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La légende de la sacristine Beatrix (1930)

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Titelpagina van La légende de la sacristine Beatrix
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Illustrator

Victor Stuyvaert

Vertaler

Robert Guiette



Genre

poëzie

Subgenre

marialegende
vertaling: Nederlands / Frans


© zie Auteursrecht en gebruiksvoorwaarden.

La légende de la sacristine Beatrix

(1930)–Anoniem Beatrijs–rechtenstatus Auteursrecht onbekend

Vorige
[pagina 1]
[p. 1]

Beatrix



illustratie

 
Rimer m'est de maigre profit.
 
On m'engage à l'abandonner
 
Et ne plus m'y user l'esprit.
 
Mais tout à la gloire de celle
 
Qui mère demeura pucelle,
 
J'ai commencé un beau miracle
 
Que Dieu a pour celle accompli
 
Qui, glorieuse, le nourrit. -
[pagina 2]
[p. 2]
 
Je dirai d'une moniale
 
Que Dieu veuille bien m'octroyer
 
Que le fasse comme il convient,
 
Et qu'à bonne fin je le mène
 
Selon l'exacte vérité
 
Que m'a dite frère Gisbert,
 
Le très accompli Guillemite.
 
Homme vénérable et ancien,
 
Il l'avait prise dans ses livres. -
 
La nonne était, dont je vous parle,
 
Courtoise et de belles manières.
 
On n'en trouve plus aujourd'hui
 
Qui la vaille, je le présume,
 
Tant pour les moeurs que pour l'aspect.
 
Qu'ici je vante ses beaux membres,
 
En célèbre toute beauté,
 
Voilà qui ne conviendrait point.
 
Je vous dirai quel est l'office
 
Qu'elle remplit pendant longtemps
 
Au cloître dont portait l'habit.
 
Elle en était soeur sacristine.
 
Je vous le dis en vérité:
 
Point n'était lente ni tardive
 
Jamais ni de nuit, ni de jour.
[pagina 3]
[p. 3]
 
Elle était rapide au travail,
 
Sonnait les cloches en l'église,
 
Soignait lampes et ornements,
 
Réveillait la communauté.


illustratie

 
La damoiselle n'était point
 
Libre de l'amour demeurée,
 
Qui fait sur terre grand merveille.
 
Parfois, il en vient de la honte,
 
Maux et chagrins et amertume;
 
Mais parfois, la joie et le bien.
 
Du sage, amour fait un nigaud
 
Qui doit conclure à son dommage,
 
Qu'il le veuille ou ne veuille pas.
 
Qui l'amour dompte, ne sait plus
 
S'il doit parler ou bien se taire
 
Pour obtenir ce qu'il désire.
 
Amour en foule aux pieds bien d'autres,
[pagina 4]
[p. 4]
 
Qui sans lui ne se lèveront.
 
Amour rend celui-là prodigue,
 
Qui garderait tous ses présents
 
S'il ne suivait conseils d'amour.
 
On trouve des gens si constants
 
Que, peu ou prou, tout ce qu'ils ont
 
Leur est commun, que l'amour donne:
 
Richesse, joie et même deuil;
 
Je nomme tel amour fidèle.
 
Je ne pourrais dire la masse
 
Tant de bonheurs que d'infortunes
 
Que les ruisseaux de l'Amour roulent.
 
Qu'on ne blâme donc pas la nonne
 
De n'avoir pu se dérober
 
A l'amour qui l'avait captive
 
Car le diable toujours désire
 
L'homme tenter et point ne cesse,
 
De nuit, de jour, et tard ou tôt,
 
De sa puissance y employer.
 
De males ruses, où est expert,
 
Selon la chair il la tenta.
 
La pauvre nonne en crut mourir;
 
Dieu pria et le conjura
 
De la conforter de sa grâce.
[pagina 5]
[p. 5]
 
Elle dit: ‘Suis appesantie
 
De lourd amour et suis navrée.
 
Il le sait bien - lui qui sait tout
 
Et pour qui chose ne se cache, -
 
Que m'égarera ma faiblesse.
 
Il me faut mener autre vie.
 
Cet habit déposer il faut.


illustratie

 
Or donc oyez ce qu'il advint:
 
Bien humblement, par une lettre,
 
A ce jeune homme elle manda,
 
Qu'elle tenait en grand amour,
 
De s'en venir vite auprès d'elle,
 
Car il y trouverait profit.
 
Le courrier s'en fut au jeune homme,
 
Qui prit la lettre, et il la lut,
 
Que lui mandait sa douce amie.
 
S'en éjouit dedans son coeur;
[pagina 6]
[p. 6]
 
Il se hâta de l'aller joindre.
 
Depuis qu'ils eurent douze années,
 
Amour dominait ces deux-là,
 
Qui en souffirirent maint tourment.


illustratie

 
Il chevaucha par le plus court
 
Vers le couvent où la chercher.
 
Devant le guichet se posta,
 
Demandant que, s'il se pouvait,
 
Lui put parler et la put voir.
 
Point ne tarda longtemps alors;
 
Elle vint et le visita
 
Par le guichet barré de fer
 
En croisillons bien rapprochés.
 
Souventes fois firent soupirs,
 
Elle dedans et lui dehors,
 
D'être points d'un si fort amour.
 
Ainsi furent tout un moment,
[pagina 7]
[p. 7]
 
Dont je ne puis dire combien
 
Souvent lui a le teint mué.
 
‘Lasse chétive, haï, dit-elle,
 
Beau doux ami, j'ai grande peine.
 
Dites-moi donc un mot ou deux
 
Qui me réconforte le coeur!
 
Je cherche en vous qui me console!
 
Le dard d'amour au cceur me navre,
 
Dont je souffire grande douleur;
 
Plus je n'aurai de joie aucune,
 
Cher, que vous ne l'ayez tiré!’
illustratie
 
Il répondit bien tendrement:
 
‘Vous le savez, ma douce amie,
 
Que nous avons longtemps porté
 
Amour pesant à chaque jour.
 
Jamais n'avons trouvé loisir
 
De nous pouvoir entrebaiser.
[pagina 8]
[p. 8]
 
Que Dame Vénus la déesse,
 
Qui mit cela dans notre sang,
 
Soit maudite de Sire Dieu
 
D'avoir flétri deux fleurs si belles,
 
Et de les avoir corrompues.
 
Que ne puis-je obtenir de vous
 
Que vous déposiez votre habit
 
Et me disiez à quel moment
 
Je pourrais vous mener dehors.
 
Je m'encourrais vous préparer
 
De beaux habits de chère laine;
 
Les ferais doubler de fourrure,
 
Robe, manteau et puis surcot.
 
Ne vous quitterai par détresse;
 
Avec vous je veux affronter
 
Amour, chagrin, l'aigre et le doux.
 
Je vous en donne ici ma foi.’
 
- ‘Ami aimé, dit la pucelle,
 
Je la reçois bien volontiers,
 
Et avec vous irai si loin
 
Que nul de ceux de ce couvent
 
Ne saura où fui nous aurons.
 
Venez à la huitième nuit
 
Et faites le guet à m'attendre
[pagina 9]
[p. 9]
 
Dans le verger, là-bas, dehors,
 
Sous un bel églantier en fleur,
 
Vous m'attendrez, je sortirai.
 
Et je veux être votre épouse
 
Qui vous suivra, à votre guise.
 
A moins que souffrant maladie
 
Ou quelqu'obstacle insurmontable,
 
Assurément je serai là;
 
Et je désire avec ardeur
 
Que vous n'y manquiez point, beau sire.’


illustratie

 
Ainsi se promirent tous deux.
 
Il prit congé, puis s'en alla
 
Où son cheval était lié.
 
En grand hâte monta dessus
 
Et se rendit, faisant bon train,
 
A travers champs, jusqu'à la ville.
 
Point n'oublia sa bien-aimée.
[pagina 10]
[p. 10]
 
S'en fut en ville, lendemain,
 
Acheta bleu et écarlate,
 
Dont commanda que l'on taillât
 
Manteau séant, chaperon grand
 
Et le surcot et puis Ia robe.
 
Le tout fourré mieux qu'il ne faut.
 
Nul ne vit plus belle fourrure
 
Porter, sous vêtements de femme.
 
Chacun les prisa qui les vit.
 
Couteau, ceinture et aumônière
 
Lui acheta et chers et bons;
 
Chaperons et bagues en or
 
Et parures de toutes sortes.
 
De tous les atours il s'enquit,
 
Qu'il faudrait à toute épousée.
 
Il prit avec lui cinq cents livres;
 
Puis, au soir dit, il s'en alla
 
Secrètement hors de la ville.
 
Emportant toutes ses richesses
 
Pesant bien lourd sur son cheval,
 
Se dirigea vers le couvent.
 
Dans le verger, qu'elle avait dit,
 
Sous le bel églantier en fleur,
 
Il s'assit par terre dans l'herbe
[pagina 11]
[p. 11]
 
Jusqu'au sortir de son aimée.


illustratie

 
Du chevalier se tait l'histoire,
 
Et dit de la très douce belle.
 
Avant minuit sonna matines.
 
Amour lui causait grand tourment.
 
Quand matines furent chantées
 
Tant par les vieilles que les jeunes
 
Qui dans le couvent se trouvaient,
 
Et qu'elles furent revenues
 
Dans le dortoir toutes ensemble,
 
Elle resta dans le choeur, seule,
 
Et récita ses oraisons
 
Comme souvent auparavant.
 
S'agenouilla devant l'autel
 
Et dit alors, tout éperdue:
 
‘Marie, ô mère, bien doux nom,
 
Maintenant plus ne peut mon corps
[pagina 12]
[p. 12]
 
Encore souffirir sous l'habit.
 
Vous voyez bien en tout instant
 
Le coeur humain et sa nature.
 
J'ai tant jeûné, j'ai tant prié
 
Et me suis donné discipline;
 
C'est en vain que j'endure tout.
 
Amour me foule sous sa botte:
 
Il faut que je serve le siècle.
 
Aussi vrai que Vous, mon doux Sire,
 
Fûtes pendu entre larrons
 
Et sur la croix écartelé;
 
Que Lazare ressuscitâtes,
 
Qui gisait mort en son tombeau,
 
Il faut que vous sachiez ma peine;
 
De mon méfait ayez merci:
 
Broncher me faut dans le péché.’
[pagina 13]
[p. 13]


illustratie

 
Alors elle quitta le choeur;
 
Alla devant l'image sainte;
 
A deux genoux dit sa prière
 
A notre Dame devant elle.
 
Hardiment lui cria: ‘Marie!
 
Nuit et jour à vous me suis plainte
 
De ma pitoyable misère.
 
Je n'y ai profit d'une paille.
 
J'en aurais tout le sens perdu,
 
Si cet habit je conservaisl’
 
Le voile alors elle enleva,
 
Le mit sur l'autel de la Vierge.
 
Et puis elle ôta ses souliers.
 
Or donc oyez que fera-t-ellel!
 
Pendit ses clefs de sacristine
 
Devant l'image de Marie.
 
Je vous le dis, en vérité,
 
Pourquoi les pendit-elle là:
 
A prime, si on les cherchait,
 
On pourrait bien les y trouver.
[pagina 14]
[p. 14]
 
Car il est juste qu'en tout temps,
 
Tel qui passe devant l'image,
 
Avant que plus loin ne s'en aille,
 
La regarde en disant ‘ave’
 
‘Ave Maria’: pensa-t-elle,
 
Lorsque les clefs suspendit là.


illustratie

 
Lors donc lui fallut s'encourir,
 
De son seul peliçon vétue,
 
Vers la porte, que savait bien
 
Et qu'elle ouvrit adroitement.
 
Et puis sortit en grand secret,
 
Silencieuse et sans un bruit.
 
Tremblante s'en fut au verger,
 
L'amant sentit qu'elle était là,
 
Et dit: ‘Chère, n'ayez de crainte:
 
C'est votre ami que voyez ci.’
 
Quand ils furent venus ensemble,
[pagina 15]
[p. 15]
 
Elle se prit à vergogner
 
De se trouver en peliçon,
 
La tête nue et les pieds nus.
 
Alors il dit: ‘Bel et gent corps,
 
Combien vous siérait-il donc mieux
 
Beaux vêtements et beaux atours!
 
Il ne faut donc pas m'en vouloir
 
Si je vous les donne à l'instant.’
 
Lors s'en furent sous l'églantier;
 
Et tout ce dont était besoin,
 
Il lui offrit tant qu'il fallait.
 
D'habits il lui donna deux paires.
 
Le bleu fut qu'elle revêtit,
 
Qui lui séait parfaitement.
 
Gentiment l'ami souriait;
 
Il dit: ‘Chère, ce bleu de ciel
 
Vous sied mieux que le gris jadis.’
 
Paire de bas elle enfila
 
Et des souliers de cordouan,
 
Qui lui allaient autrement bien
 
Que ceux qu'il lui fallait nouer.
 
Un chaperon de blanche soie
 
Il lui tendit à eet instant,
 
Qu'elle se mit dessus la tête.
[pagina 16]
[p. 16]
 
Lors la baisa le jouvenceau
 
Gracieusement sur la bouche.
 
Il lui sembla, comme elle était
 
Devant lui, que naissait le jour.
 
Vers son cheval il se hâta,
 
La prit en selle devant lui.
 
Ainsi s'en furent tous les deux
 
Si loin que, le jour allant poindre,
 
Ils ne voyaient nul poursuivant.
 
Le levant vint à clarifier.
 
Elle dit: ‘Dieu, confort du monde,
 
Protégez-nous dès maintenantl!
 
Je vois déjà poindre le jour!
 
Si n'étais sortie avec vous,
 
J'aurais déjà sonné pour prime,
 
Comme j'avais coutume alors
 
Dans mon cloître religieux.
 
J'ai peur que de fuir ne me deuille:
 
Le monde est de si peu de foi,
 
Vers lequel je me suis tournée.
 
Il ressemble au fourbe marchand
 
Qui vend anneaux de clinquant vil
 
Pour anneaux d'or et du plus pur.’
[pagina 17]
[p. 17]


illustratie

 
Hé! que dites-vous, chaste amie?
 
Si jamais je vous abandonne,
 
Dieu me fasse damnation!
 
Où que nous puissions nous trouver,
 
Nous séparer rien ne pourra,
 
Si ce n'est la cruelle mort.
 
Comment pouvez douter de moi?
 
Vous n'avez à me reprocher
 
Mauvaiseté ni félonie.
 
Depuis le jour que je vous aime,
 
Il n'est plus de place en mon coeur
 
Même pour une impératrice.
 
Même serais-je digne d'elle,
 
Pour elle ne vous quitterais-je;
 
Chère, soyez en bien certaine.
 
J'emporte avec nous bien pesées
 
Cinq cents livres de bon argent;
 
Belle vous en serez maîtresse.
 
Voyageant en terre étrangère,
 
Nous n'aurons à donner de gage
[pagina 18]
[p. 18]
 
Pour vivre pendant sept années!’
 
Ainsi vinrent, allant au pas,
 
Le matin près d'une forêt,
 
Où les oiselets faisaient fête.
 
Ils y menaient si grande noise
 
Qu'on les entendait de partout.
 
Chacun chantait selon son mode.
 
Il y avait fines fleurettes
 
Sur le pré vert épanouies,
 
Belles à voir, douces d'odeur.
 
L'air était pur et clair et beau.
 
Y avait beaucoup d'arbres droits
 
Et richement feuillus de feuilles.
 
Le jouveneeau regarda celle
 
A qui portait fidêle amour.
 
II dit: ‘Belle, s'il vous plaisait,
 
Descendrions tresser des fleurs.
 
Il fait bon se trouver ici.
 
Belle, jouons le jeu d'amour.’
 
- ‘Qu'est-ce à dire, manant félon,
 
En plein champ je me coucherais?
 
Comme femme qui fait argent
 
Communément avec sa chair!
 
Pour sûr, j'aurais bien peu de honte!.
[pagina 19]
[p. 19]
 
Vous n'auriez pas eu telle idée,
 
Si ne fussiez vilain de race!
 
Je puis me dire malheureuse.
 
Haï de Dieu qui le voulûtes!...
 
Laissez désormais ce langage.
 
Oyez les oiseaux dans le val:
 
Comme ils chantent et s'éjouissent;
 
L'attente vous pèsera moins.
 
Quand contre vous je serai nue
 
Sur une couche bien dressée,
 
Vous ferez tout votre plaisir
 
Et tant que le coeur vous dira...
 
Mais l'amertume est dans mon coeur
 
De vos propos de ce jour d'hui.’


illustratie

 
IL dit: ‘Chère, ne vous fâchez:
 
Ce fit Vénus me conseillant;
 
Dieu m'en donne tourment et honte
 
Si jamais plus je vous en parle.’
[pagina 20]
[p. 20]
 
Elle dit: ‘Lors, je vous pardonne.
 
De tous les hommes sous les cieux
 
Vous êtes mon refuge élu.
 
Quand vivrait le bel Absalon
 
Et que j'aurais la certitude
 
D'être avec lui pour mille années
 
Dans la richesse et le repos,
 
Cela ne me satisferait.
 
Cher, je vous ai ainsi choisi
 
Qu'on ne pourrait me dire chose
 
Qui me donnât l'oubli de vous.
 
En paradis même trônant,
 
Et vous ici bas sur la terre,
 
Je viendrais à vous, c'est certain!
 
Hé, que Dieu n'en prenne vengeance,
 
Si c'est là trop folle parole.
 
La moindre joie en paradis
 
N'a point sa pareille sur terre;
 
Là-bas, la moindre est si parfaite
 
Que l'âme ne peut y goûter
 
Que d'aimer Dieu sans nulle fin!
 
Tout ici bas n'est que misère
 
Et ne vaut pas même un cheveu
 
En regard d'un rien de là-bas.
[pagina 21]
[p. 21]
 
Sages, qui ont pour ce peiné!
 
Et ce pendant il faut que j'erre
 
Et me tourne à des péchés grands
 
Pour vous, sire, beau doux ami.’


illustratie

 
Ainsi avaient verbe et réponse.
 
Par monts et par vaux chevauchèrent.
 
Je ne puis bien vous détailler
 
Tout ce qu'entre eux deux il advinti
 
Ainsi allèrent devant eux,
 
Jusqu'arrivés dedans un bourg
 
Bien situé dans un vallon.
 
Cet endroit leur plut tellement
 
Qu'ils y vécurent sept années
 
Dans le luxe et dans la richesse.
 
Par les jouissances charnelles
 
Eurent ensemble deux enfants.-
 
Après ces dites sept années,
[pagina 22]
[p. 22]
 
Quand dépensé leur argent eurent,
 
Ils durent déposer en gage
 
Ce qu'emportèrent du pays.
 
Vêtements, parures, chevaux,
 
A moitié prix le tout vendirent.
 
Eurent bientôt tout épuisé.
 
Alors ne surent qu'entreprendre:
 
Ne savait point filer quenouille
 
Dont elle eût pu gagner argent.
 
Dans le pays le temps se fit
 
Cher pour viande, pour bière ou vin,
 
Pour tout ce que manger on peut.
 
Tristes et abattus en furent.
 
Auraient préféré en mourir
 
Plutôt que mendier leur pain.
 
La misère les divisa.
 
Bien à regret et à souffrance,
 
L'homme, premier, sa foi rompit;
 
La planta là dans son grand deuil
 
Et au pays s'en retourna.
 
Ne se revirent de leurs yeux. -
 
Auprès d'elle, là-bas restèrent
 
Ses deux très beaux enfantelets.
[pagina 23]
[p. 23]


illustratie

 
Elle dit: ‘Il m'est advenu
 
Ce que craignais pour tôt ou tard.
 
Je suis quittée en grande peine:
 
Celui-là. m'a abandonnée
 
En qui j'avais mis confiance.
 
S'il vous plaît, ma Dame Marie,
 
Priez pour moi et mes enfants,
 
Que nous ne mourrions pas de faim!
 
Que ferai-je, chiétive femme!...
 
Il me faut âme et corps ensemble
 
Maculer d'oeuvres pécheresses.
 
Secourez-moi, dame Marie!
 
Quand je saurais filer quenouille,
 
Je n'y trouverais à. gagner
 
En deux semaines un seul pain.
 
Par le besoin il faut que j'aille
 
Hors de la ville et en plein champ,
 
Et gagne argent avec mon corps
 
Pour acheter ma nourriture.
[pagina 24]
[p. 24]
 
Je ne puis, en nulle façon
 
Mes enfançons abandonner.’
 
Ainsi s'en fut en péché vivre,
 
En vérité nous l'a-t-on-dit.
 
Pendant sept ans elle s'en fut,
 
Femme commune par le monde,
 
Et subit mainte fois péché,
 
(Et c'était bien à contre coeur),
 
Qu'elle faisait avec son corps,
 
Dont avait piètre jouissance.
 
Elle y trouvait un maigre gain
 
Dont ses enfants entretenait.
 
A quoi bon raconter ici
 
Les péchés honteux et mortels
 
Où elle vécut quatorze ans!
 
Mais jamais elle ne laissa,
 
(Eût-elle deuil ou bien chagrin,)
 
De dire chaque jour, fidèle,
 
Les sept heures de Notre-Dame.
 
En sa louange et son honneur,
 
Priant qu'elle la délivrât
 
De ses oeuvres de pécheresse,
 
Dont elle avait pris lourde charge
 
Le long de ces quatorze années.
[pagina 25]
[p. 25]
 
C'est vérité que je vous conte.
 
Pendant sept ans fut avec l'homme
 
Qui lui fit deux enfantelets
 
Et la laissa dans la misère,
 
Dont elle souffrit grand détresse.
 
Avez ouï ces sept années;
 
Sachez comment continua.


illustratie

 
Or ces quatorze ans révolus,
 
Dieu lui mit soudain dans le coeur
 
Repentance tellement grande,
 
Qu'elle eût préféré que d'un glaive
 
Quelqu'un lui eût le chef tranché,
 
Plutôt que de pécher encore
 
De sa chair comme avait coutume.
 
Elle pleurait nuit comme jour,
 
Que jamais ses yeux ne séchaient.
 
Elle dit: ‘Vous, qui Dieu nourrîtes,
[pagina 26]
[p. 26]
 
Source passant toutes les femmes,
 
Dans le besoin ne me laissez!
 
Dame, je vous prends à témoin
 
Que me deuillent bien fort mes fautes
 
Et me causent dure douleur.
 
Il en est tant que je ne sais
 
Où ni avec qui les commis.
 
Hélas! qu'adviendra-t-il de moi!
 
Je dois songer au jugement,
 
(L'oeil de Dieu voit ce que l'on cèle)
 
Car tous péchés apparaîtront,
 
Et ceux du pauvre et ceux du riche;
 
Et tout méfait sera châtié,
 
Qu'on n'aura point dit à confesse
 
Ni expié par pénitence.
 
Je le sais bien sans aucun doute.
 
Aussi j'en suis en grande crainte.
 
Quand porterais toujours la haire,
 
De terre en terre ramperais
 
Sur pieds et mains, à quatre pattes,
 
En bure, nus pieds, sans souliers,
 
Encore faire ne pourrais-je
 
Que de péché je sois exempte,
 
Si ne me confortez, Madame.
[pagina 27]
[p. 27]
 
Source passant toute vertu,
 
Vous avez réjoui plus d'un
 
Comme Théophile jadis.
 
Il était le pire pécheur;
 
Il avait fait offerande au diable
 
De son âme et sa vie ensemble,
 
Et s'était fait son homme lige;
 
Pourtant vous l'avez sauvé, Dame.
 
Bien que femelle polluée
 
Et sans soulas, pauvre chétive,
 
Dans quelque état que je vécusse,
 
Madame, pensez que j'ai dit
 
En votre honneur une prière!
 
Montrez votre compassion!
 
Je suis une bien affligée
 
Qui a grand besoin de votre aide.
 
Ceci me force à m'enhardir:
 
Jamais ne fut sans récompense,
 
Qui vous salua, Vierge pure,
 
Chaque jour, d'un ave-Marie.
 
Qui volontiers dit vos prières,
 
Celui-là peut être certain
 
Que lui en adviendra profit:
 
Cela vous est tant agréable.
[pagina 28]
[p. 28]
 
Dame, épouse que choisit Dieu,
 
Votre fils vous manda salut
 
A Nazareth, où vous cherchait,
 
Qui vous porta ce beau message
 
Jamais ouï de messager.
 
Voilà pourquoi vous sont ces mots
 
Certainement tant agréables
 
Qu'êtes reconnaissante à qui
 
Aime vous invoquer par eux.
 
Même empêtré dedans ses fautes,
 
Merci vous lui feriez tenir
 
Et l'acquit devant votre fils.’
 
Ces prières comme ces plaintes
 
Fit chaque jour la pécheresse.
 
Prit un enfant à chaque main;
 
Et les mena par le pays,
 
En pauvreté, de ville en ville;
 
Et vécut de mendicité.
 
Si longtemps erra par la terre
 
Que son cloître elle retrouva,
 
Où elle avait été nonnain.
 
Y vint de soir, après soleil
 
Tard, à la maison d'une veuve,
 
Où demanda par charité
[pagina 29]
[p. 29]
 
Un gite pour passer la nuit.
 
‘Je ne puis bien vous éconduire,
 
Dit la veuve, avec vos enfants.
 
Ils me semblent bien fatigués.
 
Reposez-vous. Asseyez-vous.
 
Entre vous je ferai partage
 
De ce que le Seigneur m'octroie
 
En l'honneur de sa douce Mère.’
 
Demeura là, avec ses fils;
 
Aurait voulu être au courant
 
De ce qui se passait au cloître.
 
‘Dites-moi donc, ma bonne femme,
 
Est-ce un couvent de demoiselles?’
 
- ‘Oui, ainsi est-ce, par ma foi.
 
Il est fort beau et aussi riche.
 
On ne connait point son égal.
 
Des nonnes qui en ont l'habit,
 
Jamais je n'entendis conter
 
Mauvais propos d'aucune sorte
 
Dont pussent mériter un blâme.’
[pagina 30]
[p. 30]


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L'autre, assise auprès de ses fils,
 
Dit: ‘Pourquoi ditesvous cela?
 
J'ai entendu ces derniers temps
 
Beaucoup jaser d'une des nonnes.
 
Si j'ai compris sans me tromper,
 
C'était d'ici la sacristine.
 
Qui me le dit, n'était menteur.
 
Il y a de ça quatorze ans
 
Elle s'enfuit hors. de son cloître.
 
Jamais on ne sut où alla,
 
Ni en quel lieu elle finit.’
 
Alors se courrouça la veuve,
 
Et dit: ‘Vous croyez m'assoter!
 
Vous cesserez pareil langage
 
Au sujet de la sacristine,
 
Ou vous sortirez de céans!
 
De sacristine elle a l'office
 
Depuis quatorze ans, d'un seul bail,
 
Sans que jamais elle ait manqué
 
A nos yeux même un seul instant,
[pagina 31]
[p. 31]
 
A moins qu'elle ne fût malade.
 
Il serait pire qu'un roquet,
 
Qui chose autre en dirait que bien.
 
Elle porte âme la plus pure
 
Que porta jamais une nonne.
 
Qui visiterait tous les cloîtres
 
Sis entre l'Elbe et la Gironde,
 
Je crois qu'il n'en pourrait trouver
 
De vie aussi religieuse.’


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Lui avait bronché si longtemps,
 
S'émerveillait de ces paroles;
 
Elle dit: ‘Femme, dites-moi:
 
Comment ses père et mère ont nom?
 
Lors furent-ils nommés tous deux.
 
Lors sut bien qu'il s'agissait d'elle.
 
Hé Dieu! comme la nuit pleura
 
Secrètement devant son lit!
[pagina 32]
[p. 32]
 
Elle dit: ‘Je n'ai d'autre gage
 
Que le repentir dans mon coeur,
 
Venez à mon aide, ma Dame!
 
Mes péchés me sont douleur telle:
 
Si je voyais un four ardent,
 
Incandescent d'un feu très vif,
 
Flammes lui sortant de la bouche,
 
J'y ramperais avec délices
 
Pour de mes fautes être quitte.
 
Vous maudîtes le désespoir,
 
Sire, à ce veux-je me fier!
 
Toujours j'espère votre grâce,
 
Même si l'angoisse me point
 
Et me conduit à la terreur.
 
Jamais n'y eut pécheur si grand,
 
Depuis qu'êtes venu sur terre
 
Et avez pris la forme humaine
 
Et voulûtes mourir en croix,
 
Que vous ayez laissé périr.
 
Qui repentant cherche sa grâce,
 
La trouve, même s'il vient tard.
 
Vous l'avez bien manifesté
 
Pour celui-là des deux larrons
 
Que l'on pendit à. votre droite.
[pagina 33]
[p. 33]
 
Ce nous est chose consolante
 
Qu'il fut reçu sans châtiment
 
Bon repentir surmonte tout;
 
Ce larron-là m'en est témoin.
 
Vous dîtes: ‘Ami, tu seras
 
Aujourd'hui même en mon royaume
 
Auprès de moi, en vérité.’
 
Encore, Sire, est-il connu
 
Que le meurtrier Gisemast
 
Demanda merci en mourant
 
Sans vous donner or ni trésor,
 
Mais repentir de ses péchés.
 
Votre clémence est insondable:
 
De même que l'on ne pourrait
 
Vider la mer en un seul jour
 
Et l'assêcher jusques au fond,
 
Ainsi point n'est faute si grande
 
Que votre bonté ne dépasse.
 
Dame, comment serais-je exclue
 
De votre grand'miséricorde,
 
Si mes fautes me font tel deuil!’
[pagina 34]
[p. 34]


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Comme elle était en ces prières,
 
La fatigue entra dans ses membres:
 
Elle s'endormit doucement.
 
En vision, il lui sembla
 
Voix qui l'interpellait, ouïr,
 
Là. où dormant elle gisait:
 
‘Femme, tu as assez gémi;
 
Marie a pris pitié de toi
 
Et a ton pardon obtenu.
 
Va-t-en au cloître en grande hâte;
 
Tu trouveras portes ouvertes,
 
Par où tu fuis en même temps
 
Que ton amant, le jouvenceau
 
Qui te quitta dans la misère.
 
Tout ton habit tu trouveras
 
Gisant étendu sur l'autel:
 
Voile, mante, souliers aussi,
 
Tu peux les mettre hardiment;
 
Dis en merci à Notre-Dame.
 
Toutes tes clefs de sacristine
[pagina 35]
[p. 35]
 
Que tu pendis devant l'image
 
La nuit lorsque tu t'en allas,
 
Elle les fit ainsi garder
 
Que, pendant tous ces quatorze ans,
 
Nul n'a remarqué ton absence
 
Et que personne n'en sait rien.
 
Marie est si bien ton amie
 
Qu'elle a toujours servi pour toi,
 
Ni plus ni moins, à ta semblance.
 
Ainsi fit la Dame du ciel
 
A ton profit, ô pécheresse!
 
Elle te dit d'aller au cloître;
 
Nul ne trouveras sur ton lit.
 
C'est de par Dieu que je te parle.’


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Alors point ne lui fut longtemps
 
Que ne s'éveillât de son somme.
 
Elle dit: ‘Dieu, ô puissant Sire,
 
Que l'ennemi ne puisse plus
[pagina 36]
[p. 36]
 
Me mener en nouveau chagrin
 
Après tous ceux que j'ai subis!
 
Si maintenant j'allais au cloître,
 
Et qu'on m'y prenne pour voleuse,
 
Je serais plus salie encore
 
Que lorsque je fuis le couvent.
 
Je vous en supplie, ô Dieu bon,
 
Par votre sang très précieux
 
Qui de votre flanc s'écoula:
 
Si cette voix qui me parlait,
 
M'a pour mon salut visitée,
 
Que point elle ne se rebutte,
 
Mais vienne une autre fois encore,
 
Et s'entende une tierce fois,
 
Pour que je puisse sans doutance
 
A mon moutier m'en retourner.
 
Pour cela, je saurai bénir
 
Et louer a jamais Marie.’
[pagina 37]
[p. 37]


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La nuit suivante, écoutez bien,
 
Une voix fut qui vint à. elle
 
Et l'appela, et qui lui dit:
 
‘Femme, tu tardes trop longtemps!
 
Retourne-t-en dans ton moutier;
 
Dieu t'y sera un doux soulas.
 
Fais ce que Notre-Dame ordonne.
 
D'elle venons, n'en doute point.’
 
Ainsi entendit-elle encore
 
Cette voix qui lui parvenait
 
Lui enjoignant d'aller au cloître.
 
Et pourtant elle n'osait pas.
 
La tierce nuit attendit-elle,
 
Et dit: ‘Si c'est là menterie
 
De l'ennemi qui se présente,
 
Il faut qu'au plus tôt je déjoue
 
Force et violence du Mauvais.
 
S'il revenait ici ce soir,
 
Sire, faites-le si confus
 
Qu'il s'en aille hors la maison.
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[p. 38]
 
Qu'il ne puisse aucun mal me faire.
 
Venez à mon secours, ma Dame,
 
Qui m'avez mandé cette voix
 
Et ordonné d'aller au cloître.
 
Par votre fils, je vous supplie
 
Que tierce fois me soit mandée.’


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La tierce nuit, elle veilla.
 
Une voix lui vint de par Dieu,
 
Dans une lueur souveraine,
 
Et lui parla: ‘C'est par grand mal
 
Que point ne fais ce que je mande,
 
Dont Notre-Dame a donné l'ordre.
 
Si tu allais par trop tarder!...
 
Va-t-en au cloître, point n'hésite.
 
Tu trouveras portes ouvertes:
 
Où tu voudras, tu passeras.
 
Retrouveras ton vêtement
 
Gisant étendu sur l'autel.’
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[p. 39]
 
Lors que la voix eut ainsi dit,
 
La pécheresse gisant là
 
Put de ses yeux la clarté voir.
 
Elle dit: ‘Ne puis différer:
 
Cette voix de Dieu m'est venue,
 
Messagère de Notre-Dame;
 
Je le sais bien et sans erreur.
 
Elle vient en belle lumière.
 
Je ne puis plus m'en abstenir:
 
Je rentrerai dans le moutier;
 
Le ferai en grand' confiance
 
Dans le soutien de Notre-Dame;
 
Je confierai mes deux enfants
 
A la garde de Notre Père;
 
C'est lui qui les protégera.’
 
Lors enleva sans barguigner
 
Ses vêtements, dont les couvrit
 
Sans bruit, de peur qu'ils ne s'éveillent.
 
Les baisa tous deux sur la bouche,
 
Et dit: ‘Enfants, portez vous bien.
 
Dans la garde de Notre Dame,
 
Vous laisse en bonne confiance.
 
Si point ne l'ordonnait Marie,
 
Je ne vous abandonnerais
[pagina 40]
[p. 40]
 
Pour tous les biens qui sont dans Rome.’
 
Oyez comment elle fera.


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Elle s'en va par grand' douleur
 
Vers son couvent, et solitaire.
 
Dès qu'elle vint dans le verger,
 
Elle trouva la porte ouverte.
 
Sans hésiter, elle y entra.
 
‘Marie, à vous en soit merci:
 
Entre ces murs j'ai pu entrer.
 
Me donne Dieu bonne aventure!’
 
Où qu'elle allât, trouva les portes
 
Ouvertes grand par devant elle.
 
Lors à l'église se rendit,
 
Et murmura secrètement:
 
‘Sire Dieu, je vous en conjure:
 
M'aidez à mon habit reprendre,
 
Que laissai, quatorze ans y a,
[pagina 41]
[p. 41]
 
Dessus l'autel de Notre-Dame,
 
La nuit que je m'en suis allée.’
 
Ce n'est mensonge aucunement:
 
Je vous le dis sans tromperie:
 
Souliers et mante, ainsi que voile
 
Elle a trouvés en même place
 
Où elle les a déposés.
 
Elle s'en vêt en grande hâte,
 
Et dit: ‘O Dieu du Ciel et Vous,
 
Madame, pucelle sans tache,
 
Bénis soyez-vous à jamais.
 
Vous, fleur de toutes les vertus!
 
Votre nette virginité
 
Un enfant porta sans douleur,
 
Qui sera Sire pour toujours.
 
Vous êtes un gage de choix.
 
Votre enfant fit le ciel, la terre;
 
La puissance, de Dieu venue,
 
Demeure toujours à vos ordres.
 
A notre Seigneur, notre frère,
 
Comme mère vous commandez;
 
Et lui ‘chère fille’ vous nomme.
 
Pour ce, puis-je vivre tranquille.
 
Qui prés de vous cherche sa grâce,
[pagina 42]
[p. 42]
 
La trouvera, s'il vient tard même:
 
Souverain est votre secours.
 
Bien qu'ayant douleur et misère,
 
Auprès de vous tout change tant
 
Que je puis bien être joyeuse.
 
A raison je peux vous bénir!’
 
Or les clefs de la sacristie
 
Vit-elle en vérité devant
 
L'image où les avait pendues.
 
Elle reprit ces clefs sur elle,
 
S'en fut au choeur où vit brillantes
 
Lampes brûler dans chaque coin.
 
Puis s'en alla près des bréviaires,
 
Et les mit chacun à sa place,
 
Comme souvent elle avait fait.
 
Et pria la vierge Marie
 
De la délivrer de tout mal
 
Et ses enfants qu'elle a laissés
 
Avec chagrin chez cette veuve. -
 
Ce pendant, la nuit avançait;
 
L'horloge se mit à sonner,
 
Indiquant qu'il était minuit.
 
Elle prit le bout de la corde,
 
Et sonna matines si bien
[pagina 43]
[p. 43]
 
Qu'on l'entendit de tout côté.
 
Celles qui étaient au dortoir,
 
Sans nul retard s'en vinrent toutes
 
De cet endroit toutes ensemble.
 
Ne surent rien de tout cela. -
 
Dans ce couvent vécut son âge,
 
Sans reproche ni moquerie:
 
Marie avait servi pour elle
 
Comme si elle y eût été.
 
Ainsi, pécheresse revint.
 
Gloire à celle que l'on révère,
 
La sainte Pucelle du Ciel,
 
Qui toujours et fidèlement
 
Son ami secourt à propos,
 
Lorsque l'écrase le besoin.


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La damoiselle dont je dis,
 
Est nonne comme fut devant.
 
Mais je ne veux point oublier
 
Ses deux enfants qu'abandonna
[pagina 44]
[p. 44]
 
En grand besoin chez cette veuve.
 
Ils n'avaient pain, ni sou, ni maille.
 
Je ne puis dire en vérité
 
Quel trop grand deuil menèrent lors,
 
Quand leur mère ne virent pas.
 
La veuve alla s'asseoir près d'eux;
 
Elle était prise de pitié;
 
Elle dit: ‘Je veux à l'abbesse
 
Aller avec ces deux enfants.
 
Dieu lui mettra dedans le coeur
 
La volonté de leur bien faire.’
 
Ils vêtirent habits, chaussures;
 
Elle les mena au couvent;
 
Elle dit: ‘Dame, reconnaissez
 
Le besoin de ces orphelins
 
Que la mère a laissés chez moi,
 
Cette nuit, sans nulle ressource;
 
Et son chemin s'en est allée,
 
Est-ce vers l'est ou vers l'ouest?
 
Dont sont les enfants sans appui.
 
Les aiderais bien, mais comment?’
 
Dame abbesse lui répliqua:
 
‘Garde-les, je te le vaudrai,
 
Si bien que regret n'auras point
[pagina 45]
[p. 45]
 
Qu'on les ait laissés la chez tol.
 
Que charité on leur prodigue,
 
Chaque jour, pour l'amour de Dieu.
 
Que quelqu'un vienne, chaque jour,
 
Quérir pour eux viande et boisson.
 
Si chose manque, qu'on la dise.’
 
La veuve était toute joyeuse
 
Qu'il lui soit ainsi advenu.
 
Elle prit les enfants chez elle
 
Et leur donna ses meilleurs soins.
 
La mère, qui, pour les nourrir,
 
Avait souffert nombreuses peines,
 
En conçut un bien grand courage,
 
Lorsqu'elle sut en bonne garde
 
Ses enfants qu'elle avait laissés
 
En grand besoin lorsque s'en fut.
 
Elle n'eut crainte ni souci
 
Désormais plus pour les enfants.
 
Vécut très saintement dès lors.
 
Dans les soupirs et dans les transes,
 
Elle passa nuits et journées,
 
Car bien grand deuil avait au coeur
 
Pour son passé de lourdes fautes
 
Qu'elle n'osait dire à nul homme,
[pagina 46]
[p. 46]
 
Et qu'elle n'osait dévoiler
 
Ni relater même en écrit.


illustratie

 
Mais plus tard vint, à certain jour,
 
L'abbé, qui visitait le cloître
 
Une fois par an, d'habitude,
 
Pour apprendre s'il y avait
 
Quelque rumeur déshonorante
 
Qui lui méritât quelque blâme.
 
Le jour même de sa venue,
 
La pécheresse récitait,
 
Dedans le choeur, ses oraisons
 
En grand abattement de coeur.
 
Le diable la tenta de honte,
 
Afin qu'elle ne portât point
 
Tous ses péchés devant l'abbé.
 
Tandis qu'elle réfléchissait,
 
Elle vit qu'était auprès d'elle
[pagina 47]
[p. 47]
 
Un jeune homme vêtu de blanc.
 
Dans ses bras il portait, tout nu,
 
Un enfant qu'elle jugea mort.
 
Ce jeune homme lançait en l'air,
 
Et puis rattrapait une pomme,
 
Pour cet enfant jouant ce jeu.
 
La nonne voyait tout cela
 
Comme elle était en ses prières.
 
Elle dit: ‘S'il se peut, ami,
 
Et si de Dieu êtes venu,
 
Je vous conjure par sa loi
 
Que me disiez sans rien celer
 
Pourquoi vous jouez pour l'enfant,
 
Avec la belle pomme rouge,
 
Tandis qu'il gît mort dans vos bras?
 
Ce jeu ne lui chaut un cheveu.’
 
- ‘Pour sûr, nonne, tu parles vrai:
 
De mon jeu, point il ne se doute
 
En rien vraiment ni peu ni prou.
 
II est mort, n'entend ni ne voit.
 
De même que lui, Dieu n'a cure
 
De tes prières et tes jeûnes.
 
Ça ne t'aide plus qu'une cosse.
 
C'est peine dépensée en vain
[pagina 48]
[p. 48]
 
Que te donner la discipline.
 
Tu es noyée en tes péchés
 
Si fort que Dieu n'entend ta voix
 
Au ciel là-haut dans son royaume.
 
Je te donne avis: va bientôt
 
Près de l'abbé, près de ton père,
 
Et raconte lui, tous ensemble,
 
Tous tes péchés, et sans mentir.
 
Que le Mauvais point ne t'abuse.
 
Cet abbé même va t'absoudre
 
De tant de fautes qui t'encombrent.
 
Mais si tu ne les lui veux dire,
 
Dieu se vengera gravement!’
 
Le jeune homme alors disparut,
 
N'ayant plus rien à révéler.
 
Ce qu'il a dit, elle a compris.
 
Et dès l'aube elle s'approcha
 
De l'abbé, le pria d'ouïr
 
Sa confession mot à. mot.
 
L'abbé était sage et prudent;
 
Il dit: ‘Fille, ma chère amie,
 
Ceci, je n'y veux point manquer.
 
Examine bien, considère
 
Parfaitement toutes tes fautes.’
[pagina 49]
[p. 49]
 
A cet instant même, elle alla
 
Se mettre à côté de l'abbé;
 
Lui dévoila sa vie entière,
 
Et depuis le commencement:
 
Comment subit, par fol amour,
 
Telle tentation extrème
 
Qu'il lui fallut abandonner,
 
En grande crainte, son habit,
 
La nuit, sur l'autel de la Vierge,
 
Et fuir le cloître avec un homme
 
Qui lui fit deux beaux enfançons.
 
De tout ce qui lui arriva,
 
Elle n'omit aucune chose;
 
Tout ce qu'avait au fond du coeur,
 
Au saint abbé le fit connaître.
 
Quand elle eut bien tout confessé,
 
L'abbé, le bon père, lui dit:
 
‘Ma fille, je m'en vais t'absoudre
 
De tes péchés qui tant te pèsent
 
Et dont tu viens de t'accuser.
 
Louange et bénédiction
 
A la sainte Mère de Dieu!’
 
Lors lui imposa sur le chef
 
La main, et merci octroya.
[pagina 50]
[p. 50]
 
Il dit: ‘Je vais, en un sermon,
 
Publier toute ton histoire;
 
Et le ferai de telle sorte
 
Que toi pas plus que tes enfants,
 
Jamais ni en aucun endroit,
 
N'en recevrez nulle risée.
 
Ce serait mal si l'on taisait
 
Ce miracle que notre Sire
 
Fit à la gloire de sa Mère.
 
Je veux le répandre partout.
 
J'espère qu'il convertira
 
Nombreux pécheurs à repentance,
 
Tout à l'honneur de Notre-Dame.’


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Il fit entendre à ce couvent,
 
Avant de s'en aller chez lui,
 
Ce qu'il advint à cette nonne.
 
Mais point ne surent qui c'était;
[pagina 51]
[p. 51]
 
Cela demeura bien caché.
 
L'abbé s'en fut, béni de tous;
 
Prit les deux enfants de la nonne;
 
Les mena en sa compagnie;
 
Les vêtit de la robe grise;
 
Et ils devinrent deux bons moines. -
 
Leur mère avait nom Beatrix. -
 
Gloire à Dieu, et gloire à Marie
 
Qui nourrit Dieu, Notre Seigneur,
 
Et accomplit ce beau miracle,
 
Sauvant la nonne de détresse. -
 
Or prions tous, petits et grands,
 
Qui entendîmes réciter
 
Ce miracle, que soit Marie
 
Notre avocate en ce doux val
 
Où Dieu viendra juger le monde.

AMEN


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