De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français. Jaargang 1978
(1978)– [tijdschrift] Franse Nederlanden, De / Les Pays-Bas Français–
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Lille au siècle des lumières
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Le clergé.Souvent, avec simplisme, on oppose Eglise et philosophie. La réalité est différente. A Lille, les prêtres, issus des milieux laborieux ou des familles de robe, sont instruits et expérimentés, mais il est difficile de saisir leur niveau intellectuel. On est attiré par des cas exceptionnels comme celui de l'abbé Favier qui possédait, en 1764, 15.000 volumes, lisait Voltaire, en particulier l'Essai sur les Moeurs. Le syndic Brovellio voulut interdire la vente de cette bibliothèque sous prétexte que ‘le peuple n'a pas besoin de livres dangereux pour la perfection de ses manufactures, source de la richesse et de la splendeur de la ville’Ga naar eind(5).
L'église est, encore en ce siècle, éducatrice. Peu de pays entretenaient autant d'établissements d'éducation que la Flandre, mais plus que chez les maîtres, c'est au sein des chapitres de chanoines que se trouvent les membres les plus cultivés du clergé. Certains chanoines de Saint-Pierre possédaient de riches collections: Antoine Jorre détient 9 à 10.000 volumes, plus de 300 tableaux. Plusieurs chanoines sont attirés par les idées nouvelles. Raymond et Paul de Valori parvinrent dès 1726 à construire un local, à l'aménager en bibliothèque ouverte deux fois par semaine au public. C'était une nouveauté! Le médaillier de Saint-Pierre et les archives remarquables furent inventoriés et répertoriés au milieu du siècle.
Quelques chanoines se distinguèrent comme écrivains: le chapelain Pierre Lamoot rédigea une Histoire générale de Flandre qui révèle l'influence des encyclopédistes. La séduction de la philosophie est encore plus apparente chez Charles Le Clerc de Montlinot, sous-diacre qui ne reçut jamais les ordres supérieurs. En 1759, il publia sous le masque prudent de l'anonymat, une Défense de l'Encyclopédie s'insérant dans une polémique avec Abraham Chaumeix; Charles Panckoucke lui confia, en 1761, la rédaction des Annonces, affiches, nouvelles et avis divers pour les Pays-Bas français mais il dut se séparer de lui devant les réactions des lecteurs. Montlinot publia encore anonymement des extraits de La Mothe Le | |
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Vayer, puis un Discours préliminaire pour servir d'introduction au Dictionnaire d'histoire naturelle en 1764. Ce dictionnaire portatif fut vivement attaqué par le Père Sylvain, gardien des Capucins de Lille et surtout par un chanoine régulier de Cysoing, Wartal qui reconnut dans les propos de Montlinot des phrases d'Helvétius et de Diderot. C'est une divinisation de la nature conduisant au panthéisme.
Cette polémique n'était qu'une escarmouche en comparaison de la guerre que déchaîna l'Histoire de la ville de Lille, attribuée à Montlinot et diffusée par Panckoucke auprès de ses souscripteurs. L'ouvrage, mis au pilon en 1762, parut de nouveau en 1764. Ce pamphlet, de ton léger inspiré par le persiflage voltairien, flattait la manie d'impiété, accumulait les traits piquants, interprétait les documents de façon tendancieuse. La plume alerte de Montlinot n'épargnait même pas le chapitre de Saint-Pierre dont il portait le costume. Si le chapitre hésitait à priver Montlinot de son canonicat en raison de la longueur d'un procès qui se serait poursuivi devant les tribunaux séculiers, le chanoine Charles Wartel s'engagea dans une réfutation vigoureuse et documentée de l'ouvrage. Montlinot répondit, en 1765, selon sa méthode habituelle, par un pamphlet aux plaisanteries licencieuses écrit sous le pseudonyme d'Abraham Ralecq, colporteur. Dans le même temps, 1765-1766, parurent deux lettres adressées à Montlinot sous la fausse rubrique Genève et signées du nom suggestif de Montmolin. L'auteur, Lillois sans aucun doute, adopte le rôle d'un ministre calviniste pour féliciter le chanoine de s'élever au-dessus des préjugés courants... Toutefois le Genevois conseille au chanoine de quitter son petit collet: ‘Vous jouissez d'un canonicat fondé par un prince superstitieux et dévoué au Pape dont les revenus sont accrus par les rapines et la simonie de vos devanciers!... Cela est-il décent?’ La seconde lettre explicite cette réserve et le Genevois propose à Montlinot de venir occuper à l'Université de Genève la chaire de Théodore de Bèze; il serait à l'abri du besoin et pourrait se marier sans avoir à demander une dispense en Cour de Rome. Une dernière brochure datée de Genève, in- | |
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titulée Molinos, moins spirituelle que les textes précédents, engage le chanoine à faire pénitence. En réalité, Montlinot préféra démissionner en 1766, se fit libraire à Paris en société avec Henry, avec l'appui de PanckouckeGa naar eind(6). Sans aller aussi loin que Montlinot, plusieurs chanoines s'engagèrent dans la voie des lumières. Certains furent initiés à la Franc-Maçonnerie et surtout adhérèrent au Collège des Philalèthes. Guy de Valori devint chevalier du triangle. Ainsi, au chapitre de Saint-Pierre, on se montrait attentif aux idées nouvelles; les chanoines se prononcèrent pour ou contre dans une liberté totale de pensée: aucune sanction n'intervint, même si l'audace des convictions s'accompagnait d'une permissivité dans les moeurs. | |
Le monde du livre.Libraires et imprimeurs forment depuis 1744 un Corps et Communauté sous la tutelle de la Direction de la Librairie, de l'Intendant, du Parlement de Douai, sous le contrôle local du prévôt, du lieutenant de police. Une Chambre syndicale vient d'être fondée: le rôle des syndics est de surveiller étroitement la Communauté. Lille est soumise au Code de la Librairie et de l'Imprimerie en vigueur à Paris depuis 1723 et qui imposa un règlement strict pour le travail des protes et des pressiers. En 1757, à la suite de l'attentat de Damiens contre Louis XV, sont renouvelées les lois promulguées en 1563 contre les auteurs, les éditeurs, les colporteurs d'écrits dangereux. En 1764, lors de l'enquête du lieutenant de police Sartine, Lille possède 6 imprimeurs appartenant pour la plupart à une dynastie et liés entre eux par des mariages. Pierre Simon Lalau utilise 4 presses, ses productions sont variées puisqu'il imprime, par exemple, les Vers de M. de Voltaire au Roi de Prusse aussi bien que l'Athéisme dévoilé dans un nouveau discours de l'histoire naturelle par le R.P. Wartel, dirigé contre Montlinot. La dynastie des Henry est acquise aux idées nouvelles. Jean-Baptiste publie, en 1742: Lettre d'un comédien de Lille sur la tragédie de Mahomet de M. de Voltaire; son fils édite la Henriade en 1779 et en 1783, une apologie de Voltaire écrite | |
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par J.J. Decroix: l'Ami des Arts ou Justification de plusieurs grands hommes. Charles Joseph Panckoucke apparaît comme le libraire lillois le plus caractéristique de l'ère des lumières. Sa famille d'origine brugeoise comptait déjà un libraire actif: son père, André Joseph, auteur de nombreux livres donnant des gages à l'esprit nouveau, lança, en 1746, un périodique éphémère l'Abeille flamande. Il subit plusieurs perquisitions des syndics qui saisirent, en 1751, dans son magasin, des ouvrages suspects comme les Lettres philosophiques de Voltaire et des livres licencieux. Charles Joseph, reçu en Librairie en 1759, reprit la librairie paternelle, place Rihour, et tenta, à son tour, en 1761, de lancer un journal: Annonces, Affiches et Avis divers pour les Pays-Bas français. L'année suivante, il commit peut-être l'imprudence d'insérer des extraits de l'Emile et dut se rétracter. C'est alors qu'il alla s'installer à Paris où il poursuivit une brillante carrièreGa naar eind(7). Panckoucke, véritable animateur de la société éclairée lilloise, paraît en avance sur son temps. Il n'épouse aucun snobisme de son milieu, il n'investit ni dans la terre ni dans les rentes, mais uniquement dans ses affaires, il se contente d'un mariage modeste et conserve en toute circonstance un solide optimisme. Des graveurs illustrent les livres ou dessinent des images pieuses: Nicolas Garlette, Nicolas Le Rouge, Pierre Doutrelon, Louis Masquelier, Isidore Helman... La famille Merché a fourni trois graveurs sur cuivre dont la production caractérise l'art religieux lillois. Sur tout ce monde de l'écrit pèse une surveillance locale tracassière. Chaque trimestre les ateliers sont visités. En cette frontière de catholicité, les lumières relaient le jansénisme: les autorités locales, zélées, ouvrent les ballots de livres venant d'une autre ville, dépouillent les catalogues de bibliothèques, pénètrent dans les Collèges... En 1752, des presses sont saisies chez Pierre Brovellio, beaufrère de Panckoucke, en 1759, la veuve Panckoucke est inquiétée pour avoir vendu une oeuvre de Voltaire; un recueil de | |
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vers d'Alexis Mathon est jugé licencieux par le prévôt qui inflige une amende; en 1760, la brochure de Montlinot: Justification de plusieurs articles du Dictionnaire encyclopédique est saisie. En 1764, encore, des ouvrages sur la Franc-Maçonnerie sont mis au pilon. Dans tous les cas, Malesherbes se montre plus indulgent que les censeurs lillois. La création, en 1778, d'une Inspection générale pour la surveillance de la librairie révèle l'inefficacité des mesures en place. Les colporteurs continuent à diffuser La Pucelle de Voltaire aussi bien que le Contrat Social. Désormais, l'inspecteur Henri Wiart est autorisé à pénétrer dans les maisons particulières mais il se heurte à la résistance des bourgeois de Lille qui n'ouvrent que sur la requête de deux échevins. Le Magistrat proteste auprès du Garde des Sceaux qui doit modérer le zèle des censeurs lillois. | |
La presse périodique.L'étude de cette presse depuis le premier quart du XVIIIe siècle révèle le rôle grandissant du Journal dans la vie intellectuelle de province et la diffusion des idées nouvelles. En dehors des occasionnels, Lille publie annuellement à partir de 1722 une sorte d'annuaire Renouvellement et création de la Loy de la ville de Lille qui indique la composition du Magistrat, le calendrier des fêtes, les services municipaux, les tables de conversion des monnaies... Cette sorte de presse à périodicité annuelle se diversifie au siècle des Lumières. Certains almanachs sont généraux: Le Calendrier de la Flandre édité par Peterinck-Cramé de 1734 à 1789; d'autres concernent l'activité théâtrale: Spectacle de Lille, en 1779. En raison peut-être de la proximité de Paris et des foyers d'édition des Pays-Bas et des Provinces-Unies, la presse lilloise à périodicité fréquente apparaît tardivement. En 1742, la diffusion d'une sélection bi-hebdomadaire de nouvelles venues de toutes les Cours européennes est refusée, la Gazette de France ayant l'exclusivité des informations. En 1746 André Joseph Panckoucke lance l'Abeille flamande qui se propose de faire connaître, comme le faisaient les Mémoires de Trevoux, les ouvrages qui honorent la Nation en parti- | |
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culier dans le domaine scientifique et de retracer l'histoire des comtes de Flandre. L'Abeille flamande parut sur 24 pages réservant la plus grande place à l'Histoire et aux Sciences. Les notices sur les comtes de Flandre furent rassemblées, en 1762, en un Abrégé chronologique de l'histoire de Flandre, récit événementiel articulé sur les règnes. Les considérations sur l'utilité des mathématiques relèvent, en fait, de la philosophie avec une mise en garde contre le sensualisme. La série d'articles sur la physique des corps reflète l'esprit nouveau et proclame une confiance en l'expérience. La dissertation sur l'origine de l'écriture est une histoire des techniques. La chronique littéraire consiste avant tout en une apologie de Voltaire... Après 10 ‘nombres’, cet hebdomadaire disparut, mais Charles Joseph Panckoucke renouvelle l'expérience en 1760 avec Annonces, Affiches et Avis divers pour les Pays-Bas français. Son prospectus souligne l'originalité de l'initiative: sa feuille concerne ‘deux provinces considérables dont l'une est peutêtre la plus peuplée et la plus commerçante du royaume’. Grâce à des correspondants, il promet d'informer sur ‘tout ce qui porte l'empreinte de l'utilité publique’: faits singuliers de médecine, découvertes en agronomie, extraits d'oeuvres littéraires... On reconnaît le concept d'utilité publique cher aux philosophes. L'hebdomadaire parut en 1761 rédigé par Montlinot, par le médecin Pierre Dumoncheau, commentateur de Buffon, par l'avocat Alexandre Hardouin, secrétaire de l'Académie d'Arras, par Aimé Feutry ami de Benjamin Franklin. Au premier mois le journal compta 600 souscripteurs, mais l'engouement tomba. Après le départ de Panckoucke, l'imprimeur Henry prolongea la publication jusqu'en décembre 1763. Pendant trois ans, les Annonces publièrent de brèves nouvelles économiques accompagnées d'études substantielles sur le commerce de Lille illustrant les débats sur la politique économique du royaume. Ce mémoire de tendance protectionniste suscita quelques répliques d'inspiration physiocratique. Les Annonces accordent aussi une place importante aux débats pédagogiques et commentent avec bienveillance | |
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La 14ème ascension de François Blanchard, à Lille, le 26 août 1785. Gravure de Helman, d'après Louis Watteau.
Le tableau de Louis Watteau, actuellement au Musée Comtesse de Lille, a été popularisé par la gravure d'Helman: Il commémore le départ de l'aéronaute Blanchard et du journaliste Pâris de Lespinard. Après avoir été poussé vers les Ardennes, le ballon atterrit près de Sainte-Menehould. Le retour des aéronautes fut triomphal. les oeuvres de Voltaire et de Rousseau. En 1762 Panckoucke célèbre avec ostentation la publication de l'Emile, insère trois pages du texte mais doit finalement se rétracterGa naar eind(8). La presse lilloise semble, après cet échec, pratiquement inexistante jusqu'en 1781 date à laquelle sortait, des presses de Lemmens, le ler numéro des Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de la province de Flandre rédigé par l'énigmatique chevalier Joseph Pâris de Lespinard installé à Lille depuis 1776. Chaque numéro compte, au moins, 4 pages. Quand le titre Feuilles de Flandres fut adopté (août 1783), le format fut agrandi.
Dans son prospectus, Lespinard évoque à son tour le père de Montaigne et son projet de bureau d'annonces; il se propose de dépasser cette conception et d'insérer tout ce qui est utile et avantageux aux habitants. Lespinard sut habile- | |
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ment attirer l'attention des Lillois par la présentation des faits en insérant des anagrammes ou charades et des nouvelles à sensation. Dès 1782 Lespinard convertit sa demeure, paroisse Saint-André, en un salon de lecture: on pouvait y consulter le Journal Encyclopédique, le Mercure de France, l'Année littéraire... Lespinard organise lui-même son routage en 1784 avec des préposés constituant une Petite Poste privée qui dessert toute la ville, les faubourgs et la banlieue.
Il bénéficia des ‘honneurs de la brûlure’ sur les marches du Palais à Douai, ce qui représentait une efficace publicité. En 1784, il livra quelques réflexions sur un parricide qui reflétaient la doctrine matérialiste de La Mettrie ou d'Helvétius.
Le chevalier de Lespinard qui rédigeait lui-même une grande partie de son journal s'entoura de collaborateurs: le médecin André Taranget, professeur à l'Université de Douai, Louis Beffroy de Reigny, dit ‘le cousin Jacques’... Les Feuilles de Flandres réservent une large place aux nouvelles régionales: offres d'emplois, cours de la Bourse de Lille, décisions du Magistrat, palmarès des Collèges, Compte rendu de visite, de fête... Elles racontent l'exploit aérostatique de Blanchard sur l'esplanade... Après ces informations, le journal présente l'actualité intellectuelle. Les questions scientifiques sont abordées avec rigueur: efficacité du paratonnerre, développement de l'embryon, mécanisme de la sensibilité... A côté de ces articles d'inspiration savante, de nombreuses notes exposent des techniques nouvelles et des problèmes économiques. La rubrique littéraire est particulièrement soignée: les livres nouveaux sont annoncés comme l'Encyclopédie méthodique de Panckoucke...; les communications de l'Académie d'Arras sont accueillies; des pièces préromantiques affirment la valeur du sentiment... La chronique théâtrale est copieuse. Lespinard s'intéresse aux activités maçonniques, il se montre préoccupé par les débats pédagogiques qui se prolongent depuis l'expulsion des Jésuites et insiste sur l'importance de l'éducation religieuse. Il est attentif aux moyens de combattre la mendicité. Les Feuilles de Flandres reflètent l'imprégnation catholique de toutes les mentalités à la génération encyclo- | |
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pédiste. Aussi luttent-elles contre les superstitions, contre l'impiété. Lespinard conseille de méditer les ouvrages de l'abbé François Xavier de Feller, de Nicolas Bergier...
Ce journal représente ainsi une création durable caractéristique de l'esprit régnant dans cette région lilloise au temps de Louis XVI. | |
Voltaire et Voltairiens.Le climat culturel de Lille était, à cette époque, assez favorable pour inciter Voltaire à séjourner dans la ville. Il y était appelé par la présence de sa nièce Mme Denis dont le mari, commissaire des guerres, résidait à Lille. Voltaire décida d'y créer Mahomet avec le concours de La Noue et sous la surveillance de Mme du Châtelet. La représentation eut lieu en avril 1741 devant une assistance flatteuse: Helvétius, le gouverneur Bouffers, l'intendant de la Grandville... Ce fut un succès, il fallut donner de nouvelles représentations; les ecclésiastiques eurent leur soirée en l'hôtel de l'intendant, ils souhaitaient voir cette oeuvre qui abordait les questions de tolérance et du tyrannicide. Plusieurs pièces lilloises attestent le triomphe de Mahomet. C'est peut-être La Noue lui-même qui rédigea La Lettre d'un comédien de Lille sur la tragédie de M. de Voltaire. Dumersan composa un vaudeville L'Habit de Voltaire ou Voltaire à Lille. Alors que la tragédie était interdite à Paris, elle fut montée 8 fois entre 1780 et 1789 à Lille. D'autres oeuvres de Voltaire figurent dans les programmes lillois: Mérope, Zaïre, Tancrède, Jeannot et Colin... Voltaire ne suscita guère d'imitateurs à Lille. Alexis Mathon composa quelques pièces médiocres, Jean-Jacques Decroix écrivit en collaboration avec un ami une tragédie Almanzor en 1771 et il publia, avec La Harpe un Commentaire sur le théâtre de Voltaire.
Le théâtre ne fut pas le seul relais de la pensée voltairienne à Lille, le monde du livre lui fut accueillant. Un de ses fidèles était le libraire Florent Joseph Jacquez installé sur la Petite Place; Voltaire s'entretenait avec ses admirateurs dans sa boutique ‘A l'anneau d'or’. | |
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Charles Joseph Panckoucke entra en relation avec Catherine Il pour éditer les oeuvres complètes de Voltaire. L'entreprise rachetée par Beaumarchais allait devenir, en 1780, l'édition de Kehl, assurée avec la collaboration de Decroix. Panckoucke correspondait avec Voltaire, lui rendait visite à Ferney, proposa de lui confier des articles pour l'Encyclopédie méthodique.
Les relais de la pensée voltairienne sont aussi et surtout les écrivains mineurs qui reprennent et orchestrent les thèmes fondamentaux de ses livres. La présence de ces minores atteste le prestige du maître, son ascendant sur les autres publicistes, son succès auprès des lecteurs. Cette multiplication de fidèles dévoués, de disciples, de compilateurs même accrut le rayonnement des principes de Voltaire; il pouvait compter sur le chanoine Guy de Valori, sur Pierre de la Moot, chapelain de Saint-Pierre, sur Montlinot, sur Mathon qui imita la Henriade, sur Decroix, trésorier de la généralité de Lille.
Jacques-Joseph Decroix, avocat au Parlement, trésorier de France, lié à la famille Panckoucke, publie en 1776 l'Ami des Arts ou justification de plusieurs grands hommes qui comprend une apologie de Voltaire et une réplique aux attaques de Jean-Marie Clément. Cet admirateur inconditionnel du patriarche de Ferney mit en ordre les manuscrits de Voltaire et essaya de 1779 à 1782 de réconcilier Panckoucke et Beaumarchais dans la perspective de l'édition de KehlGa naar eind(9).
L'acquisition des oeuvres de Voltaire se révèle par les catalogues de bibliothèques privées et publiques. Les périodiques lillois les présentent et en débattent.
A Lille, comme dans les autres villes, les idées de Voltaire suscitèrent des réactions qui, paradoxalement, contribuèrent à affirmer la présence du voltairianisme. Parmi les adversaires résolus, l'abbé Robert Duhamel combat le concept de religion naturelle dans ses 28 Lettres flamandes en 1752. Sous une forme dialoguée, il s'en prend à tous les philosophes, Pope, Montesquieu, Buffon, Voltaire... Dans chaque lettre, c'est Voltaire qui est visé et le plus souvent explicitement nommé. | |
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Cours publics et académies.Alors que l'enseignement classique était dispensé dans les Collèges, une nouveauté fut d'assurer l'enseignement scientifique de haut niveau par des Ecoles spécialisées. En 1753, s'était ouverte une école publique et gratuite de dessin que le Magistrat considérait comme ‘très utile aux manufactures et aux arts’; le professeur distribuait son enseignement à chaque écolier selon sa force et sa profession. En 1784, un concours fut instauré et doté d'une médaille d'or et d'une pension de 400 livres, permettant au lauréat de poursuivre des études à Paris pendant trois ans. Le professeur était alors Louis Watteau, neveu du grand Antoine Watteau. En 1758 l'architecte Thomas François Gombert fonda une école gratuite d'architecture; en 1775 une Académie de peinture et de sculpture, affranchie de tous les obstacles gênant la corporation des peintres, accueillit largement même des étrangers. Le Salon des Arts, ouvert chaque année au public depuis 1773, fit connaître les oeuvres des artistes. Dans le domaine scientifique, un médecin douaisien, Jean-Baptiste Lestiboudois professe depuis 1770 un Cours public et gratuit de botanique trois fois par semaine. Des démonstrations ont lieu au Jardin botanique créé en 1749 par le botaniste Pierre Cointel. Un maître apothicaire Louis Decroix ouvre un cours de chimie. Plus pratique apparaît le cours d'accouchement gratuit organisé par le chirurgien Warocquier. Le règlement prévoit des exercices pratiques conduits avec modestie et décence par le démonstrateur. | |
Sociétés de pensée.Un groupe de Lillois conquis à l'esprit nouveau fonda en 1758 une association, ‘Le Brunin’, que Panckoucke appelle une Académie. Ils souhaitent s'instruire réciproquement et ‘recueillir des matières sur l'histoire du pays et s'appliquer à tout ce qui peut faire fleurir le commerce et l'agriculture dans la province’. Le seul travail élaboré fut une monographie sur la Flandre maritime par Gamonet. Bientôt, moqués par les Lillois et dénigrés par les Lilloises vexées par leurs épigrammes, les membres du Brunin durent cesser leurs activitésGa naar eind(10). | |
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Le mouvement maçonnique, commence à Lille en 1744 par la fondation de la Loge de Saint-Jean, participe aussi à l'expansion des Lumières et connaît une vraie floraison. Il progressa avec la fondation de l'Union Indissoluble (active jusqu'en 1784) et de la Triomphante en 1764. En 1766, la loge des Amis réunis attire plusieurs négociants, commerçants, officiers, et de nombreux ecclésiastiques. Vers 1780 on y remarque des membres de la famille Panckoucke. L'Heureuse Union naît en 1775 de la fusion de l'Ancienne Saint-Jean et de la Vertu triomphante. La Fidélité fut éphémère et fournit quelques membres à la Modeste installée en 1789 par les Amis Réunis.
Le nombre de ces ateliers est moyen pour une ville de l'importance de Lille. Ils recrutent dans tous les milieux et accueillent même des femmes de la bonne société.
Plus typique est un cénacle cultivé né d'un groupement de loges maçonniques à l'Orient de Lille en 1785; le Collège des Philalèthes. Il se proposait de préciser et de discuter les grands problèmes, abordés par les Encyclopédistes, comme la nécessité du travail, la valeur de la recherche de la vérité. Les discussions sur l'éthique, sur la bonté originelle de l'homme, sur les bienfaits de l'éducation montrent que les Philalèthes ne se laissaient entraîner ni par le mysticisme ni par les audaces du sensualisme et du matérialisme. Cette société comprit 40 titulaires et choisit pour emblème une ruche: Utile dulci et pour devise Magis amica veritas. En 1788, le Collège des Philalèthes sollicita ses lettres patentes d'Académie; requête trop tardive pour être examinée avant les troubles révolutionnaires.
L'ensemble des travaux des Philalèthes témoigne d'un esprit tourné vers les domaines de l'économie, des techniques, de l'urbanisme. Les dissertations reflètent une douce philanthropie, un patriotisme éclairé, un souci de rendre la province prospère. Ce Collège contribua à la diffusion des grands thèmes de pensée reçus par la bourgeoisie et par l'armée dans la région lilloise sous Louis XVI (II).Ga naar eind(11)
Dans une ville à l'architecture rénovée au grand siècle, tous les voyageurs expriment l'agrément de vivre à Lille. L'abbé | |
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Expilly chante les mêmes louanges que Piganiol de la Force, vante non seulement la largeur des rues et des boulevards mais admire ‘la rue Royale’ remarquable par sa régularité et la beauté de ses maisons’Ga naar eind(12). Tous prennent conscience de la vie intellectuelle et du foisonnement des idées dans la plus grande cité des Pays-Bas français, le ‘Paris des Pays-Bas’ comme dit l'énigmatique sieur Nomis. | |
Samenvatting:‘Rijsel is het Parijs van de Nederlanden’ schreef een belangrijk bezoeker in 1714; niemand heeft hem ooit tegengesproken. De Verlichting propageerde in die tijd de ideeën van vooruitgang, verdraagzaamheid, vertrouwen in de natuur, rede, ervaring, optimisme.
De klerus. De kerk en de filosofie tot tegengestelden verklaren getuigt van onwerkelijk simplisme. In Rijsel waren er verscheidene priesters in het bezit van rijke verzamelingen progressieve boeken. R. en P. Valori, kanunniken van Sint-Pieter, stichten een openbare biblioteek, P. Lamoot schrijft een Histoire de Flandre, Montlinot is een vurig aanhanger van de ideeën van Voltaire: in de polemiek rond de Histoire de la ville de Lille en de Dictionnaire d'histoire naturelle stelt hij zich op tegenover Père Sylvain, kanunnik Wartel en Rijselse geleerden (1762, 1765-1766). In 1766 moet Montlinot ontslag nemen, hij trekt naar Parijs en wordt er boekhandelaar.
Het boek. Sedert 1744 vormen de boekhandelaars en drukkers een gilde onder de bescherming van o.m. de Directeur de la Librairie en onder de kontrole van o.m. de plaatselijke provoost. Een syndikale kamer oefent een ziekelijke kontrole op hen uit: met dezelfde ijver waarmee ze vroeger de jansenisten hebben opgespoord, zoeken ze nu naar de ‘verlichten’. | |
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In 1764 zijn er in Rijsel zes drukkers. De uitgevers Henry tonen sympatie voor de Verlichting. Ze publiceren de Henriade en een Apologie van Voltaire. In 1746 had André Joseph Panckoucke het tijdschrift L'Abeille flamande gelanceerd; het werd in 1751 in beslag genomen. Zijn zoon Charles Joseph zette zijn werk voort met Annonces, Affiches et Avis divers pour les Pays-Bas français (1761). Hij vroeg de medewerking van Montlinot, publiceerde uittreksels uit Emile, maar moest terugkrabbelen; hij trok naar Parijs en bouwde er een schitterende karrière op. De graveerders Carlette, Masquelier, Merché... verluchten naast boeken ook bidprentjes. In 1778 wordt een Inspection générale georganiseerd, wat bewijst dat men er nog niet in was geslaagd de nieuwe ideeën te muilkorven.
De periodieke pers. Voor het intellektuele leven wordt de krant met de dag belangrijker. Dat de tijdschriften in Rijsel laat opduiken is te verklaren door de nabijheid van Parijs en van de Nederlanden. Er ontstaat een grotere verscheidenheid in de jaarlijkse publikaties: Calendrier de la Flandre (1734-1789), Spectacles de Lille (1779). In 1742 loopt de Gazette de France (een tweewekelijks blad dat eksklusieve informatie verschaft over de Europese Hoven) een verschijningsverbod op. Panckoucke geeft l'Abeille flamande uit, en in 1762 verschijnt een Abrégé chronologique de l'Histoire de Flandre. De Annonces, Affiches et Avis divers pour les Pays-Bas français van Panckoucke wekken geestdrift; in 1763 wordt het blad door Henry overgenomen en het blijft verschijnen tot in 1763, het bericht over ekonomie, literatuur en kritiek.
Het belangrijkste en duurzaamste nieuwsblad was Annonces, affiches, nouvelles et avis divers van ridder Paris de Lespinard (1776); het werd Feuilles de Flandre in 1783. Lespinard opende een leeszaal waarin alle grote kranten te vinden waren. Hij organiseerde zelf het triëren van zijn blad; het bevatte regionaal nieuws en berichten uit de intellektuele en literaire wereld van de Verlichting.
Voltaire en zijn aanhangers. Voltaire heeft in Rijsel verbleven; schreef er Mahomet en liet het er opvoeren (april 1741). Het repertoire vermeldt acht reprises van het stuk; ook Mérope, Zaïre, Tancrède, Jeannot et Colin werden opgevoerd. De filosoof bezoekt boekhandelaar Jacquez en ontmoet er vele bewonderaars. Ch.J. Panckoucke zoekt Voltaire op in Ferney en werkt mee aan de Encyclopédie méthodique en aan de uitgave van Voltaires OEuvres complètes (édition de Kehl). Veel tweederangs auteurs ondergaan de invloed van Voltaire: Valori, Lamoot, Montlinot, Mathon, Decroix... Er zitten heel wat werken van Voltaire in de biblioteken van Rijsel.
Onderwijs. De verscheidenheid van onderwijsvormen, de belangstelling voor de wetenschappen en het gratis onderricht leveren het bewijs dat de nieuwe ideeën veld winnen: gespecialiseerde scholen voor tekenen (Louis Watteau) en voor architektuur (Th.F. Gombert), een Akademie voor schilder- en beeldhouwwerk, lessen over botanika (Lestiboudois), over scheikunde (L. Decroix) en over de bevalling (Warocquier). Jaarlijks wordt een Salon des Arts georganiseerd (1773).
‘Sociétés de pensée.’ In 1758 ontstaat de vereniging ‘Le Brunin’ met als doel: onderling onderricht, verzamelen van geschiedkundige gegevens over de streek en bevordering van handel en landbouw. De vrijmetselarij bloeit (er ontstaan een tiental ‘ateliers’ die tussen 1744 en 1789 fusioneren): de leden komen uit verschillende milieus. Het ‘Collège des Philalèthes’ werd in 1785 gesticht; in 1788 hoopten de 40 leden nog dat hun vereniging als akademie zou worden erkend.
Dat het in Rijsel wemelde van de nieuwe ideeën is een niet te loochenen feit. |
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