Musique
Lily Juliette Boulanger: première femme grand prix de Rome
L'idée que les femmes composent commence lentement à s'imposer. Une étude récente, Women making music (Macmillan Press, 1986), nous offre un contenu surprenant à de nombreux égards. Ainsi, Maria V. Coldweel y présente l'oeuvre de jongleurs et de troubadours féminins du Moyen Age, parmi lesquelles se trouvait Beatriz de Dia, la Sapho de l'époque. En réalité, il convient de considérer que c'est au cours de la période des troubadours et des trouvères que s'est constitué pour la première fois un puissant mouvement émancipateur dans le domaine artistique.
Si la conscience d'une création musicale féminine commence progressivement à s'installer, il est hélas! toujours nécessaire de prier le public d'y prêter attention en organisant des expositions et des concerts exclusivement féminins, comme s'y emploient des fondations telles que Amazone et Femmes & Musique (début avril au centre culturel De IJsbreker à Amsterdam). L'occasion nous est rarement donnée d'entendre des oeuvres de Lily Juliette Boulanger, la première lauréate du prix de Rome (1913). Sa soeur Nadia, qui dirigeait une école où des compositeurs américains surtout purent bénéficier d'une excellente formation, devint plus célèbre.
En février, au Centre musical Vredenburg d'Utrecht, l'Orchestre Philharmonique de la Radio nous a offert, en collaboration avec Linda Vinnie, une mezzo écossaise, le ténor anglais Howard Haskin et le baryton australien Jonathan Summers, une interprétation admirable de Faust et Hélène, la cantate couronnée de Lily Boulanger. Le chef d'orchestre, Jean Fournet, parvint à saisir parfaitement l'atmosphère empreinte de distinction mais aussi d'impétuosité d'une oeuvre révélant à la fois la maîtrise et le pouvoir visionnaire de sa compositrice. Et dire que celle-ci avait seulement dix-neuf ans à l'époque! Il est vrai qu'en musique le nombre des années importe peu...
Les manuels présentent généralement Lily Boulanger comme une compositrice profondément influencée par Debussy, dont le modèle était l'impressionnisme musical immatériel. Personnellement, j'ai davantage été sensible à sa furia musicale, qui rappelle beaucoup Florent Schmitt, compositeur à la personnalité tout aussi difficile à cerner, que l'on peut au mieux définir comme un ‘anarchiste traditionaliste’ et qui possédait un sens aussi développé de la monumentalité.
Lily Boulanger mourut peu avant l'âge de vingt-cinq ans. Elle fut alitée longtemps, mais interrompit néanmoins les vacances qu'elle passait à Rome, à la villa Médicis (associée au prix de Rome), pour venir en aide à des familles où l'homme se battait au front pendant la première guerre mondiale.
Elle était une musicienne-née qui jouait avec virtuosité du piano, mais aussi du violoncelle, du violon et de la harpe. Pourtant, son nom fut oublié après la seconde guerre mondiale. Sa cantate Faust et Hélène d'après Le Second Faust de Goethe, qui est en réalité davantage un miniopéra, justifie le fait que son oeuvre fait désormais partie du répertoire. Nombreuses sont les compositions musicales qui, dans le sillage du Martyre de Saint Sébastien de Debussy surtout, donnent aujourd'hui l'impression d'être datées: musiques ternes, unilatéralement axées sur l'esthétique. Lily Boulanger ‘croyait’ en ses textes et cette conviction intérieure nous atteint par la grâce d'une musique doucement introvertie qui nous submerge et nous emporte.
Ernst Vermeulen
(Tr. P. Grilli)