Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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§ 10. La concentration d'esprit sur des sujets de mathématique.Parmi les sentences des p. 167-171 qui précèdent on aura remarqué celle d'Héraclite, reproduite par Julien l'Apostat (No. 29), suivant laquelle l'application à un grand nombre de disciplines différentes ne conduit pas à la sûreté du jugement. Il est évident d'autre part qu'en se concentrant sur un seul genre on se fait spécialiste et homme de métier. Christiaan n'est tombé ni dans l'un ni dans l'autre excès. Il aurait en effet été bien difficile à un fils d'un tel père de s'en tenir à un seul sujet. D'autre part il fallait limiter le champ des recherches pour sortir de l'amateurisme. Nous ne voulons pas dire que le nom d'amateur - qui, en matière de science, ne passe pas pour un compliment - soit celui qui convienne tout-à-fait au père Constantyn. L'amateur est un homme qui cueille des fleurs en différents endroits et ne se propose d'autre but que son propre contentement. Or Constantyn - lorsqu'il parle de science, non pas quand il compose p.e. des pièces de musique - a généralement en vue le bien-être de l'humanité ou de l'état. S'il peut viser si haut sans cependant approfondir aucun sujet, c'est que, grâce à sa position, il est en rapport avec un grand nombre de personnes parmi lesquelles les savants, ingénieurs et artistes ne font pas défaut. Il est de ceux qui, comme les princesGa naar voetnoot1), peuvent penser par le cerveau d'autrui. Mais Christiaan, qui n'avait pas de charge, était, à côté de lui, dans une position bien différente. Il lui incombait d'accomplir une partie de ce dont son père voyait la désirabilité. Sans doute, lorsqu'il s'agissait d'instruments, il avait lui aussi à son commandement bien des personnes, savoir les artisans ou ‘ouvriers’ travaillant pour quiconque pouvait payer leurs notes. Mais pour saisir par la pensée la nature des choses mieux qu'on n'y avait encore réussi, il devait travailler lui-même. D'où la nécessité de se limiter, non pas dans la lecture d'un grand nombre de choses intéressantes, ni dans le commerce avec des personnes de qualité, mais bien dans le choix des matières sur lesquelles porterait la méditation. Conformément à son aptitude, et dirigé spécialement dans cette voie par le cours de van Schooten, Christiaan commença par se vouer surtout aux mathématiques pures (ainsi qu'à la mécanique rationnelle). Tant son naturel que la lecture d'Archimède et des autres mathématiciens grecs le portaient à donner, en mathématique, la préfé- | |
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rence à la géometrie; celles de Stevin et de Galilée ne pouvaient que fortifier cette tendance. L'application de l'algèbre à la géométrie, plus ou moins dans l'esprit de Descartes, ne fit pas défaut: il apprécia toujours ce qu'il appelle les ‘compendia’, les méthodes spéciales qui abrègent les considérations géometriques, ces dernières restant toutefois la chose principale.
N'y a-t-il pas une opposition entre les méthodes des anciens et celles des modernes? Christiaan pense pouvoir, par la pensée, établir un rapport assez étroit entre les uns et les autres en émettant la supposition, plus ou moins dans l'esprit de StevinGa naar voetnoot2), qu'anciennement on connaissait certaines méthodes de calcul que les penseurs modernes ont maintenant seulement découvertes à leur tour. VoyezGa naar voetnoot3) la Pièce ‘quomodo Nicomedes duas medias proportionales invenerit ope Conchoidis’. Il y suppose que Nicomède a commencé par former une équation du quatrième degré laquelle il aurait réduite à la forme (x + ½a) (x3 - 2ac2) = 0 en faisant sur les coefficients des hypothèses appropriées. Sans doute, Nicomède a dû suivre un certain raisonnement pour arriver à sa construction, mais ce raisonnement peut avoir été tout autre, beaucoup plus géométrique. Il nous paraît impossible de le reconstruire. Néanmoins l'opinion de Christiaan n'a rien d'absurde; il est même possible que dans ce cas spécial il ait raison. Nous avons déjà cité dans le T. XIGa naar voetnoot4) sa lettre de 1653 à Kinner von Löwenthurn où il dit que Descartes (précédé par Viète et Marino Ghetaldi) a rétabli la méthode antique, ce que Pieter van Schooten, après la mort de son frère Frans, dit aussi avoir été l'opinion de ce dernier: ‘Neque dubitabat quin pleraque omnia, quae Veteribus tantum gloriae peperissent, Analyseos beneficio ac ope reperta essent’. En 1673, dans la Dédicace à Louis XIV de son ‘Horologium oscillatorium’, Christiaan parlera encore de la science mathématique ancienne - il l'appelle ‘Geometriam’ - en grande partie, pour ainsi dire, ensevelie, mais maintenant mise au jour par les penseurs modernesGa naar voetnoot5). Publiant en 1651 ses ‘Theoremata de quadratura hyperboles etc.’ il affirme avoir | |
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obtenu un résultat dont il faut dire ‘antehac nemini de quo quidem ad nos pervenerit [nous soulignons] comperta fuisse’: apparemment il juge possible ici aussi que les anciens y soient déjà parvenus. Nous savons maintenant que si Archimède n'a pas calculé la place des centres de gravité des segments du cercle ou des autres coniques, il en a du moins été bien près et aurait sans doute, si on le lui avait demandé, pu exécuter ce calcul puisque c'est par sa Méthode - la même que Huygens employe ici - de découper les surfaces (ou corps) en tranches infiniment étroites et de les peser, pour ainsi dire, en les mettant en équilibre avec d'autres figures, qu'il a obtenu bien des théorèmes. Il n'en restait avant la découverteGa naar voetnoot6) de la MéthodeGa naar voetnoot7) que la Quadrature de la ParaboleGa naar voetnoot8). Connaissant ce traité J.Ch. della Faille a discouru déjà en 1632Ga naar voetnoot9) en s'inspirant de cette méthode, de la détermination de la position du centre de gravité d'un secteur de cercle quelconque, ou plutôt de la relation qui existe entre le calcul de cette position et la quadrature du cercle de sorte que la connaissance de l'une conduirait immédiatement à celle de l'autre. Il dit expressément - nous l'avons cité dans le T. XIGa naar voetnoot10) - qu'il a voulu suivre la méthode d'Archimède. Il ne pouvait savoir, et ni lui ni Huygens ne disent le supposer, qu'Archimède avait fait de cette méthode un usage plus général. Néanmoins c'était bien ici que tant della Faille que Huygens pouvaient se sentir disciples d'Archimède et avoir l'impression que parfaire la mathématique c'était en somme développer celle des grecs et en particulier celle du géomètre de Syracuse. Le théorème en question sur le secteur de cercle (qui ne se trouve pas encore sous une forme précise chez della Faille) avait été énoncé par Mersenne dans sa lettre au père Constantyn du 12 octobre 1646Ga naar voetnoot11). Dans le T. XIGa naar voetnoot12) nous avons émis la supposition que Huygens n'a appris à connaître l'ouvrage de della Faille qu'après avoir écrit une bonne partie de ses ‘Theoremata de quadratura hyperboles ellipsis et circuli ex dato portionum gravitatis centro’ de décembre 1651. Ce que Huygens lui-même, dans sa préface, en faisant mention avec beaucoup d'éloges de della Faille, ne dit pas. En écrivant à Grégoire de St. VincentGa naar voetnoot13) il s'exprime comme suit à propos des théorèmes de della Faille: ‘Iam pridem - c.à.d. avant que GrégoireGa naar voetnoot14) en fit men- | |
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tion - ea cum summa voluptate perlegi semperque [nous soulignons] in ijs magna feci, et inventionis felicitatem, et accuratam demonstrandi rationem’. Le centre de gravité du secteur d'hyperbole, par la considération duquel Huygens avait commencé, n'avait pas été cherché par della Faille.
Le grand traité ‘De iis quae liquido supernatant’ datant de la même époqueGa naar voetnoot15) peutGa naar voetnoot16) déjà avoir été conçu à Breda. Dans la lettre à Mersenne du 20 avril 1648Ga naar voetnoot17) Christiaan dit avoir fait part au professeur Pell de ses ‘cubatures ungularum cylindricae et parabolicae’: or, c'est dans la considération de cylindres flottant obliquement que la cubature ainsi que la recherche des centres de gravité des onglets s'imposent. Ce qu'il montra à Pell avait sans doute été obtenu par la méthode de Cavalieri: voyez ce qu'il dit à la p. 158 du T. XI (début du Lib. III). On peut comparer le dernier alinéa du chapitre ‘Mon Archimede’ qui précède. Dans l'Appendice IV au contraireGa naar voetnoot18) il fait usage, dans la considération des onglets, de la ‘optima demonstrandi methodus quae fit deductione ad absurdum’. De même qu'ailleursGa naar voetnoot19) là où il énonce des théorèmes qui se trouvent dans Archimède Περὶ ὀχουμένωνGa naar voetnoot20) - il peut avoir consulté Archimède en grec (Rivaltus) mais il peut aussi s'être contenté de l'édition latine de CommandinGa naar voetnoot21) ou des ‘Cogitata physico-mathematica’ de MersenneGa naar voetnoot22) - il formule ces théorèmes à sa manière et en donne des démonstrations originales. Stevin n'est pas nommé, mais dans le Lib. II, dans la démonstration du théorème I, Huygens formule l'hypothèse suivante: ‘certum est in corpore quiescente quotlibet puncta firmari posse ut tamen illud non commoveatur’ ce qui est une hypothèse du géomètre de BrugesGa naar voetnoot23) dont Huygenś avait aussi fait usage dans la considération de la chaîne pendanteGa naar voetnoot24). Nous observons aussi que deux figures d'une feuille détachée qui se rapporte au sujetGa naar voetnoot25) rappellent cellesGa naar voetnoot26) d'une Pièce néerlandaise de la même | |
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époque inspirée par la lecture de Stevin laquelle nous avons publiée dans le T. XVIIGa naar voetnoot27). Ce qui est plus important c'est que le principe fondamental exprimé dans les Hypotheses I et II du Lib. I, d'après lequel le centre de gravité ne peut que descendre en vertu d'un mouvement spontané, qu'il s'agisse d'un seul corps ou de plusieurs (ce qui implique le cas des liquides) rappelle celui que Mersenne avait conseillé de mettre en avant dans le cas de la chaîne pendante (d'abord considérée par Stevin), conseil que Huygens avait suivi, savoir que la position d'équilibre d'un système est celle où le centre de gravité se trouve aussi bas que possible. Il avait en vérité commencé dans un avant-projet du ‘De iis..’ par prendre pour hypothèseGa naar voetnoot28) que non seulement pour un liquide, mais aussi pour l'ensemble immobile d'un liquide et d'un corps qui y flotte, le centre de gravité occupe la position la plus basse compatible avec la forme du ‘vas continens’. L'on peut dire qu'il y a peu de différence entre les deux groupes d'hypothèses; toutefois les formules choisies par Huygens, qui ne suppose pas l'absence de tout frottement ou autre irrégularité, sont plus prudentes. Ici, comme dans le cas de la chaîne, la gravité est censée agir suivant des droites parallèles; la surface d'un liquide en repos - ce qui n'est pas le cas chez Archimède qui ne part pas d'une hypothèse sur la position des centres de gravité; peut-être, en considérant une superficie sphérique du liquide, songeait-il plutôt à la mer et à des vaisseaux qui y flottent - est parfaitement plane et l'expression ‘aussi bas que possible’ a un sens bien déterminé sans qu'il faille songer au centre de la terre. Aucune hypothèse n'est faite sur la nature de la gravité. Le corps, ou les parties du système, descendent ‘sponte seu gravitate suâ’. Il n'est question ni d'attractionGa naar voetnoot29) ni d'une cause mécanique agissant du dehors et qui n'aurait guère pu avoir été autre que la pression due à un tourbillon de matière fine. Il ne faut pas en conclure, croyonsnous, que Huygens rejette ici délibérément toute explication ultérieure de la gravité; mais seulement, comme nous l'avons exprimé dans le titre de ce paragraphe, qu'il éprouve le besoin de concentrer son attention sur les questions mathématiques. Pour la même raison le liquide est simplement considéré, tout aussi bien que le corps flottant, comme un continuum. Il n'est pas clair ce que Huygens a voulu dire en écrivant en 1652 sur la première page ‘omnia mutanda’Ga naar voetnoot30). Ceci s'applique-t-il aux hypothèses? L'auteur du savant Avertissement a remarquéGa naar voetnoot31) que logiquement les considérations du Lib. II ne se rattachent pas parfaitement aux Hypotheses du Lib. I; et d'autre part qu'il est pos- | |
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sible d'établir le lien logiqueGa naar voetnoot32). Peut-être Huygens l'aurait-il fait lui-même s'il avait ‘mutata omnia’. On peut se faire une idée de la valeur de l'ouvrage en songeant que la condition de stabilité de l'équilibre d'un cône flottant, trouvée par Huygens, ne fut retrouvée et publiée, par Daniel Bernoulli, qu'en 1738Ga naar voetnoot33). Vers 1673 Huygens attachait encore de l'importance à son travailGa naar voetnoot34) dont déjà en 1679 il parle avec dédainGa naar voetnoot35). S'il ne l'a pas publié aussitôt après la composition, ce dont il était d'abord question, ce n'est certes pas parce qu'il voulait encore garder la science acquise pour lui seul.
En ce temps Huygens avait l'ambition de résoudre de la meilleure façon un grand nombre de problèmes proposés, et résolus, par les anciens. En démontrant les théorèmes géométriques d'Archimède, il se sert librement de calculs algébriques. De même dans la considération des problèmes plans de PappusGa naar voetnoot36) c.à.d. des problèmes résolubles par des droites et des cercles ou bien par des équations quadratiques, auxquels succédèrent bientôt les problèmes solides, c.à.d. ceux dont l'analyse algébrique amène des équations du troisième ou même du quatrième degré, dont la construction exige donc des intersections de coniques à moins qu'on ne veuille se servir de la trisection de l'angle pratiquement possibleGa naar voetnoot37). Les constructions des années 1652 et 1653 ont été utilisées pour la publication, en 1654, des ‘Illustrium quorundam problematum constructiones’, les analyses qui ont conduit à ces solutions nous étant toutefois souvent inconnuesGa naar voetnoot37). Parmi les problèmes solides il convient de mentionner le célèbre problème déliaque, celui de la duplication du cube, ou plus généralement de la recherche de deux moyennes proportionnelles entre deux grandeurs données; et aussi, pour n'en citer ici encore qu'un seul, celui d'abaisser d'un point donné des normales sur une parabole, dont Apollonius s'était occupé au cinquième livre de ses Coniques. La recherche des maxima et minima, dont avait traité e.a. FermatGa naar voetnoot38), intervenait aussi dans ces problèmes. Mais les anciens n'avaient pas su résoudre tout ce qu'ils se proposaient. En particulier ils n'étaient pas parvenus - malgré la quadratrice de Dinostrate et les spiraux d'ArchimèdeGa naar voetnoot39) - à trouver la quadrature du cercle, autrement dit la rectification | |
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de sa circonférence. C'est de quoi Huygens - en ayant la politesse de ne pas nommer Jos. ScaligerGa naar voetnoot40) - traita en 1654 dans son ‘De Circuli magnitudine inventa’. Il y put satisfaire son besoin d'exactitude e.a. en prouvant rigoureusement certains beaux théorèmes de W. SnelliusGa naar voetnoot41). Ce traité avait été précédé déjà en 1651 par l'Ἐξέτασις ou Examen de la Cyclometrie du tres savant Gregoire de Saint-VincentGa naar voetnoot42). Comme cela a été dit dans le T. XIGa naar voetnoot43) Huygens a su indiquer - ce qui n'était pas facile - l'endroit précis où réside l'erreur qui rend la quadrature de Grégoire vicieuse. Il dut y revenir en 1656 dans la lettre publique à Fr. X. AinscomGa naar voetnoot44). |
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