De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français. Jaargang 1978
(1978)– [tijdschrift] Franse Nederlanden, De / Les Pays-Bas Français–
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Inleiding.De Franse diplomatie ziet in een politiek van bondgenootschappen een van de belangrijke pijlers van 's lands beveiliging na de Eerste Wereldoorlog. Het Anglo-Amerikaans verdrag ten voordele van Frankrijk tegen Duitsland is een vitale schakel in het nieuwe beveiligingssysteem. Het treedt echter niet in werking doordat het Amerikaans Kongres weigert het verdrag van Versailles te ratificeren. Op slag wint het militair akkoord met België waar Frankrijk naar streeft, nog aan belang. In het licht hiervan is Frankrijk bereid enkele Belgische gevoeligheden te ontzien. De Luxemburgse kwestie illustreert dit duidelijk. De Luxemburgse aspiraties die het Belgische nationalisme tijdens en onmiddellijk na de oorlog koestert, hebben weinig kans op slagen aangezien de Fransen plannen hebben die precies in dezelfde richting gaan. Daarbij komt nog dat de inwoners van het Groot-Hertogdom dat uit het ‘Zollverein’ was getreden, zich in het referendum van september 1919 met een overweldigende meerderheid uitspreken voor een ekonomische alliantie met Frankrijk. Maar de Franse diplomatie wil de mogelijkheden die deze uitslag biedt niet volledig gebruiken, om aldus een opening te laten voor het tot stand komen van een ekonomische unie tussen België en Luxemburg. Na mislukte pogingen om er ook Engeland bij te betrekken, engageert België zich uiteindelijk in een militair akkoord met Frankrijk. Talrijke frankofiele Belgen zijn hierover uitermate opgetogen. Het akkoord stoot echter ook op heel wat weerstand, onder andere bij politici van formaat die beducht zijn voor een te eenzijdig Franse gerichtheid van de Belgische buitenlandse politiek. In Vlaamse kringen stelt men zich openlijk en hardnekkig vijandig op. Deze Vlaamse oppositie is geen voorbijgaand strovuurtje. De flaminganten binnen de katolieke partij en de Vlaams-nationalisten nemen steeds harder de Belgische buitenlandse politiek op de korrel; de deelneming van België, aan de zijde van Frankrijk, aan de Ruhr-bezetting, kan dit slechts in de hand werken. Deze weerstand komt duidelijk opnieuw aan bod tijdens de besprekingen in de Kamer van het Frans-Belgisch handelsakkoord dat in 1923 werd gesloten; de debatten worden gesloten op 27 februari 1924 met een weigering het akkoord te ratificeren. De invloed van de grote kristen-demokratische en flamingantische voorman, Frans Van Cauwelaert, heeft een groot aandeel in deze ontknoping. De weigering tot ratifikatie komt in feite neer op | |
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Rapports diplomatiques français 1918-1919
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Introduction.La diplomatie française voit dans une politique d'alliances un pilier de premier ordre de la sécurité du pays pour l'après-guerre. Le traité angloaméricain, à l'avantage de la France contre l'Allemagne, dans lequel la France voit un maillon vital de son nouveau système de sécurité, n'entre pas en vigueur, à cause du refus du Congrès américain de ratifier le traité de Versailles. Du coup, l'accord militaire avec la Belgique, vers lequel tend la France, devient encore plus important. Dans cette optique, la France est prête à ménager quelques sensibilités belges. La question du Luxembourg le prouve clairement. Les aspirations luxembourgeoises du nationalisme belge, nourries pendant la guerre, n'ont guère de chance d'aboutir, car les Français ont des intentions qui vont dans la même direction. En plus, lors du référendum de septembre 1919, les citoyens du Grand-Duché, sortis du Zollverein, se prononcent pour une alliance économique avec la France. Mais la France ne veut pas exploiter à fond ce résultat pour laisser la voie ouverte à une union économique entre la Belgique et le Luxembourg. Après des efforts manqués pour y mêler les Anglais, la Belgique s'engage finalement dans un accord militaire avec la France. Cet accord enthousiasme bon nombre de Belges francophiles, mais il suscite également l'hostilité de politiciens d'envergure qui craignent une orientation trop unilatéralement française de la politique étrangère. Le milieu flamand y est ouvertement et farouchement hostile. Cette opposition flamande n'est pas une flambée passagère. Les flamingants du parti catholique et les nationalistes flamands s'attaquent de plus en plus à la politique étrangère belge, qu'ils voient enchaînée à la France; l'entraînement de la Belgique dans l'occupation de la Ruhr les confirme dans leur conviction. Cette opposition se manifeste à nouveau clairement au cours de discussions à la Chambre, au sujet de l'accord commercial francobelge, conclu en 1923. Les débats sont clos le 27 février 1924 par le refus de ratifier l'accord. L'influence du grand leader démocrate chrétien et flamingant, Frans Van Cauwelaert, est pour beaucoup dans ce dénouement. Ce refus de ratification équivaut à une impérieuse condamnation de l'orientation trop exclusivement française de la politique étrangère belge. L'élément flamingant - auquel s'ajoute, bien sûr, l'antimilitarisme socialis- | |
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een scherpe veroordeling van de te ekskluzief Franse oriëntatie van de Belgische buitenlandse politiek. Het flamingantische element - er spelen uiteraard ook nog andere belangrijke faktoren mee, zoals bijvoorbeeld het socialistisch antimilitarisme - is ongetwijfeld voor de Franse diplomatie een moeilijk te nemen hindernisGa naar eind(1.).
Reeds tijdens de oorlog vestigen sommige Franse diplomaten de aandacht op een mogelijke flamingantische verstoring van de plannen om België gewillig binnen de Franse invloedssfeer te loodsen. De divisiegeneraal Jean Gabriel Marie Rouquerol die tussen 1917 en 1919 de post van militair attaché bekleedtGa naar eind(2.), is een van deze diplomaten. Om de flamingantische vijandigheid die zich aftekent, af te zwakken, pleit hij voor een Franse ‘opération de charme’ ten opzichte van de Belgische Vlamingen. In enkele van zijn voorstellen geraakt, onrechtstreeks, ook Frans-Vlaanderen betrokkenGa naar eind(3.). | |
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te, et bien d'autres facteurs encore - est indubitablement un obstacle difficile pour la diplomatie françaiseGa naar eind(1.).
Déjà avant la fin de la guerre, certains diplomates français fixent l'attention sur une perturbation flamingante possible des projets visant à attirer la Belgique dans la zone d'influence française. Le général de division Jean Gabriel Marie Rouquerol, occupant, entre 1917 et 1919, le poste d'attaché militaire auprès de la légation de la République française en BelgiqueGa naar eind(2.), est un de ces diplomates. Afin d'affaiblir cette opposition flamingante qui se dessine, Rouquerol compte sur l'effet salutaire d'une opération de charme de la part de la France à l'égard des Flamands de Belgique. Dans quelques-uns de ses rapports, il est aussi question de la Flandre françaiseGa naar eind(3.). | |
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Document I.
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Document II.
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de sympathie dans les milieux flamands; elle y était plutôt l'objet de préventions, de rancunes et de méfiances plus ou moins avouées. L'Allemagne, par une propagande habile et inlassable, s'efforçait, s'efforce et s'efforcera d'exploiter et de développer ces sentiments inamicauxGa naar eind(1).
L'action flamingante se présente sous trois aspects différents selon qu'on la considère soit en Belgique envahie, soit sur le front, soit enfin dans les pays où se trouvent de nombreux Belges refugiés, France, Angleterre et Hollande. En Belgique occupée, la présence et la haine de l'envahisseur ont momentanément opéré l'union sacrée; sur le front, l'attitude de notre pays et la conduite de notre Armée ont suscité des sentiments de confiance et d'admiration (La propagande flamingante activiste, où la main de l'Allemagne se trouvait, avait obtenu sur le front, l'hiver dernier, des résultats qui commençaient à devenir inquiétants ainsi que je l'ai signalé dans mes différents rapports)Ga naar eind(2). Les milieux belges, dans les pays alliés ou neutres, ne subissent pas ces influences au même degré: la question flamande y a conservé un caractère ardent et même passionné, surtout en Hollande, si on se réfère aux articles de presseGa naar eind(3).
Il faut donc regarder la réalité en face. Quoi qu'en disent certaines personnalités belges - principalement militaires -, la question flamande existe; elle est appelée, par la force des choses, à prendre, une fois la paix venue, un caractère d'acuité plus grand qu'avant la guerre. Bien des problèmes, en effet, qui n'avaient pas été jusqu'alors catégoriquement posés, devront recevoir une solution belge immédiate pour remplacer la solution allemande astucieusement imposée par le vainqueur momentané. On doit aussi prévoir que certains flamingants sincèrement loyalistes aujourd'hui se laisseront à nouveau séduire par la propagande sournoise allemande qui s'exercera tout au moins contre l'influence française, sinon ouvertement en faveur de l'Allemagne elle-même.
L'Angleterre ne néglige rien de ce qui peut servir ses intérêts ou développer son influence. Les intérêts communs de la France et de la Belgique deviendront de première importance après la guerre; il importe aux deux pays, quelle que soit la solution donnée à la question intérieure flamande et qui regarde la Belgique seule, que les sympathies de tous les Belges, Flamands comme Wallons, soient entièrement acquises à la France. Notre propagande poursuivie en plein accord avec les Autorités belges, militaires et gouvernementales, depuis quelques mois dans les milieux flamands, et qui a fait l'objet de mes rapports antérieurs, a donné à cet égard des résultats fort appréciables...
La question flamande, bien qu'elle soit, en allant au fond des choses, une question sociale, se trouve dominée par la question linguistique. Cet argument linguistique est celui qui a le plus de prise sur les esprits et qui soulève les discussions les plus passionnées; il est devenu un article de foi flamingante. Bien que les flamingants se rattachent dans leur majorité au parti catholique (leader M. Van Cauwelaert), bon nombre, et non des moindres, sont libéraux (leader M. Frank), ou socialistes (leader M. Huysmans)Ga naar eind(4), mais tous s'accordent sur la question linguistique et s'y montrent également irréductibles. L'argument est d'ordre sentimentalGa naar eind(5); c'est pourquoi on ne peut pas le discuter sous peine de s'aliéner irrémédiablement les Flamands; il n'y a qu'à l'adopter, quoi qu'on puisse personnellement penser de l'avenir de la langue flamande. C'est par lui que les Allemands ont mené leur campagne activiste; c'est lui qu'a développé M. Van Cauwelaert, le chef passiviste, dans un mémorandum récent que l'on a inexactement interprété comme un appel à l'intervention anglaiseGa naar eind(6). Pourquoi donc ne le prendrions-nous pas à notre compte, nous aussi? Il ne présente aucun inconvénient en regard d'immenses avantages. | |
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L'hiver dernier, le Roi, au cours d'une longue conversation, m'exposa l'action que nos grands corps savants pourraient exercer sur les rapports franco-flamands et exprima le regret que cette action ne fût pas utilisée. C'est d'une réminiscence de cette conversation qu'est sortie plus tard l'idée de la création d'un cours de littérature flamande au Collège de France, bien que l'idée n'en ait pas été alors exprimée même sous une forme détournéeGa naar eind(7). Des initiatives privées s'occupèrent de sa mise à exécution, et grâce au concours de mon collaborateur le Capitaine GilletGa naar eind(8), et de M. Bédier professeur au Collège de France, on put bientôt espérer en voir aboutir la réalisation.
Il y a quelques semaines, la Reine me parlant de la question flamande dit: ‘On ne s'occupe pas assez des Flamands; on ne sait pas les prendre’Ga naar eind(9). - Comme je lui faisais connaître le projet en question, en ajoutant que je n'étais pas certain de réussir, S.M. riposta avec vivacité: ‘L'idée est excellente, il faut que vous réussissiez; vous réussirez’.
Un pareil encouragement devait avoir une valeur décisive et quelques jours plus tard, je pouvais faire part des intentions du Collège de France à M. Cooreman, le Chef du Gouvernement belge, qui les agréait avec empressement et gratitude. Actuellement, M. Poullet, Ministre des Sciences et Arts, est en rapport avec le Collège de France pour régler certains détails de l'affaire, en particulier la désignation du professeur. L'affaire elle-même ne sera définitivement arrêtée que par l'assemblée des professeurs dans la première quinzaine du mois prochain. Mais tout permet d'espérer qu'elle sera favorablement accueillie. J'ai cru dès aujourd'hui devoir vous mettre au courant.
Dès maintenant, l'impression produite dans les milieux gouvernementaux à tendances flamingantes a été excellente; j'ai compris que le geste accompli serait utilisé pour la solution de difficultés que l'on prévoit dans la politique intérieure de la Belgique, en attirant vers la France les sympathies des Flamands et en les détournant soit de l'Angleterre, soit surtout de l'Allemagne. ‘C'est la mesure la plus politique que l'on pouvait trouver, m'a dit M. Helleputte (catholique) Ministre de l'Agriculture; vous coupez l'herbe sous les pieds aux Allemands’. - ‘Par elle, m'avait dit M. Ingenbleek (Libéral) secrétaire du Roi, la France gagne le coeur de la Flandre’. Je rapporte ces propos entre bien d'autres semblables, à titre d'indication seulement, comme caractéristiques des avis exprimés. | |
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Document III.
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serait aisé de faire voir les traces d'un programme ‘pan-néerlandais’ ayant pour objet de constituer un vaste Etat du Nord, une grande République des Pays-Bas, s'étendant de Dunkerque à l'embouchure de l'Ems. Ce projet hante déjà beaucoup de têtes flamandes, qui ne se consolent pas de la scission du XVIème siècle, consécutive à la Réforme et à l'occupation espagnole, et d'où date l'abaissement de la Belgique. Ce regret est encore combattu par des rancunes politiques et des différences de religion qui séparent la Belgique de la Hollande. Les haines de 1830 et de 1839 ne sont pas encore éteintesGa naar eind(3). Résisteront-elles longtemps à la séduction des idées impérialistes, qui rêvent de réunir, après trois siècles de séparation, les Pays-Bas du Nord avec ceux du Midi?
Ce mouvement n'est encore qu'à l'état d'ébauche dans la pensée de quelques intellectuelsGa naar eind(4). Il ne laisse pas d'offrir pourtant quelques dangers. L'avenir dira si ce rêve doit devenir une réalité politique. Il dépend de nous que cette réalité ne se fasse pas contre la France. Un grand Etat de langue germanique (25 millions d'habitants) à notre frontière du Nord serait toujours une menace dont nous devons nous préoccuper.
En tout cas, la création d'un organe d'information et de surveillance s'impose. Il faut que la France soit informée minutieusement de ce qui se passe à ses portes. Elle doit avoir un moyen permanent de se renseigner sur l'opinion de ses voisins, de la connaître, d'agir sur elle.
Il semble qu'en dehors des voies diplomatiques, ce moyen serait fourni avantageusement par l'Université. Un centre d'études néerlandaises, une ‘école’ spéciale ou un institut de langue flamande, fondé à l'Université de Lille, remplirait utilement ce rôle.
Des instituts analogues fonctionnent avec succès à Grenoble et à Lyon pour les études italiennes, à Bordeaux pour les études espagnoles. Ces Universités ont même détaché respectivement des ‘filiales’ à Florence et à Madrid. Une création semblable à l'Université de Lille ne serait pas appelée à rendre moins de services.
Les Pays-Bas ont, depuis des siècles, une histoire assez importante (origine des Francs, des Carolingiens, mouvement des Communes, Réforme,etc.) pour justifier une chaire spéciale dans une Université française. Leur histoire artistique n'est pas moins considérable; des provinces entières y restent à défricher. Ces diverses études ont pour condition la connaissance préalable de la langue néerlandaise.
Cette langue offre enfin une histoire littéraire qui mérite une attention toute particulière. Le mouvement littéraire, surtout dans la deuxième partie du XIXème siècle, est un des plus féconds de l'Europe. C'est tout un champ, en pleine production, aux trois quarts inconnu en France, et sur lequel la France a le plus vif intérêt à être renseignée.
Ces phénomènes littéraires sont d'ordinaire intimement liés à des événements politiques: c'est ce qui s'est passé il y a un siècle, au temps du romantisme, pour la littérature allemande, il y a trente ans pour le roman russe et (à un moindre degré) pour le théâtre scandinave.
Il semble donc qu'un ‘séminaire’ d'études néerlandaises pourrait dans les circonstances présentes être un organe précieux de liaison entre la France et ses voisines du Nord. Ce séminaire pourrait se compléter par une bibliothèque, par une revue ou par un recueil périodique de travaux. Il attirerait chez nous un certain nombre de jeunes Flamands; il persuaderait les autres de l'intérêt de la France. Enfin, des échanges pourraient se faire entre Lille et les Universités de Leyde, de Groningue, de Gand.
L'exemple de nos ennemis montre les résultats que peut obtenir une équipe sérieuse d'étudiants et un travail universitaire bien organisé. Il semble | |
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que l'Université de Lille remplirait bien son rôle en servant de poste d'écoute à la frontière flamande.
L'initiative prise par le Collège de France servirait en quelque sorte de préface ou d'introduction à cette création qui pourrait être envisagée pour la campagne universitaire de 1919-1920.
P.S. en manuscrit de Rouquerol: Je vous demanderais de vouloir bien, si vous approuvez mes propositions, transmettre la présente lettre à M. le Ministre de l'Instruction publiqueGa naar eind(5). | |
Document IV.
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landisme, j'ai ajouté que ce mouvement n'était encore qu'à l'état d'ébauche dans la pensée de quelques intellectuels et que l'avenir dirait si ce rêve devait devenir une réalité politique et constituer un danger.
Monsieur Allize estime que ce danger n'aurait pas été illusoire si l'Allemagne était sortie victorieuse de la guerre, mais qu'aujourd'hui il n'existe plus réellement. Je suis heureux d'entendre exprimer une pareille opinion par une bouche certainement plus autorisée que la mienne dans une pareille question.
Mais je crois qu'une confusion a été commise entre le pan-néerlandisme et le flamingantisme.
Quoi qu'il en soit du premier, le second, c'est-à-dire le Mouvement flamand limité à la Belgique, existe, il a survécu à la guerre.
Certainement la très grande majorité des flamingants réprouve énergiquement les menées activistes. Nombre d'intellectuels parmi les dirigeants du Mouvement flamand, se sont écartés de l'Allemagne dont les rapprochaient, avant la guerre, certaines affinités, pour se porter de notre côtéGa naar eind(1). Les excès de toute nature commis par l'envahisseur en Belgique occupée ont fait taire les dissentiments entre Wallons et Flamands. Tout cela est vrai, mais ce serait méconnaître étrangement l'esprit de contradiction et l'entêtement caractéristique du tempérament belge, que de voir dans cette accalmie un apaisement définitif.
Dans le courant de l'année dernière, j'ai constaté parmi les soldats du front que l'agitation flamande, qui n'a pas été parfois sans donner de graves inquiétudes, disparaissait dans les périodes des attaques pour renaître ensuite. Il ne faut donc pas se faire d'illusions; ce qui s'est produit sur le front se produira dans le pays. D'ailleurs, dès la libération de la Belgique, la presse flamande a continué ou repris avec la même vivacité et la même passion que par le passé, le thème de ses revendications. Un nouveau journal, le ‘Standaard’, organe de M. Van Cauwelaert, a été créé à Bruxelles depuis l'armistice.
...Quoi qu'il en soit, le flamingantisme est bien vivant et agissant. Il constitue un danger pour l'unité belge, c'est-à-dire pour la France. C'est là une question de fait qu'on ne saurait éluder. Il faut regarder la réalité en face. Qu'allons-nous faire? Rien? Alors nous laissons le champ libre à l'Allemagne qui aura bientôt regagné le terrain perdu depuis 1914.
Comment intervenir? Ici se pose la question linguistique.
La statistique de 1910 donne la répartition suivante de la population de la Belgique au point de vue des langues parlées: 2.833.334 habitants parlant le français seulement, 3.220.662 habitants parlant le flamand seulement, 74.995 habitants parlant le français et le flamand.
Dans un pays ainsi divisé en ce qui concerne les langues, la question linguistique ne peut pas ne pas exister (C'est une erreur assez communément répandue en France et même en Belgique, de nier l'existence de la question flamande...).
Lorsque l'on s'adresse à des Flamands, il ne faut pas tenir le même langage, selon qu'on parle à des catholiques, à des libéraux ou à des socialistes. Mais il est un argument qui leur tient à tous également au coeur, c'est l'argument linguistique. C'est le plus agissant sur les masses, parce que sentimental. C'est aussi le plus exploité par le flamingantisme, qui est au fond une question sociale et politique.
Prenons donc à notre compte l'argument linguistique, enlevons le à nos adversaires. Servons-nous en pour rapprocher les deux pays, Flandre et France, pour leur apprendre à se mieux connaître réciproquement, pour les | |
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faire se pénétrer, pour faire tomber les préventions dont la première était nourrie à l'égard de la secondeGa naar eind(2).
En réalité, le flamand est une langue secondaire sans avenir, qui ne peut pas permettre à un petit peuple de se suffire à lui-même. Ma conviction est qu'il ne tardera à perdre l'importance factice qu'il a prise, à condition qu'il ne soit pas ou qu'il ne paraisse pas persécuté, ce qui est tout un. Un des moyens les plus efficaces de nous gagner les Flamands est de flatter leur manie linguistique.
Par ce procédé, qui ne présente aucun inconvénient, si on agit avec un peu de tact et de mesure, si on reste sur le terrain de la littérature pure, et si on s'abstient scrupuleusement de prendre parti, si faiblement soit-il, dans les querelles intérieures linguistiques au même titre que les autres sociales ou politiques. On n'éveillera même pas un sentiment de méfiance ou de mauvaise humeur chez les Wallons, si on a soin, par un judicieux système de compensations, de les faire bénéficier de toutes les manifestations du génie, de l'art et de l'esprit français, qu'ils apprécient si fort, sous quelques formes qu'elles se produisent (littérature, revues, journaux, expositions, théâtre, conférences).
C'est par des moyens de cette nature et qu'il est inutile de rappeler ici, que nous avons pu, en quinze mois, obtenir des résultats fort importants dans les milieux flamands, et particulièrement dans les milieux catholiques, les plus influents, ceux où les préventions contre la France étaient les plus vives, et où nous possédons aujourd'hui des sympathies nombreuses et solides. C'est pour maintenir et développer cette action que j'avais songé à la création d'un centre de littérature flamande à Lille. Mais, contrairement à l'opinion que j'avais d'abord émise dans ma lettre du 17 janvier, je me range à l'avis de notre ministre à La Haye et j'estime avec lui qu'il conviendrait de s'opposer à tout échange d'élèves entre Lille et les Universités néerlandaises. J'ajoute que le champ de ce foyer intellectuel devrait être strictement limité à la Belgique. Il faudrait le placer sous la direction d'hommes avisés, bien pénétrés du but spécial poursuivi, et qui orienteraient l'institution et l'empêcheraient de dévier. Il serait toujours temps de la supprimer le jour où on s'apercevrait qu'elle peut présenter le danger appréhendé par M. Allize, de créer de toutes pièces le pannéerlandisme.
En regard des avantages très importants et certains que procurerait l'institution proposée, je ne saurais, en ce qui me concerne, exprimer cette crainte éventuelle. Car nos Flamands ne se détacheraient certainement pas de la France, pour se rapprocher des Flamands de Hollande ou de Belgique. Il suffit de connaître nos départements du Nord pour n'avoir aucune crainte à cet égardGa naar eind(3). Quant aux Flamands belges, ils trouveront sinon toujours, du moins pour longtemps encore, un sujet de grave dissentement entre Flamands néerlandais et eux: celui de la religion. Ne se trouve-t-il pas à l'origine de la séparation des Pays-Bas protestants et des Pays-Bas catholiques?... Au point de vue général, les événements actuels, en multipliant les causes de mécontentement et de frictions, paraissent élargir le fossé entre la Hollande et la BelgiqueGa naar eind(4).
Enfin, dans une assez longue conversation avec le Roi Albert sur le flamingantisme, qui fait toujours l'objet de ses préoccupationsGa naar eind(5), j'ai eu l'occasion de parler de mon idée de la création en question: le Roi l'a vivement approuvée, y voyant un moyen efficace de rapprochement franco-flamand. Et certainement Sa Majesté n'aurait pas tenu un langage aussi affirmatif et encourageant, si Elle y avait vu un inconvénient au point de | |
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vue du danger néerlandais qui menacerait beaucoup plus directement la Belgique que la France.
En conséquence, j'estime que sous la réserve des tempéraments qui viennent d'être exprimés, il serait avantageux, au point de vue franco-belge, et au moins à titre d'essai, de créer un centre de littérature flamande à l'Université de Lille. | |
Document V.
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(je m'excuse de me répéter) est de nous intéresser, ou tout au moins de paraître nous intéresser, aux choses flamandes, et, en même temps, comme contrepartie, de faire en Belgique une active propagande de la culture française (littérature, théâtre, etc...).
C'est d'après ces principes que j'ai établi, il y a quinze mois, un programme de propagande qui a été approuvé par le Département des Affaires étrangères, et dont l'application sur le front a donné d'heureux résultats. Il est essentiel que l'action qui s'est exercée sur le front soit continuée avec encore plus d'intensité. Après avoir résidé quatre mois en Belgique depuis sa libération, j'ai conquis la conviction que le même programme doit être appliqué, avec toutefois quelques différences de modalités dans l'application, en raison des différences de situation.
C'est pourquoi j'estime que la mensualité de 7000 francs servie par le Département des Affaires étrangères, pendant la guerre, doit être continuée, et j'ai rédigé, pour être soumis à ce département, le programme de propagande ci-joint. | |
Programme de Propagande.1. Un foyer de propagande très actif avait été créé à Calais, pendant la guerre. Il agissait à la fois sur le front et sur la population belge très nombreuse (civile et militaire) habitant la région du Nord de la France. Il comprenait un organisme appelé ‘Conférences Franco-Belges’ et dirigé par Monseigneur Debout, Archiprêtre de Calais.
Un journal belge de langue française (Notre Belgique) tout à fait indépendant de l'organisme précédent pouvait néanmoins être rattaché au centre d'action de Calais où il était édité; ce journal était très lu dans les milieux belges et surtout sur le front où ses lecteurs étaient fort nombreux (il avait neuf mille abonnés); bien rédigé, très français, il nous a été excessivement utile. Il a disparu avec le ‘front’ pour lequel il avait été créé. Son dernier acte, testamentaire en quelque sorte, a été un concours littéraire entre les écrivains-soldats du front belge, et pour lequel le Président de la République avait offert quatre eaux fortes. Les oeuvres primées ont été réunies en un volume dont un exemplaire est ci-joint. Le rédacteur en chef de ‘Notre Belgique’ m'a demandé de souscrire à cet ouvrage. J'y vois une excellente action de propagande; car aucune mesure ne pourrait autant flatter le personnel de ‘Notre Belgique’ et ses nombreux collaborateurs militaires qui, rentrés dans la vie civile, seront autant de propagandistes de la culture française. Aussi, sauf indication contraire, j'ai l'intention, sur les disponibilités de propagande qui me restent, de souscrire 500 exemplaires et j'ai l'honneur de demander à qui j'en devrai faire l'expédition, pour qu'ils soient répartis dans nos bibliothèques en France (de garnison et régimentaires surtout)Ga naar eind(1).
2. Le ‘Dageraad’ (journal hebdomadaire de langue flamande) créé en Angleterre pendant la guerre, grâce à notre concours, et à qui est servie une mensualité de 5000 francs, représente un organe pro-français qui a acquis une heureuse influence. Il est aujourd'hui édité à Anvers, centre flamingant le plus actif peut-être de la Belgique, où il continuera à exercer son action efficace. Il est de notre intérêt de maintenir, jusqu'à nouvel ordre, la mensualité.
Pendant la guerre nous faisions parvenir à Monsieur Burton, publiciste, éditeur du ‘Dageraad’, par l'intermédiaire du service de Folkestone, des clichés qui servaient à illustrer le journal. Monsieur Burton serait heureux que le service de la propagande française lui fasse parvenir à l'adresse indiquée ci-dessous les clichés et tous documents où il pourrait puiser des éléments de propagande française. J'appuie très favorablement cette | |
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demande. L'adresse de Monsieur Burton est: Monsieur Florent Burton, 28, rue Courte Neuve à AnversGa naar eind(2).
3. Les ‘Cahiers de l'Amitié de France et de Flandre’Ga naar eind(3) sont une petite publication qui paraissait irrégulièrement pendant la guerre. Dus à l'initiative de quelques hommes désintéressés originaires de notre région du Nord, tirés à un petit nombre d'exemplaires presque tous destinés à un cercle restreint, ils se proposaient un but qui rentrait tout à fait dans notre cadre. Après entente avec leur directeur, Monsieur de Poncheville, nous avons pu augmenter considérablement l'importance de la publication comme tirage et comme fréquence. Je joins au présent rapport quelques specimens de ces brochures; leur diffusion dans les milieux flamands, où elles sont très appréciées, est obtenue par le concours de quelques personnalités flamandes, très flamandes même, mais professant de réelles sympathies pour la France.
Je signale spécialement le ‘Cahier’ de Cyriel VerschaeveGa naar eind(4); l'auteur, curé d'Alveringhem, était, pendant la guerre, considéré comme suspect d'activisme par l'autorité militaireGa naar eind(5); il jouissait d'une grande influence sur le front; son drame de la ‘Passion’ était apprécié par les Flamands comme un chef-d'oeuvre de leur littérature. Aussi la publication de cette oeuvre, traduite en français, et surtout la lettre qui en forme l'avant-proposGa naar eind(6), ont-elles été un vrai succès. La Reine, à qui j'avais communiqué cette lettre avant sa publication, ne m'a pas caché la surprise qu'elle en a éprouvée, et elle a bien voulu, en même temps, m'exprimer sa satisfaction.
J'estime que nous devons continuer à nous assurer la collaboration des ‘Cahiers’; une subvention mensuelle de 500 francs suffit pour cet objet.
Pour ne pas produire un effet contraire à celui qu'on se propose, il convient de mettre un certain soin à la constitution des ‘Cahiers’; car il ne faut pas perdre de vue que tous les partis politiques sont représentés parmi les Flamands. Mais il suffit de procéder avec un peu de tact et de se documenter auprès de personnalités flamandes appartenant à ces différents partis.
4. Pendant la guerre, l'aumônier de Moor, chef du Service de la Propagande belge en pays occupé, nous a apporté un concours dévoué et très précieux. Il est tout disposé à le continuer, et dans ce but je vous ai transmis le 3 avril, sous le No. 158, une demande de mensualité de 500 francs. Il nous importe à tous égards de rester en relations étroites avec le service de la propagande belgeGa naar eind(7).
En résumé sur les 7000 francs de la mensualité, 6000 francs seraient régulièrement employés à des objets prévus et précis. Il resterait une somme de 1000 francs pour les imprévus et les destinations nouvelles. |
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