Septentrion. Jaargang 17
(1988)– [tijdschrift] Septentrion–CinémaHenri Storck, témoin du réelAvec le documentaire Henri Storck, ooggetuige (Henri Storck, témoin du réel), une co-production de la Fugitive CinemaGa naar eind(1) et de la BRT (la télévision belge néerlandophone), le cinéaste flamand Robbe De Hert a rendu hommage à la figure la plus importante de l'origine du cinéma belge. A l'âge de quatre-vingts ans, Henri Storck (Ostende, 1907) a derrière lui une oeuvre impressionnante composée de plus de 70 documentaires. Il effectua surtout un travail de pionnier dans le domaine du documentaire social, du film d'art (consacré notamment à Félix Labisse et à Paul Delvaux) ainsi que du reportage sur des manifestations folkloriques. Parmi ses films les plus connus, comptent: Misère au Borinage (1933), Het huis der ellende (Les maisons de la misère, 1937), Boerensymfonie (Symphonie paysanne, 1944), Rubens (1948), Feesten in België (Fêtes de Belgique, 1972) et Permeke (1985, en collaboration avec Patrick Conrad). De Hert ne se prénommerait pas Robbe s'il n'avait pas voulu![]()
Le cinéaste américain Robert Flaherty avec Henri Storck en 1949.
donner à son documentaire sur Storck un cachet particulier. Mais cette fois-ci il n'a pas réussi à glisser dans son oeuvre cette touche personnelle. Au cours de la préparation du film, le cinéaste rechigna à faire simplement l'acteur pour les besoins du scénario imaginé par De Hert. Henri Storck est certes d'origine flamande - ses parents étaient des commerçants ostendais - mais, comme c'était habituel à l'époque, à plus forte raison dans une station balnéaire internationale telle qu'Ostende, il grandit dans un milieu francophone. Aujourd'hui, Storck préfère ne plus guère parler néerlandais devant la caméra: il se rend compte qu'il s'exprime beaucoup mieux en français. Aussi De Hert et son équipe durent-ils recourir presque exclusivement à la collecte de documentation. Le résultat de cette recherche est un aperçu quasiment complet de l'oeuvre d'Henri Storck composé de larges extraits de ses films restitués dans leur contexte historique par des actualités cinématographiques. Entre ces extraits, De Hert et son co-scénariste Rik Stallaerts insérèrent des interviews provenant essentiellement des archives de la RTBF (la télévision belge francophone). La ‘riche’ vie de Storck est une source inépuisable d'anecdotes nourries des rapports qu'il eut avec les milieux artistiques dominants de l'époque et de souvenirs que ces relations lui ont laissés. A Paris, il fit la rencontre de personnalités telles que André Breton, Aragon, Jean Vigo, Luis Bunuel, René Clair et même S. Eisenstein. Les auteurs du documentaire affirment avec raison: ‘Si chaque homme qui meurt est un musée qui brûle, nous avons affaire ici à un Centre Beaubourg, à un trésor de souvenirs.’ Presque émouvante est la scène de la visite d'Henri Storck au Petit Musée du Cinéma, musée privé des époux Deloge à Wanfercée-Baulet en Wallonie (près de Fleurus). Les Deloge y conservent les premières caméras de Storck ainsi que, notamment, le chapeau de Monsieur Hulot (J. Tati) et d'autres objets de l'histoire du cinéma. Au reste, cette scène est la seule où Storck répond à quelques questions de De Hert et explique à celui-ci qu'il devait, à cette époque des pionniers, se servir d'un matériel rudimentaire. Un extrait de Geschiedenis van de onbekende soldaat (Histoire du soldat inconnu, 1932) démontre que notre cinéaste octo- | |
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génaire fut, pendant les premières années de sa carrière, un précurseur de la Fugitive Cinema, dont Robbe De Hert fut un des fondateurs. En utilisant exclusivement des actualités cinématographiques françaises existantes, Storck réalisa un pamphlet antimilitariste qui fut considéré alors en France comme un outrage à l'armée française et interdit. Pour sa part, Robbe De Hert ne put s'empêcher, dans son documentaire, d'unir, dans le plus pur style de la Fugitive, Misère au Borinage à la ballade de Bob Dylan, A working Class Hero is something to be: une synchronisation astucieuse qui produisit l'effet escompté. Henri Storck, témoin du réel contient ainsi de nombreux autres passages qui fournissent une analyse pénétrante des conditions de travail et de production. Storck ne parvint qu'une seule fois à réaliser un long métrage: la comédie Het banket van de smokkelaars (Le banquet des fraudeurs, 1950). Afin de n'être jamais réduit à l'inactivité, il se vit le plus souvent contraint de réaliser ou de produire les ‘rêves des autres’. C'est avec semblable mission qu'il recueillit finalement un succès mondial. Cela eut lieu en 1958, lorsqu'il produisit Vrijheren van het woud (Les seigneurs de la forêt), un documentaire sur la nature africaine, à la demande du roi Léopold III. Ce film fut une telle réussite commerciale sur le plan international que Storck monta en 1968 une seconde production en assemblant les prises de vue qui n'avaient pas été employées: Wonderen van het Afrikaanse woud (Les merveilles de la forêt africaine). Henri Storck, qui apporta son concours au documentaire d'une durée de 100 minutes tourné par De Hert, considère un peu celui-ci comme son ‘testament’. En tant que tel, ce film offre donc un portrait unique et complet de la figure la plus marquante de l'Ecole belge de cinéma documentaire, dont Robert Flaherty, un des pionniers du cinéma américain, dit un jour qu'elle était ‘la plus intéressante du monde entier’. Wim de Poorter (Tr. P. Grilli) |
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