De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français. Jaargang 1978
(1978)– [tijdschrift] Franse Nederlanden, De / Les Pays-Bas Français–
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![]() Raoul Blanchard (1877-1965).
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La Flandre de Raoul Blanchard
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provenaient d'un petit monde d'artisans campagnards plus ou moins tentés par le commerce; en devenant ingénieur de la ville d'Orléans, le père parvenait au niveau de la petite bourgeoisie provinciale. Raoul enfant reçut en premier lieu, selon les voeux de sa mère, l'éducation de l'école des Soeurs; mais à six ans, suivant la décision du père, il devint élève de l'école primaire laïque et put ensuite poursuivre des études secondares au Lycée d'Orléans en bénéficiant d'une bourse. Les succès scolaires du jeune Blanchard constituent un modèle de curriculum: le baccalauréat à 18 ans, deux années de Khâgne à Louis-le-Grand (Paris), admission à l'Ecole Normale Supérieure, rue d'Ulm, où Raoul Blanchard s'oriente vers la géographie sous l'influence de Vidal de la Blache et de Lucien Gallois, admission en 1er rang à l'Agrégation d'Histoire et Géographie de 1900. Malgré diverses perspectives assorties de bourses qui auraient permis un complément de formation et la mise en chantier immédiate d'une thèse, R. Blanchard prit un poste de professeur au Lycée de Douai. Il ne tarda pas à se marier et il entama la préparation d'un Doctorat avec l'enthousiasme juvénile qui le caractérisait.
Pourquoi porta-t-il son choix sur la Flandre? Le voyage de noces qui lui fit parcourir pour la première fois de sa vie la Belgique et la Hollande au printemps de 1901 dut y être pour quelque chose car le ‘patron’ adopté, Edouard Ardaillon, professeur à la Faculté des Lettres de Lille, proposait plutôt une étude de la plaine du Nord de la France tandis que L. Gallois déclarait n'avoir aucune compétence sur le sujet choisi et que Vidal de la Blache demeurait sybillin. Ainsi R. Blanchard fut-il livré à lui-même pendant les 5 années que durèrent les recherches et la rédaction. Il le remarque, non sans quelque fierté: ‘J'avais travaillé entièrement seul, sans guide, sans conseils’. Et comment notre jeune ‘thésard’ travailla-t-il? Installé à Lille dès 1902, il y collecta ses matériaux à la Bibliothèque municipale dont le ‘fonds flamand’ (entendre les ouvrages portant sur la Flandre) lui parut fort riche, à la Bibliothèque universitaire, aux Archives départementales du Nord, aux Instituts de Géographie de la Faculté des Lettres ainsi qu'à | |
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l'Institut de Géologie de la Faculté des Sciences. Il eut la chance de pouvoir rester quelques semaines à Gand au début de 1904 en bénéficiant de l'hospitalité de Van Ortroy, ex-officier de cavalerie, savant en géographie historique, ‘portulans et autres calembredaines’ (dixit Blanchard) et en tirant grand profit des ‘indications’ d'Henri Pirenne. La Bibliothèque universitaire de Gand reçut alors sa visite assidue. Il fut y conduire ses investigations dans de riches séries d'ouvrages ‘en flamand’, une source ‘jusque-là insoupçonnée’ par lui, grâce au dévouement d'un sous-bibliothécaire, un ‘vieux monsieur timide’ mais tout à fait compétent. L'université de Gand fut bien l'endroit où Raoul Blanchard, et il le souligne dans ses souvenirs, ‘a travaillé le plus efficacement au cours de la préparation de la thèse’.
La documentation ainsi rassemblée dut paraître assez vite suffisante à notre chercheur peu enclin à travailler en ‘rat de bibliothèque’, aucune consultation ne fut véritablement engagée dans les collections de la Bibliothèque royale de Bruxelles ni dans celles de la Bibliothèque nationale à Paris. L'enquête directe sur le terrain et auprès des habitants retenait beaucoup plus l'attention de R. Blanchard, fidèle en cela à l'enseignement de Vidal de la Blache. Les randonnées effectuées en long et en large du pays flamand se firent surtout à pied car l'usage du vélo répondait mal aux nécessités de l'observation géographique: ‘j'avais le nez rivé sur mon guidon au lieu de laisser mes yeux s'emplir du paysage’. Les carnets de route fournirent donc de cette manière les éléments essentiels d'une information restant la moins livresque possible. On est en droit de s'interroger sur la portée des renseignements ainsi obtenus. Raoul Blanchard, jeune et brillant professeur, modèle accompli de l'élite cultivée française, ignorait à peu près tout de la ‘langue flamande’; il ne la pratiquait pas, autrement il l'aurait fait savoir. Lors de son séjour à Gand, les personnes qu'il rencontrait parlaient toutes le français sans exception et les étudiants n'employaient pas entre eux d'autre langue; le ‘vieux monsieur timide’ qui le recevait à la Bibliothèque de l'Université lui procurait notes | |
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et références en français et se chargeait du dépouillement des rares sources ‘en flamand’ considérées comme importantes. Aucune rencontre, bien entendu, avec les milieux ouvriers d'une ville industrielle alors considérable; R. Blanchard n'y trouvait pas d'interlocuteurs et sans doute, le temps lui manquant, ne les recherchait-il pas. Les excursions dans le plat pays autorisaient encore moins le contact des réaltiés populaires: muni d'un sauf-conduit du Ministère belge de l'Intérieur (le souci de la sécurité nationale conditionnait l'attitude des populations à l'égard de l'étranger beaucoup plus fortement avant 1914 que maintenant), l'excursionniste pouvait aborder les notables locaux et s'entretenir en français avec eux, mais le monde du travail et les catégories populaires lui demeuraient étrangers. Il était un spectateur attentif des lieux et des gens mais il ne récoltait, sans trop en avoir conscience sans doute, que les fruits trompeurs d'une enquête au support sociologique beaucoup trop étroit. Les effets d'une information aussi tronquée furent d'autant plus sensibles que Raoul Blanchard tirait, comme il l'assure dans ses mémoires, bien plus de plaisir à rédiger qu'à collecter les matériaux; et l'auteur dans son empressement écrivait avec une belle assurance déjà, vite et bien, d'un seul jet.
Rien ne transparait dans la Flandre de Blanchard du mouvement flamand de revendication à l'oeuvre dans la Belgique du début du XXe siècle, du courant d'opinion demandant la ‘flamandisation’ de l'Université de Gand, des idées avancées par certains cercles intellectuels d'expression flamande. Ces idées certes mettaient en cause l'hégémonie du français en pays flamand de Belgique; elles lui attribuaient une responsabilité majeure dans le sous-développement économique et social d'une population mise dans l'impossibilité de trouver son épanouissement culturel par l'usage de sa langue maternelle. Lodewijk De Raet (1870-1914) menait sur ce thème un combat d'avant-garde à l'Université libre de Bruxelles et trouvait un écho favorable à l'Institut de Sociologie Solvay qui apportait dès 1905 toute son aide à l'enquête engagée par B. Seebohm RowntreeGa naar eind(4). Sur ce sujet dont l'importance | |
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allait croître sans cesse, la thèse de Blanchard garde le silence: ignorance du problème ou refus même de le considérer, peu importe; occultation en tout cas d'un courant d'opinion qui dérangeait les idées reçues dans la bonne société d'expression française. En toute sincérité, R. Blanchard rejetait des idées sacrilèges à ses yeux puisqu'elles mettaient en cause la suprématie de la langue de Descartes et de la Déclaration des Droits de l'Homme. Dans ses souvenirs, près de 60 ans après la rédaction de sa thèse, il exprime sa surprise et son incompréhension devant le sort réservé au ‘vieux monsieur timide’ de la Bibliothèque universitaire de Gand à la suite de la guerre de 1914-1918: flamingant activiste pendant les années d'occupation allemande, le sous-bibliothécaire si serviable perdit son poste, ses droits civiques et mourut dans la misère.
A la lumière de ce qui précède, on saisit mieux les mérites et les lacunes d'un ouvrage comme la Flandre de Raoul Blanchard. Les mérites s'imposent de manière éclatante quand on songe à la jeunesse de l'auteur et à la date de parution du livre. L'assimilation de la méthode vidalienne y aboutit à une analyse extrêmement poussée et particulièrement suggestive des caractères physiques de la plaine flamande considérée comme un exemple de région naturelle; le chapitre sur le climat apparait à cet égard comme un modèle du genre. L'acuité de l'observation géographique met d'autre part en évidence les variétés régionales décelées en relevant avec beaucoup de finesse les contrastes et les nuances des paysages.
Là encore les pages consacrées à la plaine maritime (le Blootland) en opposition à la Flandre intérieure (le Houtland), celles qui dégagent la personnalité des zones de bois et de bruyères ou celles qui précisent les aspects offerts par les monts du ‘bergkant’ témoignent d'un talent exceptionnel et d'un sens géographique inégalé. Il y a mieux: si les descriptions des paysages ruraux de la Flandre par R. Blanchard ont valeur de morceaux d'anthologie, elles sont aussi des documents d'histoire en montrant comment en quelques décennies l'évolution agraire impose des transformations pro- | |
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fondes. L'oppression ressenti par l'auteur au cours de ses pérégrinations par les chemins d'un Houtland très enclos et très ferméGa naar eind(3), l'allégresse d'un parcours du ‘Heidenweg’ à travers bois et bruyères de Torhout à BrugesGa naar eind(3), correspondent à un environnement qui a changé de caractère et qui ne présente plus les mêmes composantes. Le Houtland, en ce qui le concerne, a largement perdu son apparence de ‘bois continuel’ et pour le Pays de Waas, ‘la guerre acharnée faite aux arbres depuis 30 ans’ (1, p. 333) a été si bien poursuivie que ce qu'écrit Blanchard sur l'aspect de cette contrée prend figure de document.
Les pages traitant des villes de Flandre n'ont peut-être pas un pareil intérêt. Bruges demeurait encore ‘assoupie dans ce demi-sommeil qui convient si bien à son air de ville sainte de la Flandre’ (1, p. 318) tandis qu'Ostende remplaçait ses essaims de petites maisons basses par des constructions fastueuses échelonnées le long de la digue de mer en adoptant dès lors ‘l'air distingué des villes de villégiature’ et en s'affirmant la ‘Reine du littoral’ (1, p. 260).
L'intérêt porté par R. Blanchard à la plaine maritime ne trouve pas son équivalent lorsqu'il s'agit de la Flandre intérieure. Les mentions qui ont trait aux villes industrielles de la la Flandre belge sont trop rapides pour répondre à toutes les curiosités (1, p. 434-436). Mais le groupe de Lille (1, p. 393-404 et 436-443) retient mieux l'attention, ce qui ne saurait surprendre. Il convient de souligner à ce sujet la pertinence des propos avancés quant aux causes de la formation de ce foyer industriel d'une puissance unique: ‘la vraie cause’, est-il dit, ‘de la prospérité de l'industrie lilloise, celle qui l'a fait s'élever au-dessus de Gand et de Courtrai, c'est la proximité de la frontière’ (1, p. 395), celle-ci constituant un rempart contre l'invasion des produits fabriqués au dehors mais exerçant aussi une attraction irrésistible sur les usines cantonnées du côté français et sur la main-d'oeuvre affluant de Belgique (1, p. 395-399). Les caractères si particuliers de l'urbanisation dans la région lilloise ne sont pas moins bien dégagés: ‘déjà l'avant-garde du groupe roubaisien vers le Sud n'est qu'à 3 kilomètres des faubourgs de Lille, et une grande voie monu- | |
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mentale doit être bientôt jetée d'une agglomération à l'autre, consacrant la jonction de ces deux puissants foyers industriels en une immense ville de 500.000 habitants (1, p. 441). Mais à cet avenir métropolitan ainsi pressenti, R. Blanchard, gardant le sens des réalités locales, voyait des obstacles tenant aux volontés d'autonomie de chacune de ces villes si proches les unes des autres: ‘ces cités neuves ont chacune leur caractère, tant est forte la personnalité de cette race d'industriels qui a fondé la prospérité actuelle (1, 441-442).
Ce qu'écrit Blanchard sur les mouvements migratoires de la population flamande mérite tout autant réflexion. Le rôle primordial joué par le déclin des industries rurales à domicile depuis le milieu du XIXe siècle se trouve mis en évidence en même temps que l'extrême variété des déplacements quotidiens, hebdomadaires, saisonniers que connaît la Flandre d'alors. L'émigration définitive, quant à elle, avait déjà perdu l'ampleur qu'elle connaissait un demi-siècle auparavant mais ne manquait pas de renforcer encore l'installation de Flamands dans les quartiers usiniers de la région lilloise ainsi que dans les communes belges accolées à la frontière. Les conséquences d'une pareille évolution devaient être à l'époque assez apparentes du point de vue de l'usage des langues. Blanchard signale le recul du français dans les communes belges du domaine wallon comme Ploegsteert, Warneton, Mouscron, Luingne et même Dottignies. ‘Chose plus grave’, assure-t-il, ‘le territoire français est envahi. On entend parler dans Wervicq-Sud, dans Bousbecque même, la langue germanique; à Halluin, elle résonne dans tous les corons et refoule le français dans la campagne; dans les usines, il faut employer des interprètes. C'est un nouveau pays flamingant que l'industrie fixe sur le territoire français, sans que l'on puisse craindre d'ailleurs que cette poussée flamande s'avance bien loin au Sud, où elle serait absorbée par les populations françaises comme le sont les immigrants de Roubaix ou de Lille’ (1, p. 485).
Des aperçus aussi pénétrants portent bien sûr la marque d'une rare intelligence et d'un talent déjà confirmé. Faut-il pour autant accorder à la Flandre de Raoul Blanchard une | |
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crédibilité sans réserve? Ne s'agit-il pas d'une Flandre en voie de disparition plutôt que d'une Flandre moderne en renouveau? Et les indices du réveil flamand ont-ils été perçus avec toute l'objectivité nécessaire?
L'auteur n'a pu s'affranchir d'une certaine orientation dont l'origine tient aux modalités d'information qu'il privilégiait; ses interlocuteurs belges d'expression française, les seuls à être entendus, ne pouvaient lui fournir qu'une image admise par eux des réalités flamandes; dans l'impossibilité de rectifier ce que des vues aussi orientées pouvaient avoir de tendancieux, R. Blanchard courait de grands risques qui ont été signalés précédemment.
Il est significatif de ne trouver dans son ouvrage aucun essai d'analyse des structures sociales établies dans les campagnes flamandes, aucune interprétation d'un parcellaire soumis à un morcellement extravagant, aucune mention des notables villageois pourvus de solides revenus procurés par les fermages et les hypothèques (noblesse, grande bourgeoisie de la ville comme les ‘barons de textile’, clergé malgré ses pertes foncières à la suite de la Révolution française), aucune indication sur les rapports instaurés entre les riches possédants et la masse des petites gens louant à très haut prix d'infimes exploitations agricoles permettant à peine la subsistance d'une famille malgré les ressources procurées par les travaux de tous genres à domicile et au dehors. Une lacune de cette taille mérite qu'on s'y arrête: elle résulte d'une véritable occultation des faits, d'un refus de puiser aux sources documentaires considérées comme d'inspiration trop avancée, sinon extrémisteGa naar eind(5).
R. Blanchard marque ses distances avec la même désinvolture lorsqu'il envisage le sort de la classe ouvrière des villes. La remarquable réussite des organisations coopératives socialistes de Gand sous l'égide du ‘Vooruit’ ne retient son attention que dans la mesure où elle est évoquée (source de seconde sinon de troisième main) par un article de la ‘Revue de Paris’ (1, p. 389). Il n'est pas utile d'épiloguer sur de pareilles insuffisances; elles révèlent assez le souci de | |
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conformisme bourgeois d'un auteur jeune et d'origine modeste mais bien engagé sur la voie de la réussite sociale. Un autre aspect contestable de la thèse de Blanchard tient à l'expression d'un état d'esprit qui n'est en somme qu'un complexe de supériorité: celui de quelqu'un qui, persuadé de représenter la culture française dans ce qu'elle a de plus accompli et fier d'appartenir à la ‘grande et riche nation’, pouvait trouver de minime importance la situation de la minorité flamande d'un petit pays comme la Belgique. L'ideé maîtresse de la Flandre de Blanchard trouve sa formulation la plus complète dans la conclusion de l'ouvrage, ce qui ne saurait surprendre. ‘L'empreinte de l'homme est partout, sa présence domine l'étude géographique du pays’, y est-il affirmé. ‘La “plantureuse Flandre” est une légende, si l'on entend par là un pays naturellement gras et fertile, la terre de l'abondance et de la bonne chère; la prospérité du pays est l'oeuvre exclusive de sa population. Ailleurs, on n'a eu qu'à tirer parti des ressources qu'offrait la nature; ici, il a fallu les lui arracher, et ce long effort n'a pas suffi; victime de sa population débordante, la Flandre doit continuer à peiner et à souffrir, pour rendre de plus en plus habitable cette terre peu favorisée’ (1, p. 520-521). Pour aboutir à ce diagnostic, R. Blanchard accorde une influence majeure au surpeuplement chronique de la Flandre. Il reconnaît qu'une population abondante et prolifique a transformé très tôt un territoire remarquablement situé au coeur de l'Europe du Nord-Ouest en une contrée d'intense activité agricole, industrielle et commerciale. Facteur de développement au Moyen-Age et dans le cadre des anciens Pays-Bas des XV-XVIe siècles, la pression démographique a perdu ce rôle bénéfique pour agir comme un frein dès le XVIIIe siècle et plus encore au XIXe siècle et engendrer la misère et l'arriération. Sans fournir d'autre interprétation que celle qui résulte de l'alternative malthusienne, R. Blanchard oppose à la surabondance d'une population sans cesse au labeur son train de vie si modeste, tellement inférieur à celui des habitants des contrées voisines. Il remarque combien cette population ‘se fait concurrence à elle-même et végète dans la | |
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pauvretè’ (1, p 506) et il affirme: ‘Il est exact que la plus grande partie de la Flandre est un pays pauvre que l'homme violente pour lui faire produire la subsistance de la formidable population qui s'y est établie, sans réussir à faire sortir de l'état de gêne cette population qui se développe plus vite que les ressources’ (1, p. 507).
Le tableau de la misère chronique des Flandres, accablante lors des crises comme en 1846, n'est pas le résultat des observations personnelles de l'auteur: très bas niveau des salaires agricoles et industriels; nourriture frugale à base de tartines au saindoux, de lait battu plus ou moins épaissi, de pommes de terre; analphabétisme fréquent; moeurs brutales, ivrognerie; - tous ces thèmes sont repris d'ouvrages fournissant en la matière tous les renseignements nécessairesGa naar eind(6). Blanchard adopte aussi sans en débattre les vues admises en son temps par les catégories sociales dominantes en Belgique sur l'influence conservatrice d'une mentalité farouchement attachée au dialecte local et à la religion dans ses formes les plus ostentatoires. Il écrit à ce sujet: ‘L'usage d'un dialecte que les Flamands eux-mêmes considéraient naguère comme inférieur les a empêchés de suivre d'un pas aussi rapide que leurs voisins les progrès intellectuels accomplis au XIXe siècle. De là leur défiance contre l'étranger, accrue aussi par le souvenir des maux que leur ont apportés les invasions. De là aussi cette fidélité à la religion qui est un des traits les plus caractéristiques de la mentalité flamande... Ainsi s'est formé ce caractère fermé, à la fois soumis et brutal, d'hommes pacifiques, obstinés et rudes, dont on a pu dire sagement qu'ils étaient laborieux, mais pas actifs, qu'ils avaient les moeurs douces et les manières rudes’ (1, p. 413).
Sur l'emploi de la langue flamande commune appelée par R. Blanchard ‘flamand officiel’ et assimilée par lui au ‘néerlandais littéraire’, les opinions avancées dérivent encore de celles qui ont alors cours parmi les élites francophones de Belgique (et notamment au sein des milieux ‘fransquillons’ de la Flandre); rien ne transparaît des points de vue exprimés par les tenants de la langue populaire considérée d'office | |
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comme un idiome sans unité. Un certain temps plus tard, le sentiment de Blanchard face au fait canadien français s'exprimait en faveur de la minorité linguistique menacée d'assimilation et approuvait les efforts déployés par elle pour s'opposer à l'extinction de ce que les Canadiens anglophones considéraient comme une langue relique obstacle au développementGa naar eind(7). Devant deux ‘situations’ similaires, Blanchard a réagi dans des sens opposés en obéissant à des partis-pris plutôt qu'à un examen objectif des faits. En abordant les problèmes de l'émigration flamande, ce qu'écrit notre auteur résulte très logiquement des assertions déjà développées. Pour les otages destinés ‘à peiner et à souffrir’ dans un univers clos et rétrograde, l'émigration répondait à une nécessité et prenait figure de libération; la France ne pouvait manquer de leur offrir l'asile le plus sûr, les possibilités de promotion les plus avantageuses. ‘Peu à peu, la Flandre roule de l'Est vers l'Ouest, des pays pauvres vers le pays riche. C'est une nouvelle invasion des Barbares, semblable à celle qui s'est accomplie pacifiquement tout au long des quatre siècles de l'empire romain; comme jadis leurs ancêtres des bords du Rhin, ces Germains pauvres et prolifiques viennent louer leurs bras, se font colons des riches territoires que les Latins quittent pour habiter les villes; peu à peu ils s'établissent, la naturalisation automatique les transforme en Français, et ces nouveaux citoyens ne se distinguent bientôt des autres que par leur docilité et leur endurance au travail... Aucun ne s'avise de revendiquer pour ses enfants son ancienne nationalité; ils deviennent Français sans esprit de retour; les traiter de Belges leur paraît déjà une insulte’ (1, p. 519). De pareils accents sont révélateurs. Raoul Blanchard était animé par la flamme patriotique et républicaine de sa génération (celle de 14) et par son désir de promouvoir la cause de la France latine face à la germanité. Sous sa plume de géographe, les convictions d'un tempérament bouillant peuvent prendre l'allure de constats objectifs et sereins, mais il nous faut reconnaître qu'il n'en est rien. Sans aller jusqu'à soutenir que ‘la géographie, ça sert à faire la guerre’Ga naar eind(8), il faut | |
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admettre qu'il n'est pas de géographie innocente et que celle qui nous a été servie pour la Flandre par R. Blanchard l'est moins que toute autre. | |
Samenvatting:Dit werk van R. Blanchard dateert van 1906; het wordt nog altijd beschouwd als hèt model van een geografische studie en als een bijzonder betrouwbare beschrijving van het Vlaamse land en de Vlaamse mens in het begin van de 20e eeuw. Dank zij de uitgave van de persoonlijke aantekeningen van de auteur en de afstand in de tijd kunnen we vandaag een gefundeerder oordeel vellen over dit belangrijke werk uit de Franse geografische school.
Zijn opleiding, de onvoldoende kontakten, de aard van zijn onderzoeksen verwerkingsmetodes hebben het Blanchard onmogelijk gemaakt een volledig waarheidsgetrouw beeld te geven van Vlaanderen. Zijn scherpe geografische observatie, zijn intelligentie en talent maken het werk tot een belangrijk, maar eenzijdig dokument. De auteur liet zich uitsluitend leiden door informanten die alle behoorden tot de sociale bovenlaag van Vlaanderen en hij nam geen kennis van de eisen van de Vlaamse Beweging zoals die bijvoorbeeld door Lodewijk de Raet werden verwoord en evenmin van de eisen van de arbeiders die in het socialisme hun uitdrukking vonden. Blanchards beschrijving van Vlaanderen was dus achterhaald; hij had geen oog voor de tekenen van het nieuwe Vlaanderen. Jong en onstuimig als hij was, gedreven door de geestdrift voor de Franse republiek - eigen aan zijn generatie - en forse verdediger van de Latijnse kultuur tegen al wat Germaans was, kwam hij tot de vernietigende konklusie dat Vlaanderen in leed en lijden moest blijven wat het was. Blanchard ondersteunde daarmee de opvatting dat de ekonomische en sociale ontwikkeling van Vlaanderen meteen ook het verlies van zijn eigen aard zou inluiden. Hij waagde zich daarmee op een terrein dat hem als geograaf vreemd was, dat van kultuur en politiek.
La Flandre van Blanchard is geen ‘onschuldig’ werk, maar een vroeg voorbeeld van geëngageerde, van ‘toegepaste’, ja misleidende geografie. |
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