| |
| |
| |
Maurice Schumann député du Nord et le M.R.P.
Pierre Pierrard
Professeur à l'Institut catholique de Paris Cachan (F)
La carrière politique de Maurice Schumann dans le département du Nord, durant les années qui suivirent la Libération, est indissociable de l'histoire du Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.), une formation originale, d'inspiration à la fois démocrate et chrétienne, née dans la clandestinité, à Lyon, en 1944. Le M.R.P. est, en effet, issu de la Résistance dans laquelle se sont engagés de nombreux catholiques français, conscients de la menace existentielle que le nazisme et le fascisme faisaient peser sur la civilisation chrétienne dont est pétrie l'Europe.
Gilbert Dru, fondateur des Jeunes Chrétiens Combattants, éprouve le premier la nécessité de prolonger la fraternité du combat commun en donnant à l'engagement dans la Résistance une portée politique. C'est lui qui prend l'initiative de regrouper, dans le Mouvement Républicain Populaire, les diverses tendances de la démocratie chrétienne apparues avant la guerre: la Jeune République de Marc Sangnier; le Parti Démocrate Populaire, fondé en 1924; les tenants du mensuel Esprit (1932), d'Emmanuel Mounier, théoricien du personnalisme chrétien; de l'hebdomadaire Temps Présent (1937), héritier de Sept (1934); du journal l'Aube, fondé en 1932 par l'éditeur sillonniste Francisque Gay et dont Georges Bidault, président du Comité National de la résistance après Jean Moulin (1943), avait été l'éditorialiste très coruscant.
| |
| |
Maurice Schumann (à gauche) à Verlinghem en juillet 1972.
Le jeune mouvement bénéficie, d'entrée de jeu, de circonstances favorables: il possède l'accord tacite du général de Gaulle et participe ainsi à son prestige: ‘vous avez été le père spirituel du M.R.P., j'en ai été le père nourricier’, dira un jour de Gaulle à Marc Sangnier; tous les réseaux de résistance lui apportent adhérents et soutien. S'il s'efforce de ne pas prendre une étiquette confessionnelle, le M.R.P. n'en reçoit pas moins le soutien massif du clergé français ainsi que des organisations sociales inspirées des principes de l'Eglise en matière d'action catholique, telles que l'A.C.J.F., la J.O.C., la C.F.T.C... Les républicains populaires définissent d'ailleurs leur engagement politique comme un humanisme démocratique: ‘le régime que nous voulons bâtir est un régime fondé sur le respect total et inconditionnel de la personne humaine’, déclarera Maurice Schumann lors du congrès national de décembre 1945. Le programme du M.R.P. s'inspire, d'autre part, de celui du Conseil National de la Résistance; son premier manifeste, oeuvre d'André Colin - ancien président national de l'A.C.J.F. - et de Maurice-René Simonnet, affirme qu'un gouvernement vraiment démocratique doit assurer à chaque homme les conditions économiques de la liberté politique, par la nationalisation du crédit et des sources d'énergie, par l'instauration de la sécurité sociale pour tous, par
| |
| |
la participation progressive des travailleurs à la vie de l'entreprise, par la valorisation du rôle des organisations professionnelles et de la famille.
Bref, la percée foudroyante du M.R.P. au lendemain de la Libération manifeste avec éclat le renouveau du catholicisme social en France; mieux, c'est la première fois dans l'histoire contemporaine que les catholiques français accèdent massivement aux responsabilités politiques.
Tout naturellement, c'est dans le nord de la France -vieille terre à la fois chrétienne et socialiste où l'industrie est prédominante - et, plus particulièrement, dans l'arrondissement de Lille, que le M.R.P. s'implante, tout de suite, avec le plus de décision, d'enthousiasme et de succès; d'autant plus que la fidélité à Charles de Gaulle, lillois de naissance, est ici plus forte qu'ailleurs. Jean Catrice dans le Nord, Jules Catoire dans le Pas-de-Calais catalysent les forces démocrates chrétiennes issues de la Résistance pour former, dès le début de 1945, les deux plus puissantes fédérations du mouvement républicain populaire.
Cependant, conscient de l'impréparation aux combats politiques de la jeune fédération du Nord au sein d'une région où les socialistes et les communistes sont nombreux et actifs, Jean Catrice fait appel pour la diriger à l'un des gaullistes les plus prestigieux et les plus populaires, Maurice Schumann. Toute l'Europe libre, durant les jours noirs de l'occupation, a réchauffé quotidiennement son espérance au verbe exceptionnellement éloquent, chaud, pressant, persuasif de cet homme qui fut, à Londres, auprès de Charles de Gaulle, qu'il avait été l'un des premiers à rejoindre, le ‘porte-parole de la France combattante’.
Mais, gaulliste de la première heure, Maurice Schumann est aussi un démocrate chrétien de toujours. Né à Paris, le 10 avril 1911, d'un père parisien et d'une mère belge - elle était la fille du docteur Michel, de Namur -, il est, de 1935 à 1939, journaliste à l'agence Havas; en même temps, il milite dans la Jeune République et collabore aux grands périodiques d'inspiration démocratique et chrétienne: l'Aube, la Vie intellectuelle, Temps présent, où ses articles sont marqués par une fermeté, une lucidité, une élégance qui font déjà de lui l'un des adversaires
| |
| |

A Anzin en mars 1984.
les plus décidés et les plus clairvoyants des dictatures antichrétiennes et, par-dessus tout, du nazisme.
En 1944, une semaine avant le débarquement, Maurice Schumann est incorporé, sur sa demande, dans un commando britannique, après avoir enregistré une série de messages pour les jours à venir. Une fois en France, il rejoint une unité de partisans, la compagnie Scamaroni, puis la 2e division blindée. Durant la campagne de libération de la France, il est l'objet de trois citations exceptionnellement élogieuses, sanctionnées par l'attribution de la Légion d'honneur à titre militaire et d'une croix de la Libération que le général de Gaulle tient à lui remettre lui-même sur le front des troupes: de Gaulle aux yeux de qui Maurice Schumann restera toujours ‘le compagnon par excellence’.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que, dès le 11 novembre 1944, Maurice Schumann soit élu président actif du M.R.P. dont son maître, Marc Sangnier, est président d'honneur. Ce qui l'incite, en 1945, à choisir le département du Nord comme champ d'action, ce n'est pas seulement l'argumentation pressante de Jean Catrice, qui est convaincu - l'avenir lui donnera raison - que la présence de Schumann au coeur
| |
| |
de cette région laborieuse et peuplée sera déterminante pour l'avenir du M.R.P., mais aussi le fait que Lille est la patrie du général de Gaulle, que lui-même a des attaches dans le Nord (l'une de ses tantes habite Marcq-en-Baroeul) et, surtout, que, d'instinct, celui qui fut le porte-parole de la France combattante, est attiré par ‘l'âme du Nord’, pétrie de courage, de dignité et de fidélité. Il sait aussi, comme il le déclarera luimême, que la très vivante Fédération du Nord du M.R.P. est comme ‘le reflet politique de l'action catholique’; en effet, sa grande satisfaction, écrira-t-il, est de voir, ‘dans cette région où la classe ouvrière est très largement majoritaire, où les conditions de vie semblent modelées sur un univers marxiste, l'action catholique, par son travail en profondeur, réussir à dégager une élite ouvrière qui ne va ni au parti socialiste ni au parti communiste, mais qui est exigeante.’
La montée du M.R.P. est très rapide. Le mouvement dont Maurice Schumann, membre de l'Assemblée consultative provisoire, est l'orateur le plus écouté, compte trois ministres, Georges Bidault, François de Menthon, Pierre-Henri Teitgen, dans le gouvernement formé en novembre 1944. Sur le plan, alors primordial, des institutions, il mène une campagne acharnée pour que la future Constitution soit dominée par une Assemblée constituante unique, élue au Suffrage universel direct et selon le système de la représentation proportionnelle intégrale. Les républicains populaires admettent les alliances avec les socialistes, mais cette tactique est entravée par les communistes qui, pour éviter cette collusion, brandissent la question de la laïcité. Le succès du M.R.P., le 29 octobre 1945, est néanmoins éclatant; alors qu'ils paraissent pour la première fois dans des élections législatives, les républicains populaires obtiennent les suffrages de plus de 4,5 millions d'electeurs, soit 150 sièges à la nouvelle Assemblée. Dans le Nord, la liste de Maurice Schumann rassemble 184.000 voix: c'est la plus forte proportion atteinte en France; dans la 2e circonscription (Lille), où Maurice Schumann est plébiscité, les républicains populaires atteignent le score inouï de 41,3 p. 100 des suffrages exprimés.
Maurice Schumann qui, à son titre du président du mouvement,
| |
| |

En février 1976 à l'ouverture de l'hôpital de Comines.
ajoute celui de président du groupe parlementaire M.R.P., peut alors déployer, à Paris comme dans le Nord, les exceptionnelles qualités - intelligence, appréhension et compréhension immédiates des situations politiques, acuité et décision dans l'action - qui ‘font de lui l'un des grands personnages politiques de l'après-guerre’ (Bruno Béthouart). Une mémoire étonnamment fidèle, une énorme capacité de travail, une culture sans limites, une éloquence valorisée par un sens inné du public et par une voix véritablement enchanteresse, un sens rare de l'amitié et de l'écoute composent un personnage très attachant qui, tout de suite, est à l'unisson de la simplicité et de la chaleur des gens du Nord. Marie-Louise Hespel évoquera volontiers les permanences que Maurice Schumann tenait chez l'habitant: le masque de l'homme politique tombant très vite pour révéler un visage et une âme d'une humanité sans fards et tellement attentive.
Il ne faut pas croire que, pour autant, l'itinéraire politique de Maurice Schumann soit bordé seulement de fleurs. Le M.R.P. a poussé trop vite, sans racines suffisamment profondes, pour ne pas présenter rapidement des signes de fragilité et des ambiguïtés. Se révèle que, pour beaucoup de ses électeurs, le M.R.P. est avant tout un barrage provisoirement dressé contre le com- | |
| |
munisme: ‘c'est avec des voix de droite que nous ferons une politique de gauche’, déclare Georges Bidault. D'où une forte distorsion qui va amener le parti, considéré à l'origine comme le reflet d'une gauche chrétienne enfin cohérente, à prendre des positions parfois ‘conservatrices’, en matière scolaire et coloniale notamment. Au sein de la Fédération du Nord, Maurice Schumann est affronté à des divergences graves touchant à la stratégie politique; des querelles de personnes éclatent ici et là. Pour le leader du M.R.P., l'aile gauche du mouvement, représentée particulièrement par Léon Robichez et Marie Van der Elst, défenseurs du travaillisme, manque de réalisme. En retour, cette aile gauche lui reproche d'abuser parfois de son verbe merveilleux pour occulter certains problèmes épineux. Et puis la ‘double fidélité’ du leader du M.R.P. - à la démocratie chrétienne et au général de Gaulle - ne va pas sans l'obliger parfois à composer, ce qui n'est pas du goût de tous les républicains populaires dans les rangs desquels, cependant, le départ du général de Gaulle, le 20 janvier 1946, non seulement jette la consternation mais instaure un débat cornélien: faut-il rester l'arbitre de la situation
politique ou suivre le général dans sa retraite, laissant ainsi les socialistes et les communistes, majoritaires à l'Assemblée, se partager les responsabilités? Finalement, le M.R.P. accepte de participer au nouveau gouvernement, persuadé que, ‘tant qu'il est là, il ne sera pas touché aux libertés fondamentales des Français’. Le tripartisme ainsi créé se maintiendra tant bien que mal jusqu'à l'exclusion des communistes du gouvernement en mai 1947.
Il n'empêche qu'en 1946, l'influence politique et morale du M.R.P. et le prestige de son chef restent considérables. Au lendemain du succès du ‘non’, lors du référendum du 5 mai 1946, un succès qui est, en fait, celui des républicains populaires, l'Aube peut proclamer: ‘Entraînés par Maurice Schumann, les militants du Nord rayonnent sans répit autour de Lille, du plus grand centre au plus petit village’. D'ailleurs, le pays, qui, depuis le départ du général, tient le M.R.P. pour le rempart de l'ordre, confirme, le 2 juin 1946, les résultats du référendum: avec 163 députés, le mouvement des républicains populaires devient même le premier parti de France. Malgré un
| |
| |

Maurice Schumann à Valenciennes en septembre 1978.
léger tassement (169.212 voix pour sa liste contre 186.557 en octobre 1945), Maurice Schumann est facilement réélu député du Nord dans la 2 e circonscription (Lille).
Mais voici que, à propos du second projet de constitution établi en accord avec les communistes, les républicains populaires entrent en conflit avec de Gaulle. Sans doute, le scrutin référendaire d'octobre 1946 donne tort à de Gaulle, mais le M.R.P. sort lui-même affaibli de la consultation, une partie de son électorat ayant suivi le général: en novembre, dans la 2e circonscription du Nord, Maurice Schumann retrouve son siège de député, mais le M.R.P. ne bénéficie plus que de 28,3% des suffrages exprimés contre 36,9% en juin et 41,3% l'année précédente.
La constitution, en avril 1947, par le général de Gaulle, du Rassemblement du Peuple Français (R.P.F.), crée de nouvelles difficultés au M.R.P. Pour Maurice Schumann, le déchirement est même très douloureux; il reste cependant fidèle au M.R.P. Il avouera: ‘Je dois dire que s'il y avait eu, en 1947, le général de Gaulle d'un côté et le M.R.P. de l'autre, ou bien j'aurais abandonné la politique ou bien j'aurais suivi le général. Mais il n'y avait pas le général d'un côté et le M.R.P. de l'autre; il y avait d'un côté le R.P.F. et le M.R.P. de l'autre. En 1947, cela
| |
| |
a été un déchirement atroce, mais je n'ai pas été tenté un seul instant par le R.P.F.’
Cependant, de Gaulle rallie massivement les ‘conservateurs perdus’ au détriment du M.R.P. qui, lors des élections municipales d'octobre 1947, n'obtient que 10% des suffrages, contre 25% en 1946. Dans le Nord, le recul est particulièrement sensible: à Lille, le M.R.P. ne rassemble que 7.308 voix (8,3% des suffrages exprimés contre 26,6% en avril 1945), alors que les communistes en rassemblent 15.252, la S.F.I.O. 21.645 et le R.P.F. 43.051...
Les républicains populaires entrent alors dans une crise grave qui se résout, en novembre 1947, par l'exclusion des minoritaires - Edmond Michelet, Louis Terrenoire, Jean-Paul Palewski... - qui, partisans d'une reprise du dialogue avec le général, vont constituer, à l'Assemblée, le groupe des républicains populaires indépendants. Maurice Schumann reste à la tête de la majorité qui assure la survie du M.R.P. lequel, par ailleurs, peut compter sur l'appui des cadres catholiques. Cependant, face à cette crise, les jugements divergent. Si le président Vincent Auriol considère que le M.R.P. ‘rend un fier service à la République’ en retenant ‘la masse des fidèles’ qui, ainsi, ne sont pas tentés, comme au 19e siècle, de rejoindre les adversaires du régime, Jean Catrice reconnaît que le M.R.P. aurait grandement besoin d'une ‘cure d'opposition’.
Quoi qu'il en soit, le M.R.P., plus réduit, est aussi plus homogène: les succès que remporte alors, dans les entreprises, la C.F.T.C., confortent les partisans de la Troisième Force - alliance S.F.I.O.-M.R.P. - sur des positions travaillistes. En effet, si l'alliance avec la S.F.I.O. est inégale et controversée parmi les républicains populaires qui considèrent que les socialistes ‘renvoient rarement l'ascenseur’ à leurs alliés, il n'en reste pas moins que le M.R.P., entre 1947 et 1951, accomplit sur le plan social et sur le plan européen une oeuvre considérable que l'éloquence et l'habileté manoeuvrière de Maurice Schumann contribuent à asseoir et à enraciner. Détenant les plus grandes responsabilités en matière de finances et d'économie nationale, le Mouvement appuie les socialistes dans la mise en
| |
| |

A Villeneuve d'Ascq en novembre 1983.
place d'une législation sociale neuve et efficace: en ce domaine, la marque propre du M.R.P. est l'introduction de la dimension familiale, chère depuis longtemps aux catholiques sociaux, et d'abord à Maurice Schumann. Celui-ci, tout comme son presque homonyme Robert Schuman, co-fondateur de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (1951), est aussi un Européen enthousiaste et convaincu.
Mais si la politique économique et surtout la politique coloniale, franchement nationaliste, du cabinet Bidault (1949-1950), provoquent l'irritation des socialistes, c'est la question de la liberté de l'enseignement, une liberté dont Maurice Schumann sera constamment le défenseur intraitable, qui descelle définitivement la Troisième Force, particulièrement dans le Nord où l'enseignement catholique, puissant et bien organisé, doit affronter un socialisme tout aussi puissant mais très décidément laïc. Une première fissure se produit en mai 1948 lors du vote du décret Poinsot-Chapuis qui accorde une aide à l'enseignement libre. Le vote de la loi Barangé, en septembre 1951, marque la rupture définitive: la Troisième Force éclate. Le M.R.P. va alors ‘glisser à droite’, pour reprendre une
| |
| |
expression reçue mais qui ne rend pas compte exactement d'une situation complexe et inconfortable.
Pour ne pas faire le jeu des communistes, le mouvement accepte, lors de la réforme électorale de 1951, d'abandonner le scrutin proportionnel, qu'il a défendu jusque-là, et admet le scrutin départemental de liste à un tour majoritaire. Les élections législatives de juin 1951 accentuent l'orientation nouvelle du M.R.P.: un quart de ses députés ne gardent leur siège qu'en formant une alliance contre les socialistes et en acceptant des apparentements avec la droite. Il n'en perd pas moins la moitié des voix recueillies en 1946 et ne compte plus que 85 députés. Maurice Schumann qui, depuis 1949, est président d'honneur du M.R.P., est réélu dans la 2e circonscription (Lille), mais le Mouvement n'y obtient que 84.422 voix (18,1% des suffrages exprimés) contre 94.197 au R.P.F. et 107.333 aux socialistes. Il est vrai que le destin national de Maurice Schumann s'élargit: représentant de la France à la 5e assemblée générale des Nations Unies (1950), président de la délégation française à la même assemblée en 1953, il est secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères dans les cabinets Pleven, Faure, Pinay, Mayer, Laniel (1951-1954).
En 1954, le M.R.P., qui a assumé la responsabilité de la politique française en Tunisie, au Maroc, en Indochine, refuse d'accorder sa confiance à Pierre Mendès-France. Dans la Fédération du Nord, l'affaire semble prendre peu de proportions, car, comme le fera remarquer Maurice Schumann, le radicalisme, et donc le mendésisme, n'a pas de passé véritable ni de racines profondes dans la région du Nord. Il n'empêche qu'on reprochera violemment aux chrétiens démocrates d'avoir tourné le dos à Mendès-France, le champion de la décolonisation.
Lors des élections de janvier 1956, qui ont lieu après la dissolution de la Chambre par Edgar Faure, le M.R.P. s'allie à la droite et aux radicaux de droite contre le Front républicain, constitué à gauche. Il n'en est pas récompensé puisque, avec 11% des suffrages, il est encore en retrait par rapport aux précédentes élections. Dans la 2e circonscription du Nord, où Maurice Schumann est de nouveau élu, le score en faveur du
| |
| |
Mouvement n'est plus que de 16,8%; et si le R.P.F,. s'effon dre, la S.F.I.O. compte deux fois plus d'électeurs que le M.R.P. En réalité, les républicains populaires, opposés aux gaullistes à propos des institutions et de la politique étrangère, et aux socialistes sur la question scolaire et parfois sur la politique d'outre-mer, n'ont tendu la main qu'avec réticence aux ‘conservateurs’. Situation paradoxale qui contribue largement au marasme du Mouvement: dans la Fédération du Nord, dont Maurice Schumann est toujours le leader, le nombre des adhérents passe de 3.665 en 1952 à 2.426 en 1957; le journal Nord-Eclair, qui était l'organe officieux du M.R.P. depuis la Libération, ‘prend ses distances et tend à devenir davantage un journal d'information’ (Bruno Béthouart); l'Eglise aussi semble être plus neutre; quant à la gauche de la C.F.T.C., elle se désolidarise bruyamment du M.R.P. qu'elle trouve trop à droite, tandis que certains adhérents sont attirés par la S.F.I.O.
Et cependant, le retour au pouvoir de Charles de Gaulle, en 1958, procure au M.R.P. un regain de vigueur. Les élections législatives de novembre, au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, se soldent, dans le Nord, par de bons scores, en particulier pour Maurice Schumann qui est élu dans la 10e circonscription (Armentières) avec 33,8% des suffrages exprimés; à l'Assemblée nationale, ce diplomate-né va occuper le fauteuil envié et enviable de président de la Commission des Affaires étrangères. Mais, déjà, le M.R.P. a cessé d'être un parti-charnière: ses représentants, s'ils soutiennent la politique algérienne du général de Gaulle, sont le plus souvent attentistes sur l'ensemble de sa politique. Selon la motion votée au congrès de 1960, ‘le M.R.P. se refuse à pratiquer aussi bien l'opposition systématique au système que la fidélité inconditionnelle à un homme et il maintient son attitude de présence et de liberté de jugement’.
Avec toutes les nuances qu'imposent sa personnalité et surtout sa fidélité profonde à de Gaulle, telle est aussi l'attitude de Maurice Schumann qui, le 16 avril 1962, avec 4 autres M.R.P. - Pierre Pflimlin, Paul Bacon, Robert Buron et Joseph Fontanet - entre dans le cabinet Pompidou, recevant le portefeuille de ministre chargé de l'aménagement du territoire. Mais, avec ses
| |
| |
collègues du Mouvement, il démissionne dès le 15 mai pour protester contre l'hostilité affichée du gouvernement à l'égard de l'intégration européenne.
Cependant, la désagrégation du M.R.P., un moment arrêtée, se poursuit. De ce point de vue, l'année 1962 est décisive: la majorité des membres du Mouvement ayant pris une position de refus au référendum du 28 octobre sur l'élection du président de la République, l'éclatant succès des ‘oui’ (61,7% des suffrages exprimés) a comme conséquence l'écrasement du ‘cartel des non’ aux élections législatives des 18 et 25 novembre. Dans le Nord, les candidats M.R.P. sont tous largement battus sauf Maurice Schumann (10e circonscription) qui, ayant fermement et clairement pris position en faveur du ‘oui’, améliore même son score: 24.970 voix, contre 19.530 en 1958. Celui qui fut le leader du M.R.P. et qui est maintenant inscrit au groupe du Centre démocratique, peut même se payer le luxe de se présenter, le 20 juin 1965, devant les électeurs du canton de Tourcoing-nord dont, dès le premier tour, il devient le conseiller général, avec 10.181 voix contre 6.022 au maire communiste de Roncq; Maurice Schumann remplaçait un défunt, Paul Delmotte, M.R.P., qui avait été conseiller général de ce canton durant 20 ans.
En septembre 1967, devenu ministre d'Etat chargé de la recherche scientifique, Maurice Schumann ne se représentera pas aux élections cantonales; il est vrai qu'à cette époque il a déjà rompu avec le M.R.P. ou avec ce qui en reste depuis la ‘mise en sommeil’ du Mouvement en 1966, au profit du Centre démocrate, créé le 2 février par Jean Lecanuet, qui fut le dernier président du M.R.P.
Au vrai, cette rupture date des élections présidentielles des 5 et 19 décembre 1965 quand le gaullisme existentiel de Maurice Schumann a définitivement balayé chez lui les considérations partisanes. En effet, tandis que la fédération M.R.P. du Nord, ‘après avoir entendu les explications que lui a spontanément fournies Maurice Schumann, député M.R.P. du Nord depuis 20 ans’, confirme son soutien au candidat ‘démocrate’ Jean Lecanuet, Maurice Schumann rend publique, le 1er décembre 1965, la déclaration suivante: ‘L'élection du 5 décembre four- | |
| |
nira aux Françaises et aux Français une occasion suprême de rendre un jugement d'ensemble sur la mission dont le général de Gaulle porte, depuis le 18 juin 1940, la gloire et le poids devant notre histoire nationale. Comme je l'ai dit dès le 22 septembre au président national du Mouvement républicain populaire et comme je le lui ai confirmé par écrit le 20 octobre, cette considération, à défaut de toute autre, suffirait, en raison de mon passé, à m'interdire toute hésitation et à m'enlever tout choix: je voterai pour de Gaulle. Trop profondément démocrate pour ne pas respecter les raisons invoquées par ceux qui ne partagent pas mon attitude, je suis sûr que mes mobiles personnels seront compris par la famille spirituelle à laquelle j'appartiendrai toujours.’
Mais, de son côté, le secrétariat général du M.R.P. se croit en droit de publier, dès le lendemain, un communiqué dans lequel il rappelle que M. Maurice Schumann, ‘lorsqu'il a fait connaître sa décision de soutenir officiellement la candidature du général de Gaulle a reconnu lui-même qu'il renonçait de ce fait à participer à la vie et aux décisions du Mouvement’.
Et cependant, une fois encore, c'est Maurice Schumann, ‘le compagnon par excellence’, qui aura raison: Charles de Gaulle sera réélu président de la république.
| |
Bibliographie.
- gay (francisque), Les Démocrates d'inspiration chrétienne à l'épreuve du pouvoir, Bloud et Gay, 1950, 126 pages.
- mayeur (jean-marie), Des partis catholiques à la Démocratie chrétienne, Nouvelles Editions Latines, 1965, 247 pages.
- rémond (rené), Forces religieuses et attitudes politiques dans la France contemporaine. Fondation nationale des Sciences politiques, cahier no 130, Armand Colin, 1965, 398 pages.
- Surtout: Béthouart (Bruno), le M.R.P. dans le Nord-Pas-de-Calais, 1944-1967, Les Editions des beffrois, Westhoek-Editions, collection ‘Documents’, 1984, 166 pages.
| |
Samenvatting:
De politieke carrière van Maurice Schumann in het département du Nord is onverbrekelijk verbonden met de geschiedenis van de Mouvement Républicain Populaire (MRP). De partij komt uit het verzet voort en is op de vooroorlogse christendemocratische traditie gegrondvest. Ze start onder een goed gesternte: ze krijgt de steun van de verzetslieden, van de clerus en de stilzwijgende goedkeuring van generaal De Gaulle.
| |
| |
Tot 1940 was Schumann journalist, tijdens de oorlog verbleef hij met De Gaulle in Londen en van 1940 tot 1943 was hij er de woordvoerder van de Fransen bij de BBC. Na de ontscheping van de geallieerden in Frankrijk werd hij lid van een verzetsgroep.
In 1944 wordt Schumann tot voorzitter van de MRP verkozen. De MRP komt als een grote partij uit de verkiezingen van 1945. In de Nord behaalt ze het relatief hoogste cijfer van Frankrijk; Schumann krijgt in het tweede kiesdistrict Rijsel meer dan eenenveertig procent van de stemmen. Maar de MRP'ers zijn het onderling niet eens over de te volgen sociaal-economische politiek en de partij wordt bedreigd door de stichting van het Rassemblement du peuple français in 1947. Bij de gemeenteraadsverkiezingen van 1947 krijgt ze zware klappen, ook in Rijsel.
De MRP neemt aan bijna alle regeringscoalities van de Vierde Republiek deel. Tussen 1947 en 1951 verricht de partij in samenwerking met de SFIO (de socialisten) belangrijk werk op het sociale vlak, in de gezinspolitiek en de Europese politiek, mede dank zij de welsprekendheid en de bekwaamheid van Maurice Schumann. Maar de opvattingen omtrent de koloniale politiek en de vrijheid van onderwijs drijven de MRP en de SFIO uiteen. Bij de parlementsverkiezingen van juni 1951 behoudt één van de vier MRP'ers zijn parlementszetel, alleen door samen te gaan met de rechtse partijen. Ondanks zwaar stemmenverlies voor de MRP behoudt Schumann zijn zetel.
Bovendien wordt Schumann vertegenwoordiger van Frankrijk in de vijfde algemene vergadering van de Verenigde Naties, leider van de Franse delegatie bij de VN in 1953 en van 1951 tot 1954 staatssecretaris bij het Ministerie van Buitenlandse zaken. In 1954 weigert de MRP het vertrouwen aan de antikolonialistische politiek van Mendès-France en in 1956 sluit ze akkoorden met de rechtse en radicaal-rechtse partijen tegen links. Ook nu behoudt Schumann zijn zetel en verliest de partij aanhangers.
In 1958 stemt de MRP voor de terugkeer van De Gaulle en tijdens de parlementsverkiezingen van november van dat jaar verhoogt ze weer haar stemmenaantal. Schumann behaalt niet minder dan 33,8 procent van de stemmen in het kiesdistrict Armentières. In 1962 is Schumann Minister van Ruimtelijke Ordening, maar hij dient na enkele maanden zijn ontslag in omdat hij het niet eens is met de politiek van de regering ten aanzien van de Europese integratie.
1962 is een beslissend jaar voor de MRP, de ontbinding is niet meer tegen te houden. De meeste MRP'ers zeggen ‘neen’ in het referendum van 28 oktober over de verkiezing van de president van de republiek. Een gevolg daarvan is dat de MRP in de parlementsverkiezingen van november van dat jaar over de hele lijn verslagen wordt, met uitzondering echter van Schumann die in het referendum ‘ja’ heeft gestemd. Voortaan is hij lid van het Centre démocratique van Lecanuet.
(Samenvatting door Omer Vandeputte)
|
|