Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
[pagina 147]
| |
XVI.
| |
[pagina 148]
| |
rapprochant par tant de points, ont dû se rencontrer, se chercher même. Enfin Rembrandt lui-même fut invité à peindre une toile pareille, où il devait représenter la compagnie du capitaine Frans Banning Cock, seigneur de Pnrmerland et IlpendamGa naar voetnoot1. Van Dijk, dans sa description des tableaux à l'hôtel de ville d'Amsterdam, mentionne en 1758 une esquisse on nn modèle en petit pour ce tablean, qu'aurait possédé M. Boendermaker. Cette esquisse, qui est peut-être le petit tableau de la Nat. Gallery, est tout ce qu'on connaît des travaux préparatoires pour cette oeuvre colossale. Rembrandt la signa en 1642 et elle fut placée dans une des salles du Doelen. Mais dès le commencement du 18e siècle, le tableau fut placé à l'hôtel de ville dans la petite salle du conseil de guerre. En 1808 il passa au musée. Dans cette petite salle, le tableau occupait le mur en face de la cheminée et se trouvait en compagnie d'une toile de P. Mooreelse et d'une de J. Bakker. Van Dijk est l'auteur de la supposition qu'on aurait retranché à la toile de Rembrandt deux bandes pour la faire entrer dans l'espace compris entre les deux portes; supposition qu'il base sur ce que l'esquisse de Boendermaker avait encore deux personnages à gauche et que le tambour était entier. Cette assertion paraît peu fondée et la composition ne suggère pas l'idée d'une telle mutilation. Il est assez connu qu'il ne s'agit ici ni de ronde ni de nuit. Samuel van Hoogstraten parle de ce tableau dans son livre qui est de 1678; il le nomme schutterstuk (peinture de la garde civique), mais ne connaît pas le nom de Nachtwacht. Van Dijk ne lui donne pas non plus ce titre. En 1765 Wage naar l'appelle: het optrekkend korporaalschap van den kapitein Frans Banning Cock - la sortie de la com- | |
[pagina 149]
| |
pagnie de Fr. B. Cock. Le nom actuel, fort impropre, lui vient des auteurs français du 18e siècle, qui lui donnent le nom de guet, patrouille de nuit; Reynolds aussi le nomme the Nightwatch. Et alors les Hollandais, acceptant aveuglement ce titre, allèrent eux aussi parler du: nachtwacht. Il est temps de changer la fausse dénomination, qui n'existe que depuis quatre-vingt ans. Fixons un meilleur titre et dans un demi-siècle l'autre est destitué. Toutefois une inspection superficielle, surtout d'un oeil peu accoutumé à Rembrandt, pouvait faire penser à un effet de nuit. Le tableau était tellement obscurci par les ‘huiles et le vernis, qu'il avait l'air d'être goudronné.’ Tel van Dijk le décrit. C'est lui qui le nettoya alors et qui trouva sur le fond l'écusson avec les noms des personnages. Il reconnut parfaitement que le peintre avait voulu exprimer ‘une forte lumière de soleil.’ Mais si le temps et les vernisseurs ont aidé à obscurcir le tableau, il était peint dès son origine dans un ton transparent, mais foncé. J'ai trouvé à ce sujet un témoignage si intéressant, qu'il faut le citer en entier. C'est Samuel van Hoogstraten, le disciple de Rembrandt, qui écrit en 1678 dans son Introduction à l'academie de la peinture, à l'égard de l'ordonnance et de la disposition d'un sujet, les lignes suivantes: ‘Il ne suffit pas qu'un peintre range ses personnages l'un à côté de l'autre, ainsi qu'on ne voit que trop fréquemment ici en Hollande dans les Doelen des arquebusiers. Les vrais maîtres s'efforcent de donner l'unité à leurs oeuvres. Rembrandt a fort bien observé ceci dans son tableau au Doelen à AmsterdamGa naar voetnoot1; trop bien même, selon l'avis de quelques uns; car il s'est plus occupé de la | |
[pagina 150]
| |
grande figure on du groupe principal, qui avait sa prédilection, (het groote beeld zijner verkiezinge) que des portais singuliers qui lui avaient été commandés. Et cependant cette même oeuvre, quoi qu'on y puisse blâmer, le tiendra plus longtemps à mon avis que toutes ses analogues; parce qu'elle est si pittoresque de pensée, si élégante d'agencement, et si puissante (zoo schilderachtig van gedachte, zoo zwierig van sprong en zoo krachtig), qu'auprès d'elle, selon l'opinion de plusieurs, toutes les autres toiles paraissent des figures de cartes à jouer. Cependant j'aurais bien désiré qu'il y eût mis un peu plus de lumière.’. Comme cette page peint bien la position du grand artiste dans l'opinion de son temps! Rembrandt fit toujours de travers au yeux de ses contemporains. Il est payé pour faire des portraits et chacun désire pour le sien une égale portion de lumière. C'est ainsi que procédaient les autres peintres, mais ils ne firent que des poupées de cartes à jouer - l'expression est délicieuse. Et Rembrandt, au lieu de faire ainsi, les sacrifie au jeu du clair-obscur et fait un tableau au lieu d'une pièce à vingt portraits. Voilà ce qu'il avait fait aussi avec sa leçon d'anatomie. Voilà encore assurément la raison de ce qu'il ne fut pas très recherché pour ces sortes de toiles. Mais c'est de cette manière que Rembrandt comprit sa mission, quand il avait à peindre se6 gardes civiques. On les avait vus mille fois à table ou rangés les uns sur les autres. Lui, il comprit l'immense avantage qu'il pouvait tirer de cette troupe pittoresque, quand il la fit sortir, le capitaine et le lieutenant en tête, pêle-mêle, an son de la caisse, pour aller tirer à l'oiseau. Une telle ordonnance pouvait pétiller de vie et scintiller de lumière. Le résultat brillant en est connu: la sortie de la compagnie de Banning Cock est devant nous. | |
[pagina 151]
| |
Malgré l'impuissance de la parole à décrire une telle oeuvre pétrie de lumière et insaisisable comme la poésie, il faut cependant donner une description aussi exacte que possible, parce que son éblouissant coloris et son harmonie incomparable ont été causes qu'on s'est trompé à l'égard de divers détails. Quant à la nuit, elle a fait place déjà au soleil et c'est sa lumière qui dore la scène. Quant au lieu de la scène, ce n'est ni une grande halle que nous voyons, ni une cour. C'est la façade d'un édifice public, soit du Doelen, soit de la gardeGa naar voetnoot1; ainsi qu'il résulte d'abord du terrain de l'avant-plan et des marches conduisant vers l'entrée, puis de cette entrée elle-même, qui est une porte extérieure comme la renaissance en avait tant bâti en Hollande; enfin d'une borne en pierre avec une chaîne, ainsi qu'il s'en trouvait ordinairement à l'extérieur des édifices. Cette entrée forme le fond du tableau. Le capitaine et le lieutenant van Ruytenburg sont sortis de la porte. L'enseigne Jan Visscher Cornelissen, élevant le drapeau par le bout de la hampe, le laisse flotter; les sergents Rombout Kemp et Reinier Engel ont pris leurs hallebardes, le tambour Kampoort bat sa caisse, un chien aboie contre lui et les gardes, armés d'arquebuses et de piques, se pressent en foule hors de la porte. Dans cette cohue un garçon tire un coup imprudent à travers la foule, un autre, ayant obtenu la faveur de porter une poire à poudre, court en avant, et deux jeunes filles, dont l'une porte un coq à sa ceinture, marchent vivement. | |
[pagina 152]
| |
C'est ce moment de vie, de tohn brohn, d'animation générale, que le peintre saisit et fixa sur la toile. J'y ai compté vingt-nenf personnages, dont quelques uns ne montrent que la tête, le casque ou les yeux. Ceux-là certes ont été mécontents. Si l'on projette la composition dans un plan horizontal, elle formerait une espèce de triangle, dont un des côtés s'appuie sur le fond et dont la pointe s'avance vers le spectateur: A cette pointe se trouvent les deux officiers, le capitaine nn peu en avant, le lieutenant à sa gauche. Le capitaine n'est pas habillé de noir, mais d'un brun foncé, avec des bas d'un brun plus clair. Un feutre noir couvre sa tête, une large fraise rabattue, qui a été plus grande comme on le voit aux repentirs du côté gauche, et un hausse-col en fer orné de dorures, couvrent le cou et la poitrine. Sous ses vêtements foncés il porte une veste de brocart d'or, dont on aperçoit les bouts sous les basques du pourpoint, aux crevés des manches et aux poignets garais de manchettes en dentelle. Une large écharpe rouge amarante, échancrée et brodée d'or entoure le corps. La main gauche, nue, s'avance avec un geste démonstratif; la droite gantée et tenant le second gant par un des doigts, repose sur une longue canne (jonc des Indes). Voilà l'homme foncé. A côté de lui l'homme clair. Gomme chez l'autre, ici tout est en harmonie. Feutre jaune à plumes blanches, hanssc-col entouré d'une bande d'étoffe bleu d'émail. Il est vêtu tout en jaune citron, d'une étoffe épaisse bordée d'une passementerie d'or; les bottes de cuir jaune, les gants de même. Mais tout cela est ravivé avec un goût sublime par les ornements de ce même bleu d'émail ou de lapis lazulis, | |
[pagina 153]
| |
dont le coloriste fit une bordure autour du hausse-col, des franges autour des gants et autour des bas, et qu'on retrouve dans la houppe à bouillons blancs et bleus alternés au dessous du fer de sa pertuisane. Ces beaux bleus clairs font un effet admirable sur le jaune du costume. Entre les têtes de ces deux personnages, on remarque celle d'un garde, écartant de la main le fusil du garçon qui tire. Le côté du triangle qui s'enfonce à la droite du spectateur est occupé par un soldat tout en rouge, qui baisse la tête pour aviver la mèche de son arquebuse, par quelques hommes portant des piques, par un des sergents avec sa hallebarde. Le tambour est un peu en avant au bord extrême. Le côté qui s'enfonce à gauche montre d'abord le garçon qui fait un grand pas derrière l'homme foncé. Son casque est entouré de feuilles de chêne; un poignard est passé dans sa ceinture par derrière et un baudrier avec des cartouches et une boite à poudre pendent sur son épaule. Sa jambe est dans l'ombre, mais sa culotte courte et bouffante offre cette couleur familière vers ces temps à Rembrandt, mélange de vert, de brun, de jaune, de lilas. Derrière lui, dans l'espace ouvert entre le capitaine noir et l'homme rouge qui charge son fusil, sont les deux jeunes filles, l'une lumineuse, l'autre dans la demi-teinte. La fille lumineuse, la petite fée dont on raffole, et qui par sa poésie mystérieuse a souvent embrouillé les idées sur ce tableau, porte une longue robe jaune; une petite pélerine ronde, d'un jaune verdâtre, comme parsemée de pierres précieuses, couvre les épaules. Elle a dans ses mains, qu'elle avance, un casque avec des plumes, peut-être le prix du vainqueur. A sa ceinture un coq blanc pend par la patte, ainsi qu'une bourse au bout de longs cordons en or. Elle tourne sa petite face éveillée vers le spectateur. | |
[pagina 154]
| |
Cette face est fortement empâtée; la couleur y forme comme une couche d'émail. Elle a les yeux bleus, les lèvres vermeilles, un peu ouvertes; ses cheveux roux pendent en longs flots par derrière, retenus sur le front par un diadème en or. Derrière elle on distingue à peine sa compagne, habillée d'un vert tendre et coiffée d'un petit bonnet. Un peu devant elles se trouve l'homme qui charge son mousquet en y vidant une des cartouches qui pendent à son baudrier. Il est tout en rouge, sombre et brunâtre vers le bas et dans l'ombre, sourd dans les demi-teintes; seulement sur la manche on trouve quelques touches lumineuses de ce beau rouge de grenade dont est fait le costume de la dame à Brunswick. Il a une fraise blanche et un chapeau rouge. La ligne se termine avec les deux belles têtes, parlant ensemble, et le sergent debout qui ferme le tableau de ce côté. Un peu plus en avant au coin gauche, comme le tambour au coin droit, se trouve le gamin qui court. La ligne du fond montre quelques figures, dont quatre sont surtout en évidence. C'est l'homme qui avance sa pique; l'homme au chapeau haut; la belle tête expressive avec le casque à l'écharpe, et l'enseigne. Ce dernier porte un pourpoint et une écharpe de soie ouvragée, vert malachite avec des reflets et des nuances de pierres fines, couleur indéfinissable qu'on retrouve plusieurs fois diversement mélangée dans certaines oeuvres du peintre qui côtoyent cette année. Les manches sont d'une autre couleur. L'étendard qu'il porte est orange, blanc et bleu, aux armes d'Amsterdam. La différence de ce tableau avec tout ce qu'on avait vu en Hollande en ce genre a fortement frappé les contemporains. Nous en voyons la trace dans la relation de Hoogstraten. Les anciens peintres avaient ordinairement | |
[pagina 155]
| |
arrangé leurs personnages sur deux ou trois lignes ou de manière à faire valoir chaque tête dans un jour égal, le plus souvent sans effet pittoresque et sans action. Seuls Ravestein et Hals y avaient mis plus d'action; le premier eut même aussi l'idée de faire sortir ses gardes du DoelenGa naar voetnoot1. Rembrandt anima ses personnages, les plaça dans un acte plein de vie et de mouvement, sacrifia les détails pour obtenir son effet, subordonna sa matière à son art, enfin plongea cette scène de la réalité dans la mer lumineuse de son imagination coloriste et créa ainsi une page dramatique au lieu de faire une froide chronique. C'est là un des secrets de l'effet immense et durable de son oeuvre; c'est aussi le secret de toute oeuvre d'art supérieure, qu'elle s'appelle grecque, italienne ou hollandaise. Généralement, dans l'appréciation de Rembrandt, on place le coloris trop en première ligne. Certes il possède cette qualité à un degré où peu l'ont surpassé; mais ce n'est pas sa seule qualité, ni à mon avis la première. La première, c'est sa force créatrice et poétique par laquelle un sujet, passant à travers son imagination, en sort animé d'une vie nouvelle, personnelle. Deux qualités lui servent d'auxiliaires dans cette régénération, - son dessin extraordinaire et son éblouissante faculté de coloriste ou plutôt de luministe. Son dessin! et on a toujours dit que Rembrandt ne savait pas dessiner? J'aurai l'occasion d'y revenir, mais il faut déjà constater ici l'aveuglement qui a méconnu ce côté de son talent. C'est que son dessin ne consiste pas dans un contour suivi et arrèté, ressortant clairement des parties environnantes. Au contraire, sa brosse fait toujours disparaître en s'arrondissant les contours de ses figures. Il a donc un autre système de dessin. Le dessin pour | |
[pagina 156]
| |
lui c'est le modelé, c'est le plein, c'est le rond, c'est de plus la vie et la justesse surprenante de chaque geste, de chaque mouvement. Ici encore, ces hommes marchent, agissent, parlent, c'est le mouvement fixé comme par un appareil de photographie spontanée. Je n'y insisterai pas pour les détails. Observez le mouvement de l'homme qui charge son fusil en marchant. Remarquez aussi les belles têtes des deux schutters qui parlent; leurs lèvres remuent. Encore un peu et Banning Cock avec son lieutenant auront posé l'autre jambe en avant. Le coloris et le faire de ce tableau peuvent se pressentir dans plusieurs oeuvres antérieures. Déjà le Samson de - 35, le Tobie du Louvre de - 37, la noce de Samson de - 38, l'homme à l'oiseau de Dresde de - 39, la femme de face à Cassel, annoncent cette coloration particulière, ce clairobscur vaporeux, cette force en même temps que ce moelleux, ces tons fauves et dorés. Dans ces oeuvres la touche s'épâte, la brosse arrondit et amortit les contours et les harmonise avec l'entourage, les couleurs se fondent dans une gamme dominante, le matériel disparaît de plus en plus, la toile et les couleurs s'oublient, l'impression semble de plus en plus faire oublier les moyens pour s'imposer directement. Le sentiment devient plus poétique, plus supra-réel. Nous remarquons aussi dans plusieurs des oeuvres que nous venons de nommer les mêmes mélanges de couleur. Par exemple le portrait de femme de face à Cassel, le portrait de la dame au turban à Berlin, offrent des nuances et des mélanges de vert qu'on retrouve ici dans l'enseigne, la jeune fille et le garçon. C'est de la sorte que le peintre s'est élevé de degré en degré, à la hauteur de cette page supérieure. Impossible de décrire les mille nuances de tons et de couleurs qui s'y montrent, s'y équilibrent, s'enchevêtrant les unes dans | |
[pagina 157]
| |
les autres et formant une symphonie. Car c'est une orchestration brillante comme une symphonie de Beethoven. Il y a les tons chantants des violons, veloutés des violoncelles, sourds et nourris des basses; il y a les clairs brillants des flutes et des trompettes, le coup des timballes. Et toute cette diversité se fond dans un ton multiple mais un. J'ai observé dans la disposition des couleurs et de la lumière certain parallélisme. A la pointe du triangle, au milieu de la composition, est l'homme foncé. A sa droite et à sa gauche sont deux masses lumineuses, constituant l'équilibre, qui serait rompu s'il n'y avait que la seule opposition de la figure claire et de la figure foncée, - ce sont l'homme en jaune et la fille en jaune. A côté de la fille en jaune il y a un soldat en rouge; à côté de l'homme jaune il y a encore un soldat également en rouge. Près du bras étendu du sergent à droite, il y a des couleurs verdâtres, qu'on retrouve dans les personnages à gauche. Il s'est trouvé des critiques qui ont jugé la lumière bizarre et arbitraire. Les oeuvres d'un maître original et indépendant peuvent quelquefois nous étonner au premier abord. Mais quand l'étude nous a fait entrer dans le sentiment de cet artiste, l'étrange devient très naturel. Il n'y a dans la couleur et la lumière fantaisistes de Rembrandt pas plus de bizarre que dans le dessin de Michel Ange ou la composition du Véronèse. On y trouve seulement un caractère à eux. Dans l'art se trouve toujours un peu d'arbitraire, de convenu, et son oeuvre est toujours une création mixte de réalité et de fantaisie. Ici la lumière n'est pas naturelle, si on le veut, soit; mais ce n'est pas la réalité ordinaire que nous avons devant nous, c'est une production d'une autre natureGa naar voetnoot1 Aussi je n'y vois pas d'arbitraire | |
[pagina 158]
| |
dans le sens d'illogique. Le jour vient de gauche, un peu de haut en bas, un peu d'avant en arrière, direction indiquée, comme l'a bien observé M. Bürger, par l'ombre que projette la main avancée de Cock sur la basque de l'habit du lieutenant. A l'exception de la jeune fille et de l'homme en jaune il n'éclaire que le haut des figures. Une gerbe de lumière entre à gauche; près du cadre elle frappe en passant quelques têtes, frise la manche rouge du soldat, éclaire vivement sa collerette blanche et le côté droit de son visage, laissant le reste dans l'ombre. Quelques rayons perdus courent légèrement sur les figures du fond. Elle inonde alors de ses flots d'or la jeune fée; mais la jambe écartée du garçon reçoit l'ombre de l'homme rouge. La couleur foncée du capitaine absorbe les rayons lumineux. Les seules parties claires, la tête, la collerette, l'écharpe pétillent de soleil, ainsi que les doigts de la main avancée et sa manchette. C'est la couleur de l'homme jaune qui reflête naturellement la gerbe lumineuse. Enfin les personnages un peu rentrants du côté droit reçoivent les courants extérieurs de la bande de lumière, le tambour le plus, les autres en diminuant. L'exécution de cette grande toile est d'une magie et d'une supériorité admirables. Rembrandt a toujours évité la sècheresse, le trop défini, les contours arrêtés. Les contours, quoique fortement saisis, s'arrondissent. Il est plastique en ceci, qu'il modèle ses figures, mais ne les découpe pas. Il a cette qualité à un degré supérieur dans cette grande oeuvre. Toutes les extrémités se fondent dans l'entourage et malgré ce moelleux général, il n'y a rien de vague ni de mou. | |
[pagina 159]
| |
Les objets qui s'avoisinent, quelque fort que soit le contraste de valeur lumineuse ou chromatique, ne se heurtent jamais. L'homme foncé par exemple et les deux vives clartés qui l'entourent sont dans une harmonie parfaite. Les clairs et les ombres, les couleurs diverses sont en correspondance réciproque; ils se prêtent alternativement leurs tons et leurs nuances. Dans quelques parties le faire est soigné, comme dans les armes d'Amsterdam; ailleurs il est poussé jusqu'au trompe-l'oeil, comme dans le haussecol, et la hallebarde du lieutenant; tantôt la brosse opère largement, comme dans le visage de Cock, tantôt elle empâte avec une telle vigueur que la couleur forme relief, comme dans la bordure de la casaque jaune, ou un émail fondant comme dans le visage de la petite fille. Les ombres et les demi-teintes sont plus frottées, afin de conserver la transparence, et nulle part la couleur n'est opaque. Enfin il y a des parties qui montrent le même faire que celui de Frans Hals, dont Rembrandt a vivement admiré la pratique. Tel que la manche du tambour, la fraise de Banning, qui nous le rappellent, ainsi que la manche de l'homme rouge à gauche, où les rehauts clairs des plis sont exactement posés par touches plates comme cela est familier au peintre de Haarlem. Banning Cock n'a-t-il pas été content de la manière dont Rembrandt l'avait peint? Se trouvait-il peut-être la face trop rouge et son beau costume trop noir? Au moins il a fait faire les portraits de sa femme et de lui par van der Helst, qui les aura rendus plus clairs et plus naturels. Le fait est attesté par les vers dont le poète Jan Vos a honoré ces tableaux. Et même il a été peint encore une fois pour le Doelen avec sa compagnie de gardes, par Gerrit Lundens, vers 1660; ce tableau, ‘très achevé’, parut en 1712 à la | |
[pagina 160]
| |
vente P. v.d. Lip, où il fut vendu f 213. Chose remarquable, ces peintures, préférées apparemment par le seigneur de Purmerland, sont perdues et ignorées, et celle qui ne lui parut pas suffisante a associé le nom de Banning Cock et de sa compagnie à une gloire européenne. |
|