traduisait des ‘coplas’ de la poésie populaire espagnole et il écrivit un recueil de poèmes en espagnol: Cantos extraviados del Espanol Groninguense Enrique de Vries (1971).
L'opposition entre le côté démoniaque et la fragilité de l'enfant est une exagération extrême de la menace que peut produire l'imagination du rêve. Dans l'ensemble de ses dessins, mais aussi dans nombre de ses poèmes, c'est un thème important. Le recueil au titre significatif de Goyescos (1971; réédition modifiée en 1986) contient le poème qui raconte l'histoire de l'enfant qui, la nuit venue, va chercher au grenier les dangers dont il a rêvé. L'enfant représente le poète qui tend vers l'unique. Il découvre des secrets que d'autres enfants ignorent, mais il reçoit aussi l'invitation lugubre de participer à la danse macabre d'une poupée vivante. Ce rêve ne permet pas le réveil apte à chasser l'angoisse et ainsi est sauvegardé le secret du poème.
Il en va de même du poème beaucoup plus ancien Mijn broer (Mon frère). On a abondamment discuté de l'interprétation, mais aucun commentaire n'a donné une explication satisfaisante des images. Rien d'étonnant, car c'est précisément le caractère irrationnel de ces fantasmes qui forme le contenu de ce poème. Le sort du frère, l'allée des ormes qui semble se fermer en un cercle magique, rien n'admet l'explication rationnelle et derechef se manifeste l'angoisse.
L'enfant qui allait errer la nuit au grenier à la recherche de secrets est proche du ‘moi’ dans les poèmes comme Geheime tuin (Jardin secret). Il ne faut pas prendre ce moi pour un moi lyrique, car la poésie de De Vries a principalement un comportement épique. C'est une des multiples figures qui cherche volontairement l'incantatoire, aussi obscur, aussi menaçant qu'il soit. Les roses noires, les secrets anonymes qu'on peut trouver dans la forêt magique représentent le romantique sous ses aspects nocturnes. Sur ce point précis, on ne peut nommer un seul poète néerlandais qui puisse être comparé à Hendrik de Vries.
Tovertuin (Jardin magique) est le titre d'un recueil de 1946 qui met l'accent sur l'enfant entouré d'ensorcellement. Il n'est pas certain que celui-ci soit toujours menaçant. Un enfant peut frileusement jouir d'un jouet hanté, d'un gnome tellement grand qu'il peut regarder pardessus le mur. Il n'est pas certain non plus que cet enfant se tiendra à l'interdit d'aller sous ces arbres, de traverser ce petit pont. Il voudra savoir si ces chiens vivent ou non, car il est dominé par une rage d'explorer sans frein.
Les poèmes du recueil Tovertuin ont souvent été écrits à partir du point de vue d'un tel enfant. Dans ces poèmes-là, De Vries réalise ce que Georges Bataille appelait dans La littérature et le mal (1957) l'essence de la littérature: le retour à l'enfance.
Le feu qui couve sous le monde peut être allumé par une simple intervention. Les puissances obscures du mal sont tout proches car le rêve, dont le feu peut être le symbole, domine notre existence. Pourtant, la poésie de Hendrik de Vries n'est pas envahie par la peur. Il se tient à l'attitude enfantine du frisson enchanté, décrite dans les vers déjà cités de Poe. C'est pourquoi son évocation du mal est dépourvue d'implications morales et un poème funèbre est chez lui l'acceptation de l'irrémédiable: mourir est comme la fumée du bois qui se consume.
La poésie de Hendrik de Vries constitue un monde fascinant. Qui s'y aventure découvre qu'il a affaire à l'un des poètes véritablement grands, un poète qui, par la maîtrise parfaite de la versification, évoque un monde imaginaire qui, d'une part, lui est propre et qui, d'autre part, peut être ‘reconnu’.
JAN VAN DER VEGT
Romancier et critique littéraire.
Adresse: Ewisweg 26, NL-1852 EK Heiloo.
Traduit du néerlandais par Sadi de Gorter.