Le Prix Martinus Nijhoff pour Alain van Crugten
Bien que les prix littéraires incitent trop souvent à la dispute et à la controverse, ils n'en prolifèrent pas moins. Depuis les années cinquante, une nouvelle catégorie envahit la scène flamando-néerlandaise: celle des prix de traduction. Ce phénomène découle directement des problèmes et du statut social du traducteur, lesquels en ce moment occupent tous les esprits. Un pionnier en son genre est le Prix Martinus Nijhoff, institué en 1953 au sein du Prins Bernard Fonds en guise de dernier hommage au grand poète néerlandais Martinus Nijhoff, de son vivant président de la section artistique du Prins Bernard Fonds.
C'est ce prix maintenant que le slaviste et professeur bruxellois Alain van Crugten vient de recevoir pour sa traduction en langue française de ce qu'on s'accorde depuis 1983 à appeler le chefd'oeuvre d'Hugo Claus, Het Verdriet van België (Le Chagrin des Belges).
Si la traduction de Van Crugten est réputée, c'est autant à cause de sa fidélité au texte - source qu'en raison de ses qualités stylistiques. Si Van Crugten fait ‘plier’ l'original, c'est que les structures lexicales et morphosyntaxiques de la langue française l'y obligent. On sait l'habitude
Alain van Crugten et Hugo Claus à Lille (1988).
française de ne recourir au passif qu'en cas de stricte nécessité; on connaît l'emploi quelque peu spécifique de la virgule, du complément de nom. Et le traducteur A. van Crugten de s'y soumettre, sans pourtant jamais trahir la cadence de la phrase néerlandaise et, çà et là, ‘flamande’.
Or, cette traduction est beaucoup plus. Si la tentative de Van Crugten se révèle un franc succès, c'est en grande partie grâce à l'enthousiasme très visible de son auteur. A lire l'avant-propos du Chagrin des Belges, on devine l'engouement d'un professionnel de la langue devant les beautés inépuisables de l'écriture de Claus; on devine un enthousiasme presque muet qui débouche sur un défi: le défi de ‘rendre’ ce texte en français.
Mais à quoi bon des comptes rendus s'ils n'incitent pas à la lecture? C'est pourquoi j'aimerais bien vous voir prendre le livre traduit en main. Vous ne serez pas déçus.
Barbara De Coninck