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Arts plastiques
Jan Cremer, tourbe et sang
Jan Cremer a un double talent. Il écrit et il peint, et le tout avec audace. Cremer suscite cependant des sentiments mêlés. Est-il un enfant du peuple millionnaire monté un peu trop vite en grade? Est-il le ‘Ik Jan Cremer’ (Moi, Jan Cremer) de la peinture? Le ‘Paulus Potter du xxe siècle’ pour ses vaches et ses paysages? Ou comme le dit son grand admirateur Willem Frederik Hermans: ‘Le Douanier Rousseau du roman picaresque’?
L'oeuvre picturale de Jan Cremer que l'on pouvait admirer dans une exposition de ses oeuvres au Rijksmuseum Twenthe dans sa ville natale d'Enschede est de qualité très inégale. Les projections et les éclaboussures de Cremer, ‘entrelacs de magmas’, selon sa fantaisie, ne sont pas une oeuvre au sens habituel du mot. Le peintre ignore tout sens critique ou modestie. Au nom de Cremer, marque déposée grâce à son livre Ik Jan Cremer, les généralisations hâtives s'entrechoquent comme des blocs de glace. Il faut de l'aplomb à Cremer y compris dans sa peinture.
Chez Jan Cremer, on ne peut pas parler d'une vraie carrière de peintre ininterrompue. Un peintre n'arrête pas de peindre parce qu'il écrit. Ayant commencé comme ‘barbare’ à La Haye, s'offrant même quelque succès, il devient après son best-seller Ik Jan Cremer davantage écrivain que peintre.
Comparé à d'autres doubles talents, Armando par exemple ou Hugo Claus, Cremer est un fanfaron turbulent; cela provient surtout de sa façon de parler de son oeuvre.
Jan Cremer, ‘Aigle et blé’, huile sur toile, 200 × 120 cm, 1985 (photo CINC).
Le ton était donné déjà à la fin des années cinquante dans le terme français absurde: ‘peinture barbarisme’. ‘C'est tout du bric-à-brac, de l'esthétique. Je projette de la peinture sur une toile, je la fais tomber goutte à goutte, j'éclabousse, je tape, je donne des coups de pied. Je me bats avec la peinture et parfois je gagne.’ Trente ans plus tard, Cremer est resté le voyou de l'art qu'il était. Et aujourd'hui encore, il peint et il éclabousse et parfois, il gagne. Cremer enfile un costume d'enfant du peuple: sa phénoménale confiance en luimême escamote sa carrière de peintre à éclipses qu'il reprend après son livre De Hunnen (Les Huns), avec le même flot de fanfaronnades. ‘Je ne peins pas d'après une idée car les idées sont sans valeur’, dit Cremer. ‘Je veux seulement prendre du plaisir à peindre: je suis au bout du compte un garçon ordinaire et toutes ces foutaises de l'art et des grandes idées peuvent aller au diable.’
Armando a écrit et écrit encore comme il peignait et peint encore. Il a développé un style bien à lui. Il y a continuité. Chez Armando, la peinture ne s'est pas mise à vivre sa propre vie. Claus a honte de ses persiflages et pastiches du style des autres. Pour Hugo Claus, le dessin et la peinture signifient ‘faire une patience’. Claus refuse le nom de peintre. Un peintre a un style en quête de quelque chose. Chez Cremer cependant, la peinture est et reste de l'audace. Dans son oeuvre, il reprend les idées picturales des autres, et avec succès. Cremer sait peindre mais le faussaire Van Meegeren savait peindre également. Cremer met aussi des noms sur ses modèles: petits cercles à la manière de Penck, petits bâtons et petits traits des années cinquante: Miro. Peintures selon la technique du ‘dripping’ (égouttage): Jackson Pollock. Monochromes à partir de poncifs: Yves Klein. Bleu, jaune et rouge d'Asger Jorn et de Karel Appel. Des peintures épaisses et pâteuses: Bram Bogart. Des signes informels sur ses toiles des années cinquante: Georges Matthieu. Des paysages mutilés avec un petit peu de Kiefer et de Cremer comme ‘neue Wilde’ dans son Red, White and Blue horses. Où Cremer est-il Cremer?
La plupart du temps, Cremer travaille par séries comme un possédé, pressurant ce qui doit sortir. Pendant la rédaction de son oeuvre majeure De Hunnen, Cremer s'est remis à peindre et dans les séries de chevaux de cette période surgit le