Oeuvres complètes. Tome XXII. Supplément à la correspondance. Varia. Biographie. Catalogue de vente
(1950)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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Années 1661-1666. | |
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§ 1. À la Haye mai 1661-mars 1663.Deux jours après son arrivée en Angleterre Huygens s'était rendu chez Alexandre Bruce - qui en 1663 devint comte de Kincardine - pour qui il avait une commissionGa naar voetnoot1). Il le connaissait avant ce temps, au moins depuis 1658, puisqu'on trouve son nom - comme toujours, lorsque Huygens parle de luiGa naar voetnoot2), sous la forme ‘Brus’ - dans la liste des personnes qui reçurent l' ‘Horologium’Ga naar voetnoot3). Ceci fait voir en même temps qu'alors déjà Bruce s'intéressait aux horloges. Il avait quitté l'Écosse en 1657 et s'était fixé pour quelque temps à la Haye après avoir visité l'Allemagne. Le nom Bruce ne se trouve pas avant ce temps dans la Correspondance du père Constantyn; suivant une note du T. IVGa naar voetnoot4) A. Bruce ne vint à la Haye qu'en 1659; s'il en est ainsi, ce qui nous semble improbable, nous nous demandons comment Huygens a pu le connaître des 1658Ga naar voetnoot5). Après juin 1659 Huygens le connut sans doute encore mieux, puisqu'en ce mois il épousa une sille du diplomate Cornelis van Aerssen, fils de FrançoisGa naar voetnoot6). À Londres Huygens vit Bruce assez souvent. Nous observons en passant qu'il y visita aussi l'atelier des horlogers FromanteelGa naar voetnoot7). C'est de Bruce qu'il est question dans la lettre de Huygens à Moray du 24 juin 1661Ga naar voetnoot8). Nous apprenons par cette lettre que Bruce avait commandé à la Haye pour Moray une horloge à pendule de trois pieds. Il semble possible que déjà pendant le premier séjour de Bruce à la Haye Huygens et lui aient parfois observé conjointement la marche de certaines horloges, alors que l'horloge à pendule était une nouveauté, et qu'ils aient discouru sur les moyens d'en améliorer la marche, surtout pour le problème des longitudes, donc pour le transport des horloges sur mer, car nous ne voyons pas que Bruce se soit intéressé à l'astronomie. Ce qui est certain c'est qu'ils travaillèrent ensemble pendant un deuxième | |
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ou du moins pendant un troisième séjour de Bruce à la Haye en 1662. Voyez sur le mois de février 1662 la p. 160 du T. XVII. Le 9 novembre de cette année Huygens écrit que ‘M. Brus s'en est retournè en Escosse’Ga naar voetnoot9), mais le 1, le 14 et le 20 décembreGa naar voetnoot10) il parle de nombreuses conférences ‘depuis que nous nous sommes mis à perfectionner l'invention des Longitudes’ et même déjà de disputes sur le partage du profit. Bruce partit pour Londres vers le 1 janvier 1663 emportant avec lui ‘ses deux horologes pour les Longitudes’Ga naar voetnoot11). Il n'eut aucun succès: d'après sa lettre du 12 janvier 1663Ga naar voetnoot12), quoiqu'il n'y eût pas eu de tempête, l'une des horloges était tombée et s'était détraquée, l'autre s'était arrêtéeGa naar voetnoot13). Mais tant lui que Moray se proposaient de faire de nouveaux essaisGa naar voetnoot14).
Nous publions à la fin du présent paragraphe la lettre du 19 janvier 1663 de Huygens à Bruce qui nous manquait et dont la copie nous parvint par les soins de M. Clifford Dobell (auteur de la brochure ‘The Kincardine papers’, Royal Society, London, Notes and Records, Vol. 4, mai 1947) tant de la part de la Royal Society que de la National Library of Scotland.
Ce fut Bruce qui avait amené Huygens à substituer un pendule court au long penduleGa naar voetnoot15). En outre Bruce avait doublé ‘la petite main par laquelle le pendule est mené’; ce pendule (dit à F renversé) est représenté à la p. 166 du T. XVII (à cela près que dans la figure le poids du pendule a la forme d'une lentille-année 1664- tandis qu'en 1662 il était globulaire); l'idée de suspendre l'horloge à une sphère d'acier enfermée dans un cylindre de cuivre était aussi de BruceGa naar voetnoot16). Sur la tige du pendule mentionné on remarquera le petit poids curseur servant à l'ajustement. Déjà en 1659 - nous l'avons dit aux p. 500 et 503 qui précèdent- Huygens avait su calculer la longueur d'un pendule mathématique isochrone avec un pendule également à verge impondérable mais portant, l'un au dessus de l'autre, deux | |
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poids punctiformesGa naar voetnoot17). À cet effet il était parti de l'hypothèseGa naar voetnoot18) que si l'on multiplie chaque poids par la hauteur maximale atteinte par lui au dessus d'un plan horizontal déterminé, la somme de ces produits sera la même dans le cas où les poids oscillent librement que dans celui où ils composent un corps unique: étant supposé bien entendu que dans le cas de l'oscillation dite libre les poids commencent à osciller (autour du même point de suspension) séparément, au lieu d'osciller conjointement, au moment où les deux poids se trouvent dans la situation la plus basse. C'est, comme Huygens le fait ressortir dans la Pièce de 1661 sur le centre d'oscillationGa naar voetnoot19), une application à ce mouvement réversible du grand principe - voyez la p. 509 qui précède - que le centre de gravité ne peut pas monter par la gravité seuleGa naar voetnoot20). Au lieu de supposer que les deux poids continuent à osciller après être devenus ‘libres’, on peut d'ailleurs aussi supposerGa naar voetnoot21) que les deux globes soient lancés dehors par la barre impondérable après avoir exécuté une demi-oscillation et s'élèvent verticalement par réflexion sur des surfaces planes chacun à sa plus grande hauteur; ou bien encore, comme le fait Huygens, qu'après une demi-oscillation le pendule soit réduit au repos par le fait que les deux globules, supposés parfaitement durs, entrent en collision avec des globes libres égaux du même genre qui (d'après la nouvelle théorie du choc) acquièrent chacun la vitesse entière du globe correspondant du pendule et s'élèvent, eux, chacun à la hauteur maximale (où ils sont arrêtés) par la dite réflexion idéale. Ce principe peut évidemment servir aussi dans le cas où le nombre des poids est supérieur à deux; déjà en 1659 Huygens en avait fait usage en considérant le cas où la barre oscillante n'est pas impondérable mais composée d'une infinité de poids égaux infiniment petits; cette barre pouvant en outre porter, par exemple à son extrémité, un seul globule punctiforme, mais possédant un poids fini. La dispute avec Douw et d'autres horlogersGa naar voetnoot22) - nous l'avons dit à la p. 503 - avait activé cette recherche du centre d'oscillation déjà préconisée dix ans plus tôt par MersenneGa naar voetnoot23). Les p. 105-112 du T. XVII contiennent les calculs de 1661 sur le poids curseur qui se rattachent à ceux de 1659; les p. 414-433 du T. XVI, également de 1661, y font suite; tous ces calculs datent du mois d'août ou plutôt septembre et des mois suivants. Bruce y était étranger tout autant qu'aux considérations sur l'inégalité des jours. Voyez sur ce | |
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dernier sujet le T. XVGa naar voetnoot24). Lorsque Bruce quitta la Haye, Huygens avait déjà l'intentionGa naar voetnoot25) d'écrire une instruction au sujet de l'emploi des horloges pour trouver les longitudes, y compris un chapitre sur la méthode de mesurer la hauteur du soleilGa naar voetnoot26).
Ce ne furent pas là cependant les premiers sujets auxquels Huygens s'appliqua après sa rentrée du 27 mai 1661 à la Haye.
Dès le 15 juin il observa de nouveau la planète SaturneGa naar voetnoot27). Ses lettres de septembreGa naar voetnoot28) et décembre 1661 à Moray, et bien d'autres lettres, font voir combien il continuait à s'y intéresser. Consultez sur ce sujet les p. 476-477 du T. XV. Signalons aussi son intérêt pour la publication de 1662 du ‘Venus in sole visa’ de HorroxGa naar voetnoot29).
On a vu qu'en passant à Anvers il avait entendu des carillons. Ce fut, pensons-nous, à sa demande qu'un ami lui envoya de là, le 16 juin, la copie d'une page flamande- on ne la connaît pas d'ailleurs - d'un des frères Hemony, fondeurs et installateurs des dits carillonsGa naar voetnoot28); elle traite de la ‘règle de l'accord, comment celui-ci est trouvé par la proportion numérique’. L'ayant lu il écrivit le 8 juillet suivant la Pièce intitulée ‘Divisio monochordi’ où il se sert de ‘termini Algebraici systematis indeterminatiGa naar voetnoot30)’: partant d'une corde de longueur a il calcule les longueurs des cordes dont les tons forment avec le ton fondamental les intervalles du système pythagoricien; posant x pour la longueur de la corde correspondant à la quinte du ton fondamental, de sorte que le rapport x/a de l'intervalle fondamental de la construction pythagoricienne reste momentanément indéterminé, il déduit tous les tons du système du ton fondamental, à l'instar d'Hemony, par des sauts de quintes et de tierces avec réduction d'octaves. | |
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Alors seulement il se demande ‘quanta convenientissime possit statui x’. Si l'on prend x = 2/3 a, toutes les quintes et quartes sont parfaites; il n'en sera pas de même des tierces et des sixtes. On peut aussi postuler la justesse de la tierce majeure, ce qui conduit à , ou bien que les quintes soient inférieures d'autant que les sixtes majeures soient superieures à leurs vraies valeurs, ce qui conduit à la même valeur ; c'est le système dit du ton moyen auquel Huygens donne le nom de ‘temperament veritable’.
C'est également de 1661Ga naar voetnoot31) que date la Pièce ‘Divisio octavae in 31 intervalla aequalia’ où les calculs sont exécutés ‘per logarithmos’ ce qui ne peut guère se faire autrement comme Huygens le relève dans sa lettre à Moray du 1 aoûtGa naar voetnoot32). L'avantage du nouveau tempérament auquel correspond cette division en 31 intervalles c'est que la περιϰύϰλωσις de Stevin, ou d'Aristoxène, obtenue par la division de l'octave en 12 intervalles égaux, y est conservéeGa naar voetnoot33) sans que les écarts des tons avec ceux du ‘temperament veritable’ soient aucunement considérables. En ce temps Huygens ne songea pas à rien publier sur ce sujet. Il a pu savoir qu'en 1659 Rembrantz. van Nierop avait critiqué StevinGa naar voetnoot34) qui ne considérait pas la dite division en 12 intervalles égaux comme un tempérament, étant d'avis qu'elle correspond à la nature des tons; en quoi Huygens est pleinement d'accord tant avec van Nierop qu'avec feu DescartesGa naar voetnoot35). En majeure partie les Pièces du portefeuille ‘Musica’ ne sont pas datées. Nous croyons cependant pouvoir dire que la Pièce publiée en partie dans le T. XIX sous le titre ‘Rapports des longueurs des cordes consonnantes suivant Pythagore, et rapports des nombres de leurs vibrations suivant Galilée et d'autres savants’Ga naar voetnoot36) et en partie dans le T. XX sous le titre ‘Origine du chant. Rapports des longueurs etc.’Ga naar voetnoot37) date de ce tempsGa naar voetnoot38), quoique le paragraphe sur Galilée puisse y avoir été ajouté plus | |
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tard. Quant à la trompette marineGa naar voetnoot39), mentionnée en marge (à propos de la question de savoir si le nombre 7, comparé à d'autres, est capable de produire une bonne consonance), Huygens avait appris à la connaître, semble-t-il, à Paris chez la famille PetitGa naar voetnoot40).
Le calcul logarithmique dont nous venons de parler le conduisit tout de suite- ceci aussi déjà avant qu'il s'occupât des pendules et des horloges - à mieux considérer les logarithmes. Il se servait de tables logarithmiques au moins depuis 1657Ga naar voetnoot41) mais ce ne fut qu'en juillet 1661Ga naar voetnoot42) qu'il se mit vraiment ‘a considerer ces merveilleux nombres’; en ce même mois il déduisit, en partant d'une considération mathématique de Grégoire de St. Vincent sur l'hyperbole, une règle pratique pour les calculer; on la trouvera dans notre T. XIVGa naar voetnoot43). Elle fut suivie, en septembre, par la construction, par points, de la courbe logarithmiqueGa naar voetnoot44) - voyez ce que nous disons un peu plus loin sur la construction de 1652 - dont il constata l'invariabilité de la longueur de la soustangenteGa naar voetnoot45). Les points sont en nombre infini, et Huygens suppose qu'il en résulte une courbe continue, sans quoi il ne pourrait parler d'une tangente ou soustangente. On pourrait dire aussi que la constance de la soustangente (le ‘latus rectum’) définit une courbe continue. Mais c'est ce que Huygens ne dit pas. La longueur de la soustangente, si elle n'est pas prise pour point (ou plutôt pour ligne) de départ, ne peut être trouvée ‘ratione ulla geometrica sed ex logarithmis quamlibet proximè’Ga naar voetnoot46). En 1667 Mercator écrira: ‘Est logarithmus nihil aliud quam numerus ratiuncularum contentarum in ratione quam absolutus quisque [numerus] ad unitatem obtinet’Ga naar voetnoot47). Dans la courbe continue considérée par HuygensGa naar voetnoot48) il ne peut être question de ratiunculae finies, quelque petites - nous voulons dire: quelque peu supérieures à l'unité- qu'on les suppose. Les logarithmes, lorsqu'on part de cette courbe, sont, nous semblet-il, des nombres infiniment grands, représentés par des lignes de longueur finie, ou | |
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bien plutôt des longueurs finies correspondant à des nombres infiniment grands. Huygens ne parle pas de nombres infiniment grands; il se contente de faire voir que le rapport des valeurs de deux logarithmes, c.à.d. de deux longueurs, est obtenu d'autant plus ‘accuratius’ que les nombres qui les expriment sont plus grands.
Il fait voir en outre qu'on peut parfois obtenir, sur l'égalité de certains espaces, des résultats exacts par un raisonnement, à son avis irréprochable, autre que la réduction archimédienne à l'absurdeGa naar voetnoot49).
Il faut d'ailleurs observer que déjà en 1652, sans parler de logarithmes, il avait tracé, ou plutôt conçu, pour représenter une série géométrique, une courbe qui n'est autre que la logarithmiqueGa naar voetnoot50). La Pièce de 1661 (?) des p. 291-294 du T. XX, où il est fait usage de logarithmes, s'y rapporte. Notons encore, à propos de la notion de la continuité, que Huygens condamne toute théorie qui suppose de la discontinuité dans l'écoulement du tempsGa naar voetnoot51).
On voit que, quoique Huygens eût écrit à Moray le 15 juillet 1661: ‘Je vous assure que j'ay encore du travail assez pour longtemps, à mettre au net plusieurs de mes vieilles inventions et quelques traités à demi achevez que j'ay [l'idée] de perfectionner et de produire’, il ne put s'empêcher de s'intéresser à de nouveaux sujets, au point que le dit achèvement et perfectionnement ne purent venir à l'ordre du jour.
Il est possible qu'ayant récemment reçu une description de la machine à voler polonaiseGa naar voetnoot52) il ait essayé de construire, comme il pensait pouvoir le faireGa naar voetnoot53), pareil avion, ou plutôt un automate ‘a l'exemple du bon Archytas’. Nous pouvons du moins difficilement nous figurer que la reconstruction du pigeon d'Archytas rapportée, sans bonne description, aux p. 316-318 qui précèdent, daterait réellement de 1692. | |
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Une autre étude vint s'ajouter dès septembre 1661, ou déjà plus tôt, à celles dont nous venons de parler: la construction d'une machine pneumatique et l'examen de divers phénomènes dans le vide. Huygens en énumère quelques-unsGa naar voetnoot54), n'oubliant ni les larmes de verre dont il fut question plus hautGa naar voetnoot55) et auxquelles on s'intéressait tant à ParisGa naar voetnoot56) qu'à LondresGa naar voetnoot57), ni la mystérieuse ascension de l'eau dans les petits tuyaux que Rohault avait exhibés à ParisGa naar voetnoot58) et dont on avait discuté à Gresham's CollegeGa naar voetnoot59). Il est possible que la courte Pièce sur la nature de l'eau où les petits tubes sont également mentionnésGa naar voetnoot60) date de ce temps. C'est en Angleterre que Huygens avait vu la pompe à air de Boyle, de qui il avait de plus reçu un article sur l'ascension de l'eau dans les petits tubes et sur les autres phénomènes que nous appelons capillairesGa naar voetnoot61); notre Avertissement des p. 258-264 du T. XVII se rapporte à cette pompe; à Paris il n'avait peut-être été question que de pompes à compressionGa naar voetnoot62) - sujet dont Huygens s'était occupé; même Avertissement - et du vide d'air obtenu par écoulement d'eauGa naar voetnoot63). Cet Avertissement fait voir aussi que Christiaan tenait son frère Lodewijk au courant. Celui-ci, revenu d'Espagne et parti pour Paris avec le père Constantyn après un bref séjour à la Haye, fut par Christiaan mis en rapport avec diverses personnes qu'il y avait connues et auxquelles il recommande de faire connaître ses expériences. Lodewijk resta à Paris jusqu'en février 1663. D'ailleurs Christiaan continuait à correspondre directement avec ses amis français. - Voyez sur des horloges envoyées à Paris la note 5 de la p. 158 du T. XVII. - Dans la lettre à Chapelain du 14 juillet 1661, laquelle se rattache à celle à de Montmor (?) de la p. 76 qui précède, il écrit: ‘Vous scauez quel est le dessein de ces Messieurs là [les membres de la Royal Society] à scavoir de s'attacher plus a faire des experiences que des raisonnements’ etc. Nous avons ajouté une traduction française à la Pièce néerlandaise du Manuscrit B où Huygens nota ses expériences du vide, lesquelles durèrent du 29 novembre 1661 au 20 février 1662 - ce dernier jour il détermina le poids de l'air -, une reconstruction de l'appareil étant encore rapportée en octobre 1662Ga naar voetnoot64). Mais déjà depuis 1661 la machine de Huygens se distinguait de celle de Boyle en un point important; | |
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l'écuelle du récipient inventée par lui. Huygens n'accepta la loi de Boyle, d'après laquelle le ressort de l'air s'affaiblit à mesure qu'il s'étend, que lorsqu'il eut reçu en juillet 1662 son traité sur ce sujet. Cette loi ne donnait pourtant pas l'explication du curieux phénomène découvert par Huygens vers la fin de 1661: il constata que l'eau contenue dans un tube renversé ne descend pas lorsqu'on évacue le récipient (comme il semblait qu'elle devrait toujours faire) dans le cas où cette eau est bien purgée d'air. Ce phénomène de Huygens - nous continuerons à le désigner par ce terme - donna lieu à bien des débats. Il en avait fait part à Moray dans une lettre du commencement de février 1662Ga naar voetnoot65) et au frère Lodewijk, pour le communiquer à Thévenot et d'autres, le 15 du même moisGa naar voetnoot66). Provisoirement il n'en donna lui-même, après avoir appris à connaître et approuvé la loi de Boyle, aucune explication.
Notons en passant la reproduction par HuygensGa naar voetnoot67), en 1662, de l'engrenage - nous pourrions dire: l'engrenage de Schwenter - servant à hausser de l'eau p.e. dans les mines.
Lodewijk, à son tour, donnait de Paris des informations sur ce qui pouvait intéresser ses frères. C'est ainsi qu'il fit connaître à ChristiaanGa naar voetnoot68) la célèbre démonstration de Fermat sur la loi des sinus, basée sur un principe que Christiaan qualifie d'abord de pitoyable, ensuite - voyant que dans ce cas au moins il conduit à une conséquence remarquable - de fort précaire: c'est, pour parler avec FermatGa naar voetnoot69), ‘ce principe si commun & si estably que la nature agit tousjours par les voyes les plus courtes’. C'est alors - nous l'avons dit à la p. 267 du T. XVIII - que Huygens peut avoir acquis la conviction que l'indice de réfraction est égal au quotient de la vitesse de la lumière dans le premier milieu par celle de la lumière dans le second.
Il continua en 1662 ses recherches sur les couronnes et parhélies. Il est possible que son manuscrit en grande partie néerlandais, tel que nous l'avons publié en 1932, | |
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fut achevé avant la fin de cette annéeGa naar voetnoot70). Nous aurions pu mentionner déjà dans un chapitre précédent l'expérience de 1659 du cylindre de verre, rempli d'eau, à noyau de bois, dont il y est questionGa naar voetnoot71), ainsi que la condamnation, en ce même temps, du grand cercle de glace de DescartesGa naar voetnoot72). On peut voir dans l'Appendice XI au traité que le cylindre de verre représentait un cylindre de glace transparente à noyau opaque. De pareils cylindres, évidemment exigus, et aussi de petits grains de glace ronds à noyaux sphériques opaques, étaient nécessaires à son avis pour produire les effets observés: il pensait en ce tempsGa naar voetnoot73) que les couleurs s'engendrent à la limite de la lumière et de l'ombre, de sorte que les rayons, pour les produire, doivent friser des noyaux opaques.
Toujours occupé à tailler des lentilles pour les grandes lunettes - voyez e.a. sur les grandes lunettes qu'on se proposait de construire, ou qu'on possédait déjà, en Angleterre, à Danzig et en Pologne, diverses pages du T. IIIGa naar voetnoot74) - Huygens fit construire à cet effet, au début de juin 1662, une machine portative d'après un modèle récent provenant de lui-même et du frère Constantyn qui en ces années fut constamment à la Haye. C'est, pensons-nous, la machine représentée à la p. 301 du T. XVIIGa naar voetnoot75). Malheureusement elle ne satisfit pas quoique Christiaan la dise ‘aussi bien inventée qu'elle scauroit estre’Ga naar voetnoot76). Il en conclut un peu hâtivement qu'aucune machine ne peut servir si ce n'est celle du bâton avec la pointeGa naar voetnoot77) qui à proprement parler, dit-il, n'en est pas une. Hâtivement, disons-nous, puisque dans les années suivantes les frères construisirent néanmoins encore diverses machines: voyez les figures des p. 302-304 du T. XVII, dont la première au moins est certainement de 1665. Consultez aussi ce qu'écrit SpinozaGa naar voetnoot78) sur la ‘fabrica satis nitida’ qu'il vit en cette année. Quoique ces machines à apparence ‘nitida’ ne donnassent toujours pas les résultats espérés. Il semble possible | |
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- mais nous ne croyons pas qu'il faille dire probable, comme le fait G. TierieGa naar voetnoot79) - que cette persévérance soit due à l'influence du père Constantyn affirmant que Drebbel fabriquait jadis des lentilles de cette manière. Puisque le père Constantyn s'était rendu à Paris déjà en octobre 1661 et qu'il appert par la lettre de Christiaan que Lodewijk qui avait quitté la Haye en même temps, n'avait probablement rien entendu à la maison paternelle d'un pareil projet de ses frères, nous croyons en tout cas pouvoir dire que la construction de la première machine n'était pas due à l'initiative du père.
La construction des lunettes à la Haye par les frères Huygens fut apparemment continuelle; il est souvent question dans les lettres à lodewijk (celles de L. font défaut) de petits miroirs d'acier destinés à ces lunettesGa naar voetnoot80) - les petits miroirs redressaient les images - ou du moins de minces plaques d'acier, fournies par P. Petit, devant servir à y découper les miroirs. Une de ces lunettes, de dimensions modestes, fut envoyée en mai 1662 à Paris au maréchal de GrammontGa naar voetnoot81). Le père Constantyn y avait apporté une dont il avait fait cadeau - comme il le fit aussi d'une horloge - à Louis XIVGa naar voetnoot82). Nous avons déjà dit un mot, à la p. 522 qui précède, sur Constantyn à la cour du Roi-Soleil.
Soit dit entre parenthèses, le but principal pour lequel le père Constantyn s'était rendu à Paris, c'était de poursuivre les négociations relatives à la restitution au jeune prince Willem de la Principauté d'Orange; lesquelles n'eurent du succès qu'après | |
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quelques années, de sorte qu'il ne rentra à la Haye qu'en juin 1664. Mais ces négociations tombent en dehors du cadre de la biographie de Christiaan telle que nous la concevons.
L'invention du célèbre oculaire de Huygens, nous l'avons dit plus hautGa naar voetnoot83), date apparemment de 1662: le 5 octobre il écrit à Lodewijk: ‘pour les oculaires, vous voyez bien que j'y ay trouuè quelque chose de nouueau, qui cause nettetè dans les lunettes du jour, et de mesme dans les plus longues, leur donnant en mesme temps une grande ouverture’. Voyez sur cet oculaire notre T. XIII aux endroits indiqués dans la Table des Matières traitées. Des expériences pour regarder des lettres de loin sont rapportées dans la dite lettre à Lodewijk. Vers la fin de 1665 Huygens commença à travailler à une lunette de 60 piedsGa naar voetnoot84).
Les logarithmes, en 1662, purent être employées par Huygens dans une partie des calculs relatifs aux couronnes et parhélies, lesquels nous avons réunis dans l'Appendice X au dit traitéGa naar voetnoot85). Une partie de ces calculsGa naar voetnoot86) est d'ailleurs antérieure à 1662.
Autre application des logarithmes. Aussitôt qu'en juillet 1662 il s'était convaincu de la justesse de la loi de Boyle - il en avait d'abord doutéGa naar voetnoot87) - il comprit la possibilité de déduire de cette loi ce qu'il appelle la hauteur de l'atmosphère, c.à.d. la loi suivant laquelle la densité doit décroître à mesure qu'on s'élèveGa naar voetnoot88). Conformément à son habitude il ne publia pas ce calcul, se bornant à faire connaître à ses amis quelques résultats numériquesGa naar voetnoot89). Voilà bien de la physique mathématique. L'on voit que suivant Huygens - quelque | |
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convaincu qu'il soit de la réalité des atomes - il est possible d'obtenir par le calcul sur certaines grandeurs mesurables des résultats de valeur sans passer par la considération des particules, même lorsqu'il ne s'agit pas de corps solides ou liquides, où cette vérité est évidente, mais de l'air. Il essaya cependant de comprendre plus ou moins la loi de Boyle en s'imaginant comme luiGa naar voetnoot90) que l'air consiste ‘ex corporeis partibus sese mutuo tangentibus’ d'où résulte une ‘vis elastica’Ga naar voetnoot91). Cette image ne correspond pas à ce que disait Descartes dans le passage des ‘Principia philosophiae’ que nous avons cité à la p. 320 du T. XIX: ‘aërem nihil aliud esse debere, quam congeriem particularum tertii elementi tam tenuium, & à se mutuò disjunctarum [nous soulignons], ut quibuslibet motibus globulorum coelestium obsequantur’. Elle ne correspond pas non plus à un passage de Huygens dans le ‘Traité de la lumière’ de 1690Ga naar voetnoot92) d'après lequel la ‘penetrabilitè [de l'air] qui luy demeure non obstant sa compression, semble prouver qu'il est fait de petits corps qui nagent & qui sont agitez fort viste dans la matiere etherée, composée de particules bien plus petites’ ce qui est plus ou moins la conception cartésienne. En 1668 aussi il disaitGa naar voetnoot93) que grâce au ‘remouement’ due à la matière subtile - la matière subtile de 1667, p. 553 du T. XIX - les parties de l'air ‘voltigent’. Nous constatons ici que telle n'était pas l'opinion de Huygens en 1662. L'expérience de la vessie à peu près vide qui dans le vide se gonfle, laquelle était de l'invention de RobervalGa naar voetnoot94) et qui avait été proposée à Huygens par MersenneGa naar voetnoot95) avait en 1648 été expliquée par lui simplement par le fait que ‘l'air qui est restè dans la vessie est contraint de se dilater pour estre également distribuè par tout l'espace vuide, tant qu'il est possible’. On dirait que dans sa jeunesse - quoiqu'en 1648 on eût pu le supposer entièrement sous l'influence de Descartes - il ne songe pas à un mouvement de particules plus fines agissant sur celles de l'air; il est vrai qu'il n'apparaît pas d'où résulterait donc la dite contrainte. Rien sans doute n'indique qu'il aurait songé à un mouvement spontané des particules de l'air (quoique déjà en 1648 il montre son indépendance de Descartes en parlant du vide). En 1662, comme nous l'avons vu, il se contente de la conception - de l'hypothèse de travail, pourrions-nous dire - de particules élastiques entassées; on peut se figurer ces particules élastiques comme des ‘ressorts entortillez’Ga naar voetnoot96). | |
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Un jour avant cette application-là, le 15 juillet 1662, Huygens avait de nouveau considéré les rapports entre les logarithmes et l'hyperboleGa naar voetnoot97): il avait obtenu par les logarithmes la quadrature approchée d'un espace hyperbolique quelconque, ainsi que la rectification approchée d'un arc quelconque de parabole qui en dépend.
En septembre 1662 Huygens écrivit la remarquable Pièce sur la rupture d'une poutre soutenue en deux endroits: il y étend hardiment, et avec succès, le principe d'après lequel le centre de gravité descend autant que possible, au cas où la poutre se briseGa naar voetnoot98). Voyez sur ce sujet l'Avertissement correspondantGa naar voetnoot99), où nous nous sommes étendu de plus sur une autre particularité de cette Pièce, savoir la conception moderne du ‘momentum’ comme produit d'un poids par une distance, et plus généralement sur la formation du style de la mécanique classique. Récemment cet Avertissement a encore donné lieu à un article dans la revue ‘Faraday’Ga naar voetnoot100).
La correspondance avec de Sluse et d'autres donna lieu en cette même année à quelques autres considérations géométriques qu'on peut voir au T. XIV. Il y est question (outre de l'heptagone régulier) de constructions de tangentes à certaines courbes. Quelques-unes des méthodes de Huygens peuvent être qualifiées de curieusesGa naar voetnoot101). Bientôt après il trouva une méthode générale, la tangente à une courbe d'équation donnée étant déterminée pour chaque point par le calcul de la longueur de la soustangente; il s'agit ici - autrement que dans le cas de la courbe logarithmique (dont la soustangente avait été trouvée constante) - de ‘courbes geometriques’ ou, comme nous dirions, algébriques, c.à.d. de courbes représentées par des équations ne contenant que des puissances entières des deux coördonnées (x et y). Il réussit à exprimer z (la soustangente) en fonction de x et de y. C'est cette méthode que Huygens expose dans sa Pièce de février 1663 à Joh. de WittGa naar voetnoot102). S'il eût voulu, il eût pu y ‘parler de Fermat, de Hudde et de SlusiusGa naar voetnoot103).’ | |
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Enfin nous signalons la réponse, de décembre 1662, à une critique de Hobbes qui fut lue et approuvée à la Royal SocietyGa naar voetnoot104).
Voici la lettre à ‘Brus’ dont il était question à la p. 580. |
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