Skiplinks

  • Tekst
  • Verantwoording en downloads
  • Doorverwijzing en noten
Logo DBNL Ga naar de homepage
Logo DBNL

Hoofdmenu

  • Literatuur & taal
    • Auteurs
    • Beschikbare titels
    • Literatuur
    • Taalkunde
    • Collectie Limburg
    • Collectie Friesland
    • Collectie Suriname
    • Collectie Zuid-Afrika
  • Selecties
    • Collectie jeugdliteratuur
    • Basisbibliotheek
    • Tijdschriften/jaarboeken
    • Naslagwerken
    • Collectie e-books
    • Collectie publiek domein
    • Calendarium
    • Atlas
  • Periode
    • Middeleeuwen
    • Periode 1550-1700
    • Achttiende eeuw
    • Negentiende eeuw
    • Twintigste eeuw
    • Eenentwintigste eeuw
Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975 (1975)

Informatie terzijde

Titelpagina van Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975
Afbeelding van Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975Toon afbeelding van titelpagina van Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975

  • Verantwoording
  • Inhoudsopgave



Genre

non-fictie
sec - letterkunde

Subgenre

tijdschrift / jaarboek


In samenwerking met:

(opent in nieuw venster)

© zie Auteursrecht en gebruiksvoorwaarden.

Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975

(1975)– [tijdschrift] Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw–rechtenstatus Auteursrechtelijk beschermd

Vorige Volgende
[pagina 193]
[p. 193]

Madame de Charrière devant la critique de son temps

‘Caliste’ eut du succès à Paris, écrivait Sainte-Beuve dans la Revue des deux mondes du 15 mars 1839. En cherchant bien, on trouverait des articles dans les journaux du temps’. Cette recherche fut entreprise à la fin du siècle par Philippe Godet, qui réussit à déterrer une dizaine de recensions françaises dont il cita des extraits, parfois assez étendus, dans son grand ouvrage sur Mme de CharrièreGa naar eindnoot1.. Au même moment, la monumentale bibliographie de Karl GoedeckeGa naar eindnoot2. signalait une quinzaine d'autres comptes rendus, parus dans les gazettes allemandes de l'époque. Ces références parvinrent trop tard à la connaissance de Godet pour être utilisées par luiGa naar eindnoot3., mais elles le furent trente ans plus tard par Charlotte Kimstedt qui consacra un chapitre de sa thèse à la critique allemande.Ga naar eindnoot4.

 

Il nous a semblé que le moment était venu de compléter l'enquête et de réunir en un seul corpus les divers comptes rendus repérés. Nous nous sommes limité naturellement aux recensions parues du vivant de Mme de Charrière dans les périodiques contemporains, en excluant les jugements que pouvaient renfermer les correspondances du temps. Une telle exclusion se justifie pleinement dans l'optique d'une histoire des idées. En effet, contrairement aux correspondances, même ‘liitéraires’, dont la diffusion est demeurée très restreinte, voire confidentielle, les gazettes ont communiqué leurs informations à des centaines de lecteurs - préfiguration des mass media d'aujourd'hui. Les recensions répandues par ce véhicle privilégiéGa naar eindnoot5. ont contribué ainsi à former l'opinion et revétent de ce fait une importance sociale qui surpasse en général leur valeur proprement littéraire.

 

Comment donc les gazettes du temps ont-elles présenté les oeuvres de Mme de Charrière? Quelle image en ont-elles donnée? Telles sont les questions auxquelles cette modeste étude se propose de répondre.

 

Faisons d'abord une petite statistique des textes disponibles. Nous en avons trente, compte tenu des deux recensions (XXIX et XXX) faites par Pauline de Meulan sur des éditions parues peu après la mort de Mme de Charrière. Sous le rapport des langues, le français et l'allemand se partagent le panier par moitié, mais les quinze recensions allemandes sont, dans l'ensemble, plus courtes que les recensions parues en français.

 

Et les autres langues? Si l'on en croit le vaste dépouillement de Maria Rosa ZambonGa naar eindnoot6., les gazettes italiennes n'ont publié aucun compte

[pagina 194]
[p. 194]


illustratie
17. Dessin du Pasteur Chaillet jouant aux cartes avec Monsieur de Charrière, à l'arrière-plan peut-être Isabella (dessinateur inconnu), paru dans La Vie intellectuelle et religieuse en Suisse française à la fin du XVIIIè siècle, Charly Guyot (Secrétariat de l'Université de Neuchâtel)


[pagina 195]
[p. 195]

rendu des oeuvres de Mme de Charrière: encore faut-il préciser qu'aucune oeuvre de Belle n'a paru, du vivant de l'auteur, en traduction italienne. Comme on ne connaît pas non plus de traduction anglaise, hollandaise ni scandinave contemporaine, nous n'avons pas jugé utile d'entreprendre des recherches de ces côtés-là - mais peut-être avons-nous eu tort.

 

Du point de vue chronologique, on constatera que les recensions retrouvées se répartissent en deux époques nettement distinctes. Les onze premières ont paru en l'espace de quatre ans, de juin 1784 à avril 1788. Ellas sont toutes rédigées en français et plusieurs d'entre elles sont très étendues. Après une pause de six ans et demi, on entre dans la seconde époque, qui va de novembre 1794 à juin 1802 et totalise dix-sept recensions, soit quinze en allemand et deux en français, toutes assez courtes. Les deux articles ultérieurs de Pauline de Meulan forment la transition entre la critique contemporaine et les jugements rétrospectifs de l'histoire littéraire proprement dite.

 

Le feu de la critique s'ouvre sur Mme de Charrière par une salve unique à tous égards. Le compte rendu que le Neuchâtelois Henri-David de Chaillet donna à NeuchâtelGa naar eindnoot7. des Lettres Neuchâteloises (I) est en somme une affaire de famille. De tous les critiques qui s'occupèrent des oeuvres de Mme de Charrière, Chaillet, sauf erreur, était et resta le seul qui connút personnellement et intimément l'auteur - ce qui confère à son article une saveur inimitable que GodetGa naar eindnoot8. a trop finement analysée pour que nous songions à y revenir après lui. Il faut relever cependant que la recension de Chaillet fut non seulement la seule à parler des Lettres Neuchâteloises, mais surtout la seule, ou quasiment, à paraître en Suisse. Il est vrai que le Journal de Lausanne présenta Caliste à ses lecteurs (X), mais le professeur Jean Lanteires, qui rédigeait cette feuille, prit ses distances en révélant dans une note aigre-douce que le texte lui avait été ‘communiqué’. On ne trouve à part cela, dans les gazettes helvétiques du temps, que les sept lignes un peu dédaigneuses du Journal littéraire de Lausanne sur les Trois Femmes (XXII).

Mme de Charrière, c'ést un fait, ne rencontra guère de succès dans le pays qui était devenu le sienGa naar eindnoot9.: les pages que lui consacra Chaillet en sont d'autant plus remarquables.

 

Les Lettres de Mistriss Henley et les deux parties des Lettres écrites de Lausanne ont valu à Mme de Charrière une dizaine de comptes rendus en français. La plupart d'entre eux sont assez étendus, certains comptent jusqu'à 15 pages. On les trouve dans les gazettes les plus répandues de l'époque: le Mercure de France, l'Année littéraire,

[pagina 196]
[p. 196]

le Journal de Paris, le Journal encyclopédique (car ce dernier périodique, même s'il paraît à Bouillon, appartient sans conteste à la sphère française). Par deux fois (VI et XI), l'une de ces recensions fut reprise dans cette revue des revues qu'était alors l'Esprit des journaux françois et étrangers. On peut donc bien parler de succès.

 

Ces comptes rendus, à vrai dire, ne sont point exempts de réserves. Aux Lettres de Mistriss Henley, L'Année littéraire (II) reproche certaines exagérations: ‘On pourra trouver que pour une personne qui se meurt, Mistriss Henley parle bien long-temps. Les héros de roman ne meurent apparemment pas comme les autres hommes’. Et plus bas, à propos des causes du décès: ‘Il n'y a pas dans tout ce que rapporte l'auteur de quoi se laisser mourir de chargrin’. Le Mercure de France, lui aussi, estime que l'épisode manque de vraisemblance: ‘Mrs. Henley éprouve une contrariété (...) et elle meurt en couches. C'est sans doute prendre la chose bien au tragique; et c'est, à ce que nous croyons, un reproche à faire à l'Auteur, qui n'a pas assez motivé cette mort, et qui paroît n'avoir tué son Héroine que parce qu'il étoit pressé d'en finir’ (III).

Aux Lettres écrites de Lausanne et plus précisément à Caliste, un autre reproche est fait: ‘Que dirons-nous de cet ouvrage singulier? se demande le Journal de Paris (VIII). L'appellerons-nous moral ou immoral? En pouvons-nous recommander la lecture? (...) Cette Caliste, cette fille entretenue, est peut-être trop aimable et trop séduisante; et comme elle doit une partie de son mérite à l'état qui flétrit sa vie (...) peut-être a-t-on donné à cet état même un relief qu'il ne doit point avoir’.

 

Ces critiques, cependant, sont largement compensées par les éloges et les compliments. Le rédacteur du Mercure de France (III), qui a lu les Lettres de Mistriss Henley avec un ‘extrême plaisir’, déclare que l'ouvrage ‘mérite en général beaucoup d'estime pour le fond et pour les détails’. Celui du Journal de Paris (VII) trouve à l'auteur des Lettres écrites de Lausanne ‘des idées solides et des sentiments tendres’. ‘Il y a des Romans qui semblent presque éternels, ajoute-t-il: celui-ci est trop court; c'est un défaut plus rare’. Le Journal encyclopédique (V) s'émerveille du naturel des Lettres de Lausanne au point même de s'y tromper: ‘Elles nous paroissent avoir ce ton de vérité et de naturel qui éloigne l'idée qu'elles soient factices ou supposées; et dans le cas où, contre notre opinion, elles le seroient, l'auteur n'en mériteroit que plus d'éloges pour avoir conservé à son recueil l'air de vraisemblance qu'il est si difficile de soutenir dans ces espèces de mensonges littéraires’. Plus loin, le même journaliste loue encore les descriptions de sites et de paysages suisses, ‘tableaux neufs qui

[pagina 197]
[p. 197]

semblent dessinés d'après nature, non par la main d'un voyageur qui voit aussi rapidement qu'il passe, mais par une personne d'esprit qui habite le pays dont elle parle’. Des éloges analogues sont adressés à Caliste: ‘Nous croyons, dit le Mercure de France (IX), que le lecteur y remarquera, avec beaucoup d'esprit et de sensibilité, le talent de bien dessiner les caractères et de les placer dans des situations où ils se développent d'eux-mêmes, et bien plus heureusement que par des paroles’. ‘Il n'y a point ici (...) d'intrigue compliquée, d'événemens frappans, écrit de son côté le Journal de Paris (VIII); mais l'amour, ses peines, ses innocentes joies et son dévouement y sont peints avec une vérité peu commune et avec un charme trop grand peut-être’.

 

Hollandaise habitant la Suisse, Mme de Charrière écrit en français. Quels jugements les gazetiers de Paris ont-ils donc porté sur sa langue et son style? L'Année littéraire (II) trouve les Lettres de Mistriss Henley ‘écrites assez purement’. Les Lettres de Lausanne en revanche appellent des remarques plus critiques. A propos de l'expression ‘aimables roués françois’ qu'on y rencontre: ‘Se peut-il que ce mot terrible qu'a créé en France la dépravation des moeurs, soit passé et adopté en Suisse? demande le Journal encyclopédique (V), ou faut-il croire que ces Lettres ont été écrites à Paris? Elles nous paroissoient quelquefois avoir un goût de terroir qui nous les faisoit juger helvétiques. Le bon esprit dont elles sont remplies nous confirmoit dans cette opinion’. Ce goût du terroir, le rédacteur du Journal de Paris (VII) l'a également senti: Les Lettres deGa naar voetnoot+ Les vues politiques répandues dans les deux ou trois premières Lettres; quelques termes inusités, moins agréables qu'énergiques, comme se dégonfler sur ce chapitre, pour dire: exposer des idées dont on est plein; les manières, les moeurs, tout y décèle un certain goût de terroir qu'on n'imite pas facilement, qu'on ne cherche pas même à imiter’. Quant au style de Caliste, il vaudra à Mme de Charrière les censures du Mercure de France (IX): ‘L'Auteur est doué de la plus extrême facilité, et il est quelquefois entraîné par elle, déclare le journaliste. Lorsque la pensée ou la situation le soutiennent, son style ne reste jamais au-dessous; mais il y a des détails qu'il a oubliés d'ennoblir, et où il tombe dans des négligences qu'on ne saurait excuser (...) On a besoin de travail et d'art pour faire passes les idées communes, et ce sont celles-là qu'il faut embellir par l'expression. On peut aussi reprocher à l'Auteur de Caliste un usage trop fréquent des répetitions: Jusqu'au moment où il sera question du mariage ... Mais lorsqu'il est question de l'épouser ... En vérité, Madame, cela seroit insupportable: car à présent que cela n'a rien de réel, l'idée m'en est insupportable etc. etc.

[pagina 198]
[p. 198]

Il nous semble qu'on ne passe guère ces formes de style qu'aux Penseurs par excellence, à ceux qui, exerçant sans cesse la raison, la fatigueroient promptement, s'ils n'appeloient à leur aide la plus extrême clarté’.

 

Conformément à l'usage, aucune de ces recensions françaises n'est signée. A une exception près, cependant: l'article du Mercure de France que nous venons de citer (IX) est de ‘M. Comey ...’. S'il faut compléter en ‘Comeyras’ et si ce nom désigne Victor Delpuech de Comeiras (1733-1805), Caliste était tombée, de l'avis même des contemporainsGa naar eindnoot10., entre les mains d' ‘un des plus mauvais et des plus inhabiles compilateurs’ du temps.

 

* * * * * * *

 

Après Caliste, plus de six ans s'écoulent sans que la critique reparle des oeuvres de Mme de Charrière. Pendant cet intervalle, Belle écrit et publie pourtant une dizaine d'ouvrages nouveaux. Mais ce sont des pamphlets politiques, des contes ou d'autres opuscules dont la diffusion paraît avoit été aussi faible que le tirage.

 

Le 25 novembre 1794, la Gazette littéraire d'Iéna (XII) signale brièvement trois écrits de Mme de Charrière parus en traduction allemande dans un recueil édité par Ludwig Ferdinand Huber. Une seconde époque s'ouvre ainsi pour la critique charriériste, en net contraste avec la première: des recensions nombreuses, mais brèves, parfois laconiques, souvent acides, et qu'il faut chercher dans les périodiques allemands. La critique française, désormais, ne semble plus guère s'intéresser à Mme de CharrièreGa naar eindnoot11..

 

Si les oeuvres de Belle trouvent encore un écho dans le public, c'est donc essentiellement grâce aux traductions que L.F. Huber a faites et publiées de certaines d'entre elles. Une quinzaine de recensions leur ont été consacrées en l'espace de huit ans, de 1794 à 1802. Mais le ton, on va le voir, n'en est pas toujours élogieux.

 

Il faut dire que, dans son zèle à faire connaître les écrits de Mme de Charrière, l'excellent Huber a pris parfois de singulières initiatives. Ainsi, quelle curieuse idée il eut, en 1794, d'insérer la traduction de deux comédies inédites de Belle au milieu d'un recueil entièrement composé de textes politiques: non sans raison, la Gazette d'Iéna, (XII), jugea que ces deux pièces n'avaient rien à faire dans les Friedens-Präliminarien. La traduction des Lettres trouvées dans des porte-feuilles d'émigrés, publiée dans ce même recueil, valut en revanche quelques complimentsGa naar eindnoot12. à l'auteur sur la naïve simplicité et la force de caractère de ses héros.

[pagina 199]
[p. 199]

Deux autres comédies inédites de Mme de Charrière furent traduites et publiées par le même Huber, en 1795 et 1796, dans son Neueres französisches Theater. Elles étaient à leur place cette fois, mais n'en furent pas mieux accueillies. La Gazette littéraire de Salzbourg (XIII) estima qu'Eitelkeit und Liebe (traduction d'Elise et l'Université) n'apportait rien à la scène allemande et ne méritait pas l'impression. Moins sévère, la Gazette d'Iéna(XIV) voulut bien reconnaître quelques beautés à la pièce, mais releva que la plupart des personnages raisonnaient au lieu d'agir et que le caractère du héros principal se modifiait, vers la fin, d'une manière invraisemblable. Un reproche analogue fut adressé par le même périodique (XXIII) au rôle de Bertrand dans Du und Du (traduction de La Parfaite liberté ou les Vous et les Toi). De plus, cette pièce était gâtée par la présence de nombreux personnages insignifiants et inutiles. Cependant, même au travers de la traduction, les journalistes furent sensibles à la vivacité du style: ‘Man findet einen leichten Dialog (...) darinnen’, écrit celui d'Iéna - et celui de Kiel: ‘Das ganze Stück ist in einem trocknen und feyerlichen Conversationstone geschrieben’ (XXI).

 

A la même époque, Les Trois Femmes, publiées en traduction allemande par les soins de Huber avant même de paraître en français, obtenaient une meilleure critique. L'oeuvre était bien écrite et la Bibliothèque de Kiel (XIX) fit observer que ces qualités de style étaient d'autant plus appréciables qu'elles allaient se perdant. Les personnages étaient pris dans la vie réelle et l'on entrait vraiment dans leur intimité. Tout en témoignant du plaisir qu'il avait pris à la lecture du roman, le journaliste d'Iéna (XVI) ne cacha cependant pas que le scepticisme de Mme de Vau court à l'égard de la Morale et du Devoir l'avait peiné. Quand l'ouvrage fut publié en France, le Journal de Paris (XXIV) fut plus sévère et décréta que l'intrigue heurtait ‘la loi des convenances’. Ce débat sur la moralité du roman de Mme de Charrière devait être repris par Pauline de Meulan, quelques années après la mort de Belle, dans un brillant feuilleton du Publiciste (XXX).

 

Honorine d'Userche fut également traduite en allemand et publiée par Huber, en 1796, avant de paraître en français. August Wilhelm von Schlegel - quel honneur! - lui consacra une recension (XVIII) dans la Gazette d'IénaGa naar eindnoot13.. Ce fut d'abord pour dire sa déception. Le thème philosophique annoncé par le sous-titre de l'oeuvre (die Gefahr der Systeme) n'avait reçu aucun développement dans le livre, les exemples donnés étaient à cet égard insignifiants, le danger des systèmes n'exerçait en somme aucune influence sur la conduite des personages. La même critique fut répetée en d'autres termes par le rédacteur de la Bibliothèque de Kiel (XX). En tant que peinture de caractère, Schlegel reconnaissait en revanche que l'oeuvre offrait une description spirituelle

[pagina 200]
[p. 200]

et véridique de l'ancienne société parisienne, alors que la Gazette de Salzbourg (XVII) y découvrait, dans toute sa tristesse, le monde nouveau de l'Emigration. Non sans malice, Schlegel releva encore que la Révolution française survenait vers la fin du roman, comme un éclair tombant d'un ciel bleu, à point pour en dénouer l'intrigue: le procédé, annonçait-il, trouverait des imitateurs.

 

Les deux autres ‘nouvelles de l'abbé de La Tour’ qui furent traduites en allemand et publiées à part n'eurent que de brefs comptes rendus. Babet von Etibal (traduction de Sainte-Anne) fut loué (XXV et XXVII) pour la vivacité du récit, la simplicité de l'intrigue, la finesse des situations, l'authentique humanité des personnages. Mais l'auteur avait visiblement précipité la fin de son roman et rien n'était moins naturel que cette accumulation de mariages dans les dernières pages du livre: la Gazette d'Iéna (XXVII) parla d'inconvenance et de mauvaise plaisanterie, tandis que celle d'Erlangen (XXVIII) ironisait sur cette harmonieuse manière de conclure une histoire.

 

Quant à Die verfallene Burg (traduction des Ruines de Yedburg), un seul journaliste, à notre connaissance, en fit la recension (XXVI) - et ce fut pour l'éreinter: tout le roman baignait dans une atmosphère d'oppressante médiocrité, l'épisode final révoltait le sentiment intérieur, et quant aux lettres annexées, qui selon l'auteur n'auraient pas dû être expédiées, il aurait mieux valu ne pas les imprimer non plus.

 

* * * * *

 

Les conclusions de notre enquête ne peuvent être que provisoires. Sans aucun doute en effet, d'autres recensions seront découvertes un jour dans des périodiques que nous n'avons pas eu le loisir de dépouiller. En l'état, nous nous bornerons donc à relever que les oeuvres romanesques de Mme de Charrière ont rencontré un certain écho dans la presse littéraire du temps, mais qu'elles semblent avoir été plus appréciées avant la Révolution qu'après. Caliste marque entre l'auteur et son public un moment de grâce qui ne se renouvellera pas. Dans la France jacobine, thermidorienne et consulaire, les délicates productions de la romancière de Colombier passeront presque inaperçues et leurs traductions ne trouveront, dans l'Allemagne gallophobe d'après la Terreur, qu'un accueil mitigé. Les journalistes du temps ont relevé, parfois sans ménagement, les faiblesses des romans et des comédies de Mme de Charrière, leurs invraisemblances notamment, ou leurs épilogues baclés. Ils ont été néanmoins sensibles à la simplicité de ces récits,

[pagina 201]
[p. 201]

au natural et à l'authenticité des personnages, au charme du style. Certains d'entre eux ont vu qu'il y avait là un témoignage précieux sur la société contemporaine, mais aucun ne s'est rendu compte de la valeur exceptionnelle de l'oeuvre. Comme celui de Mozart, le génie de Belle a échappé à sa génération.

 

Une dernière remarque encore: si la critique n'a point ignoré les oeuvres de Mme de Charrière, elle a rarement connu l'identité de l'auteur. Chaillet mis à part, seuls ‘M. Comey ...’ et le rédacteur du Journal de Paris de l'an VI (celui-ci, tardivement d'ailleurs) semblent avoir su à qui ils avaient affaire. L'aristocratique anonymat que Mme de Charrière s'était imposé a donc prévalu par-delà la Révolution jusqu'à sa mort.

 

Jean-Daniel CANDAUX

[pagina 203]
[p. 203]

I
Nouveau Journal de littérature et de politique de l'Europe, et sur-tout de la Suisse, 15 juin 1784, t. I, p. 425-438.

De quelques romans.

Il faut maintenant que je parle enfin des Lettres Neuchâteloises: il le faut; que penseroit-on de moi, si je n'en disois rien?

 

Les pauvres Lettres Neuchateloises! comme elles ont été prises de travers, diversement jugées, censurées avec gravité, blâmées avec aigreur, critiquées avec prévention.

 

Nous avons commencé par les trouver assez plates: puis, quand nous avons cru connoître l'Auteur, nous avons fini par les trouver bien méchantes. Et je vous assure qu'elles ne sont pourtant ni méchantes, ni plates.

 

Leur procès me paroît plus que suffisamment instruit, et je vais essayer d'en porter une sentence équitable ... Je m'attends bien toutefois qu'on ne la trouvera pas telle.

 

Nous ne sommes pas méchans, mais nous sommes fins, et nous nous en piquons: chacun se hâte de soupçonner et de deviner, de peur d'être prévenu par quelque autre. Cette observation très-juste et très-fine de l'Auteur, a été confirmée par tous nos raisonnemens sur son petit ouvrage.

 

Quand il nous est parvenu, notre premier soin a été de deviner qui pouvoit l'avoir fait, et nos soupçons tomboient sur quelqu'un des Genevois de la dispersion; car un Neuchatelois ne fait pas des livres.

 

Autrefois je ne comprenois rien à cette curiosité si vive et si générale, que je n'ai jamais pu partager, de savoir qui est l'Auteur de tel ou tel morceau. Que m'importe, à moi? je lis, et je vois s'il est bon ou mauvais.

 

Je commence à soupçonner (car ce n'est pas pour rien que je suis Neuchatelois) qu'on ne s'enquiert si curieusement du nom de l'Auteur que pour juger ensuite plus commo dément de l'ouvrage. Vous voiez bien en effet que s'il est de Voltaire, il sera joli; si de Rousseau, plein de chaleur; si de Montesquieu, profond; si de l'Abbé Raynal, éloquent. La méthode est abrégée et facile. Beaucoup de gens n'en ont point d'autre, et ne s'en doutent pas. Je vous garantis tels, par exemple, tous ceux que fâchera cette observation:

Stulte nu dabunt animi conscientiam.

[pagina 204]
[p. 204]

Et nous autres, qui croyons juger plus pertinemment, pensonsnous que le nom de l'Auteur n'influe point sur notre jugement?

 

Ne sachant donc encore à qui nous en prendre de la brochure en question, nous ne savions trop qu'en penser et qu'en dire.

 

En pareil cas il est une recette presque sûre, que Boileau avait enseignée à Louis quatorze. On me lit souvent des vers; on me demande ce que j'en pense; et comme je ne m'y entends point du tout, je me trouve fort embarrassé... Sire! vous êtes trop bon. Dites hardiment qu'ils sont détestables. Vous ne risquerez pas de vous tromper une fois sur trente.

Cela n'est pas plus vrai des vers qu'il ne l'est des brochures anonymes. Dites toujours au hazard, Cela ne vaut rien: vous ne vous tromperez guères.

 

Comme si nous eussions raisonné en conséquence de ce principe, nous avons dit, Les Lettres Neuchâteloises sont une critique assez plate et assez fade... Et pour le coup nous avons mal dit.

 

Discutons ce point. Car quelques personnes ne sont pas revenues de ce premier jugement.

 

Les Lettres Neuchateloises, il est vrai, ne sont pas trop faites pour soutenir le grand jour de l'impression; elles y perdent. Cela n'est pas assez plein, pas assez ferme, pas assez nourri.

 

Mais aussi pourquoi en juger comme d'un livre? Ce n'en est point un. C'est la correspondance de deux jeunes gens. Ne perdez pas cela de vue. Vous jugerez absurdement, tant que vous n'aurez pas l'esprit de vous prêter à cette supposition fondamentale, tant qu'au bas de chaque lettre vous voudrez voir le nom de l'Auteur, et non pas le leur. Il n'est plus lui; il est devenu eux. Ce sont eux que vous devez juger.

 

Oui, si tout cela étoit vrai ... Eh! qui vous dit qu'il ne le soit pas?

 

Un homme très-judicieux, et point littérateur, m'a dit: Ce qui me plait de ce livret, c'est que j'ai peine, quoique je vive à Neuchatel, à me persuader que cela ne soit pas arrivé ainsi.

 

Ce jugement m'a fait grand plaisir. Une seule chose m'empêche d'y souscrire entiérement. Les détails indifférens sont ici trop multipliés, trop accumulés. C'est la charge et l'exagération de la vérité. C'est le paysan de la fable, qui, à force de s'être étudié à bien contrefaire le porc, grognoit à la fin trop mieux que n'auroit fait un vrai porc.

[pagina 205]
[p. 205]

Quant aux allusions, que nous n'avons pas manqué de chercher dans ces Lettres, parce qu'en n'y en cherchant point nous aurions craint d'être pris pour dupes; notre goût pour deviner nous a fait illusion, et nous avons été les dupes de notre finesse. Qui est Monsieur de la Prise? et Madame? et Mademoiselle! et ces deux Comtes? et le Caustique? ... C'est sûrement... Non en vérité, ce n'est personne. Et comment, dites-moi, subtils dévineurs, vous est-il venu dans l'esprit un instant que Mademoiselle de la Prise pût être une Neuchateloise? Elle! une étourdie comme elle! ... Oh non! je ne la reconnois point pour ma compatriote.

 

Savez-vous qui l'Auteur (puisque c'est une femme) pouroit bien avoir dépeint en elle? Je vous le dirai en confidence, et cette découverte nous vengera de toutes ses malices. Soi-même.

 
Tout à l'humeur Gascone en un Auteur Gascon;
 
Calprenede et Juba parlent du même ton.

Je sens bien que si je m'avisois un jour de faire un roman, le héros m'en ressembleroit fort. J'ai voulu, disoit Saint Evremont, composer des Tragédies: mais je m'aperçus bientôt que, quoique je pusse faire, mon héros n'étoit jamais qu'un Saint Evremond. Ne voyez-vous pas là bien évidemment, lecteur! la triste cause de la méiocrité de nos romans, de leur froideur et de leur emphase? Intus, et in jecore aegro... Hélas! c'est qu'il n'est plus d'ame romanesque.

 

Celui-ci du moins n'est ni froid, ni emphatique. Il l'est si peu emphatique, il est si simple et si naturel, qu'il doit en paroître plat à tous ceux dont le goût est gâté par le rafinement et par l'emphase. Qu'un Auteur de profession, par exemple, trouveroit cela pauvre et misérable! Comme il diroit! N'est-ce que cela? ... Non, rien que du naturel: quelle pitié!

 

Dans mon village, nous avons mieux apprécié ce livre qu'à la ville ... Honneur au village!

 

C'est donc un grand chef-d'oeuvre? ... Eh! qui vous dit cela? n'ai-je pas commencé par accorder aux dénigreurs qu'un ouvrage aussi peu soigné n'étoit guères digne de l'impression?

 

Ce n'est qu'une bagatelle, assurément. Mais c'est une très-jolie bagatelle. Mais il y a de la facilité, de la rapidité dans le style, des choses qui font tableau, des observations justes, des idées qui restent. Mais il y a dans les caracteres cet neureux mélange de foiblesse et d'honnêteté, de bonté et de fougue, d'écarts et de générosité, qui les rend à la fois attachans et vrais; il y a une sorte de courage d'esprit dans tout ce qu'ils font qui les fait ressortir; et je

[pagina 206]
[p. 206]

soutiens qu'avec une ame commune on ne les eût point inventés. Mais il y a une très-grande vérité de sentiment: toutes les fois qu'un mot de sentiment est là, c'est sans effort, sans apprêt; c'est ce débordement si rare, qui fait sentir qu'il ne vient que de la plénitude du coeur, dont il sort et coule avec facilité, sans avoir rien de recherché, de contraint, d'affecté, ni d'enflé.

‘Mademoiselle ... se marie dans quinze jours. Tu as vu commencer ses amours; elles ont été tiedes et constantes. Je crois que ce mariage ira assez bien. Ils s'aimeront faute de rien aimer d'autre ... Tu n'aimeras jamais l'homme qu'on te destine, c'est-à-dire tu ne l'aimeras jamais beaucoup.
Si tu ne l'épouses pas, tu pourras en épouser un autre. Si tu l'épouses, vous aurez de la complaisance l'un pour l'autre; vous vous ferez une société agréable peut-être. Tu n'exigerasGa naar voetnoot+ pour lui: tu ne te reprocheras pas d'avoir regardé quelque autre chose, d'avoir pensé à quelque autre chose, d'avoir dit un mot qui pût lui avoir fait de la peine un instant: tu lui expliqueras ta pensée, elle aura êté honnête, et tout sera bien. Tu feras plus pour lui que pour moi: mais tu m'aimeras plus que lui, nous nous entendrons mieux, nous nous sommes toujours entendues, et il y a entre nous une sympathie qui ne naîtra point entre vous. Si cela te convient, épouse-le, Eugénie. Penses-y cependant: regarde autour de toi, pour voir si quelqu'un n'obtiendroit pas de toi un autre sentiment. N'as-tu pas lu quelques romans? et n'as- tu jamais partagé le sentiment de quelqu'héroine? ... Sache aussi si ton époux ne t'aime pas autrement que tu ne l'aimes. Dis-lui, par exemple, que tu as une amie qui t'aime chèrement, et que tu n'aimes personne autant qu'elle. Vois s'il rougit, s'il se fâche: en ce cas, ne l'épouse pas. Si cela lui est absolument égal, ne l'épouse pas non plus. Mais s'il te dit que c'est à regret qu'il te tiendra loin de moi, et que vous viendrez ensemble à Neuchatel pour me voir, ce sera un bon mari, et tu peux l'épouser. Je ne sais où je prens tout ce que je te dis; car avant ce moment je n'y avois jamais pensé. Peut-être cela n'a-t-il pas le sens commun. Je t'avoue que j'ai pourtant fort bonne opinion de mes observations ... non pas observations; mais, comment dirai-je? de cette lumiere que j'ai trouvée tout-à-coup dans mon coeur, qui sembloit luire exprès pour éclairer le tien. Ne t'y fie pourtant pas. Demande et pense. Non, ne demande à personne; on ne t'entendra pas. Interrogetoi bien toi-même, adieu’.
[pagina 207]
[p. 207]

Malheureuses gens, qui parlez sans cesse de sentiment! comment n'en reconnoissez-vous point ici le vrai langage? est-ce peut-être parce qu'il n'y a ni exclamations, ni grands mots?

 

Laissez-moi vous transcrire encore quelques lignes d'une lettre qu'écrit à sa tante une pauvre jeune tailleuse, à laquelle il est arrivé un malheurGa naar voetnoot(*) et dites-moi si vous n'êtes point frappés de la vérité avec laquelle elle y rend ce qu'elle pense? ... ‘Il y a des bals, et des sociétés, et des concerts, et peut-être aussi des comédies, et que sais-je bien peu? ces dames font toutes sortes pour se divertir. Et peut-être ne sont-elles seulement pas aussi braves qu'une pauvre fille qu'on laisse pleurer en faisant son ouvrage, et qui n'a pas été à toutes leurs écoles et pensions, et n'a pas appris à lire sur leurs beaux livres. Et elles ont des bonnets, et des rubans, et des robes avec des garnitures de gaze, qu'il faut que nous travaillions toute la nuit, et quelquefois les Dimanches. Et tout ça, elles l'ont, quand elles veulent, de leur mère, ou de leur mari, sans que les jeunes Messieurs le leur donnent ... Mais qu'est-ce que tout ça y fait? ...’ Oui, Mesdames, c'est précisément ainsi que raisonnent les filles qui vous servent, qui vous habillent, qui vous coëffent; et au fond, ontelles si grand tort? ... Eh bien! un seul petit trait naif, comme celui-là, me plait et me touche plus que dix pages de déclamation.

 

La scene du souper m'émeut aussi, et celle du balGa naar voetnoot(*), et le retour en ville sur le verglas, et le noble procédé de l'oncle, et la reconnoissance du neveu, et la bonne foi même de Juliane, et que sais-je bien peu? presque tous les détails, en vérité!

 

J'aime Madame de la Prise, qui, lorsque l'heure de la retraite approche, en avertit les gens qui sont chez elle par une certaine inquiétude, et le soin de tout ranger autour d'eux.

[pagina 208]
[p. 208]

J'aime la finesse de l'observation suivante, dont je ne voudrois pourtant garantir la vérité qu'avec quelque restriction ...

‘La comédie et la maniere dont on la joue m'ont expliqué le ton des femmes dans le monde: tour-à-tour marquises, soubrettes, villageoises; tour-à-tour railleuses, ingénues, emphatiques, il n'est pas étonnant qu'elles changent de ton vingt fois dans una heure’.

 

J'aime cette phrase légérement sentencieuse applicable à toutes les petites niches qu'on a quelquefois la bêtise de croire fort gaies et fort spirituelles... ‘Dans ces maussades combats de fin esse, l'attrapé me paroît toujours un peu moins sot que l'attrapeur’.

 

J'aime l'idée de faire des Lettres Neuchateloises, je veux dire, de fixer le lieu de la scène, de le choisir nouveau, et d'y approprier si bien tout ce qu'on dit, que l'on se reconnoisse à chaque page; ce qui répand jusques sur les moindres choses un grand air d'intéret et de vérité. Elle est très-heureuse, et même féconde, cette idée; je voudrois l'avoir eue; j'en suis jaloux.

 

Ah! cela ne vaut pas tout-à-fait les romans de Richardson, ont dit d'un ton capable des gens qui croyaient dire une belle chose. Je suis fort aise d'avoir l'occasion de relever cette absurde maniere de juger et de blâmer. Elle est assez commune, quand on n'a pas l'esprit d'apprécier chaque chose particuliere; il est court et facile, pour faire l'entendu, de savoir le nom de ce qui excelle en chaque genre, et de dire simplement: ‘Cette Tragédie ne vaut pas celles de Racine: on voit bien que ces vers ne sont pas de Boileau, ou cette Histoire de Robertson, ou cette comédie de Molière, ou cette fable de Lafontaine’. Il est vrai que cela ne signifie rien du tout: mais n'importe; prononcez-le seulement d'un certain ton de suffisance, et vous pourrez très-bien espérer de passer pour connoisseur.

 

Et voilà ce que j'avois à dire sur la platitude des Lettres Neuchateloises. Parlons maintenant de leur méchanceté.

 

De leur méchanceté! ... Eh! c'est une critique bienveillante, qui ne tombe que sur des choses légeres, qui nous accorde officiosité, sociabilité, charité, talens... que voulons-nous de plus?

 

On dit, il est vrai, que nous n'avons pas drop de lumieres, que nous ne connoissons guères les grandes passions ... Mais, par hazard, y prétendrions-nous?

 

Encore, tout cela n'est-il que le propos d'un certain Caustique, qu'on donne pour exagérateur.

[pagina 209]
[p. 209]

On rit un peu de notre train de vengeance, de nos conversations sur la vente, de ce que le même nom est commun à un Conseiller d'état et à un pâtissier: on en rit, mais sans humeur, sans acreté, sans aigreur. Pourquoi cela nous fâche-t-il? Quel tort cela nous fait-il?

 

Mais qu'avait-on besoin de relever tout cela? ... Et qu'étoit-il besoin de n'en rien à dire? qui savoit que ces remarques légeres pussent être offensantes? qui se doutoit que ces minuties fussent si sacrées? ... Heureuse la nation dont il n'y auroit rien de pis à dire!

 

Eh! pourquoi parler de nous? ... Eh! pourquoi non, vous dis-je? ... Quand on a de l'esprit, de la vivacité, de la franchise, de la gaité, et je ne sais quel courage; quand avec cela on se sent bien disposé à l'égard de ceux dont on parle; on croit pouvoir se laisser aller, dire tout ce qu'on pense. On se trompe: avec ce caractere on passera presque toujours pour méchant. Aussi quand on me dit que quelqu'un est méchant, je n'en crois rien pour l'ordinaire; et cela me donne plutôt bonne opinion de son esprit, de l'énergie et de la vérité de son caractere, que mauvaise opinion de son coeur.

 

Nous nous sommes donc fâchés; et si bien (ce qui m'a paru fort plaisant) que des vers gracieux, et même flateurs pour nous, placés par l'Auteur à la suite d'une seconde édition, ont été mal pris, et regardés comme une ironie ... Est-il si clair qu'on ne puisse rien nous dire d'obligeant que dans le but de se moquer de nous?

 

Un petit conte pour finir. J'ai lu quelque part qu'un Anglois ayant écrit sur le gouvernement du Danemark, l'Ambassadeur Danois reçut ordre de demander que l'indiscret écrivain lui fut livré. ‘Je n'ai pas ce pouvoir, répondit George II: mais je vous promets de dire cela à l'Auteur; il pourra faire usage de ce trait dans une seconde édition’ ... Mes chers compatriotes! ne nous mettons pas en colere à la Danoise.

 

L'Auteur et les Fâchés se seroient, je le comprens, également volontiers passés de mon arbitrage. Mais il m'a pris un petit accès de la manie de Dandin; j'ai voulu juger.

 

Si j'ai parlé longuement d'une brochure, c'est que, comme vous avez pu voir, elle m'a donné lieu de faire bien des réflexions.

 

Je serai plus court sur l'Homme Sauvage, roman de M. Mercier (etc.)

 

[Henri-David de CHAILLET]

[pagina 210]
[p. 210]

II
L'Année littéraire, 1785, t. VIII, p. 169-180.

Le Mari sentimental, ou le Mariage comme il y en a quelques-uns, suivi des Lettres de Mistriss Henley, publiées par son amie, Madame de C*** de Z***, et de la Justification de M. Henley, adressée à l'amie de sa femme. A Genève, et se trouve à Paris, chez Buisson; Libraire, Hôtel de Mesgrigny, rue des Poitevins, No 13. 1 vol. in-12. Prix 2 liv. broché, et 2 liv. 10 sols, francs de port, par la poste.

 

Ce Roman, Monsieur, a une marche différente de celle des autres. La plûpart renferment des intrigues amoureuses qui se terminent par le mariage; celui-ci, ou ceux-ci, (car il y en a deux) commencent là où les autres finissent. On n'imagine guères que deux personnes mariées soient capables d'exciter un intérêt bien vif. Tous les obstacles qui pouvoient retarder leur bonheur sont levés, et ils n'ont plus qu'à jouir paisiblement des charmes d'une tendre union. Tel est le terme ordinaire des peines et des tourmens de nos amoureux de romans et de comédie. Ils ne sont pas plutôt parvenus à l'hymen, qu'ils cessent d'être en spectacle, et qu'ils sont totalement oubliés. Du moment que leurs voeux sont accomplis, ils n'offrent rien qui puisse piquer la curiosité. Plus d'intrigues ni de difficultés, dèslors plus d'intérêt.

 

Il s'en faut bien cependant que ce moment désiré par deux jeunes coeurs vivement épris, soit toujours pour eux l'époque de la félicité suprême. Souvent ces mêmes obstacles qui attachent l'esprit dans la lecture des romans, irritent aussi le coeur, l'animent et le soutiennent; et la passion n'a-t-elle plus rien à vaincre, elle perd de sa force et de sa vivacité; et ces amans si tendres et si fidèles deviennent quelquefois des époux fort ordinaires.

 

Je ne vous citerai pas pour preuve de ce que j'avance le héros de notre roman. M. Bompré, c'est son nom, avoit près de cinquante ans, qu'il n'avoit pas encore songé à plaire aux femmes. Peu favorisé par la nature, il s'étoit persuadé de bonne heure qu'il n'étoit point du nombre de ces mortels fortunés auxquels l'amour a prodigué ses bienfaits, et certain coup d'épée qu'il reçut dans la poitrine, pour avoir voulu soutenir ses droits auprès d'une jeune beauté qu'il adoroit, ne contribua pas peu à l'affermer dans son systême. Ainsi, vous voyez qu'il n'avoit pas épuisé sa tendresse avant de sublir le joug de l'hymen. Ce fut un malheur pour lui.

[pagina 211]
[p. 211]

Il amoit trop et n'étoit pas assez aimé. Son exemple n'est pas fait pour encourager les vieux garçons à sortir du célibat.

 

Retiré à la campagne du côté de Genève, il s'occupoit d'agriculture, d'économie, de politique, et il vivoit heureux au milieu de quelques paysans et de vieux domestiques qui lui étoient attachés dès son enfance. Un jeune homme de ses amis vient à se marier et l'invite à ses noces. Le spectacle du bonheur de ces deux jeunes époux lui fait penser qu'il manque quelque chose au sien.

Quoiqu'il trouve dans un cheval et dans un chien qu'il aime beaucoup, à peu près de quoi remplir son coeur, il s'imagine qu'il reste encore de la place pour une femme; elle sera son conseil, son amie la plus fidelle, elle partagera ses goûts simples et champêtres, ses plaisirs en deviendront plus purs et plus touchants; cette félicité le fait d'avance pleurer de tendresse.

 

La femme qu'il adore ainsi n'est cependant encore qu'un être imaginaire, et aucun objet n'avoit jusqu'ici fixé ses yeux. Il apprend qu'un de ses anciens camarades, demeurant à Genève, s'est rangé sous les loix de l'hymen. Il avoit précisément quelque affaire dans cette ville. Joignez à cela je ne sçais quel instinct amoureux. Il va loger chez son ami. C'est là que l'amour l'attendoit pour achever sa conquête. Il y avoit une jeune demoiselle de trente-six ans, assez belle, fort bien mise, et très-spirituelle. C'étoit la belle-soeur de son hôte. Il en devient amoureux et l'épouse en trois jours.

 

Fier de sa conquête, M. Bompré la conduit en triomphe à sa maison de campagne. Ici commence l'enfer du pauvre homme. Ses paysans, ses domestiques viennent présenter des fleurs à la nouvelle épouse. Elle daigne à peine les reçevoir. Madame avoit la migraine, elle étoit horriblement fatiguée de la route. Elle quitte la fête qu'on lui préparoit pour aller se reposer. Le lendemain, en jettant un coup d'oeil sur la maison, elle la trouve affreuse. Point d'autre tapisseries que quelques vieilles cartes de géographie, de grandes chambres bonnes à tenir le sabat, et des cheminées plus grandes encore, point de glaces, aucuns meubles élégans, point de sopha. Le bruit des chevaux, des charrettes, et de tout l'attirail champêtre lui donne à chaque instant des vapeurs. Elle avoit lu les jardins de M. l'Abbé de Lille. Il faut tout réformer sur ce plan. Grand sujet de tristesse pour M. Bompré qui étoit accoutumé à ces objets et à ce train de vie. Mais M. Bompré aime beaucoup son épouse, et elle l'a assuré que s'il ne se prête pas à ses désirs, elle ne peut manquer de mourir bientôt. Il est donc obligé de céder.

 

Les domestiques déplaisent aussi bientôt. Ce sont de vieux visages qui dégoûtent Madame. Rien d'ailleurs de plus mal-adroit. Madame

[pagina 212]
[p. 212]

Bompré avoit une superbe porcelaine, don précieux que lui avoit fait un riche cousin: Antoine, l'ami de son maître, la renverse et la casse en rangeant l'appartement. Il faut chasser Antoine. En vain le mari prie et conjure; ses remontrances sont autant d'injures qui percent le coeur et font verser des larmes; Antoine est donc congédié. Les autres domestiques ne tardent pas à le suivre.

 

Il ne reste plus à M. Bompré que son cheval et son chien, amis fidèles et précieux. Il trouve un jour, en rentrant, son chien tué d'un coup de fusil; et il est forcé de vendre son cheval qu'il montoit avec tant de plaisir, et de le remplacer par deux chevaux de carrosse. Il n'y a pas jusqu'au portrait de son père qu'il ne soit obligé de dérober aux yeux délicats de Madame Bompré.

 

Tant de sacrifices sembloient bien devoir lui gagner le coeur de son épouse. Pleine de fierté et de dédain, elle ne lui accorde que rarement l'honneur de l'approcher. Elle demeure presque tout le jour renfermée dans son appartement, où elle orne son esprit par la lecture des romans. Ses anciens amis, il ne les voit plus. Ce ne sont plus que ceux de Madame qui sont admis à la maison. Ceux-ci ne cessent de vanter l'esprit, la délicatesse et le goût de cette femme adorable. M. Bompré est trop heureux d'avoir une aussi charmante épouse. On plaisante même le bonhomme, qui dévore son chagrin et n'ose éclater. Ayant cependant rencontré un jour hors de chez lui un de ces mauvais plaisans, il le provoque à son tour, le défie à un combat particulier, et le blesse.

Madame Bompré à qui il raconte son histoire, loin de prendre le parti de son mari, le repousse avec horreur et mépris, et ne montre de l'intérêt que pour l'ami charmant que son brutal époux a pensé lui ravir.

 

Pour comble de disgrâce, elle l'accuse d'avoir, pour une jeune paysanne du village, des sentiments qui blessent la foi conjugale. Quoique le plus innocent et le plus vertueux des hommes, elle trouve le moyen de le faire paroître coupable. Désespéré, hors de lui-même, il croit qu'il n'a d'autre ressource contre les maux qui l'accablent, que la mort. Il l'invoque, et elle vient terminer ses malheurs.

 

Si ce tableau n'est pas propre à inspirer à beaucoup d'hommes le goût du mariage, le suivant ne l'est guères plus à le faire naitre dans le coeur des femmes. Vous venez de voir ici un infortuné, victime de sa sensibilité. Voici une femme que sa délicatesse extrême conduit au tombeau. M. Henley, le plus froid et le plus calme de tous les hommes, conserve toujours avec son épouse un air de dignité et un ton de supériorité qui l'accable et la désespère

[pagina 213]
[p. 213]

à chaque instant. Quoi qu'elle fasse, elle ne peut jamais parvenir à obtenir son approbation. Elle montre à son mari sa tendresse par les soins qu'elle prend d'une jeune fille qu'il avoit eue de son premier mariage: elle orne sa tête de fleurs artificielles et la présente habillée avec la plus grande élégance à son père qu'elle croit surprendre agréablement.

‘Votre intention est charmante, dit-il, mais c'est un goût que je ne voudrois pas lui inspirer; je craindrois que ces souliers si jolis ne l'empêchassent de courir à son aise; des fleurs artificielles contrastent désagréablement avec la simplicité de la campagne.

La petite sçavoit lire en français comme en anglois; je voulus, dit Mistriss Henley, lui faire apprendre les fables de la Fontaine. Elle récita un jour à son père le Chêne et le Roseau avec une grace charmante. Je disois tout bas les mots avant elle; le coeur me battoit; j'étois rouge de plaisir. ‘Elle récite à merveille, dit M. Henley: mais comprend-elle ce qu'elle dit? Il vaudroit peut-être mieux mettre dans sa tête des vérités avant que d'y mettre des fictions: l'histoire, la géographie ... Malgré toute sa bonne volonté, Mistriss Henley ne trouva dans son mari qu'un coeur froid et sévère. Et admirez son bon esprit, c'est toujours d'elle-même, et jamais de M. Henley qu'elle se plaint. Elle ne croit pas qu'il puisse jamais avoir tort. Cependant sa sensibilité mise ainsi sans cesse à l'épreuve, est un poison qui la mine insensiblement; elle prévoit elle-même qu'elle ne peut plus vivre long-temps, et elle meurt en effet bientôt après en couche.

 

Son mari reconnoît enfin, mais trop tard, ses torts à l'égard d'une épouse si digne d'être aimée. Il rétracte lui-même les éloges que cette infortunée lui donnoit dans les lettres qu'elle écrivoit à son amie, et confesse que cette haute sagesse qui lui en avoit imposé, n'étoit de sa part que sotte vanité et morgue cruelle et insolente. C'est lui qui fait le récit de la mort de son épouse; il expose fort en détail tout ce qui s'est passé entr'eux dans ce dernier moment. On pourra trouver que pour une personne qui se meurt, Mistriss Henley parle bien long-temps. Les héros de romans ne meurent pas apparemment comme les autres hommes.

 

L'intention de l'auteur, en publiant cet ouvrage, n'a pas été certainement d'inspirer aux deux sexes de l'aversion l'un pour l'autre, ni du dégoût pour le lien sacré du mariage. Il n'a voulu par cette peinture assez juste, que corriger les femmes qui abusent de l'ascendant qu'elles peuvent avoir sur un mari délicat et sensible, et engager les hommes, trop fiers de leur raison, à se prêter avec complaisance

[pagina 214]
[p. 214]

aux petites foiblesses et aux fantaisies innocentes d'une épouse qui n'aspire qu'au bonheur de leur plaire et de les attacher. On pourra croire cependant avec raison qu'il n'y a pas dans tout ce que rapporte l'auteur de quoi se laisser mourir de chagrin. Quelle que soit la sensibilité, c'est la porter beaucoup trop loin; et je doute que les maris et les femmes de nos jours prennent les choses aussi vivement. Auront-ils tort? Non, sans doute: car après tout le remède ici est encore pire que le mal.

 

Au reste, ces lettres sont écrites assez purement: on pourroit à la vérité se passer fort bien des idées économiques de M. Bompré, et de ses raisonnements politiques sur la dernière révolution de Génève. Elles ne tiennent pas beaucoup au fond du sujet. Mais ces petits défauts sont rachetés par des détails agréables de la vie champêtre, et par plusieurs traits de bonté et de générosité de la part du Mari sentimental, aussi vrais qu'intéressans. J'espère enfin que les voeux de l'auteur seront satisfaits, et que son libraire et ses lecteurs trouveront ici chacun leur profit.

 

Je suis, etc.

[pagina 215]
[p. 215]

III
Mercure de France, 22 avril 1786, p. 186-193.

Le Mari Sentimental, ou le Mariage comme il y en a quelques-uns; suivi des Lettres de Mistriss Henley, publiées par son amie Mme de C*** de Z***, et de la justification de M. Henley, adressée à l'amie de sa femme. 2 vol. in-12. A Genève, et se trouve à Paris, chez Buisson, Libraire, hôtel de Mesgrigny, rue des Poitevins, No. 13. Prix, 2 liv. broché, et 2 liv. 10 s. franc de port par la poste.

 

Le fond de ce double roman, dont la forme est assez singulière, a le mérite d'être absolument neuf. On ne voit ici ni aventure merveilleuse, ni amans persécutés, dispersés, réunis; on n'y voit point de ces intrigues filées, promenées d'obstacles en obstacles. Il n'y a même ni amans, ni passions amoureuses, et cependant il y a de l'intérêt. L'Auteur a eu l'art d'attacher et d'émouvoir ses Lecteurs, sans avoir recours à ce ressort commun. Cette tentative a déjà été fai te au Théâtre; mais nous croyons que c'est la première fois qu'elle ait été risquée dans un Roman: il nous semble cependant qu'elle pourroit être répétée avec succès, et même infiniment étendue.

 

Quel doit être le but du Romancier? De nous tracer les divers tableaux de la vie, afin que parmi ceux qui se rapprochent le plus des circonstances qui nous entourent, nous choisissions la route que nous devons suivre, les écueils que nous devons éviter. Mais la vie finitelle pour nous au mariage? Lorsqu'après avoir éprouvé bien des traverses, nous atteignons enfin à ce but désiré qui nous paroît celui du bonheur, est-il bien vrai que nous soyons toujours heureux? Les peines de l'amour ne durent qu'un instant: voit-on finir celles qu'entraîne souvent le mariage?

 

Ce seroit donc un Roman aussi intéressant qu'utile, que celui qui peindroit les malheurs d'un homme mal assorti; qui feroit voir deux époux qui, par la difference de leur caractère, par le défaut de confiance et d'épanchemens, sans lesquels il n'est point de félicité, faute de ces sacrifices continuels au goût l'un de l'autre, si nécessaires pour entretenir l'union, trouveroient l'infortune la plus intolérable dans ces liens mêmes dont ils attendoient le bonheur. Tel est le sujet du Mari Sentimental.

 

M. de Bompré a pour ami M. de Saint-Thomin. Le bonheur de celui-ci, marié nouvellement, inspire au premier le desir d'en goûter

[pagina 216]
[p. 216]

un semblable, et change toutes ses idées sur le célibat, dans lequel, jusqu'à ce moment, il s'étoit cru heureux. M. de Bompré va à Genève voir un vieux Militaire, son ancien camarade, qui a une soeur d'une trentaine d'années, assez agréable de figure, des manières fort aimables, et à laquelle on trouve beaucoup d'esprit. On la lui propose; on lui prouve que cette union est très convenable. Il n'a pas le temps d'y réfléchir: il épouse. Il faut voir dans l'Ouvrage même tous les détails du changement qui s'opère successivement dans la maison de cet infortuné, auparavant simple, rustique même, mais heureuse et gaie: le bon goût et le désespoir y entrent à la fois. Il avoit un chien qu'il amoit beaucoup: ce chien gâte les meubles; il le trouve un matin tué contre une haie; un cheval auquel il étoit fort attaché; Madame lui substitue deux coursiers fringans; le malheureux époux va le racheter lui-même au Marchand qui s'en étoit accommodé, et en fait présent à son ami. Un vieux et bon Serviteur est chassé pour avoir cassé une porcelaine. Jusqu' à l'intérêt que ce coeur honnête prend à une famille de paysans, est empoisonné par la calomnie, et devient pour lui une nouvelle source de malheurs. Tous ces détails, d'une sensibilité vive et profonde, font naître un intérêt pressant, et perdent trop à être extraits. Malgré toutes ces désertions successives, M. de Bompré s'obstine longtemps à croire qu'il est aimé de sa femme, qu'elle connoît mieux que lui la route du bonheur, et il se laisse conduire aveuglément par une personne dont il estime trop la raison et l'esprit. Cette confiance excessive, relevée par un si noble motif, sert encore à le rendre plus intéressant. Mais enfin le voile tombe; il ne peut plus douter de l'empire tyrannique que s'est arrogé sa femme. Il sent trop que sa foiblesse ne lui a valu que des mépris; son âme s'ouvre à la douleur, qui s'y établit sans combat et la dévore; le malheureux Bompré, qui n'a pas eu la force de prévenir le mal, n'a pas celle d'y apporter remède, et il meurt victime de son excès de sensibilité.

 

Cette Histoire, fondée sur un fait réel et récent, n'a de romanesque que la forme. L'Auteur est, à ce qu'on assure, le même que celui de Camille, ou Lettres de deux filles de ce siècle, qui a paru il y a peu de temps, et qui a été lue avec beaucoup d'intérêt.

 

Le Roman qui suit dans le même volume est le pendant du premier.

 

Mistriss Henley vient de lire à Londres le Mari Sentimental, qui dit-elle, paroît depuis peu traduit en Anglois. Elle rend compte à son amie de l'effet qu'a produit cette lecture sur les époux de sa connoissance, et notamment sur le sien. La foiblesse de Bompré est condamnée, et il paroît que M. Henley sur-tout veut bien se garder de l'imiter. Mistriss Henley est jeune, et mariée depuis peu. Elle est

[pagina 217]
[p. 217]

vive, étourdie, mais très-sensible; elle veut de tout son coeur faire le bonheur de son mari; mais elle se trompe souvent sur les moyens. Elle nous peint M. Henley comme un homme plein de vertus, de sagesse et de mérite; de l'âme la plus noble, d'une belle figure, mais d'un sang-froid inaltérable, qui contraste parfaitement avec les écarts de sa jeune épouse. Il la reprend avec toute la douceur possible; mais elle n'en est pas moins vivement affectée de voir ses bonnes intentions manquer leur effet, et le chagrin qu'elle en ressent, prend autant sur elle que si son mari, par de mauvais traitemens, y donnoit un fondement réel.

 

Nous en citerons quelques exemples. M. Henley, déjà veuf, a une fille. Sa nouvelle épouse, qui ne veut pas passer pour une bellemère, dont elle n'a pas les sentimens, s'occupe beaucoup de l'éducation de cette jeune personne. Elle lui apprend une Fable de La Fontaine; Mistriss Henley compte sur le grand succès. ‘Je disois tout bas les mots avec elle; le coeur me battoit, j'étois rouge de plaisir. Elle récite à merveille, dit M. Henley; mais comprendt'elle ce qu'elle dit? Il vaudroit mieux, peut-être, mettre dans sa tête des vérités avant d'y mettre des fictions. L'histoire, la géographie ... Vous avez raison, Monsieur, lui dis-je; mais sa Bonne pourra lui apprendre aussi bien que moi que Paris est sur la Seine et Lisbonne sur le Tage. - Pourquoi cette impatience? apprenez-lui les Fables de La Fontaine, si cela vous amuse; au fond, il n'y aura pas grand mal. - Non, dis-je vivement, ce n'est pas mon enfant, c'est le vôtre. - Mais, ma très-chère, j'espérois .... - Je ne répondis rien, et je m'en allai en pleurant. J'avois tort, je le sais bien; c'étoit moi qui avois tort. Je revins quelque temps après, et M. Henley eut l'air de ne pas même se souvenir de mon impatience.’

 

Nous avons copié cette scène, pour donner en même-temps une idée du ton et du style de l'Ouvrage. Mistriss Henley éprouve une contrariété dont les suites sont plus fâcheuses. Elle devient grosse; elle est comblée d'une joie qu'elle compte bien faire partager à son mari. Elle fait déjà des projets d'une ambition extravagante; elle les communique au sage Henley, dont la modération les détruit tous. Le chagrin que ressent sa femme d'avoir si mal saisi son caractère, et de s'être trompée dans cette circonstance comme dans les autres, la mine peu-à-peu, et elle meurt en couches. C'est sans doute prendre la chose bien au tragique; et c'est, à ce que nous croyons, un reproche à faire à l'Auteur, qui n'a pas assez motivé cette mort, et qui paroît n'avoir tué son Héroine que parce qu'il étoit pressé d'en finir. La conduite de l'impassible M. Henley mérite aussi quelque

[pagina 218]
[p. 218]

critique. Sa femme ne lui demandoit pas une approbation aveugle, mais seulement de lui témoigner de la tendresse, et de lui savoir gré de ses intentions: elle le dit elle-même; et il est vrai qu'on ne conçoit pas pourquoi M. Henley, qui a les plus tendres sentiments pour sa femme, s'empresse si peu de les lui exprimer.

 

L'Auteur a cru répondre à cette critique par ce qu'il appelle la justification de M. Henley. Là, tout ce qu'on a vu dans l'Ouvrage précédent est changé; les deux caractères ne sont plus les mêmes, et par conséquent tout le charme est détruit. Mistriss Henley n'est plus cette étourdie, ayant tort sans cesse, et convenant sans cesse de ses torts, ce qui ne la rendoit que plus intéressante; peinte par M. Henley lui-même, c'est une femme qui possède les perfections les plus rares et les plus froides; c'est une Philosophe qui cite Rousseau, Locke et Rollin, et qui, à l'article de la mort, fait une dissertation de 30 pages sur le meilleur traité d'éducation. Si cette femme avoit vécu, elle auroit été insoutenable. Cette prétendue justification n'est d'ailleurs rien moins que bien écrite, et ne paroît pas du tout être de la même main. Nous en citerons quelques lignes.

 

‘Il me semble, dit Mistriss Henley dans son long discours, il me semble que l'on dépende absolument du moment, du premier objet que l'on rencontre, et que l'humeur, le caractère, le sentiment même soient attachés à des choses qui leur sont ètrangères. Mon cher ami, aimons-nous toujours, et ne mettons notre sensibilité qu'à cette felicité. Repoussons les petits incidens qui, dans le fond, sont indifférens, et qui ne valent jamais les maux qu'ils causent.

Au travers de l'humanité inquiète, soucieuse, agitée, malheureuse, je verrai toujours un mari qui m'aime, et dont je préférai le bonheur à ma vie même”.’

 

Il nous paroît impossible que la main qui a rassemblé cet amas d'expressions impropres, obscures, incohérentes, et de consonnances si désagréables, soit la même qui a tracé, par exemple, ce tableau de ce qui se passe dans l'âme de Mistriss Henley. ‘Je suis malheureuse, je m'ennuie. Je n'ai point apporté de bonheur ici, je n'en ai point trouvé. J'ai causé du dérangement, et je ne me suis point arrangée. Je déplore mes torts, mais on ne me donne aucun moyen de mieux faire. Je suis seule, personne ne sent avec moi. Je suis d'autant plus malheureuse, qu'il n'y a rien à quoi je puisse m'en prendre, que je n'ai aucun changement à demander, aucun reproche à faire, que je me blâme et me méprise d'être malheureuse.’

[pagina 219]
[p. 219]

Cette dernière phrase nous paroît charmante, et caractérise trèsbien le sexe de l'Auteur, Mme de C.... de Z. Son Ouvrage mérite en général beaucoup d'estime pour le fond et pour les détails; il ne péche même dans la contexture que parce que le dénouement n'en est pas assez adroitement filé. Nous répétons que nous ne pouvons croire la justification de M. Henley de la même main; et si nous l'avons traitée un peu durement, c'est pour nous venger de ce qu'elle a troublé et presque détruit l'extrême plaisir que nous avoit fait l'Ouvrage.

[pagina 220]
[p. 220]

IV
Journal général de France, samedi 16 septembre 1786.

Lettres écrites de Lausanne. A Genève; et se trouve à Paris chez Buisson, Libr. rue des Poitevins, hôtel de Mesgrigny, no 13. 1786, 116 pag. in-8o. Prix 30 F. br.

 

C'est une mère qui fait part dans ses Lettres à une amie de l'inclination de sa fille Cécile pour un jeune Anglois qui étoit à Lausanne. Beaucoup de petites circonstances, des riens, du bavardage par-ci par-là, mais des vues assez judicieuses, des réflexions assez justes, voilà ce qu'on trouve dans ces Lettres.

[pagina 221]
[p. 221]

V.
Journal encyclopédique, 15 octobre 1786, t. VII, p.256-269.

Lettres écrites de Lausanne. In-8o. A Paris, chez Buisson. 1786. Prix, 1 liv. 10 sols.

 

S'il est un genre d'ouvrages qui se refuse à la méthode et à la forme de nos extraits, c'est un recueil de lettres dont chacune demanderoit une analyse particuliere, parce qu'il se peut que chacune renferme quelque chose d'essentiel et de digne de la curiosité du lecteur. C'est ce qu'on pourroit dire, à ce que nous croyons, du petit volume de lettres que nous avons sous les yeux. Elles nous paroissent avoir ce ton de vérité et de naturel qui éloigne l'idée qu'elles soient factices ou supposées; et dans le cas où, contre notre opinion, elles le seroient, l'auteur n'en mériteroit que plus d'éloges pour avoir conservé à son recueil l'air de vraisemblance qu'il est si difficile de soutenir dans ces especes de mensonges littéraires.

 

Depuis que la Suisse, par l'air pur qu'on y respire, par la variété et le pittoresque étonnant de ses sites, a attiré dans son sein des physiciens, des naturalistes, des peintres, et successivement les voyageurs de tous les pays, nous avons eu de ce magique asyle de la liberté des descriptions sans nombre, tant en prose qu'en vers, et cependant on trouve encore dans le petit volume des Lettres écrites de Lausanne quelques tableaux neufs qui semblent dessinés d'après nature, non par la main d'un voyageur qui voit aussi rapidement qu'il passe, mais par une personne d'esprit qui habite le pays dont elle parle.

 

Ces lettres sont écrites par une femme de qualité de Lausanne à une de ses amies. Elle est mere d'une jeune personne qu'elle aime tendrement, qu'elle éleve, et qu'elle voudroit établir; elle est peu riche. Cécile (c'est le nom de la fille)a 17 ans. Voici le portrait qu'elle en fait.

 

‘Cécile aime la danse avec passion. Elle est assez grande, assez bien faite; elle est vive, agile; elle a l'oreille parfaite; elle a un joli front, un joli nez, des yeux noirs un peu enfoncés, pas bien grands, mais brillans et doux, les levres vermeilles, mais un peu grosses, les dents saines, une belle peau de brune, le teint animé, quelquefois trop rouge, une gorge qui seroit belle, si elle étoit plus blanche; le pied et la main passables. Son teint a une certaine transparence, je ne sçais quoi de satiné, de brillant; c'est le contraire du mat, du terne; c'est le satiné des fleurs rouges, des pois odorans; mais Cécile a cette petite tumeur trop commune dans les vallées étroites de la Suisse: elle a un goître. Le tout ensemble,

[pagina 222]
[p. 222]

qui est d'un joli savoyard habillé en fille, annonce de la santé, de la bonté, de la gaieté, une susceptibilité d'amour et d'amitié, la simplicité du coeur et la droiture de l'esprit; en un mot, c'est une belle et bonne fille’.

 

Cécile a plus d'un prétendant; mais elle paroît avoir distingué surtout un jeune lord qui demeure près du logis de sa mère avec un gouverneur. Leur petite passion, bien filée, bien naturelle, est un des objets principaux de ces lettres, où cette mere éclairée, et femme d'un mérite supérieur, développe quelquefois, mais sans prétention et sans pédanterie, les principes de l'éducation qu'elle a donnée et qu'elle donne encore, selon les circonstances, à la simple et naive Cécile. Songez, dit-elle à son amie, que ma fille et moi ne sommes pas un roman comme ADELE et sa mere, ni une leçon, ni un exemple à citer.

 

‘Vous êtes enchantée de Cécile, dit-elle ailleurs, et vous demandez comment j'ai fait pour la rendre si robuste, pour la conserver si fraîche et si saine. Je l'ai toujours eue auprès de moi: elle a toujours couché dans ma chambre, et quand elle avoit froid, dans mon lit. Je l'aime uniquement: cela rend bien clairvoyante et bien attentive .... Vous me demandez comment je l'ai élevée .... J'ai enseigné à lire et à écrire à ma fille dès qu'elle a pu prononcer et remuer les doigts, pensant comme l'auteur de SéTHOS, que nous ne sçavons jamais bien que ce que nous avons appris machinalement. Depuis l'âge de 8 ans jusqu'à 16, elle a pris tous les jours une leçon de latin et de religion d'un de ses cousins, et une de musique d'un vieux organiste très-habile.

Je lui ai appris aussi autant d'arithmétique qu'une femme a besoin d'en sçavoir. Je lui ai montré à coudre, à tricoter et à faire de la dentelle. J'ai laissé tout le reste au hazard. Elle a appris un peu de géographie en regardant des cartes dans mon antichambre, et elle a lu ce qu'elle a trouvé dans son chemin quand cela l'amusoit. Elle a écouté ce qu'on disoit quand elle en a été curieuse, et que son attention n'importunoit pas. Je ne suis pas sçavante; ma fille l'est encore moins. Je ne me suis pas attachée à l'occuper toujours; je l'ai laissée s'ennuyer quand je n'ai pas sçu l'amuser... Elle ne joue pas de la harpe; elle ne sçait ni l'italien, ni l'anglois. Elle n'a eu que 3 mois de danse. Vous voyez bien qu'elle n'est pas trèsmerveilleuse; mais en vérité elle est si jolie, si bonne, si naturelle, que je ne pense pas que personne voulût y rien changer’...

‘J'aimois ma fille uniquement. Rien, à ce qu'il me semble, n'a partagé mon attention, ni balancé dans mon coeur son intérêt. Supposé qu'avec cela j'aie mal fait, ou que je n'en aie pas fait assez, prenez-vous en, si vous avez foi à l'éducation, prenez-vous en, remontant d'enfans à peres et meres, à

[pagina 223]
[p. 223]

Noé, à Adam, qui élevant mal leurs enfans, ont transmis de pere en enfans une mauvaise éducation à Cécile. Si vous avez plus de foi à la nature, remontez plus haut encore, et pensez, quelque système qu'il vous plaise adopter, que je n'ai pu faire mieux... Je ne me ferai point de reproches: si ma fille est malheureuse, je serai malheureuse; mais je n'accuserai point le coeur tendre d'une mère dévouée à son enfant; je n'accuserai point non plus ma fille; j'accuserai la société, le sort, ou bien je n'accuserai point; je ne me plaindrai point; je me soumettrai en silence avec patience et courage’.

 

Il nous semble que cette courte esquisse est bien aussi profonde et au moins aussi naturelle, aussi praticable que tous les grands raisonnemens dont notre esprit de mode a rempli tant de traités d'éducation depuis plusieurs années; c'est ce qui nous a déterminés à transcrire ce morceau de plusieurs lettres du recueil de Lausanne.

On trouve sur cette ville fameuse de la Suisse un détail très-neuf, très-moral et digne de l'attention du lecteur; le voici.

 

‘Connoissez-vous, dit l'auteur à son amie, Plombières, Bourbonne ou Barege? ... Lausanne ressemble assez à ces endroits-là. La beauté de notre pays, notre académie et M. Tissot nous amenent des étrangers de tous les pays, de tous les âges, de tous les caracteres, mais non de toutes les fortunes: il n'y a guere que les gens riches qui puissent vivre hors de chez eux. Nous avons donc surtout des seigneurs anglois, des financières françoises et des princes allemands qui apportent de l'argent à nos aubergistes, aux paysans de nos environs, à nos petits marchands et artisans, ou à ceux de nous qui ont des maisons à louer en ville ou à la campagne, et qui appauvrissent tout le reste en enchérissant les denrées et la main-d'oeuvre, et en nous donnant le goût avec l'exemple d'un luxe peu fait pour nos fortunes et nos ressources. Les gens de Plombieres, de Spa, de Barege, ne vivant pas avec leurs hôtes, ne prennent par leurs habitudes ni leurs moeurs; mais nous, dont la société est plus aimable, dont la naissance ne cede souvent pas à la leur, nous vivons avec eux, nous leur plaisons; quelquefois nous les formons, et ils nous gâtent. Ils font tourner la tête à nos jeunes filles; ils donnent à ceux de nos jeunes hommes qui conservent des moeurs simples, un air gauche et plat; aux autres, le ridicule d'être des singes, de ruiner souvent leur bourse et plus souvent leur santé. Les ménages, les mariages, n'en vont pas mieux non plus pour avoir dans nos coteries d'élégantes françoises, de belles angloises,

[pagina 224]
[p. 224]

de jolis anglois, d'aimables rouésGa naar voetnoot(*) françois; et supposé que cela ne gâte pourtant pas beaucoup de mariages, cela en empêche beaucoup. Les jeunes filles trouvent leurs compatriotes peu élégans: Les jeunes hommes trouvent les filles trop coquettes ... J'ai trouvé longtemps fort injuste, dit-elle plus bas, qu'on jugeât les moeurs d'une femme de marchand ou d'avocat plus séverement que celles de la femme d'un fermier-général ou d'un duc; j'avais tort.

La première se corrompt davantage, et fait plus de mal à son mari. Elle le rend plus ridicule, parce qu'elle lui rend sa maison désagréable, et qu'à moins de le tromper bien completement, elle l'en bannit: or, s'il s'en laisse bannir, il passe pour un benêt; s'il se laisse tromper, pour un sot. De maniere ou d'autre, il perd toute considération, et ne fait avec succès rien de ce qui en demande. Le public le plaint, et trouve sa femme odieuse, parce qu'elle le rend à plaindre. Chez des gens riches, chez des grands, dans une maison vaste, personne n'est à plaindre.

Le mari a des maîtresses, s'il veut en avoir, et c'est presque toujours par lui que le désordre a commencé. On lui rend trop de respects pour qu'il paroisse ridicule. La femme ne paroît point odieuse et ne l'est point. Elle traite bien ses domestiques; elle peut faire élever ses enfans ... On danse et l'on mange chez elle. Qui est-ce qui se plaint, et combien de gens n'ont pas à se louer?

En vérité, pour ce monde, l'argent est bon à tout. Il achete jusqu'à la facilité de conserver des vertus dans le désordre, d'être vicieux avec le moins d'inconvéniens possibles. Il vient, je l'avoue, un tems où il n'achete plus rien de ce qu'on desire, et où des hommes et des femmes gâtés longtems par son enivrante possession trouvent affreux qu'il ne puisse leur procurer un instant de santé ou de vie, ni la beauté, ni la jeunesse, ni le plaisir, ni la vigueur; mais combien de gens cessent de vivre avant que son insuffisance se fasse si cruellement sentir! ... Je m'apperçois que je n'ai parlé que des femmes infidelles, riches ou pauvres; j'aurois la même chose à dire des maris. S'ils ne sont pas riches, ils donnent à une maîtresse le nécessaire de leurs femmes; s'ils sont riches, ce n'est que du superflu, et ils leur laissent mille amusemens, mille ressources, mille consolations. Pour laisser épouser à ma fille un homme sans fortune, je veux qu'ils s'aiment passionnément; s'il est question d'un grand seigneur fort riche, j'y regarderai peut-être d'un peu

[pagina 225]
[p. 225]

moins près’.

 

Nos lecteurs ne trouveront pas sans doute ce morceau trop long: il peut les faire réfléchir utilement sur les vérités qu'il contient.

 

Ecoutons encore la mere de l'intéressante Cécile, qui vient de raconter ingénument à cette mere si honnête comment le jeune lord a surpris sur sa main un baiser, tandis qu'elle s'étoit baissée pour ramasser une pièce du jeu d'échecs dont ils jouoient ensemble une partie; on croit entendre parler la raison la plus éclairée, et nous croyons que nos lecteurs, après avoir examiné la conversation que nous allons transcrire, penseront comme nous qu'on voit aujourd' hui peu de productions aussi utiles et d'un ton aussi décent.

 

‘Cécile, dans vos leçons de religion, on vous a dit qu'il falloit être chaste et pure: avez-vous attaché quelque sens à ces mots? - Non, maman. - Eh bien! le moment est venu de pratiquer une vertu, de vous abstenir d'un vice dont vous ne pouviez avoir aucune idée. Si cette vertu vient à vous paroître difficile, pensez aussi que c'est la seule que vous ayez à vous prescrire rigoureusement, à pratiquer avec vigilance, avec une attention scrupuleuse sur vous-même. - La seule? - Examinez-vous, et lisez le décalogue. Aurez-vous besoin de veiller sur vous pour ne pas tuer, pour ne pas dérober, pour ne pas calomnier? Vous ne vous êtes sûrement jamais souvenue que tout cela vous étoit défendu, et vous n'aurez pas besoin de vous en souvenir.... Ce qu'on appelle vertu chez les femmes sera presque la seule chose que vous puissiez pratiquer en tant que vertu, et la seule dont vous puissiez dire en la pratiquant: J'obéis aux préceptes qu'on m'a dit être les loix de Dieu, et que j'ai reçu comme tels.

- Mais, maman, les hommes n'ont-ils pas reçu les mêmes loix? Pourquoi se permettent-ils d'y manquer et de nous en rendre l'observation difficile? - Je n'ai point de fils; je ne sçais ce que je dirois à mon fils; je n'ai pensé qu'à la fille que j'ai, et que j'aime pardessus toute chose. Ce que je puis vous dire, c'est que la société, qui dispense les hommes et ne dispense pas les femmes d'une loi que la religion paroît avoir donnée également à tous, impose aux hommes d'autres loix qui ne sont peut-être pas d'une observation plus facile. Elle exige d'eux, dans le désordre même, de la retenue, de la délicatesse, de la discrétion, du courage; et s'ils oublient ces loix, ils sont déshonorés; on les fuit; on craint leur approche; ils trouvent partout un accueil qui leur dit: On vous avoit donné assez de privileges; vous ne vous en êtes pas contentés. La société effrayera par votre exemple ceux qui seroient tentés de vous imiter, et qui, en vous imitant, troubleroient tout, renverseroient tout, ôteroient du monde

[pagina 226]
[p. 226]

toute securité, toute confiance...... Et puis, que d'autres obligations pénibles la société ne leur impose-t-elle pas? Croyez-vous, par exemple, que si la guerre se déclare, il soit bien agréable à votre cousin de nous quitter au mois de Mars pour aller s'exposer à être tué ou estropié, à prendre, couché sur la terre humide, et vivant parmi des prisonniers malades, les germes d'une maladie dont il ne guérira peut-être jamais? - Mais, maman, c'est son devoir, c'est sa profession; il se l'est choisie; il est payé pour tout ce que vous venez de dire; et s'il se distingue, il acquiert de l'honneur, de la gloire même; il sera avancé; on l'honorera partout où il ira, et jusques chez les ennemis qu'il aura combattus.

- Eh bien! Cécile, c'est la profession, c'est le devoir de toute femme d'être sage: elle ne se l'est pas choisie; mais la plupart des hommes n'ont pas choisi la leur. Les parens ou les circonstances ont fait ce choix pour eux... Une femme est aussi payée de cela seul qu'elle est femme. Ne nous dispense-t-on pas presque partout des travaux pénibles? N'est-ce pas nous que les hommes garantissent du chaud, du froid, de la fatigue? En est-il d'assez peu honnêtes pour ne pas vous céder le meilleur pavé, le sentier le moins raboteux, la place la plus commode? Si une femme ne laisse porter aucune atteinte à ses moeurs ni à sa réputation, il faudroit qu'elle fût à d'autres égards bien odieuse, bien désagréable pour ne pas trouver partout des égards, et puis n'est-ce rien après s'être attaché un honnête homme, de le fixer, de pouvoir être choisie par lui et par ses parens pour être sa compagne? Les filles peu sages plaisent d'abord plus que les autres; mais il est rare que le desir aille jusqu'à les épouser; encore plus rare qu'après les avoir épousées, un repentir humiliant ne les punisse pas d'avoir été trop séduisantes ..... Je trouve souvent les hommes odieux dans ce qu'ils exigent et dans leur maniere d'exiger des femmes; mais je ne trouve pas qu'ils se trompent si fort de craindre ce qu'ils craignent. Une fille imprudente est rarement une femme prudente et sage. Celle qui n'a pas résisté à son amant avant le mariage lui est rarement fidelle après ... Son imagination lui promettoit des plaisirs qu'elle ne trouve plus ou qu'elle n'a pas trouvés; elle espere les goûter ailleurs que dans le mariage; et si elle n'a pas résisté à ses penchans étant fille, elle ne leur résistera pas étant femme. L'habitude de la foiblesse sera prise; le devoir et la pudeur sont déjà accoutumés à céder. Ce que je dis est si vrai, qu'on admire autant dans le monde la sagesse d'une belle femme courtisée par beaucoup d'hommes que la retenue d'une jeune fille dans le même cas ... J'ai vu des femmes se marier avec la plus violente passion, et avoir un amant deux ans après leur mariage, ensuite un autre et puis un troisième, jusqu'à ce que méprisées,

[pagina 227]
[p. 227]

avilies ....

Ah! maman, s'écria Cécile en se levant, ai-je mérité tout cela? - Vous voulez dire ai-je besoin de tout cela, lui dis-je en l'asséyant sur mes genoux, et en essuyant avec mon visage les larmes qui couloient sur le sien’.

 

Cette leçon, si digne de la plus respectable et de la plus intelligente des meres, a sur Cécile tout l'effet qu'on pouvoit se promettre d'un caractere simple et naîf comme le sien. La vertu qu'elle ignoroit est entrée dans son ame avec toute sa pureté. Cécile avoit un penchant innocent; elle s'observe scrupuleusement jusqu'à ce que, plus éclairée sur le coeur du lord, qui ne ménage pas assez sa confiance, et qui a assez peu de délicatesse pour parler de son retour dans son pays sans mettre à cette annonce rien de ce qui peut la faire pardonner, elle se décide avec courage à partir pour Lyon avec sa mere, qui va passer quelque temps près de l'amie à laquelle sont adressées les estimables lettres que nous avons sous les yeux, et dont nous conseillons la lecture à toutes les meres et à toutes les jeunes personnes, qui pourront y puiser des forces contre l'impérieuse séduction des sens.

 

A ce que nous en avons déjà rapporté, nous joindrons quelques traits particuliers pris de côté et d'autre, et qui confirmeront sans doute ce que nous avons fait pressentir en faveur de l'ouvrage et de l'auteur.

 

‘On parle tant des illusions de l'amour-propre; cependant il est bien rare, quand on est véritablement aimé, qu'on croie l'être autant qu'on l'est. Un enfant ne voit pas combien il occupe continuellement sa mere. Un amant ne voit pas que sa maîtresse ne voit et n'entend partout que lui. Une maîtresse ne voit pas qu'elle ne dit pas un mot, ne fait pas un geste qui ne fasse plaisir ou peine à son amant. Si on le sçavoit, combien on s'observeroit par pitié, par générosité, par intérêt, pour ne pas perdre le bien inestimable et incompensable d'être tendrement aimé’!....

 

‘Vous voudriez que je fisse apprendre la chymie à Cécile, parce qu'aujourd'hui en France toutes les jeunes filles l'apprennent. Cette raison ne me paroît pas concluante; mais Cécile, qui en entend parler autour d'elle assez souvent, lira là-dessus ce qu'elle voudra. Quant à moi, je n'aime pas la chymie. Je sçais que nous devons aux chymistes beaucoup de découvertes et d'inventions utiles et beaucoup de choses agréables; mais leurs opérations ne me font aucun plaisir. Je considere la nature en amant: ils l'étudient en anatomistes’.

[pagina 228]
[p. 228]

Dans la 12e. lettre l'auteur dit à sa fille:

 

‘Vous avez entendu louer, et peut-être avoit-on tort de louer en votre présence des femmes connues par leurs mauvaises moeurs; mais c'étoient des femmes qui n'auroient pu faire ce qu'on admire en elles, si elles avoient été sages. La le Couvreur n'auroit pu envoyer au maréchal de Saxe le prix de ses diamans, si on ne les lui avoit donnés, et elle n'auroit eu aucune relation avec lui, si elle n'avoit été sa maîtresse; Agnès Sorel n'auroit pas sauvé la France, si elle n'avoit été celle de Charles VII. Mais ne serions nous pas fâchées d'apprendre que la mere des Gracques, Octavie, femme d'Antoine, ou Porcie, fille de Caton, aient eu des amans? Mon érudition fit rire Cécile. On voit bien, maman, dit-elle, que vous avez pensé d'avance à ce que vous venez de dire, et il vous a fallu remonter bien haut.... Il est vrai, interrompis-je, que je n'ai rien trouvé dans l'histoire moderne; mais nous mettrons, si vous voulez, à la place de ces Romaines Mme. Tr....., Mlle. des M*** et Mlles. de S***’.

 

La 13e. lettre offre des preuves de la religion de ce modele des meres. Elle répond à une lettre de son amie de Lyon, et elle lui dit:

 

‘Vos hommes m'ont bien fait rire. Celui qui est étonné qu'un hérétique sçache ce que c'est que le décalogue, me rappelle un François qui disoit à mon père: Monsieur, qu'on soit huguenot pendant le jour, je le comprends: on s'étourdit, on fait ses affaires, on ne pense à rien; mais le soir, en se couchant dans son lit, dans l'obscurité, on doit être bien inquiet: car au bout du compte, on pourroit mourir pendant la nuit; et un autre qui lui disoit: Je sçais bien. Monsieur, que vous autres huguenots, vous croyez en Dieu; je l'ai toujours soutenu, je n'en doute pas, mais en J.-C.... Quant au président qui ne comprend pas comment une femme qui a quelque instruction et quelque usage du monde ose encore parler des dix commandemens, et en général de la religion, il est encore plus plaisant et plus pitoyable. Il a voulu raisonner; il dit comme tant d'autres, que sans la religion nous n'aurions pas moins de morale, et cite quelques athées honnêtes gens. Répondez-lui que, pour en juger, il faudroit trois ou quatre générations et un peuple entier d'athées: car si j'ai eu un pere, une mere, des maîtres chrétiens ou déistes, j'aurai contracté des habitudes de penser et d'agir qui ne se perdront pas le reste de ma vie, quelque systême que j'adopte, et qui influeront sur mes enfans sans que je le veuille ou que je le sçache, de sorte que Diderot, s'il étoit honnête homme, pouvoit le devoir à une religion que de bonne foi il soutenoit être fausse’.

 

‘On ne voit pas assez (15e lettre) que chez les hommes le revers de la médaille est de son essence aussi bien que son beau côté. Changez quelque chose, vous changez tout. Dans l'équilibre des facultés vous trouverez la médiocrité comme la sagesse’.

[pagina 229]
[p. 229]

VI
L'Esprit des journaux françois et étrangers, 15ème année, t. XII, décembre 1786, p. 146-161.

LETTRES écrites de Lausanne. A Genève, et se trouve à Paris, chez Buisson, libraire, rue des Poitevins, hôtel de Mesgrigny. 116 pag. in-8vo. Prix, 30 sols broché, 1786.

 

[Texte identique à celui du Journal encyclopédique, avec cet alinéa supplémentaire à la fin:]

 

En voilà assez pour faire connoître cet ouvrage, dans lequel on trouve quelquefois de petites circonstances, des riens, mais presque toujours des vues judicieuses, des reflexions très-justes.

[pagina 230]
[p. 230]

VII
Journal de Paris, dimanche 31 décembre 1786, p. 1531-1532.

LETTRES écrites de Lausanne. A Genève, et se trouvent à Paris, chez Buisson, Libraire, rue des Poitevins, hôtel de Mesgrigny, No. 13. In-8o. de 116 pages; prix 1 liv. 10 s.

 

Ces Lettres paroissent avoir été réellement écrites de Lausanne. Les vues politiques répandues dans les deux ou trois premières Lettres; quelques termes inusités, moins agréables qu'énergiques, comme se dégonfler sur ce chapitre, pour dire: exposer des idées dont on est plein; les manières, les moeurs, tout y décèle un certain goût de terroir qu'on n'imite pas facilement, qu'on ne cherche pas même à imiter. La beauté du pays, l'Académie et le célèbre Médicin Tissot, amènent à Lausanne des Seigneurs Anglois, des Françoises élégantes, des Princes Allemands: tout ce monde-là est assez dangereux pour les jeunes filles qui n'ont pas de fortune, et à qui la société de ces Etrangers fait trouver insipide celle de leurs compatriotes. Voilà sans doute la morale qui peut résulter des Lettres dont il est ici question. Une mère vertueuse y rend compte des premières impressions de sa fille qui a de la fraîcheur, de la santé, l'esprit cultivé sans pédanterie, les mouvemens du coeur, honnêtes et délicats, et ce besoin d'aimer que ne fait que trop souvent le malheur des ames sensibles. Deux ou trois hommes estimables sont reçus dans cette maison; et Cécile (c'est le nom de la jeune personne) a, sans qu'elle s'en doute d'abord elle-même, une préférence assez marquée pour un jeune Lord fort assidu auprès d'elle. Diverses circonstances l'éclairent et l'allarment sur ses propres dispositions. Sa mère, qui est sa confidente, fait part à une amie de tous ses petites événemens, si importans pour ce qu'elle a de plus cher au monde, et auxquels les lecteurs prennent aussi beaucoup d'intérêt. Ce qu'il y a de désagréable, c'est qu'on n 'en voit pas la fin. Un Bernois, le fils du Baillif, demande Cécile en mariage: on le réfuse; mais le Lord n'est pas aussi empréssé qu'on le désireroit. On prend le parti d'aller à la campagne; et la mère espère que sa fille oubliera cet étranger, s'il ne demande pas à ses parens la permission de l'épouser: espérance peu fondée, car on sent bien qu'une jeune personne ne peut pas oublier si facilement celui qu'elle aime; et si le petit Lord tarde encore beaucoup à se décider, la pauvre Cécile sera bien malheureuse. Un de ses cousins en est aussi fort épris: mais il est marié à une femme aussi vaine que jalouse. Tout ce que nous indiquons ici, un jeune Officier françois de dix-sept ans, qui paroît un instant dans cette société, le

[pagina 231]
[p. 231]

penètre en un clin-d'oeil. Il est étourdi, espiégle, spirituel: il va dire tout ce qu'il voit: la mère de Cécile le retient, et il a honte de son indiscrétion. On aime ce jeune étourdi, et on est même disposé à croire que Cécile le distingueroit, si son coeur n'étoit pas prévenu. Il a un frère d'un caractère tout opposé, taciturne, réfléchi, occupé tout entier de son métier. Ces deux François font de la sensation à Lausanne. ‘Mais en admirant l'application et les talens de l'aîné, on regrettoit qu'il ne parlât pas un peu plus, qu'il ne fût pas comme un autre; et en admirant la vivacité d'esprit et la gentillesse du cadet, on auroit voulu qu'il parlât moins, qu'il fût circonspect et modeste: sans penser qu'il n'y auroit alors plus rien à admirer, non plus qu'à critiquer chez aucun des deux.’ Cette observation est neuve et fine à la fois. Il y en a plusieurs de ce genre dans ces Lettres. La personne qui les a écrites a des idées solides et des sentimens tendres: on regrette infiniment de ne pas suivre plus longtems la mère et la fille. Ce sont, pour ainsi dire, des connoissances agréables que l'on vient de faire: on s'y est attaché malgré soi; et il faut les abandonner tout-à-coup sans aucun espoir de recevoir de leurs nouvelles. Telle est la disposition où l'on se trouve après la lecture de ce petit Ouvrage. Il y a des Romans qui semblent presque éternels: celui-ci est trop court; c'est un défaut plus rare.

[pagina 232]
[p. 232]

VIII
Journal de Paris, dimanche 27 Janvier 1788, p. 121-122.

LETTRES écrites de Lausanne, 1re Partie. CALISTE, 2e Partie. A Genéve, et se trouvant à Paris, chez Prault, Imprimeur du Roi, quai des Augustins, à l'Immortalité.

 

Le premier de ces deux petits Volumes avoit déjà paru: ce sont les Lettres d'une Dame de Lausanne à sa parente en Languedoc. Elle lui parle, avec naturel et originalité, de sa fille et de l'éducation qu'elle lui a donnée, du pays qu'elle habite, des Etrangers attirés par la beauté du pays et la réputation de M. Tissot; d'un jeune Anglois que sa fille distingue de tout ce qui lui passe sous les yeux et dans l'esprit. Nous avons rendu compte de ces Lettres l'année dernière.

 

La seconde partie intitulée, Caliste, contient un Episode plus intéressant que les Lettres qui l'ont précédé. Que dirons-nous de cet Ouvrage singulier? L'appellerons-nous moral ou immoral? En pouvons-nous recommander la lecture? La scène est en Angleterre. Caliste, élevée pour l'état de Comédienne par une mère corrompue, livrée à un homme de qualité par cette mère au sortir du théâtre sur lequel elle avoit débuté, conduite en France et en Italie, embellie de tout ce que des Maîtres et des soins peuvent ajouter aux graces et aux talens naturels, adorée et chérie par son Amant pendant huit ans, c'est-à-dire, aussi longtems qu'il respire, vivoit seule à Bath après sa mort. Elle y voit un jeune homme qui est conduit par sa mauvaise santé, effet de l'extrême affliction que lui cause la mort d'un frère né en même-tems que lui, élevé avec lui, blessé à ses côtés dans la guerre d'Amérique, et mort dans ses bras.

Caliste le voit, le soigne, l'aime et s'en fait aimer; mais l'humiliation que lui a laissée son ancien état lui donne tant d'effroi et d'horreur pour tout ce qui l'en rapprocheroit, que, malgré la plus vive passion, elle reste soumise aux loix de l'honnêteté et force son Amant à les respecter. Il se flatte que son père approuvera qu'il l'épouse; mais le père refuse son aveu. Caliste est trop délicate pour vouloir s'en passer. L'Amant n'a pas l'adresse ou l'énergie nécessaire pour vaincre les répugnances de son père ni les scrupules de sa Maîtresse; desorte qu'après beaucoup d'incidens, il se la voit enlever par un homme moins irrésolu et se laisse marier lui-même a une femme qui n'avoit pas son coeur et qui n'obtient pas son estime. Ces deux mariages sont malheureux;

[pagina 233]
[p. 233]

l'un par la passion que Caliste conserve pour son Amant et les preuves involontaires qu'elle en donne à son mari; l'autre par la coquetterie de la femme, et la tiédeur et la tristesse de l'époux. Enfin la santé de Caliste reçoit différentes atteintes, qui, jointes au chagrin qui la minent, la conduisent au tombeau, et son Amant apprend à Lausanne la nouvelle de sa mort.

 

Il n'y a point ici, comme on voit, d'intrigue compliquée, d'événemens frappans; mais l'amour, ses peines, ses innocentes joies et son dévouement y sont peints avec une vérité peu commune et avec un charme trop grand peut-être. Cette Caliste, cette fille entretenue est peut-être trop aimable et trop séduisante; et comme elle doit une partie de son mérite à l'état qui flétrit sa vie, à la mélancolie, à la réserve, à la douceur, à l'extrême complaisance qui en sont les effets, peut-être a-t-on donné à cet état même un relief qu'il ne doit pas avoir; mais nous croyons qu'on ne lira pas ce petit Ouvrage sans beaucoup d'intérêt.

 

Quant au style, nous trouvons une grande vérité et un naturel souvent fin et toujours animé, avec des négligences qui étonnent, mais qu'on pardonnera sans doute à l'Amant de Caliste, écrivant sa propre histoire dans une langue qu'on peut supposer ne lui étre pas devenue tout-à-fait naturelle.

[pagina 234]
[p. 234]

IX
Mercure de France, 23 février 1788, p. 165-180.

LETTRES écrites de Lausanne; Ire. Partie. CALISTE, ou suite des Lettres écrites de Lausanne; II Parties in-8o. A Genève; et se trouvent à Paris, chez Prault, Imprimeur du Roi, quai des Augustins; et chez les Marchands de Nouveautés.

 

Dans la première Partie de l'Ouvrage que nous annonçons, l'Auteur a pour objet de montrer ce que doit faire une bonne mère pour préserver sa fille des dangers qui l'environnent dans sa jeunesse: ces dangers si grands dans tous les états et dans toutes les conditions, l'Auteur semble encore avoir voulu les aggraver par la manière dont il a constitué ses personnages. Cécile a de la naissance, mais elle est sans fortune; elle n'a que dix-sept ans, elle est grande, bien faite; elle a de l'esprit, des talens, une figure agréable, et douée par la Nature de cette heureuse expression de bonté et de sensibilité qui intéresse et charme plus sûrement que la beauté même, parce qu'elle promet une ame, et qu'elle trompe rarement. Parmi les hommes que la mère de Cécile reçoit chez elle, est un jeune Lord venu à Lausanne pour apprendre la Langue Françoise, et que ses parens laissent maître de sa main. Il s'attache à la jeune personne; et comme il est aimable, et de plus le premier homme qui la distingue, il parvient aisément à s'en faire aimer: mais malheureusement l'impression qu'il reçoit n'est pas aussi vive que celle qu'il a faite sur Cécile. Cette différence n'échappe point à la mère: les deux Amants ne se sont encore rien avoué; mais tout trahit le penchant de Cécile: sa mère voit qu'il est temps de la réprimer: voici un exemple de sa conduite; nous le choisissons à dessein un peu détaillé, afin qu'il fasse mieux connoître les vûes et les pensées de l'Auteur, et qu'il donne en même temps une idée du style de son Ouvrage.

 

Un soir la mère de Cécile avoit trois hommes chez elle; deux jouoient au piquet, l'autre, qui étoit le jeune Lord, enseignoit les échecs à Cécile, qui n'étoit pas très-attentive. Une fois le Lord s'impatienta de son inattention, et Cécile se fâcha de son impatience, La mère, qui travailloit assise près de leur table, jette les yeux sur eux, elle voit qu'ils se boudent. Un instant après elle les regarde encore; la main de Cécile étoit immobile sur l'échiquier, sa tête étoit penchée en avant et baissée; le jeune homme aussi baissé vers elle, sembloit la dévorer des yeux; c'étoit l'oubli de tout, l'extase, l'abandon. Cécile, avertie doucement par sa mère, dit

[pagina 235]
[p. 235]

que les échecs la fatiguent, sort, et ne rent re que lorsque les trois hommes s'en sont allés. Alors elle raconte à sa mère, qu'ayant voulu relever un pion tombé, le jeune Lord a serré et baisé sa main: elle l'a retirée; mais elle s'est sentie si contente de ce que leur bouderie ne duroit plus! les yeux du Lord lui ont paru si tendres! elle a été si émue! Cependant elle espère qu'il aura cru qu'elle boudoit encore; car elle ne le regardoit pas. Je souhaite qu'il l'ait cru, dit la mère; mais pourquoi le souhaitez-vous, dit Cécile? La mère, en lui répondant, n'examine pas si les leçons qu'elle va lui donner, étoient aussi données par la Nature, c'est-à-dire, si la Nature avoit mis dans les devoirs des deux sexes la même différence que nos institutions; mais elle fait voir à sa fille que les hommes, en se réservant le droit de succomber sans déshonneur à toutes les tentations de leurs sens, et en se dispensant en cela d'une loi à laquelle ils soumettoient les femmes, se sont imposé beaucoup d'autres loix qui leur sont particulières, et dont l'observation n'est peut-être pas plus facile: que c'est avec raison qu'on a donné le nom absolu de vertu à la sagesse des femmes, parce que celles qui sont bien nées, n'ont besoin que de leur coeur et de leur éducation pour obéir à tous leurs autres devoirs, et que celui-là est le seul dont la pratique leur soit pénible. Enfin elle finit par lui peindre la dureté avec laquelle les hommes punissent une jeune personne de l'impression qu'ils ont faite sur elle, et des faveurs qu'ils en ont reçues, et elle lui en explique les raisons.

 

‘Ma chère Cécile, lui dit-elle, un moment de cette sensibilité à laquelle je voudrois que vous ne cédassiez plus, a souvent fait manquer à des filles aimables, et qui n'étoient pas vicieuses, un établissement avantageux, la main de l'homme qu'elles aimoient, et qui les aimoit. - Quoi! cette sensibilité qu'ils inspirent, qu'ils cherchent à inspirer, les éloigne. - Elle les effraye: Cécile, jusqu'au moment où il sera question de mariage, on voudra que sa Maîtresse soit sensible, on se plaindra d'elle si elle ne l'est pas assez; mais quand il est question de l'épouser ... on se rappelle les refus avec plaisir, on se rappelle les faveurs avec inquiétude. La confiance qu'a témoignée une fille trop tendre ne paroît plus qu'une imprudence qu'elle peut avoir vis-à-vis de tous ceux qui l'y inviteront. L'impression trop vive qu'elle aura reçue des marques d'amour de son Amant, ne paroît plus qu'une disposition à aimer tous les hommes. Jugez du déplaisir, de la jalousie, du chagrin de son mari; car le désir d'une propriété exclusive est le sentiment le plus vif qu'il lui reste. Il se consolera d'être peu aimé, pourvu que personne ne puisse l'être. Il est jaloux encore lorsqu'il n'aime

[pagina 236]
[p. 236]

plus. Et Cécile, son inquiétude n'est pas aussi absurde, aussi injuste que vous pourriez à présent vous l'imaginer...... Une fille imprudente est rarement une femme prudente et sage. Celle qui n'a pas résisté à son Amant avant le mariage, lui est rarement fidèle après... L'habitude de la foiblesse sera prise, le devoir et la pudeur sont déjà accoutumés à céder.... J'ai vu des femmes se marier avec la plus violente passion, et avoir un Amant deux ans après leur mariage; ensuite un autre, et puis encore un autre, jusqu'à ce que méprisées, aviliés’.....

 

Cécile, épouvantée de cette image, s'écrie: Ah! maman, ai-je mérité tout cela? Vous voulez dire, ai-je besoin de tout cela, lui répond sa mère? Puis voyant que Cécile n'est pas assez calme pour prêter l'oreille à ce qu'elle auroit encore à lui dire, elle la renvoie; elle s'approche de son bureau et elle lui écrit:

 

‘Ma Cécile, ma chère fille, je vous l'ai promis, cette seule fois, vous aurez été tourmentée par la sollicitude d'une mère qui vous aime plus que sa vie; ensuite sachant sur ce sujet tout ce que je sais, tout ce que j'ai jamais pensé, ma fille jugera pour ellemême; je pourrai la faire souvenir quelquefois par un mot de ce que je lui aurai dit aujourd' hui; mais jene le luirépéterai jamais. Permettez done que j'achève, Cécile, et soyez attentive jusqu'au bout. Je ne vous dirai pas ce que je dirois à tant d'autres; que si vous manquez de sagesse, vous renoncerez à toutes les vertus; que jalouse, dissimulée, coquette, inconstante, n'aimant bientôt que vous, vous ne serez plus ni fille, ni amie, ni amante: je vous dirai au contraire, que les qualités précieuses qui sont en vous, et que vous ne sçauriez perdre, rendront la perte de celle-ci plus fâcheuse, en augmenteront le malheur et les inconvéniens. Il est des femmes dont les défauts réparent en quelque sorte et couvrent les vices: elles conservent dans le désordre un extérieur décent et imposant. Leur hypocrisie les sauve d'un mépris qui auroit rejailli sur leurs alentours. Impérieuses et fières, elles mettent sur les autres un joug qu'elles ont secoué; elles établissent et maintiennent la règle; elles font trembler celles qui les imitent... Leurs maris, pour peu que le hasard les ait servies, les croient des Lucrèces; et leurs enfans, loin de rougir d'elles, les citent comme des exemples d'austérité; mais vous, qu'oseriez-vous dire à vos enfans? Qui ôseriez-vous blâmer? Hésitant, vous interrompant, rougissant à chaque mot, votre indulgence pour les fautes d'autrui déceleroit les vôtres. Le désordre s'établiroit autour de vous: si votre mari avoit une maîtresse, vous vous

[pagina 237]
[p. 237]

trouveriez heureuse de partager avec elle une maison sur laquelle vous ne vous croiriez plus de droit, et peut-être laisseriez-vous partager à ses enfans le patrimoine des vôtres. Soyez sage, ma Cécile, pour que vous puissiez jouir de vos aimables qualités: soyez sage, vous vous exposeriez, en ne l'étant pas, à devenir trop malheureuse. Je ne vous dit pas tout ce que je pourrois dire; je ne vous peins pas le regret d'avoir trop aimé ce qui méritoit peu d'être aimé; le désespoir de rougir de son Amant, encore plus que de ses foiblesses, de s'étonner, en le voyant de sang froid, qu'on ait pu devenir coupable pour lui, J'ai fini, Cécile. Profitez, s'il est possible, de mes conseils; mais si vous ne les suivez pas, ne vous cachez jamais d'une mère qui vous adore; que craindriez-vous? des reproches? Je ne vous en ferois point; ils m'affligeroient plus que vous. La perte de mon attachement? - Je ne vous en aimerois peut-être que plus, quand vous seriez à plaindre, et que vous courriez risque d'être abandonnée de tout le monde. - De me faire mourir de chagrin? - Non, je vivrois, je tâcherois de vivre, de prolonger ma vie pour adoucir les malheurs de la vôtre, et pour vous obliger à vous estimer vous-même, malgré des foiblesses qui vous laisseroient mille vertus, et à mes yeux mille charmes’.

 

Sans doute, c'est en parlant de ce ton, et c'est très souvent celui de l'Auteur, qu'on pénètre dans un jeune coeur, et qu'on le rend docile à toutes les impressions qu'on veut qu'il reçoive: c'est ainsi qu'on lui inspire un grand attachement et une égale confiance, et qu'on peut trouver dans la crainte qu'il auroit de nous affliger, un sentiment plus fort peut-être contre ses foiblesses, que l'autorité même des principes et de la vertu. Malheureusement, cet Ouvrage si moral, et où éclate tant de talent, est resté imparfait. La mère, mécontente du jeune Lord, et fâchée que Cécile, quoiqu'à moitié désabusée, ne rende pas assez de justice à un autre Amant qui voudroit rechercher sa main, et qui est plus aimable et plus amoureux, se décide à quitter Lausanne et à aller avec sa fille faire une visite à une parente qu'elles ont en Languedoc. C'est ainsi que se termine la première Partie.

 

Nous apprenons, en commençant la seconde, que Cécile et sa mère ont loué leur maison à des étrangers qui sont venus l'occuper tout de suite; et qu'en attendant que la saison leur permît de se mettre en voyage, elles se sont réfugiées dans une maison de campagne qui leur a été prêtée par un de leurs amis. Tout le reste de cette seconde Partie est rempli par un épisode plus long et plus intéressant que l'Ouvrage principal; ce qui seroit sans doute un défaut, si l'on pouvoit

[pagina 238]
[p. 238]

jamais appeler défaut ce qui amène des beautés d'un ordre supérieur. Voici comment l'Auteur a lié cet épisode au reste de son Roman.

 

Le jeune Lord est à Lausanne avec un de ses parens plus âgé que lui de quelques années, et qui lui sert en quelque manière de Gouverneur. Pendant que le Lord s'attache à Cécile, son parent paroît s'attacher à la mère. Bientôt à ses assiduités, et à d'autres signes qui accompagnent ordinairement les passions naissantes, on ne doute point qu'il n'en soit amoureux. Il n'en est rien cependant, et ses assiduités ont une autre cause. La mère de Cécile a dans les traits, dans les sentimens, dans le tour de son esprit, une multitude de choses qui retracent à l'Anglois une femme de son pays, pour qui il a eu une passion qui n'est pas éteinte, et de laquelle de fortes raisons l'obligent à vivre éloigné. La mère, qui lui découvre beaucoup de qualités aimables, et qu'il intéresse d'ailleurs par une mélancolie qui va toujours en croissant, lui en demande un jour la cause: il la dit, et c'est son histoire, et celle de la femme qu'il aime, qui composent l'épisode dont il s'agit.

 

L'Auteur y met en action un caractère qui n'est pas rare parmi les hommes, et qui cependant n'avoit été peint, à ce qu'il nous semble, par aucun Ecrivain. Il donne à son héros une figure aimable, beaucoup de bonté, de douceur et d'esprit, et encore plus de foiblesse. Il n'est pas dépourvu de sensibilité; mais c'est une de ces ames molles et sans énergie, qui, en faisant tout ce qu'elles peuvent, ne rendent jamais qu'à moitié aux autres les sentimens dont elles sont l'objet. Il avoit un frère jumeau qui avoit eu pour lui dès l'enfance un attachement extrême; si ce frère eût vécu, et que leur amitié eût subsisté, il auroit été heureux par elle, car il ne falloit pas une émotion plus puissante à cette ame sans ressort.

Mais son frère le suit en Amérique, et il est tué à ses côtés dans une bataille. On ramène l'autre en Angleterre, où sa douleur et ses agrémens extérieurs intéressent une jeune femme charmante. Il en est aimé, il l'aime aussi, par reconnaissance peut-être, mais enfin suffisamment pour l'espèce de bonheur dont il a besoin.

Il auroit donc encore été heureux, si le sort de cette femme eût été un sort ordinaire, mais elle avoit été vendue par sa mère aux désirs d'un riche Lord; et bien qu'elle eût depuis vécu d'une manière exemplaire, cette première idée effarouchant le père de l'Amant, il défend à son fils de l'épouser.

 

Il n'ose désobéir: alors le dépit porte Caliste à accepter la main d'un autre Amant: lui-même se laisse marier à une autre femme, qui désire d'abord son attachement, mais qui n'a ni l'esprit

[pagina 239]
[p. 239]

de connoître son caractère, ni les qualités qu'il falloit pour pénétrer dans son coeur. C'est une femme vaine et haute. Son mari s'éloigne de plus en plus d'elle; et l'estime ne le lui ramène pas. Ladi Betti n'en mérite aucune. Elle a pris le parti de se dédommager avec d'autres de cet attachement qu'elle n'obtient point. Elle a plusieurs intrigues de suite, et met si peu de soin à les cacher, qu'elles frappent les regards du père de son mari. Il croit devoir avertir son fils: nous rapporterons sa réponse, comme un des endroits de l'Ouvrage où le caractère de cet homme foible, mais raisonnable et bon, est le mieux tracé.

 

‘Je lui répondis qu'il ne m'étoit pas possible d'ajouter à mes autres chagrins celui de tourmenter une personne qui s'étoit donnée à moi avec plus d'avantages apparens pour moi que pour elle, et qui dans le fond avoit à se plaindre. Il n'y a personne, lui dis-je, au coeur, à l'amour-propre et à l'activité de qui il ne faille quelque aliment. Les femmes du peuple ont leurs soins domestiques, et leurs enfans dont elles sont obligées de s'occuper; les femmes du monde, quand elles n'ont pas un mari dont elles soient le tout, et qui soit tout pour elles, ont recours au jeu, à la galanterie, ou à la haute dévotion. Miladi n'aime pas le jeu, elle est d'ailleurs trop jeune encore pour jouer; elle est jolie et agréable; ce qui arrive est trop naturel pour devoir s'en plaindre..... Je ne veux me donner ni l'humeur, ni les ridicules d'un mari jaloux. Si elle étoit sensible, sérieuse, capable en un mot de m'écouter et de me croire, s'il y avoit entre nous de véritables rapports de caractère, je me ferois peut-être son ami, et l'exhorterois à éviter l'éclat et l'indécence, pour s'épargner des chagrins et ne pas aliéner le public; mais comme elle ne m'écouteroit pas, il vaut mieux que je conserve plus de dignité, et que je laisse ignorer que mon indulgence est réfléchie. Elle en fera quelques écarts de moins, si elle se flatte de me tromper. Je sais tout ce qu'on pourroit me dire sur le tort qu'on a de tolérer le désordre; mais je ne l'empêcherois pas, à moins de ne pas perdre ma femme de vue. Or quel Casuiste assez sévère pour oser me prescrire une pareille tâche? Si elle m'étoit prescrite, je refuserois de m'y soumettre, je me laisserois condamner par toutes les autorités, et j'inviterois l'homme qui pourroit dire qu'il ne tolère aucun abus, soit dans la chose publique, s'il y a quelque direction, soit dans sa maison s'il en a une, soit dans la conduite de ses enfans, s'il en a, soit enfin dans la sienne propre; j'inviterois, dis-je, cet homme-là à me jeter la première pierre.

Mon père me voyant si déterminé, ne me répliqua rien; il entra dans mes intentions, et vécut toujours bien avec Ladi Betti; et dans le

[pagina 240]
[p. 240]

peu de temps que nous fûmes encore ensemble, il n'y eut point de jour qu'il ne me donnât quelque preuve de son extrême tendresse pour moi. Je me souviens que dans ce temps-là un Evêque, parent de Ladi Betti, dînant chez mon père avec beaucoup de monde, se mit à dire de ces lieux communs, moitié plaisans, moitié moraux, sur le mariage, l'autorité maritale, etc. qu'on pourrait appeler plaisanteries ecclésiastiques, qui sont de tous les temps, et qui dans cette occasion pouvoient avoir un but particulier. Après avoir laissé épuiser à neuf ce vieux sujet, je dis que c'étoit à la Loi et à la Religion, ou à leurs Ministres, à contenir les femmes, et que si on en chargeoit les maris, il faudroit au moins une dispense pour les gens occupés, qui alors auroient trop à faire, et pour les gens doux et indolens, qui seroient trop malheureux.

Si on n'avoit cette bonté pour nous, dis je avec une sorte d'emphase, le mariage ne conviendroit plus qu'aux tracassiers et aux imbécilles, à Argus, et à ceux qui n'auroient point d'yeux. Ladi Betti rougit. Je crus voir dans sa surprise, que depuis long-temps elle ne me croyait pas assez d'esprit pour parler de la sorte, etc..’

 

Il semble que tant de raison, de douceur et d'indulgence auroit dû ramener Ladi Betti à ses devoirs, ou lui donner du moins un peu plus de respect pour les bienséances. Mais non, son désordre augmente. Bientôt elle s'y livre avec tant d'éclat, que son mari croit devoir de séparer d'elle: il accepte d'accompagner le fils d'un de ses parens qui va commencer ses voyages; il vient avec lui sur le Continent. C'est là qu'il apprend la mort de la malheureuse Caliste, qui périt accablée de chagrins domestiques, et désespérée de l'avoir perdu.

 

Il règne dans cet épisode un intérêt touchant; nous aurions pu le prouver en multipliant les citations, mais il vaut mieux renvoyer à l'Ouvrage même. Nous croyons que le Lecteur y remarquera avec beaucoup d'esprit et de sensibilité, le talent de bien dessiner les caractères, et de les placer dans des situations où ils se développent d'eux-mêmes, et bien plus heureusement que par des paroles. Quant au style, il est plein de chaleur et de naturel; il l'est aussi très-souvent d'élégance; nous ne dissimulerons cependant point qu'il laisse à cet égard quelque chose à désirer. L'Auteur est doué de la plus extrême facilité, et il est quelquefois entraîné par elle. Lorsque la pensée ou la situation le soutiennent, son style ne reste jamais au dessous; mais il y a des détails qu'il a oublié d'ennoblir, et où il tombe dans des négligences qu'on ne sauroit excuser. Il semble qu'il auroit mieux valu suivre un procédé contraire. Lorsqu'on a le bonheur de rencontrer une grande idée, on

[pagina 241]
[p. 241]

peut la reproduire telle qu'elle est, et ne rien craindre; sa hardiesse, sa nouveauté ou sa profondeur, suffisent à sa parure: mais on a besoin de travail et d'art pour faire passer les iddées communes, et ce sont celles-là qu'il faut embellir par l'expression.

 

On peut aussi reprocher à l'Auteur de Caliste, un usage trop fréquent des répétitions.

 

Jusqu'au moment où il sera question du mariage ..... Mais lorsqu'il est question de l'épouser .... En vérité, Madame, cela seroit insupportable; car à présent que cela n'a rien de réel, l'idée m'en est insupportable, etc. etc.

 

Il nous semble qu'on ne passe guère ces formes de style qu'aux Penseurs par excellence, à ceux, qui, exerçant sans cesse la raison, la fatigueroient promptement, s'ils n'appeloient à leur aide la plus extrême clarté. Cette classe d'Ecrivains mène souvent le Lecteur dans des routes nouvelles; et comme à la plus lègere obscurité notre esprit seroit arrêté ou refroidi, il faut bien qu'ils sacrifient tout autre mérite au besoin d'être entendus. Mais dans les Ouvrages d'imagination, on parle au Lecteur de ce qu'il aime et entend le mieux. Alors une partie de son attention lui suffit pour se tenir au courant des choses; il garde l'autre pour le style, et ne pardonne rien à l'Auteur. Malgré ces taches que nous n'avons pas voulu dissimuler, et qu'il est aisé de faire disparoître, les Lettres de Lausanne et Caliste nous paroissent des Ouvrages vraiment distinguées; et ce qui doit leur donner un nouveau prix, ils sont d'une femme (Mme. de Char....), qui les a écrits dans une Langue qui n'est pas la sienne; car elle n'est pas née en France, et elle n'y habite pas.

 

(Cet Article est de M. Comey....)

[pagina 242]
[p. 242]

X
Journal de Lausanne, 5 avril 1788, p. 53-55.

CALISTE, ou continuation des Lettres de Lausanne, 1 vol. in-12. Se trouve chez MM. Barde, Manget & Comp. à Geneve.

 

‘Caliste, dit l'Auteur, était d'une extraction honnête, et tenait à des gens riches: mais une mere depravée, et tombée dans la misere, voulant tirer parti de sa figure, de ses talents, et du plus beau son de voix qui ait jamais frappé une oreille sensible, l'avait vouée, de bonne heure, au métier de Comédienne, et on la fit débuter par le rô1e de Caliste, dans The fair penitent’.

 

Pendant quelques années, elle fut la maîtresse d'un Lord, qui avait conçu pour elle la passion la plus forte, et dont une inflammation de poitrine termina les jours. Il avait chargé un de ses Oncles d'en avoir le plus grand soin; celui-ci fournit abondamment à tous ses besoins. Caliste fait l'usage le plus noble de sa fortune; son ame est grande, sensible, et son plaisir est d'être utile à tous ceux qui ont besoin de secours. Voici comment elle se lia avec Willam.

 

Etant à Bath assis sur un banc de la promenade, elle vint s'asseoir à l'autre extrêmité: après un court silence, elle lui adressa la parole; celui-ci éprouva bientôt l'émotion la plus vive en lui parlant; il la reconduit chez elle, et en devient éperduement amoureux. Caliste répond à ses désirs, mais Willam, homme faible, sans caractere, n'a ni le courage de réprimer sa passion, ni assez de fermeté pour s'opposer aux obstacles que son pere met à leur mariage. Caliste lui écrit vainement; insensible à ses peines, il persiste durement dans ses refus. Désespérée, elle tombe dans un état de langueur; son amant est dans la plus grande affliction: mais, toujours pusillanime, il ne va point au but qui pourrait rendre la vie à son amante, et flotte entre la crainte et l'incertitude.

 

Pendant ces entrefaites, Caliste reçoit une Lettre de l'oncle de son amant, qui l'appelle à Londres; il part avec elle, et profite de son absence pour aller voir son pere, qui, satisfait des connaissances qu'il a acquises, le reçoit avec amitié.

 

Caliste donne, par les Lettres les plus tendres, des preuves continuelles de son attachement pour Willam. Ladi Betti, sa cousine, désire d'aller à Bath; celui-là est chargé de tout disposer pour lui en rendre le séjour agréable. Caliste, déjà de retour dans cette ville, revoit son amant avec transport; aide à faire tous les prépa-

[pagina 243]
[p. 243]

ratifs nécessaires: mais Ladi Betti semble un peu réfroidir l'attachement de Willam pour Caliste; celle-ci en est affectée. Un Gentilhomme campagnard, protégé par l'oncle de Ladi, bienfaiteur de Caliste, allarme Willam, par ses assiduités auprès de son amante, mais il ne change point; et le désir de tout concilier, ne cesse de le rendre timide, et irrésolu dans sa marche. Le Gentilhomme se détermine à lui faire des propositions; Caliste les accepte conditionnellement, espérant toujours que son amant se déterminera à l'épouser. Vain espoir: après les situations les plus déchirantes, elle part; écrit à son amant des Lettres pleines d'ame et de sentiment: mais voyant que tous ses efforts sont inutiles, elle finit par accepter la main du Gentilhomme.

 

Willam consent de se marier avec sa cousine Ladi Betti, pourvu qu'on lui accorde un intervalle de quatre mois pour voyager: mais comme son père désire que le mariage n'éprouve aucun retard, il le consomme avant son départ.

 

Après avoir parcouru diverses contrées, il arrive à Londres, où il va au spectacle. Dans la loge qu'il a choisi, il retrouve Caliste, cette reconnaissance est des plus attendrissantes; ils se content mutuellement ce qui leur est arrivé, depuis qu'ils se sont quittés: elle lui apprend, comment, par un fâcheux hasard, elle avait su son mariage avec sa cousine, et que ce coup lui avait été si sensible, qu'en présence de son mari, elle était tombée évanouie; de-là, la plus grande froideur entr'eux. Willam lui apprend qu'il a perdu aussi le coeur de son épouse, parce qu'elle a appris tout ce qu'elle aurait dû ignorer. Enfin, la piece finie, Caliste lui dit: ‘Voulez-vous que nous nous en allions ensemble? N'avez-vous pas assez obéi à votre pere? N'avez-vous pas une femme de son choix, et un enfant? Reprenons nos véritables liens. A qui ferons-nous du mal? Mon mari me hait, et ne veut pas vivre avec moi; votre femme ne vous aime plus ... Ah! ne répondez pas, s'écria-t-elle, en mettant sa main sur ma bouche; ne me refusez pas, et ne consentez pas non plus. Jusqu'ici, je n'ai été que malheureuse; que je ne devienne pas coupable! je pourrais supporter mes propres fautes, mais non les vôtres; je ne me pardonnerais jamais de vous avoir dégradé. Ah! combien je suis malheureuse, et combien je vous aime! Jamais homme ne fut aimé comme vous! .... Le tems devenant affreux, James, accourant, lui cria, au nom du Ciel, Madame, venez! Voici la grêle: il l'entraîne vers le fiacre, l'y fait entrer, et ferme la portiere. Je restai seul dans l'obscurité; je ne l'ai jamais revue.’

[pagina 244]
[p. 244]

Willam repart pour la campagne; son père étonné de son prompt retour, lui témoigne le regret qu'il a de son mariage, et semble même l'engager à quitter sa femme, pour ne vivre que pour Caliste. Willam justifie la conduite de son épouse par la sienne: pour se distraire, il prend le parti de voyager avec Mylord **. Il parcourt l'Italie, le Portugal, etc. et vient à Lausanne. Caliste lui écrit encore plusieurs Lettres, où elle déplore ses malheurs, et lui fait de tendres reproches. Sa santé entiérement dérangée; l'oncle du Lord, son bienfaiteur, veut qu'elle retourne chez son mari. Celui-ci, attendri et instruit de cette chaîne fatale d'événemens, lui fait savoir, par une Lettre, qu'il laisse chez lui, qu'il a pour elle les sentimens les plus tendres: mais que l'impression du chagrin qu'il a éprouvé, l'oblige de s'éloigner encore pour quelque tems d'elle, etc. etc.

 

Son Protecteur lui laisse une grande partie de sa fortune en mourant, Caliste suit toujours son penchant à la bienfaisance: enfin, elle écrit une derniere Lettre à son amant, où, en lui demandant une réponse, elle regarde sa mort comme prochaine, et lui fait les plus tendres adieux. Willam peint assez bien son caractere par ce peu de mots: ‘Ah! malheureux, j'ai toujours attendu qu'il fut trop tard, et mon pere a fait comme moi! Que n'a-t-elle aimé un autre homme, et qui eût un autre pere? Elle aurait vêcu, et ne mourrait pas de chagrin’. Il continue de se désespérer, et reçoit enfin la triste nouvelle de la mort de Caliste, par son mari même. La Lettre finit par ses paroles: ‘si je ne puis vous promettre de l'amitié, j'abjure au moins tout sentiment de haine’. Telle est la marche de ce Roman, qu'on ne lit pas sans intérêt; où l'on trouve de l'énergie, et beaucoup de sensibilité.

 

(Note des Rédacteurs.) Quoique cette analyse nous ait été communiqué par un homme d'esprit de cette ville, nous nous permettrons, cependant, d'ajouter que l'Auteur de cette production manque souvent, sans son style, d'harmonie et de pureté. On sait que dans les ouvrages agréables, le Lecteur a droit d'être plus exigeant que dans ceux qui n'ont pour but que l'instruction; qu'on pardonne à la profondeur des idées, ce qu'on ne pardonne pas à un ouvrage destiné seulement à faire passer quelques heures délicieusement. En remerciant l'Auteur du plaisir qu'il nous a procuré, nous l'invitons à donner, à l'avenir, plus de soins à ses productions; et cela lui sera facile.

[pagina 245]
[p. 245]

XI
L'Esprit des journaux françois et étrangers, 17ème année, t. IV, avril 1788, p.64-78.

LETTRES écrites de Lausanne; Ire partie. CALISTE, ou suite des lettres écrites de Lausanne; Il partie, in-8vo. A Geneve, et se trouvent à Paris, chez Prault, imprimeur du roi, quai des Augustins; et chez les marchands de nouveautés.

 

[Texte identique à celui du Mercure de France, sauf pour la signature, qui manque, et pour le début, qui comporte une introduction nouvelle:]

 

Le premier de ces deux petits volumes avoit déjà paruGa naar voetnoot(*): ce sont les lettres d'une dame de Lausanne à sa parente en Languedoc. Elle lui parle, avec naturel et originalité, de sa fille et de l'éducation qu'elle lui a donnée, du pays qu'elle habite, des étrangers attirés par la beauté du pays et la réputation de M. Tissot; d'un jeune Anglois que sa fille distingue de tout ce qui lui passe sous les yeux et dans l'esprit.

 

Dans cette partie de l'ouvrage, l'auteur a pour objet [etc.]

[pagina 246]
[p. 246]

XII
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1794, Bd. 4, No. 372 (25 November 1794), col. 417, 419 et 421-422.

BERLIN, b. Voss: Friedens-Präliminarien. Herausgegeben von dem Verfasser des heimlichen Gerichts. Erstes bis Zwanzigstes Stück. 1793. 1794.

 

[...................................................]

Siebentes Stück. - 1) Schweizersinn, ein Lustspiel in drey Aufzügen. - Trotz der sinnreichen Apologie des Herausg. waren wir nicht wenig verwundert, ein Product, wie dieses, in einer politischen Zeitschrift zu finden. Der ästhetische Werth desselben sey, welcher er wolle - es contrastirt zu sehr mit dem übrigen Inhalt des Journals; und höchst wahrscheinlich wird der grössre Theil des Publicums darin übereinkommen, dass der Platz, welchen dieses Lustspiel einnimmt, besser besetzt werden konnte.

[...................................................]

Neuntes Stück. [...] 3) Briefe aus den Papieren einiger Emigrirten, (in Nr. IX, X. XI. XIII. XV. fortgesetzt). Auf den ersten Anblick fühlten wir uns versucht, diese Correspondenz hier am unrechten Orte zu finden. Wie bald aber, wie bald waren wir damit ausgesöhnt! welche hohe Simplicitat und Naivetät herrscht in einigen von diesen Briefen, welche Energie, welcher freye Geistesschwung, welche Charaktergrösse in andern! Ein solches Product steht allenthalben an seinem Platze. Selbst dem, der bloss nach Politik darinn sucht, kann man mit Recht versprechen, dass er zwar ‘nicht vieles, aber viel’ finden wird. Besonders geben die vortreflichen Briefen der Fonbrüne, oft ganz unerwartet, Stoff zu den tiefsinnigsten und fruchtbarsten Betrachtungen.

[...................................................]

Funfzehntes und sechszehntes Stück. 1) Der Trostlose, ein Lustspiel, von der Verfasserin von Schweizersinn. In seiner Art ein recht angenehmes Product; wir können aber nicht umhin, uns hier wieder auf das oben (bey Nr. VII.) über das Lustspiel: Schweizersinn, gefallte Urtheil zu beziehen.

[...................................................]

[pagina 247]
[p. 247]

XIII
Oberdeutsche allgemeine Litteraturzeitung, 1796, 9ter Jahrgang, 1ste Jahreshälfte, St. XXXIV (18 März 1796), col. 539-540.

Neueres französisches Theater, bearbeitet von L.F. Huber. Erster Band. Leipzig in der Wolfischen Buchhandlung. 1795. 8.

 

Wir finden in dieser Sammlung vier Schauspiele. 1) Eitelkeit und Liebe, ein Lustspiel in 3 Aufzügen. (Manuscript) Durch dieses Schauspiel hat die deutsche Bühne nichts gewonnen; es hätte immer Manuscript bleiben mögen. 2) Tartüffe der Zweyte [......................] Noch ist es zu bemerken, dass Hr. H. zuweilen sehr undeutsch schreibt, und manchmal zu wenig Sorgfalt auf den Styl wendet. Alles, was wir nun ungefähr durch diese Sammlung für unsere vaterländische Bühne gewonnen hätten, läge in Nro. 2). wenn es weislich benützt würde.

 

Mr.

[pagina 248]
[p. 248]

XIV
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1796, Bd. I, No. 94 (23 März 1796), col. 747-748.

LEIPZIG, in der Wolfischen Buchh.: Neueres französisches Theater, bearbeitet von L.F. Huber. Erster Band, (enthaltend vier Stücke, wovon jedes besonders paginirtist, auch einzeln verkauft wird.) 1795. 8. (1 Rthlr. 8 gr.)

 

Unter den funfzehn oder sechszehn Dichtern, die seit der Revolution für die französische Bühne gearbeitet haben, giebt es auch komische, die nicht zu verachten sind, die man aber in Deutschland nog wenig kennt, theils wegen des gehemmten Handels, theils aus Furcht vor dem darinn herrschenden Republikanismus. Je seltner sie selbst im Originale, ja, auch die Journale, welche Anzeigen davon enthalten, bey uns zu haben sind, desto willkommer wird dem Literator gegenwärtiges Unternehmen seyn, sie durch Uebersetzungen bekannter zu machen. Der Enthusiasmus der französischen Nation für die Bühne bleibt sich unter allen Abänderungen der Staatsverhaltnisse gleich, und der dieser Nation eigne Beobachtungsgeist weiss die Modethorheiten jedes Zeitalters für das Lustspiel zu benutzen; hat er keine Tartuffe zu schildern, so züchtigt er die Agiotteurs. Angenehm ist es auch zu sehn, wie eine jetzt, aus Nothwendigkeit, und (nach eine Bemerkung im ersten Stück dieser Sammlung) aus Eitelkeit, so kriegerische Nation darum noch nicht in dem Grad verwildert ist, um nicht Wohlgefallen an Scherzen, und zwar an seinen Scherzen zu finden. Wirklich findet man in den hier übersetzten vier Stücken die Feinheit und Eleganz der Diction, den angenehmen Conversationston wieder, den man von französischen Dramatikern gewohnt war, und der in dem geschmeidigen und geschmackvollen Ausdruck des Uebersetzers unverdorben geblieben ist. Der Uebersetzer war aber nicht bloss auf Leser bedacht, sondern wählte auch solche Stücke, die sich wirklich auf deutschen Theatern vorstellen lassen. Wäre auch wirklich in denselben so viel demokratische Denkungsart und Kostum, als man vielleicht argwohnt: so könnte dies doch ihre Vorstellung nicht hindern, indem ja auch ein deutscher Dichter, der die Scene nach Frankreich legte, die jetzigen Franzosen in ihrem Charakter müsste sprechen lassen, und man es auf der deutschen Bühne gewohnt ist, Römer und Indianer, Britten und Italiäner nach ihrer Landessitte reden zu hören. Allein Hr. Huber hat nicht allein vorsetzlich

[pagina 249]
[p. 249]

Stücke gewählt, die keinen politischen Endzweck haben, und wo die Anspielungen auf die jetzigen französischen Sitten ao ausserwesentlich sind, dass sie vielleicht wegbleiben, oder, wie er jedesmal (z.B. im zweyten Stück bey dem Ausdruck: Es ist aus mit der Excellenz) selbst vorgeschlagen, mit andern vertauscht werden können. Im ersten Stück kommt zwar ein Professor vor, dessen innere demokratische Gesinnungen zuweilen durch die Aussenseite von Aristikratismus durchdringen wollen, dies geschieht aber so selten, und mit so vieler Zurückhaltung, dass dieser Charakter keinen Anstoss geben kann. Am meisten liesse sich vielleicht gegen das letzte Stück einwenden, indem es zwar anfangs scheint, als ob hier die Egaliseurs persiflirt werden sollen, ihnen aber doch im Grunde die edelsten Rollen gegeben sind. Die vier Stücke dieses ersten Theils sind folgende: 1) Eitelkeit und Liebe, ein Lustspiel in drey Aufzügen, aus dem Manuscript eines Ungenannten übersetzt. Dieses ernsthafte Intriguenstück, dessen Scene in Deutschland ist, hat viele einzle Schönheiten, verdient aber doch nicht an der Spitze der Sammlung zu stehn. Die meisten Personen darin räsonniren mehr, als sie handeln, und der Hauptcharakter, eine feinere Kokette ändert sich zuletzt auf eine unwarscheinliche Art. 2) Tartuffe der Zweyte [...................]

[pagina 250]
[p. 250]

XV
Oberdeutsche allgemeine Litteraturzeitung, 1796, 9ter Jahrgang, 1ste Jahreshälfte, St. LXXVII (27 Juny 1796), col. 1231-1232.

Drey Weiber, eine Novelle von dem Abbe de la Tour. Aus dem französischen Manuscript übersetzt von L.F. Huber. Cogitans dubito. Leipzig, in der P.Ph. Wolfischen Buchhandlung, 1795. S. 248 in 8. Mit einem zierlichen grünen Umschlage.

 

Diese Novelle ist eine von denjenigen neueren, deren Lesung eine eigene Gemüthsstimmung fordert, um Geschmack daran zu finden. Sie ist eine Mischung mannigfaltiger Charaktere aus den neuesten Zeiten der französischen Emigration, welche durch die politischen Schicksale des unglücklichen Gal liens ihr eigenes Colorit erhalten haben. Der Anhang ent hält Briefe aus Altendorf an den Abbe de la Tour, worin einige gute Grundsätze über ländliche Schulanstalten vorkommen. Der Verleger hat es am niedlichen Aeusseren, ohne welches dergleichen Schriften beynahe keinen Eingang finden, nirgends gebrechen lassen.

 

R.r.

[pagina 251]
[p. 251]

XVI
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1796, Bd. 3, No. 208 (6 Julius 1796), col. 45-46.

LEIPZIG, in der Wolfischen Buchh.: Drey Weiber. Eine Novelle von dem Abbé de la Tour. Aus dem französischen Manuscript übersetztvon L.F. Huber. 1795. 248 S. 8. (20 gr.)

 

Mit wahrer Theilnahme wird man diese angenehme Novelle lesen und sich gern in den Cirkel der liebenswürdigen, wohlthätigen Menschen versetztsehen, die darinn auftreten. Auch der Anhang ist gut geschrieben; doch hat er uns minder gefallen. Er besteht aus Briefen, und zwar grösstentheilsaus Briefen einer Dame, die zuviel weiss, um sich das Erste Beste aufheften zu lassen, aber auch zu wenig, um feste Grundsätze gefasst zu haben. Ihr Scepticismus verursacht ihr Missvergnügen mitten unter ihren Freunden, und sie braucht ein grosses Vermögen, das sie edel anwendet, um sich zu zerstreuen, zu betäuben. Ihr Missvergnügen theilt sich manchmal auch dem Leser mit. Je mehr er sie liebt, je weniger wird er ihr solche Aeusserungen hingehen lassen. S. 247.: ‘Jede Art Gewissenhaftigkeit ist mir heilig, wie sie auch heissen mag: sey es auch Achtung für Gesetze, die ganz aus der Luft gegriffen sind: so einen abgesagten Hass mein Verstand gegen allen andern Galimathias hegt, so wird er diesen doch immer ehren: ich werde es immer mit Vergnügen sehen, wenn sich das Gefühl Vorschriften unterwirft, die es nicht erklären kann, deren Ursprung selbst ihm unbekannt ist. Also sieht es Frau v. Vaucourt gern, dass eine grosse Anzahl Menschen in den gröbsten Religionsirrthümern verharret, weil man ihnen eine Gewissenssache daraus gemacht hat, sich aufzuklären? Billigt sie auch die Gewissenhaftigkeit des alten Mütterchens, das einiges Holz zu Hussens Scheiterhaufen herbeyschleppte? Was nützt eine gute Meynung, die Böses stiftet? Wer aus einem solchen Wahne handelt, kann allenfalls auf mehr oder weniger Entschuldigung, nicht aber auf Billigung und Hochachtung Anspruch machen. Die Uebersetzung ist sehr wohl gerathen und so rein von Gallicismen, als manche unserer Original-werke- seyn sollten. Auch andere Sprachunrichtigkeiten sind vermieden, und fast kein beträchtlicher darinn anzutreffen, als der Provincialismus: das gehört mein statt mir. Noch bemerken wir, dass Cabinett ein schon angenommenes Wort im Plural nicht Cabinets hat, sondern Cabinette.

[pagina 252]
[p. 252]

Für Boudoir wäre vielleicht Schmollkämmerchen nicht zu verachten. Am Ende des Buchs verspricht der Autor seine Personen wieder auftreten zu lassen. Wir glauben der Lesewelt einen Dienst zu leisten, wenn wir ihn beym Worte halten; doch werden uns die Handlungen der Frau von Vaucourt noch lieber seyn, als ihre Vernunftschlüsse.

[pagina 253]
[p. 253]

XVII
Oberdeutsche allgemeine Litteraturzeitung, 1796, 9ter Jahrgang, 2te Jahreshälfte, St. CX(14 September 1796), col. 530.

Honorine von Ueserche, oder die Gefahr der Systeme. Eine Novelle von dem Abbé de la Tour. Aus dem französischen Manuskript übersetzt von L.F. Huber. Cogitans dubito. Leipzig, in der P.Ph. Wolfischen Buchhandlung. 1796. 8. 205 S.

 

Ein Pendant zu den drey Weibern, welche von dem nämlichen Abbe gedichtet, oder wahrscheinlich erzählet worden sind - eben so angenehm im Vortrage, als niedlich gedruckt. Die Verlagshandlung hat sein geglättetes Schweitzer-Papier, und die neue Ungerische Schrift nebst einem steifen Umschlage dazu gewählt, so dass man nach alter französischer Buchhändlersitte eine angenehme Broschüre frisch vom Buchladen her erhält. Gute, nicht gemeine Grundsätze, Erfahrungen aus der neuen Welt der bedauerungswürdigen französischen Emigranten, und lebhafte Sitten-Gemählde sind das Charakteristische dieser Novelle, deren Lesung jedem gefühlvollen Herzen Vergnügen verschaffen wird.

 

R.r.

[pagina 254]
[p. 254]

XVIII
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1796, Bd. 4, No. 311 (4 October 1796) col. 30-31.

LEIPZIG, in d. Wolfischen Buchh.: Honorine von Ueserche oder die Gefahr der Systeme. Eine Novelle von dem Abbé de la Tour. Aus dem französischen Manuscript übersetzt von L.F. Huber. 1796. 205 S. 8. (14 gr.)

 

Für die Unterhaltung gehört dieser kleine Roman in die bedeutende Klasse. Aus dem philosophischen Gesichtspunkte genommen, auf welchen der Titel hinweist, ist das Beyspiel eben so unvollständig gegeben, als der Hauptgedanke unreif behandelt. Die Gefahr der Systeme hat ganz und gar keinen Einfluss auf das Schicksal dieser Menschen. Der oberflächliche und eigensinnige Mann, der sich hier aus Eitelkeit ein Geschaft daraus macht, das seinige zu verkündigen, würde mit jedem andern Systeme auf eben die Weise gehandelt haben; und wo er jugendliche Ueberzeugung anzufechten sich nicht scheut, da gelingt es ihm doch nicht, etwas zu verderben. Der Vf. scheint indessen das Gegentheil darthun zu wollen. Nehmen wir sein Werk als einzelne Charakterzeichnung, so wäre ihm das, was er nicht geleistet, eher als Verdienst anzurechnen. Die Freydenkerey des H. de la Touche ist ganz in seinem Wesen, aber sie ist an sich zu unbedeutend, um von bestimmtem Einflusse weder auf seine eigne Moralität, noch auf die Moralität Andrer zu seyn, so dass die gemeine Verwechselung religiöser und sittlicher Gesetzlosigkeit, die der Erzähler sich überall zu Schulden kommen lässt, um so mehr auffällt. Honorine vermisst in einem Augenblicke von Schwermuth und Verzweiflung den Gott ihrer frühen Jahre: allein würde ihr voriger Glaube sie getröstet, und eine Leidenschaft, wie die ihrige, besäuftigt haben? In der Hälfte des Titels läge also das Verfehlte der Darstellung, die übrigens alle Leichtigkeit und Lebhaftigkeit ihrer Gattung hat, und den Leser anhaltend beschäftigt. Wir sehn hier Menschen mit Geist und Treue gezeichnet, wie sie aus den Verhältnissen und der Lebensweise des ehemaligen Paris hervorgingen. Sie haben einen Anstrich von Unnatur, der sie leider nur um so wahrer macht. Honorine, in deren Charakter eine Stärke liegt, die ihn sehr hervorhebt, ob sie gleich eben so sehr zurückstösst als anzieht, scheint dem Fluche

[pagina 255]
[p. 255]

ihrer Gebuhrt nicht entgangen zu seyn, und von unwürdigen Aeltern allerley geerbt zu haben.

Ihr Bild ist ganz aus einer Farbe; aber fröhlich kann uns diese Farbe nicht machen. Die Verschlagenheit des Kindes ist schmerzlich; es interessirt uns, als ein Geschöpf, dessen Anlagen schon im ersten Keime verfälscht werden: denn die reinste Liebe kann einem so gefährlichen, so kühlen Scharfsinne schwerlich die Waage halten, um ihre Unschuld zu retten.

Die Art, wie sie die Verderbtheit der Kammerfrau zu ihren Zwecken benutzt, macht einen widrigen Eindruck, und ihre traurige Reise ist unstreitig um einige Jahre zu früh, selbst für diese Anlagen, angesetzt. Wir geben weiter keinen Auszug aus der Geschichte, um dem Leser nichts von dem Vergnügen zu rauben, das er hier finden kann. Die Revolution wird am Ende ziemlich mit Gewalt herbeygerufen, um dem Knoten eine Art von Auflösung zu verschaffen. Sie wird wohl noch oft in Romanen den Dienst eines Blitzes leisten müssen, der aus blauem Himmel niederfällt. An verschiedenen Zügen ist der Vf. als Emigrirter kenntlich, und der Stil ist nicht frey von Gallicismen, so dass man dies Werkchen für eine Uebersetzung halten muss, wenn gleich das Original noch nicht erschienen ist.

 

[August Wilhelm von SCHLEGEL]

[pagina 256]
[p. 256]

XIX
Neue allgemeine deutsche Bibliothek, Anhang zum 1sten - 28ten Bde, 1ste Abth. (Kiel, 1797), p. 208-209.

Drey Weiber. Eine Novelle von dem Abbé de la Tour. Aus dem französischen Manuscript, übersetzt von L.F. Huber. Cogitans dubito. Leipzig, in der Wolfischen Buchhandlung. 1795. 248 S. 8. 20 gr.

 

Herr Huber sey diessmal Verfasser oder würklich nur Uebersetzer, seine Erzählung steht wenigstens seinen übrigen Schriften an Werth nicht nach. Sie ist gut geschrieben, und ist gleich dieses Verdienst nicht so selten mehr, als es vor dreyssig Jahren war: so ist es doch noch immer ein unerlässliches und empfehlendes, zumal, bey Schriften für angenehme und belehrende Unterhaltung. Seine drey Weiber sind keine theatralische Klarissen und aufgeklärte Tugendschwätzerinnen; sondern Weiber aus der würklichen Welt, ausgewanderte Französinnen, denen man gut seyn musste, wenn man auch im republikanischen Rathe der Fünfhundert zu Paris sässe. Jede, von dem allgemeinen Unglück ihres Vaterlandes gedrückt, leidet mit einer Gelassenheit, welche man Leichtsinn, oder wahre Moral, oder schlaue Politik nennen kann. Die eine lässt sich ent führen; die andre kommt mit einem grossen Geldraube nach Deutschland; die dritte ist eine gräfliche Närrinn. Wie sie sich in dem Dorfe Altendorff, in Westphalen, niederlassen, und was sie alles dort beginnen, bis sich die eine, Emilie, vermittelst einer Entführung, mit dem Sohne des Gutsherrn verbindet, verliert in einem Auszuge, und verdient vom Anfange bis zu Ende gelesen zu werden. Herr de la Tour sagt in der Vorrede, er habe diese wahre oder erdichtete Geschichte, bey Gelegenheit einer Unterredung über den reinen Pflichtbegriff, aufgesetzt. Diese drey Weiber hätten ihn überzeugt, dass irgend ein Pflichtbegriff, welcher es auch sey, und einiges Bestreben, ihm zu entsprechen, vollkommen zureiche, dass ein Mensch nicht sittlich verderbe, und nicht durchaus verächtlich sey. Ein gerader Deutscher würde sagen: Eins ist allerdings noch nicht null, wenn der Mensch gleich zehn Grade moralischer Güte haben sollte. Ob aber jeder gerade Deutsche, wie dieser feine Abbe, Lust und Muth hätte, mit jedem Weibe zu leben, in dessen Seele irgend ein Begriff von Pflicht existirt, und weitet nichts, das hängt von Jedes individueller Stimmung ab. Uebrigens ist nach unsrer Empfindung,

[pagina 257]
[p. 257]

die Geschichte bey weitem nicht das Vornehmste. Anziehender noch als sie sind die Briefe, welche die eine ausgewanderte Französinn, Constanzie, an den Abbe schreibt. Vorzüglich gut ist der fünfte Brief über Schriftsteller als Gesellschafter und Freunde, und die Schilderung der Mittel, die Theobald, der junge Gutsherr, anwendet, um unter seinen Unterthanen Kenntnisse zu verbreiten. Auch der sechste Brief, über Rousseau und Voltaire, so wie der gute Rath für die Reichen im achten Briefe, und der Charakter des atheistischen Lehrers des Mathematik, verdienen Aufmerksamkeit. Sehr sinnreich ist die Verwechselung zweyer eben geborner Kinder, eines von der Gräfinn Mathilde, und eines von der Cammerfrau Sophie. Wir wüssten keine feinere Verspottung der vornehmen Geburt, als diese. Einige französirende Wörter, als Präsumtion, Cousin, Cousine, vegetiren, und ähnliche, hätte Herr Huber, da er sich übrigens eines guten und reinen Ausdrucks befleissigt, billig vermeiden sollen.

[pagina 258]
[p. 258]

XX
Neue allgemeine deutsche Bibliothek, Bd. 30. (Kiel 1797), St. I., p. 191-192.

Honorine von Ueserche, oder die Gefahr der Systeme. Eine Novelle von dem Abbé de la Tour. Aus dem französischen Manuscript übersetzt von L.F. Huber. Cogitans dubito. Leipzig, in der Wolfischen Buchhandlung, 1796. 8. 13 Bog.

 

Durch diese Novelle soll die Frage beantwortet werden: Ob man es Jedermann erlauben solle, alle seine Ideen in Beziehung auf Gott und Natur, auf Offenbarung und Vernunft, kund zu thun? - Ob nun gleich weder durch diese, noch durch eine andere Novelle, diese oder ähnliche Fragen beantworten werden können, indem solche Fragen für einen ganz andern Gerichtshof, als den der Novellen, gehören: so müssen wir doch gestehen, dass diese Novelle eine unterhaltende und lehrreiche Lektüre gewährt.

Der Zusatz auf dem Titel: die Gefahr der Systeme, lässt den Leser etwas ganz Anders erwarten, als er im Buche selbst findet. Wir wissen wenigstens, nachdem wir die Novelle ganz gelesen haben, nicht, in was für einem Bezug dieser Zusatz mit dem Buche selbst stehen soll. Uebrigens erhellet die Denkungsart des V. aus folgender Erklärung, die er der obigen Frage in der Vorrede hinzufügt: ‘Ich entscheide nicht für Andere: dem Himmel sey Dank, ich befinde mich an der Spitze keiner Regierung, die über Freyheit und Nichtfreyheit der Presse zu entscheiden hätte;’ (sehr undeutlich ausgedrückt) ‘so viel mich aber betrifft,’ (soll wohl heissen, als: für mich) ‘ist die Frage entschieden. Triebe ich es bey Gegenständen, von denen es mir schwer würde, überzeugt zu seyn, jemals über einen demüthigen Pyrrhonismus; hätte ich eine Meinung: ich würde schweigen.’ (Wir können in diese Periode keinen Sinn bringen. Ob der Uebersetzer, oder das Original, davon die Schuld trägt, wissen wir nicht.)

‘Ja, in Betracht dessen, was ich vor kurzen sah,’ (hier wird wohl auf die französische Revolution gedeutet?) ‘würde ich gewissenhaft schweigen; und wäre mein Stillschweigen eine Art von Verkündung meiner Meinung: so würde ich für die Religion sprechen, welche in dem Lande, das ich bewohnte, bekennt würde, und ich würde mich keiner ihrer äussern Uebungen entziehen.’ Da diese Novelle kein deutsches Produkt ist: so lassen wir es bey dem Bemerkten bewenden.

 

DeRfg.

[pagina 259]
[p. 259]

XXI
Neue allgemeine deutsche Bibliothek, Bd. 32 (Kiel, 1797), St. I, p. 150.

Neueres Französisches Theater, bearbeitet von L.F. Huber. Zweyter Band. Leipzig, in der Wolfischen Buchhandl. 1796. 8 1 Rth.

 

Du und Sie, ein Lustspiel in drey Aufzügen. Nach dem Vorbericht Herrn Hubers existirt dieses Lustspiel, ein Gegenstück zu der parfaite égalité, nur in Manuscript unter dem Titel, la parfaite liberté,Ga naar voetnoot+ trocknen und feyerlichen Conversationstone geschrieben, bey dem selbst die zärtlichsten und feurigsten Leidenschaften einen langsamen grossmütterlichen Schritt gehen. Die zwecklose Furchtsamkeit Ferriers, die Liebe gegen sein Mädchen zu entdecken, S. 65-67, ist unnatürlich. S. 36 finden wir hingegen einen National-Charakterzug der Franzosen sehr richtig angegeben, er verdient dass wir ihn hierher setzen. ‘In allen unsern Meinungen, den vortheilhaften, wie den nachtheiligen, nehmen wir Franzosen uns lange nicht genug Zeit, und wenn es darauf ankömmt, (ankommt) langsam zurückzugehen, mit Kälte und von neuem zu untersuchen, was wir so vereilig beurtheilt hatten: so kostet diess unsern Leichtsinn; wir werden alsdann äusserst träg, und wir weisen eine Mühe, die uns unangenehm seyn würde, als überflüssig von uns ab.’ 2. Mistrauen (Misstrauen) und Liebe [.................................]

[pagina 260]
[p. 260]

XXII
Journal littéraire de Lausanne, juillet 1797, t. VIII, no. 7, p. 135-136.

Les trois femmes. Nouvelle de Mr. l'abbé de la Tour; publiée par l'auteur de Caliste, à Paris 1797, 2 vol. in 12.

 

Ce petit Roman prouve ce qu'on savoit, c'est que l'Auteur a beaucoup d'esprit et de talens. Du reste, on peut mettre cette production au rang de ces bagatelles, qui sans utilité ont quelque agrément, mais dont une mere sage ne recommandera jamais la lecture à sa fille.

[pagina 261]
[p. 261]

XXIII
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1797, Bd. 3, No. 239 (29 Julius 1797), col. 262.

LEIPZIG, in d. Wolfisch. Buchh.: Neueres französisches Theater, bearbeitet von L.F. Huber, zweyter Band (enthaltend vier Stücke, wovon jedes besonders paginirt ist.) 1796. 8 (1 Rthlr. 8 gr.)

 

Das erste Stück dieses zweyten Bandes schliesst sich an den vorigen an; nämlich: Du und Sie, ein Lustspiel in drey Aufzügen, ist das Gegenstück zu dem Du und Du, womit der erste Band (S.A.L.Z. 1796. No. 94.) schloss. Ein Ungenannter wollte unter dem Titel: La parfaite liberté, ou les Vous et Toi, die revolutionären Ideen persifliren, die in jenem Stück von Dorvigni herrschen. Er wagte es aber damals, als diese Ideen in Frankreich regierten, nicht, sein Lustspiel dem Druck zu übergeben, und nun, da jene Grundsätze nicht mehr zur Tagesordnung gehören, hatte es für französische Leser das Interesse verloren; es blieb also ungedruckt; und Hr. H. übersetzte es aus dem Manuscript. Man findet einen leichten Dialog, und viel gute Maximen darinnen; aber der Mangel and Handlung, die, den einzigen, von Revolutionsideen schwindelnden, Brusquet ausgenommen, wenig hervorstechenden Charaktere, viele müssige Personen, die nur über die Bühne gehn, und wieder verschwinden, schaden dem Stück. In der Rolle des Bertrand, der sich unter der Maske eines Bedienten einschleicht, hat weder seine Feinheit, noch seine Freymüthigkeit etwas Unwahrscheinliches, da es jetzt viele so aufgeklärte und so unbefangene Bedienten in Frankreich geben mag; dass sich aber sein Herr so lang von ihm die derbesten Wahrheiten sagen lässt, bis er endlich erst S. 39. es ahndet, dass hinter dem vermeynten Bedienten mehr stecken möge, ist allerdings unwarscheinlich. Als der Herr S. 35. sagt: ‘Du hast so wenig Dienstbares an dir’ antwortet der Bediente: ‘Was man davon an sich hat, oder nicht, das giebt der Geist’ eine in der Uebersetzung etwas dunkle Antwort. S. 47. is das Wort acaparirt beybehalten, und doch gleich darauf un ci-devant durch ein Ehedem übersetzt. - 2) Mistrauen und Liebe [..................]

[pagina 262]
[p. 262]

XXIV
Journal de Paris, 16 Messidor an VI, p. 1201-1202.

LES TROIS FEMMES, Nouvelle de M. l'abbé DE LA TOUR. Publiée par l'auteur de Caliste. (2 vol. in-18.) A Paris, chez Mourer & Pinparé, rue André-des-Arts, no 42. - An 6.

 

La pensée que l'auteur paroît avoir entrepris de développer est celle-ci: J'oserai vivre avec tout homme ou toute femme qui aura une idée quelconque du devoir.

 

Ni avant, ni après le développement, nous n'avons pas entendu ce que c'étoit qu'une idée quelconque du devoir. Une idée quelconque est bien vague, elle se réduit à un apperçu bien léger; et l'expression du devoir comprend tous les devoirs partiels, tandis qu'ici l'on a bien de l'indulgence pour qui en remplit un ou deux, et passe par-dessus les autres.

 

Quoi qu'il en soit, les trois femmes sont Emilie, Joséphine et Constance. Chacune pêche par quelque côté, mais chacune connoît et remplit le devoir, ou, selon nous, quelques devoirs.

 

Emilie, demoiselle émigrée, belle, sage, se trouve sans ressource. Elle n'en a point d'autre que le travail de Joséphine, sa servante.

 

Joséphine n'est pas chaste, mais elle a voué à sa maîtresse un attachement à toute épreuve, et si elle épouse Henry, elle tiendra son serment de fidélité. Elles prennent le parti de vivre en retraite dans un village de Westphalie. Là, on est près du château d'un baron allemand, dont le fils, aimable, devient amoureux d'Emilie. Emilie se reproche, dans cette liaison, quelques inconséquences; mais après avoir épousé le jeune homme, elle se conduira parfaitement.

 

Constance est une veuve riche. Le bien que ses parens lui ont transmis a été mal acquis, mais elle en fera un bon usage. Elle achète une maison à côté de l'habitation d'Emilie. Là, entre autres bonnes oeuvres, elle fait accueil à une comtesse allemande, laquelle est enceinte, pauvre, et, par-dessus tout, entêtée de sa noblesse.

 

Les détails des amitiés, des amours, des mariages remplissent le premier volume: c'est l'abbé de la Tour qui y parle.

[pagina 263]
[p. 263]

Dans le second, il est absent. On lui écrit.

 

Ce tome second est plein de conceptions philosophiques et agréablement exprimées. Constance est celle qui tient la correspondance. Elle s'exprime non pas seulement sans recherche, sans air et prétention, mais encore en négligeant tant soit peu trop la pureté du style. N'importe: qu'on ne chicane pas sur les vraisemblances, on s'arrêtera avec plaisir sur bon nombre de pensées fines, délicates, spirituelles, pleines de sel et de sens.

 

Par exemple: la noble comtesse et la roturière Joséphine accouchent chacune d'un fils au même instant; Emilie et Constance ont à l'avance préparé des layettes, qui n'ont pas entre elles la moindre différence. Les nouveaux nés sont posés à côté l'un de l'autre; le comte arrive, il croit que sa femme est accouchée de 2 enfans, il caresse l'un, il carresse l'autre, les pose à droite, à gauche. La comtesse demande son fils, lequel est le sien? On n'en sait plus rien. Elle les rejette tous deux. Joséphine s'en charge, et les allaite avec une égale tendresse. Ils seront élevés de même, et l'on verra un jour s'il y a quelque différence entre le sang noble et la sang roturier.

 

Constance veut faire encore une autre expérience sur deux jumeaux, l'un mâle, l'autre femelle; c'est d'élever comme garçon la petite fille, et comme petite fille le garçon, on verra si la différence dans les résultats n'est pas autant l'ouvrage de l'éducation, que celui de la nature.

 

Constance, malgré quelques dérisions sur les extravagances de la noblesse, n'est pas d'un républicanisme bien prononcé. Elle n'aime pas le Panthéon, elle ne fait ni rejeter ni admettre le gouvernement d'un seul. Elle est encore moins démocrate. Elle consent qu'il y ait des riches et des pauvres; mais que les riches, dit-elle, mettent du moins une sourdine à leur tourne-broche.

 

Nous pourrions citer beaucoup plus de jolies choses, mais elles ne nous ont pas éblouis sur le fonds de cet écrit, lequel ne nous paroît exact ni en morale, ni en observation. Le résultat constant de l'observation est que l'honnêteté et le travail vont ensemble, comme le vice avec l'indolence; à ce compte, Joséphine, laborieuse, devoit être mieux traitée. Mademoiselle Emilie se reproche quelques inconséquences, qui à peine méritent d'être apperçues. Elle avoit un reproche bien plus grave à se faire. Elle avoit à remplir un devoir aussi honorable qu'impérieux. C'étoit à elle à travailler pour se nourrir elle et sa suivante. Elle savoit coudre, et ce n'est pas quand le besoin nous presse, et presse quelqu'un qui nous est attaché

[pagina 264]
[p. 264]

qu'on s'occupe de babioles. Elle n'est pas assez punie. Constance est la seule des trois qui ait une idée juste du devoir; dans l'impossibilité de restituer, elle fait du bien, on ne pouvoit rien demander de plus.

 

Nous en étions là quand nous avons appris que l'auteur des Trois Femmes est elle-même une femme. Malgré nos profonds égards pour le sexe aimable, nous ne rabattrons rien de notre censure; peut-être même, par cette considération, eussions [-nous] insisté encore plus rigoureusement sur la loi des convenances.

[pagina 265]
[p. 265]

XXV
Oberdeutsche allgemeine Litteraturzeitung, 1801, 14ter Jahrgang, 1ste Jahreshälfte, St. XII (27 Jäner 1801), col. 189-190.

Babet von Etibal. Nach dem Französischen des Abbe de la Tour frey bearbeitet. Leipzig bey C.G. Weigel. 1800. 221 S. im Taschenformat. (Nebst dem Porträt der Babet nach Schnorr von Hrn. Schmidt. Pr. 21 Gr.)

 

Der gewählte Zeitpunkt ist die Epoche nach vertilgter Robespierrescher Tyranney in Frankreich. Diese hatte Witwen und Waisen gemacht, und Emigranten aus den Cy-Devants: die mildere Constitution, welche auf jene Schreckenszeit folgte, erlaubte denen zurückzukehren, welche sich in neutrale Länder vor der Wuth der Barbaren geflüchtet hatten. Daher konnte der Sohn eines guilotinirten Vaters wieder in seine Heimath zurückkehren. Diess gab dem Abbe de la Tour, den man bereits aus ähnlichen Dichtungen und halbwaren Histörchen kennt, Stoff, elnen wiederkehrenden Sohn in Liebesgeschichten mit hinterlassenen Töchtern zu verwickeln. Verwickelung und Peripetie sind ganz des Dichters Sache, und wenn er am Ende alles glücklich auszugleichen, jedem Nebenbuhler eine Braut in die Hand zu spielen, und aus dem Faden Einer Trauungsgeschichte drey gleichzeitige, von allen Seiten glückliche Tranungen herauszuspinnen weiss, so fällt Einem der Poet im schwarzen Manne ein, der um nichts weniger, als um Herbeyschaffung eines Kindes verlegen war, um das Interesse der Aussöhnungsscene zu erhöhen.

 

Uebrigens ist die Erzählung fliessend, und mit einigen guten Reflexionen verflochten. Das Wichtigste, was hierin vorkommt, dreht sich um die Frage, ob es gut sey, dass ein liebenswürdiges Mädchen nicht lesen könne. Die Zeiten des französischen Vandalisms hatten diese Frage herbeygeführt; aber nicht gelöset. Dass eine Robespierrade bey so ausgebreiteter Geistescultur in Frankreich möglich war, ist freylich eine traurige Erfahrung: allein würde ihre Dauer nicht länger gewesen seyn, wenn gar keine Geistescultur vorhergegangen wäre?

[pagina 266]
[p. 266]

XXVI
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1801, Bd. 3 No. 212 (23 Julius 1801) col. 190.

LEIPZIG, b. Weigel: Die verfallene Burg. Nach dem Französischen des Abbé de la Tour frey bearbeitet. 1801. 118 S. kl. 8. mit 1 Kpfr. (12 gr.)

 

Man mag in diesem Romane sich an den Gang der Geschichte, oder an die Charaktere der Personen halten wollen: so kommt man aus der drückenden Atmosphäre der Mittelmässigkeit nicht heraus. Ein paarmaal scheint der Vf. zwar Lust zu haben, Scenen von interessanter Art darzustellen, z.B. da, wo Karl Stair zweifelt, ob er seinen Neffen ihre vornehme Abkunft entdecken soll oder nicht, und da, wo ein Bruder zwischen Bruderpflicht und Liebe zu seiner künftigen Schwägerin schwankt. Aber immer lässt der Vf. eben so schnell wieder die sich darbietende Gelegenheit ungenützt entfliehn, und kehrt zur ersten Kraftl osigkeit zurück. Selbst die letzte Familien-Anekdote - wo eine buhlerische, schon von einem andern Verführer schwangere Dirne, einen braven, nur ein einzigesmal schwach gewesenen Jüngling sich zur Gattin aufdringt; wo sie nachher aus Sinneslust ihren ersten Buhler selbst in Gefahr verstrickt, und im Ehebruch mit ihm ertappt wird - selbst diese Anekdote, wiewohl sie die einzige etwas ausgeführte Geschichte ist, kann unmöglich sehr auf unsern Beyfall rechnen, denn sie wirkt empörend auf unser inneres Gefühl; und die Schändliche kommt mit der Ehescheidung (wo ihr noch eine Leibrente verbleibt) viel zu leichten Kaufes durch. Die Uebergang, ganz am Schluss auf die jetzige Revolution ist so gezwungen als nutzlos; und die angehängten Briefe Karls an seinen Bruder, hätten, da sie nie abgesandt wurden, auch nicht erst abgedruckt werden sollen. Ihr ganzer Endzweck scheint - zehn Druck-Seiten mehr anzufullen.

[pagina 267]
[p. 267]

XXVII
Allgemeine Literatur-Zeitung, 1802, Bd. 2, No. 116 (19 April 1802), col. 149-150.

LEIPZIG, b. Weigel: Babet von Etibal. Nach dem Französischen des Abbé de la Tour. 1800. 221 S. 12. (20 gr.)

 

Ein kleiner Roman, an welchem wir einige gute Eigenschaften mit Vergnügen bemerkt haben, wiewohl wir auch verschiedene Fehler gern hinweggewünscht hätten! Seine Vorzüge bestehn in einem einfachen, und doch interessanten, bis zu einem gewissen Standpunkte, gut geleitetem Plane, in einigen, zwar nicht mit hoher Kunst, doch mit gefälliger Menschenkenntniss gezeichneten Charakteren (worunter wir vorzüglich den Charakter der Babet selbst rechnen) und in verschiedenen mit Feinheit angelegten, mit Feinheit durchgeführten Situationen, wie z.B. die boshafte und doch die Miene der Gutmüthigkeit erborgende Hinterlist, mit welcher Frau von Sentanne der ihr verhassten Babet einen andern Bräutigam verschafft, um nur ihres Sohnes Absicht auf dieselbe zu vereiteln. - Gegen das Ende übereilt der Vf. sichtlich den fernern Gang und die Entwicklung seiner Geschichte. Nichts kann unnatürlicher seyn, als die schnelle Einwilligung der Frau von Sentanne! Wenn gleich ihr hartnäckiger Widerstand am Ende fruchtlos geblieben wäre: so ist es doch ganz gegen die Denkart eines ahnenstolzen, herrschsüchtigen Weibes, nicht noch alles zu versuchen, was sich versuchen lässt. Eben so unschicklich, einem schlechten Lustspiel ähnlich ist es, wenn der Vf. in den letzten paar Blättern Heyrath auf Heyrath häuft. Die Ausschweifung über den Punkt: Ist es für die grössere Menge gut oder schädlich einen wissenschaftlichen Unterricht empfangen haben? ist unverhältnissmässig lang gegen den Umfang des kleinen Romans, und enthält manche Behauptung, deren Widerlegung keine grosse Mühe kosten würde. Die Anlage von Amaliens Charakter ist gut, aber man vermisst es ungern, dass er nicht gehörig ausgeführt worden.

[pagina 268]
[p. 268]

XXVIII
Litteratur-Zeitung, 7ter Bd., No. 22, (Erlangen, 4 Juny 1802) col. 175.

Babet von Etibal. Nach dem Französischen des Abbé de la Tour frey bearbeitet. Leipzig, b. C.G. Weigel 1800. 8.

 

Ein kleines Ding, weder kalt noch warm, wader französisch noch teutsch. Mitunter ein Paar vernünftige Gedanken und Zeichnungen, die aber am Ende wieder auf gut aufgeklärte Weise gehörig eingeschränkt werden. Der naive Hauptzug der naiven Heldin ist, dass sie nicht lesen kann, und dieser wird in der öftern Wiederholung dem Leser jedesmahl durch Kursivschrift so unter die Augen gerückt, dass er ihn unmöglich übersehen oder leicht vergessen kann.

 

Die meiste Haltung ist in dem Charakter der Frau von Sentanne. Uebrigens wird jede teutsche sowohl als französische Gesellschaft von gutem Tone, diesen der hier anwesenden Personen nicht für den ihrigen anerkennen. Ein bemerkenswerther Umstand ist, dass sich die sympathetische Güte und Weichmüthigkeit der beyden Hauptliebenden zuerst bey Gelegenheit einiger blinden jungen Hunde äussert, welche die Heldin pflegt; es wird mehrmahls auf diesen Hauptaktus hingewiesen. Harmonischer Weise zu schliessen, werden in den letzten Blättern alle unverheyratheten Frauleins aus diesem traurigen Zustande gezogen und plötzlich mit Männern versehen.

[pagina 269]
[p. 269]

XXIX
Le Publiciste, samedi 3 octobre 1807, en feuilleton.

Caliste, ou Lettres écrites de Lausanne, par Mme. de Charriere; nouvelle édition. A Geneve, chez J.J. Paschoud, imprimeurlibraire; & se trouve à Paris, chez tous les marchands de nouveautés.

 

De tous les romans, les meilleurs sont ceux qui nous font vivre avec les personnages mis en scene, qui font que nous nous oublions nous-mêmes sans nous en douter, et en pensant cependant continuellement à nous, parce que nous retrouvons dans le livre nos sentimens et peut-être notre vie. Ce genre d'intérêt, bien distinct de l'intérêt qu'inspirent des événemens tristes, des passions malheureuses, des caracteres entraînans, existe au plus haut degré dans les romans de Richardson, et en particulier dans Clarisse. Le romancier anglais ne raconte pas, il fait voir; il devient tour-à-tour Clarisse, Lovelace ou Belford, et ne c'est jamais lui qui parle: tous ces détails, que l'on appelle des longueurs, sont autant de traits qui ajoutent quelque chose à la vérité du tableau. Les détails font la vérité d'une description, d'une narration, d'un ouvrage; c'est à eux que Mme. de Charrière a dû le succès du roman que nous avons sous les yeux, ils font le mérite de la premiere partie: la seconde doit le sien au caractere de Caliste, caractere tracé avec un charme inexprimable, et attachant au-delà de toute expression.

 

Les deux parties sont presque indépendantes l'une de l'autre, et la derniere seule est finie. La premiere s'interrompt au plus bel endroit; j'en suis fâché, j'amois beaucoup Mlle. Cécile et le jeune lord qui lui faisoit la cour; j'aurois bien voulu savoir s'il a fini par l'épouser; s'il ne l'a pas fait, j'en suis fâché pour lui, il a manqué le bonheur, comme cela arrive à beaucoup de gens. Une jeune personne aussi jolie, aussi bonne, aussi douce, aussi bien élevée que Cécile, doit rendre un mari fort heureux; et les principes qui ont dirigé son éducation me paroissent si sains que je ne puis m'empêcher de les citer et de donner la mere de Cécile pour modele. ‘Les tuteurs de ma fille, dit-elle, me tourmentent quelquefois sur son éducation; ils me disent et m'écrivent qu'une jeune fille doit acquérir les connoissances qui plaisent dans le monde, sans se soucier d'y plaire. Et où diantre prendra-t-elle de la patience et le l'application pour ses leçons de clavecin, si le succés lui en est indifférent? On veut qu'elle soit à-la-fois franche

[pagina 270]
[p. 270]

et reservée; qu'est-ce que cela veut dire? On veut qu'elle craigne le blâme, sans desirer la louange; on applaudit à toute ma tendresse pour elle, mais on voudroit que je fusse moins continuellement occupée à lui éviter des peines et à lui procurer du plaisir. Voilà comme, avec des mots qui se laissent mettre à côté les uns des autres, on fabrique des caracteres, des législations, des éducations et des bonheurs domestiques impossibles’.

 

Cécile, élevée par une mere si tendre et si sage, la récompense par une confiance sans bornes: aimée par un jeune lord qu'elle aime, elle s'abandonne à la direction de sa mere, qui ne desire rien tant que de la donner en mariage au jeune Anglais, trop timide pour la demander. Les détails de leur amour sont pleins de grace, de finesse et de vérité. Cécile et son amant ne sont point des êtres extraordinaires, et cependant ils inspirent un vif intérêt; leurs sentimens sont si naturels, si simples! Ils jouent aux dames ensemble. Quand les dames ennuieront Cécile, le jeune lord dit qu'il aura de petits échecs. ‘Il ne voit pas, ajoute la mere, combien il est peu à craindre qu'elle s'ennuie. On parle tant des illusions de l'amour-propre; cependant il est bien rare, quand on est véritablement aimé, qu'on croie l'être autant qu'on l'est. Un enfant ne voit pas combien il occupeGa naar voetnoot+ ne voit et n'entend par-tout que lui; une maîtresse ne voit pas qu'elle ne dit pas un mot, qu'elle ne fait pas un geste qui ne fasse plaisir ou peine à son amant. Si on le savoit, combien on s'observeroit, par pitié, par générosité, par intérêt, pour ne pas perdre le bien inestimable d'être tendrement aimé’!

 

J'espère que Mlle. Cécile n'a point perdu ce bien inestimable; tous ceux qui prétendoient à sa main étoient de sottes gens: le petit lord dut l'emporter; d'ailleurs il étoit aimé, ses parens et son gouverneur étoient très-raisonnables; voilà d'excellentes raisons pour que leur mariage se soit fait, et quoique le livre n'en dise rien, je suis convaincu que Cécile et le jeune Anglais font à présent le plus heureux ménage du monde.

 

S'il n'en étoit pas ainsi, ils auroient eu tort, et d'autant plus tort, qu'ils avoient sous les yeux un exemple frappant des chagrins auxquels on s'expose quand on laisse échapper le bonheur que l'on a sous la main. Le gouverneur du jeune lord avoit été aimé de Caliste. ‘Caliste étoit d'une extraction honnête et tenoit à des gens riches; mais une mere dépravée et tombée dans la misere, voulant tirer parti de sa figure, de ses talens et du plus beau son de voix qui ait jamais frappé une oreille sensible, l'avoit vouée de bonne heure au métier de comédienne, et on la fit débuter par le rôle de Caliste dans the Fair Penitent, la Belle

[pagina 271]
[p. 271]

Pénitente. Au sortir de la comédie, un homme considérable alla la demander à sa mere, l'acheta pour ainsi dire, et partit avec elle pour le continent’. - A la mort de cet homme, la malheureuse Caliste, sentoit toutes les douleurs de sa position: ‘Avant vous, disoit-elle à celui qu'elle aime, j'avois connu la reconnoissance et non l'amour; je le connois à présent qu'il est trop tard; quelle situation que la mienne! moins je mérite d'être respectée et plus j'ai besoin de l'être. Je verrois une insulte dans ce qui auroit été des marques d'amour; au moindre oubli de la plus sévere décence, effrayée, humiliée, je me rappellerois avec horreur ce que j'ai été, ce qui me rend indigne de vous à mes yeux et sans doute aux vôtres; ce que je ne veux, ce que je ne dois jamais redevenir. Ah! je n'ai connu le prix d'une vie et d'une réputation sans tache, que depuis que je vous connois. Combien de fois j'ai pleuré en voyant une fille, la fille la plus pauvre, mais chaste, ou seulement encore innocente, etc.’

 

Cette douceur, ce repentir, cette tendresse donnent au caractere de Caliste un charme qu'on ne trouve point ailleurs; et l'auteur a peint ce caractere avec un talent très-distingué: c'est l'Anglais lui-même qui raconte son histoire et celle de sa maîtresse: ‘Dans ses pensées, dans ses jugemens, dans ses manieres, elle avoit, dit-il, je ne sais quoi qui négligeoit les petites considérations, pour aller droit aux grands intérêts, à ce qui caractérise les gens et les choses. Son ame et ses discours, son ton et sa pensée étoient toujours d'accord: ce qui n'étoit qu' ingénieux ne l'intéressoit point; la prudence seule ne la détermina jamais, et elle disoit ne savoir pas bien ce que c'étoit que la raison; mais elle devenoit ingénieuse pour obliger; prudente pour épargner des chagrins aux autres, et elle paroissoit la raison même quand il falloit amortir des impressions fâcheuses, et ramener le calme dans un coeur tourmenté ou dans un esprit qui s'égaroit... Elle avoit contracté je ne sais quelle réserve triste, qui tenoit tout ensemble de la fierté et de l'effroi; et si elle eût été moins aimante, elle eût pu paroître sauvage et farouche ...’

 

Malheureusement le pere de notre Anglais ne connoissoit de Caliste que ses erreurs et ses torts: il s'opposa donc formellement au mariage de son fils; celui-ci fut foible, sans énergie; lady Bethy lui fit des avances, l'amour-propre le rendit un moment moins sensible à l'attachement de Caliste; elle en souffrit sans se plaindre. Il épousa lady Bethy; et la pauvre Caliste, toujours aimante et malheureuse, traîna plusieurs années une existence qui n'avoit plus d'avenir. Elle eut cependant le bonheur de revoir encore une fois cet Edouard qu'elle aimoit et qui ne l'avoit point oubliée. Ne pouvant vivre avec lady Bethy, Edouard la quitta pour aller voyager sur le continent. Ce fut dans le courant de ce voyage qu'il reçut les

[pagina 272]
[p. 272]

dernieres lettres de Caliste, et qu'il apprit bientôt après la mort de celle qui l'avoit tant aimé, et dont il avoit si mal récompensé la tendresse.

 

Ce petit ouvrage, plein de sensibilité et de douceur, est écrit avec pureté et élégance. La mort de Caliste est touchante et simple comme son caractere; elle est triste comme sa vie. Nous n'appliquerons point ici les regles d'une morale sévère; il peut être dangereux de présenter des caracteres aussi séduisans que celui de Caliste, parce qu'il est à craindre que tout jeune homme ne voie une Caliste dans la comédienne dont il sera amoureux. Mais lorsqu'on écrit avec tant de grace et de charme, on se fait tout pardonner, même des erreurs, et il n'est personne qui n'en veuille à cet Edouard de ce qu'il n'eut pas la force de vaincre un préjugé, raisonnable presque toujours, mais sans fondement quand il s'agissoit de prendre Caliste pour épouse.

 

R. [Pauline de MEULAN]

[pagina 273]
[p. 273]

XXX
Le Publiciste, dimanche 2 avril 1809, en feuilleton.

Les trois Femmes, par Mme. de Charriere, auteur des Lettres écrites de Lausanne, de sir Walter Finck; de Saint-Anne et Honorine d'Uzerches, etc. etc.; orné de six gravures, par Duplessis Bertaux, Choffard et Couché. A Paris, chez Neveu, libraire, passage des Panoramas, no. 36.

 

Dans le tems où nous étions aimables, on nous accusoit, nous autres Français, de traiter peu sérieusement les choses sérieuses, et l'on prétendoit que nous étions légers. Je ne prétends pas que l'on eût tort; je voudrois savoir ce qu'on pense de nous depuis que nous traitons si gravement les choses frivoles. A voir, par exemple, comment nous discutons la moralité d'un roman, il sembleroit qu'un roman soit notre lecture la plus sérieuse et la plus importante; et à l'indignation avec laquelle les gens qui pensent bien s'élevent contre le roman qu'ils auront cru devoir juger immoral, j'ai imaginé d'abord que l'époque où nous vivons se distinguoit par un grand amour pour la morale: mais comme j'ai vu que par-tout ailleurs elle excitoit peu d'intérêt, et que sur-tout les livres de morale n'attiroient aucune attention, je me suis apperçu que, dans l'application particuliere et importante qu'on fait aujourd'hui de la morale au perfectionnement des romans, ce qui marquoit sur-tout, c'étoit un grand respect pour les romans. J'aurois dû croire au moins, d'après l'importance de la chose et le sérieux des discussions sur cet objet, que notre siecle (chaque siecle a sa découverte) étoit destiné à donner à l'univers une regle certaine sur les préceptes moraux auxquels doit tendre ce qu'on appelle le but moral d'un roman, et qui doivent guider dans sa composition. Mais il me semble que, par un résultat assez ordinaire aux discussions, nous sommes sur ce point plus indécis que jamais, parce que nous y avons plus pensé que nous ne nous étions encore avisé de le faire. Ainsi, j'ai vu des personnes de poids très-scandalisées, si dans un roman on faisoit porter de l'intérêt sur une personne coupable: or, comme il est absolument impossible qu'un personnage coupable inspire d'intérêt autrement que par ses malheurs ou son repentir, je me serois trouvé naturellement conduit à penser qu'il ne falloit jamais présenter le crime malheureux ou repentant, si, d'un autre côté, des juges aussi respectables se prononçoient anathême contre toute production où ils verront le vice jouir d'une apparence de bonheur;

[pagina 274]
[p. 274]

et comme le vice heureux ne peut m'inspirer que du dégoût, je dois conclure encore, d'après ma maniere de sentir, qu'un ouvrage qui m'inspire du dégoût pour le vice est un ouvrage immoral.

 

S'il m'étoit permis de traiter cette grande question sous un rapport purement littéraire, je croirois devoir condamner tout ce qui m'inspire du dégoût, soit pour le vice, soit pour autre chose; car le dégoût ne m'a jamais paru un moyen poétique ou romantique, comme on voudra; et comme le vice ne me paroît pas pouvoir être séparé du dégoût, je ne crois pas qu'il soit jamais bon à présenter; il exclut d'ailleurs nécessairement ce qui peut seul intéresser dans une composition quelconque, la passion, les combats et l'incertitude. Le vice est une habitude, qui a fait du mal, ou du moins d'une certaine sorte de mal, la routine, pour ainsi dire, de notre vie, qui a dépravé une partie de notre être, par laquelle notre nature, ou une partie de notre nature se trouve viciée et corrompue. L'homme passionné ne peut être vicieux; entraîné hors de lui-même, il ne suit pas sa nature; il y échappe par de continuels orages, et ne connoît pas cette tranquillité, suite de l'insensibilité produite par le vice. Manon l'Escaut, dans l'excès de son désordre, n'est pas vicieuse; entraînée par le goût des plaisirs, ramenée par l'amour, passant continuellement de l'infidélité aux remords, et des remords à l'infidélité, elle se livre à tous ses mouvemens, et jamais à une seule habitude.

 

Ce pourroit n'être pas non plus une personne vicieuse que cette petite Joséphine du roman de Mme. de Charrière: mais il faudroit pour cela qu'entraînée par des penchans que l'éducation ne lui a point appris à réprimer ou à diriger, croyant expier, par une dévotion mal entendue, de continuelles foiblesses, et dominée cependant malgré elle par l'ascendant que donne la vertu, elle se cachât, elle rougît de ses fautes aux yeux de la jeune fille innocente et respectable dont elle fut autrefois la servante, et dont elle est maintenant la bienfaitrice et l'appui.

Il faudroit que le sentiment d'une honte qu'elle ne peut cesser de mériter la tînt dans l'humiliation devant celle dont elle soutient l'existence par son courage, son travail et son dévouement. Mais Joséphine ne se cache pas très-soigneusement de ses fautes; elle en plaisante presque, elle les excuse du moins avec tant d'esprit, d'une maniere si piquante qu'on voit bien qu'elle est trop éclairée pour ne pas les sentir. On la voit coupable, coupable à ses propres yeux, et cependant heureuse, et le dégoût est inévitable: ce sentiment change à la fin, parce que Joséphine devient malheureuse. Revenue à la seule vertu à laquelle elle ait manqué, elle est méprisée et punie avec justice pour y avoir

[pagina 275]
[p. 275]

manqué. C'est bien assez pour la moralité du roman; mais cette moralité est à la fin, et ne change rien à l'effet un peu pénible qu'a produit le commencement.

 

Emilie (c'est le nom de la jeune personne à laquelle est attachée Joséphine) est une émigrée de seize ans; elle a perdu ses parens, ses derniers moyens d'existence et l'espoir d'en retrouver aucun. Joséphine lui a tenu lieu de tout. Attentive, respectueuse, zélée, elle est à-la-fois la mere et la servante d'Emilie, elle la sert et la nourrit, elle s'est dévouée à elle, elle n'aime qu'elle. C'est au milieu des sentimens d'une affection exaltée par la reconnaissance qu'Emilie découvre les désordres de Joséphine. Elle se voit obligée de sacrifier à cette affection, à cette reconnoissance si méritée, l'horreur qu'inspire à l'ame pure d'une jeune fille le premier aspect du désordre. D'un autre côté, une jeune veuve, Mme. de Vaucourt, s'est attachée à Emilie. Vive, aimable, sensible, irréprochable dans sa conduite, Mme. de Vaucourt ne cherche de jouissances que dans l'emploi généreux et bienfaisant d'une grande fortune. Mais cette fortune, ceux de qui elle la tient ne la possédoient pas à des titres légitimes; son pere et son mari l'ont enrichie aux dépens de leur honneur; la nature de leurs dépradations ne permet pas à Mme. de Vaucourt de reconnoître ceux à qui elle pourroit devoir des restitutions; mais obligée de cacher, pour éviter de répandre la honte attachée au nom qu'elle porte, une existence qu'elle honoreroit par des vertus, obligée d'étourdir sa conscience sur la source d'où elle tire des jouissances toutes honnêtes, toutes généreuses, craignant de décider sur le dégré d'estime qu'elle se doit et qu'elle peut mériter, Mme. de Vaucourt a porté sur tous les principes une sorte de scepticisme qui effraie ceux d'Emilie, sans lui offrir cependant des raisons suffisantes pour se détacher d'une personne à qui son amitié est nécessaire. En même tems, l'intérêt de Joséphine dont il faut sauver l'honneur et peut-être la vie, l'engagent dans des démarches qui répugnent à sa droiture et à sa probité naturelle; ainsi, toujours forcée en quelque sorte par des sentimens honnêtes à en sacrifier d'autres, Emilie semble destinée à prouver cette incertitude des devoirs que professe Mme. de Vaucourt, et contre laquelle s'élève Théobald, le jeune amant d'Emilie. Aimable, sensible, quelquefois sévere, même pour celle qu'il aime, mais toujours tendre, quelquefois passionné, inflexible à défendre ses principes, mais quelquefois entraîné à les oublier, il n'abandonnera jamais la cause de la vertu, bien qu'il puisse s'écarter quelques momens de la route qu'elle prescrit. Il ne pardonnera pas un principe qui s'écarte de la ligne tracée par le devoir. On lui demande dans une discussion à ce sujet,

[pagina 276]
[p. 276]

s'il se soumet à ce qu'il exige. En supposant, répond sa mere présente à la conversation, que mon fils ne courbe jamais la regle, mais que dans certains momens il la méconnoisse, la brise, la jette loin de lui, est-il ou n'est-il pas ce qu'il veut que l'on soit? Sans doute, il est ce que l'on peut exiger de la foiblesse de l'homme. La perfection ne lui est pas ordonnée, mais seulement la volonté de cette perfection, le désir constant d'y parvenir. Il peut en approchant du bord être repoussé par une vague, mais il faut qu'il recommence ses efforts, ne se rebute jamais, et il remplira mieux sa destination, il sera plus fidele à la vertu en travaillant toujours pour n'arriver jamais, qu'en se reposant sur l'écueil qui se trouve plus à sa portée, en s'appuyant sur un mauvais principe pour ne pas se repentir d'une mauvaise action. Je hais encore plus, dit Rousseau, un mauvais principe qu'une mauvaise action. Et il a bien raison; une mauvaise action n'est qu'une action; un mauvais principe les gâte toutes, même les bonnes. Mais un mauvais principe dans un bon caractere n'est qu'un travers de l'esprit que le coeur dément à chaque instant; un faux systême dans une personne de goût est de même écarté par l'instinct.

En paroissant vouloir prouver l'incertitude des devoirs, ce qui détruiroit tout intérêt pour des personnages dont les actions auroient alors peu d'importance pour eux-mêmes, Mme. de Charriere prouve au contraire combien leur base est fixe et inébranlable. Emilie commet quelques fautes; mais incapable de répondre aux raisonnemens qui lui démontrent qu'elle ne peut pas se conduire autrement, elle ne sent pas moins qu'elle a tort. Obligée de sacrifier ses principes pour sauver Joséphine, cette Condescendance, dit-elle, m'ôtera peut-être peu-à-peu toute l'estime que j'avois pour moi-même; mais n'importe; et l'on comprend que ce sacrifice de sa propre estime lui doit être si pénible qu'il ajoute à l'idée de sa bonté. Mais cette idée de bonté n'existeroit pas si, en faisant une action qu'elle juge condamnable, Emilie abandonnoit le principe qui la condamne, car alors elle ne feroit aucun sacrifice. Il demeure donc mieux prouvé que jamais, que ce qui nous intéresse dans une action qui blesse la vertu, c'est le reste de vertu qu'on y apperçoit encore, et peut-être qu'en y pensant un peu, on trouvera que cette derniere production de l'auteur de Caliste est une des compositions les plus morales, comme elle est une des plus originales et des plus piquantes qui ait paru depuis long-tems.

P[auline de MEULAN].

eindnoot1.
Madame de Charrière et ses amis, d'après de nombreux documents inédits (1740-1805), Genève, 1902; cf. notamment t. I, p. 272, 293-296, 312, 329-332; t. II, p. 229-231.
eindnoot2.
Grundrisz zur Geschichte der deutschen Dichtung aus den Quellen, 2te Aufl., Dresden, 1906, t. VII, p. 650 et 670.
eindnoot3.
Cf. op.cit., t. II, p. 417: ‘Mme de Charrière et la critique’.
eindnoot4.
Frau von Charrière (1740-1805). Ihre Gedankenwelt und ihre Beziehungen zur französischen und deutschen Literatur, Berlin, 1938 (‘Romanische Studien’, Heft 48); cf. p.85-93.
eindnoot5.
Dont on est en train de découvrir l'intérêt et l'importance; cf. notamment L'étude des périodiques anciens, Colloque d'Utrecht, publ. sous le nom de Marianne COUPERUS, Paris, 1972.
eindnoot6.
Les romans français dans les journaux littéraires italiens du XVIIIe siècle, Firenze-Paris, 1971.
eindnoot7.
Le Nouveau Journal de littérature et de politique, où parut ce compte rendu, s'imprimait à Lausanne, chez Jean-Pierre Heubach & Cie, mais il était composé dans la principauté de Neuchâtel par H.-D. Chaillet, qui avait déjà rédigé auparavant la dernière série du Journal helvétique de Neuchâtel; cf. Charly GUYOT, La vie intellectuelle et religieuse en Suisse française à la fin du XVIIIe siècle: Henri-David de Chaillet, 1751-1823, Neuchâtel, 1946, p. 136.
eindnoot8.
Op. cit., t. I, p. 293 et suiv.
eindnoot9.
Pierre KOHLER (Madame de Staël et la Suisse, Lausanne-Paris, 1916, p. 186-187) trouvait à Mme de Charrière une ‘légèreté de touche, qui n'est guère suisse’.
voetnoot+
Lausanne, écrit-il, paroissent avoir été réellement écrites de Lausanne.
eindnoot10.
Biographie universelle, Paris, 1813, t. IX, p. 340.
eindnoot11.
Nous n'avons trouvé pour cette seconde époque que la recension des Trois Femmes publiée par le Journal de Paris du 16 Messidor an VI (4 juillet 1798) et citée d'ailleurs par Godet (op. cit., t. II, p. 229-230).
eindnoot12.
Qui lui firent le plus grand plaisir d'ailleurs; cf. sa lettre à Chambrier d'Oleyres du 25 juin 1795, citée par GODET (op.cit., t. II, p. 231, en note).
eindnoot13.
Reprise dans ses Sämtliche Werke, hgb. Ed. BÖCKING, Leipzig, 1846, t. X, p. 260-261.

voetnoot+
pas que tous ses regards soient pour toi, ni tous les tiens
voetnoot(*)
Expression bienveillante et modeste, consacrée parmi le peuple pour signifier un grossesse.
voetnoot(*)
Etoit-ce à une jeune fille, a-t-on dit, à parler à un jeune homme, qu'elle n'a vu que deux ou trois fois, d'une ouvriere qui se dit grosse de lui? où sont les bienséances? Mais ce jeune homme, elle l'aimoit: il y avoit de la sympathie entre ces deux ames. Et puis, ne vous ai-je pas dit qu'elle n'étoit pas Neuchateloise? ... Avec vos bienséances!
voetnoot(*)
Se peut-il que ce mot terrible, qu'a créé en France la dépravation des moeurs, soit passé et adopté en Suisse, ou faut-il croire que ces lettres ont été écrites à Paris? Elles nous paroissoient quelquefois avoir un goût de terroir qui nous les faisoit juger helvétiques. Le bon esprit dont elles sont remplies nous confirmoit dans cette opinion.
voetnoot(*)
Journal de Décembre 1786, pag.146.
voetnoot+
ou les Vous et Toi. Das ganze Stück ist in einem
voetnoot+
continuellement sa mere; un amant ne voit pas que sa maîresse

Vorige Volgende

Footer navigatie

Logo DBNL Logo DBNL

Over DBNL

  • Wat is DBNL?
  • Over ons
  • Selectie- en editieverantwoording

Voor gebruikers

  • Gebruiksvoorwaarden/Terms of Use
  • Informatie voor rechthebbenden
  • Disclaimer
  • Privacy
  • Toegankelijkheid

Contact

  • Contactformulier
  • Veelgestelde vragen
  • Vacatures
Logo DBNL

Partners

Ga naar kb.nl logo KB
Ga naar taalunie.org logo TaalUnie
Ga naar vlaamse-erfgoedbibliotheken.be logo Vlaamse Erfgoedbibliotheken

Over dit hoofdstuk/artikel

auteurs

  • over Belle van Zuylen


datums

  • 15 juni 1784

  • 1785

  • 22 april 1786

  • 16 september 1786

  • 15 oktober 1786

  • 12 december 1786

  • 31 december 1786

  • 27 januari 1788

  • 23 februari 1788

  • 5 april 1788

  • 4 april 1788

  • 25 november 1794

  • 18 maart 1796

  • 23 maart 1796

  • 27 juni 1796

  • 6 juli 1796

  • 14 september 1796

  • 4 oktober 1796

  • juli 1797

  • 29 juli 1797

  • 27 januari 1801

  • 23 juli 1801

  • 19 april 1802

  • 4 juni 1802

  • 3 oktober 1807

  • 2 april 1809