n'est qu'une forme plus séduisante, plus Parisienne, plus Française, donnée à un fond dont le type existe dans tous les pays. Quoique je ne connusse D.... que de nom, je prends beaucoup de part à sa mort à cause de notre littérature dont il faisait déja l'ornement; je conçois que c'est une grande perte, et pour vous, mes amis, qui étiez liés avec lui, {==37==} {>>pagina-aanduiding<<} un sincère chagrin. Vous connaissiez l'homme, et l'homme valait peut-être encore l'auteur. Je me souviens que cet été, en t'entendant faire le récit, B...., d'une nuit passée avec lui au milieu des verres et des vers, combien je t'enviais ces heures, combien j'étais jaloux. Maintenant Hugo m'en a consolé un peu. Et toi, presque-ministre, je te félicite, non sans quelque regret puisque c'est encore un pas qui t'éloigne de moi, mais puisque c'en est un en même temps vers ce que tu désires atteindre, de toute mon âme, je te félicite du succès de ton dernier propos, sois aussi heureux dans la carrière qui t'attend que tu l'as été dans celle que tu vas laisser, et continue-moi la même amitié que tu m'as témoignée pendant que tu étais comme moi, libre, jeune homme, étudiant enfin................................................... Paris, 26 Novembre. {==38==} {>>pagina-aanduiding<<} Phrases qui ne nous appartiennent pas. Sous la peau la plus fine et le plus doux transport Vous sentez percer l'os d'une tête de mort. Barbier, Jambe IX. Ce Paris! on s'y perd: le Havre tout entier, En se pressant un peu tiendrait dans un quartier. C. Delavigne, l'école des vieillards, acte I, sc. 2. Cette infernale cuve qui s'appelle Paris. Barbier, Jambe X. La cage est vide. Victor Hugo, Notre-Dame-de-Paris. .. celui qui a traversé sur un fil d'archal l'Allemagne, la France et tout le Bosphore de Thrace, celui qui a vu impunément les Odalisques du sérail, les Epouses sacrées de sa hautesse, les {==39==} {>>pagina-aanduiding<<} Houris redoutables dont un regard donne la mort et dont le palanquin voilé fait courber la tête du croyant qui passe.. Jules Janin, Deburau, chap. III. L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux! Voltaire, Oedipe, acte I, sc. 1. Fesons pour nous, pour l'art, pour nos amis encor, Pour être aimés toujours de notre grand Victor. Sainte-Beuve, les consolations. {==40==} {>>pagina-aanduiding<<}