De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français. Jaargang 2003
(2003)– [tijdschrift] Franse Nederlanden, De / Les Pays-Bas Français–
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Wallerant Vaillant (1623-1677), premier spécialiste de la gravure en
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manières noires de VaillantGa naar eind3, peu de spécialistes se sont réellement penchés sur lui. Des bribes d'informations émaillent l'ouvrage d'Arnold Houbraken - le De groote Schouburg der Nederlantsche kontschilders en schilderessenGa naar eind4 - dans lequel l'auteur retrace brièvement sa carrière artistique. L'appendice de John Evelyn, annexé à son célèbre ouvrage intitulé Sculptura (1662)Ga naar eind5 est, certes, fondamental - l'historien anglais souligne en quelques pages la valeur de la gravure en manière noire qu'il venait d'apprendre du prince Rupert, mais il ne s'étend pas sur le nom de Vaillant. Les études de Jean-Baptiste DescampsGa naar eind6, au XVIIIe siècle, ne sont guère plus convaincantes. Les informations rassemblées restent lacunaires et ne livrent que quelques renseignements épars sur l'artiste. L'inventaire des gravures, établi par Wessely en 1865Ga naar eind7, l'opuscule de Ver Loren van ThemaatGa naar eind8 qui a suivi et qui vient compléter ce dernier, L'histoire de la gravure en manière noire de Léon de Laborde (1839)Ga naar eind9, les articles de Maurice VandalleGa naar eind10 au commencement de ce siècle, permettent de mieux saisir ses contours la profession du graveur. Les études contemporaines, qu'ont réservé à la manière noire Anthony Griffiths (1981, 1996)Ga naar eind11, Carol Wax (1990)Ga naar eind12, Lo Monaco (1992)Ga naar eind13 et Gerdien Wuestman (1995)Ga naar eind14, rendent hommage à Wallerant Vaillant en termes élogieux, mais elles ne réhabilitent qu'en quelques lignes seulement son crédit. Faits et documents manquaient pour parler avec exactitude de lui. En l'absence d'une biographie jamais écrite sur lui, il faudrait que le rétrospective qui le fête aujourd'hui, le catalogue qui l'acoompagneGa naar eind15 signifaissent quelque chose, comme une étape nouvelle dans la connaissance de notre artiste. Les liens familiaux occupent chez lui un rang privilégié dans son échelle de valeurs. Dès son plus jeune âge, Wallerant Vaillant s'est senti une âme de père de famille, l'aîné d'une dynastie de peintres-graveurs. Même après son départ précipité vers les Provinces-Unies en 1642, là où les Vaillant se rallièrent à la cause protestante, l'artiste conserve un ascendant sur la tribu familiale, investi envers tous de devoirs, et pourvoit aux nécessités de chacun d'eux. Ce contact permanent avec le giron familial alla jusqu'aux visites rendues à Amsterdam à son cousin Antoine Waterloo (1609-1690) - fils de Magdalena Vaillant et de | |
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Caspard Waterloo d'Esquermes, à Lille. Celui-ci avait également émigré aux Pays-Bas, partageant son temps entre Amsterdam, Leeuwarden et Utrecht, se faisant une popularité dans la gravure.Ga naar eind16 La réception dans son atelier de ses quatre frères: JacquesGa naar eind17 et Jean VaillantGa naar eind18 - l'un, peintre d'histoire et de portraits, l'autre aquafortiste - et de ses demi-frères, BernardGa naar eind19 et André VaillantGa naar eind20, révèle l'attachement que Wallerant Vaillant portait aux siens. Placés sous sa direction, les quatre jeunes artistes apprirent dans l'atelier de l'aîné les premiers rudiments de leur métier. En ce temps de dynastie de graveurs, la traditon familiale l'emporte et Wallerant Vaillant fait figure de chef de clan. L'accent doit être mis en premier sur la place que tient son expérience gravée dans l'histoire de l'estampe. L'importance de ses manières noires est sur ce point indiscutable. Des collectionneurs avisés au XVIIe siècle - le Français Michel Bégon, dont les pièces ont gagné au XIXe siècle, le cabinet des estampes de la Bibliothèque nationaleGa naar eind21, l'Anglais Hugh Howard qui possédait vingt-quatre gravures de VaillantGa naar eind22, et Sir John Brownlow qui en avait rassemblées plus de centGa naar eind23 - avaient déjà fait cas de la technique. C'est à Amsterdam que l'artiste sentit éclore sa vocation. C'est là que se fixa sa destinée. Il y créa un secteur neuf, mena de front les activités de graveur et l'éditeur, et développa avec l'aide de son frère Bernard un marché de manières noires qui commençait à peine à fleurir, ailleurs, en Europe. Pendant dix années - de 1665, date de son retour dans la capitale hollandaise où il allait vivre le reste de ses jours, à 1677, année de sa mort - Wallerant Vaillant innove et devance les autres graveurs en ce domaine en s'intéressant à une pratique marginale de la gravure: la manière noire. Sous-estimée, en un temps où le burin et l'eau-forte suscitaient à Paris tous les honneurs, celle-ci était à Amsterdam garante de succès. L'artiste entendit mener la technique à son terme, à un degré de perfection qu'aucun précurseur n'avait trouvé avant lui. Ses biographes habituels - Joseph StruttGa naar eind24, Arnold HoubrakenGa naar eind25, Joachim von SandrartGa naar eind26, Abraham BrediusGa naar eind27... - n'ont pas suffisamment souligné le niveau original, exceptionnel des estampes de Vaillant qui s'inscrivaient mal dans les catégories où on les attendait. En France, les graveurs parisiens - Robert Nanteuil, Gerard Edelinck, Pierre Van Schuppen, François et Nicolas | |
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Poilly, Antoine Masson, Louis Cossin ou Pierre Drevet... - adoptèrent le burin rangé de l'école française, travaillaient d'après nature, d'après leurs propres dessins ou d'après Charles Le Brun, Pierre et Nicolas Mignard, Hyacinthe Rigaud et Nicolas de Largillierre. Avec eux, la gravure devint un art à part entière. Spécialistes du portrait officiel, ils écartèrent de leur domaine la manière noire qui perdit de toute évidence son crédit à côté des gravures à la mode. Procédé à effets de teintes, traduisant de chauds et doux camaïeux noirs et vibrants, la gravure en manière noire se démarque des autres techniques en taille-douce du XVIIe![]()
Fig. 1: Wallerant Vaillant, ‘Prince Rupert en armure’ (détail), 1658, manière noire.
siècle par le fait qu'elle travaille le dessin à rebours. Le sujet sort de l'ombre, c'est-à-dire du fond noir à l'inverse du burin, de la pointe sèche ou de l'eau-forte où le motif s'inscrit sur le fond blanc du papier. Sur une plaque de cuivre, le graveur exerce une opération mécanique, le berçage, à l'aide d'un outil au tranchant strié de petites dents très fines, appelé le berceau. Cette lame d'acier très dure et légèrement convexe va grener le métal en parcourant la planche par un mouvement de va-et-vient, soit en rayonnant à partir du centre, soit par croisement et contre-croisement. Il en résulte un tracè de lignes pointillées très rap- | |
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prochées, révélant creux (ou barbes) et grains de qui dépendra à l'impression la continuité chromatique et la densité du noir velouté. Ainsi creusée de trous serrés, la planche donnerait après encrage une texture noire uniforme, si l'artiste n'enlevait l'image par des clairs et des gris, à l'aide d'un brunissoir et d'un grattoir - instruments qui remplacent le crayon, en écrasant d'une façon complète ou partielle le grain, afin d'empêcher le noir d'y adhérer. Une fois achevée, la manière noire présente toute une gamme de tons intermédiaires (parties travaillées au brunissoir), des blancs (parties écrasées au grattoir qui, au tirage, ne retiendront pas l'encre), et des noirs profonds (parties non travaillées). On obtient grâce à cette technique des gravures sans contours nets. ‘La manière noire, si elle pouvait être traitée avec autant de justesse que la gravure au burin, est celle qui approcherait le plus de la nature, parce qu'on ne remarque ni traits, ni lignes’ déclare William Hogarth, en 1753.Ga naar eind28 La technique permet d'obtenir de grandes délicatesses dans les dégradés, des blancs et une gamme infinie de demi-teintes, d'où le nom de mezzotint, de l'italien ‘mezzotinto’ en usage en Angleterre pour la désigner. Discréditée par rapport aux autres gravures sur cuivre qui partent d'un dessin au trait, la manière noire n'est pas prompte au fini des détails, à la représentation des accessoires demandant une netteté que le racloir ne peut opérer. Son défaut est donc de manquer de fermeté, de n'être pas susceptible de recevoir ces touches savantes et hardies qui distinguent la gravure à l'eau-forte et au burin, au graphisme plus vigoureux ou plus spontané. De toutes les gravures en taille-douce, elle est celle qui ‘[présente] le plus de ressemblance avec un tableau’.Ga naar eind29 Ses fondus, ses nuances mettent à l'effet, et rappellent de toute évidence chez Vaillant ses rendus au pastel, la touche moelleuse de son pinceau ou l'estompage de ses dessins à la pierre noire.Ga naar eind30 Assez curieusement, c'est à un militaire et non à un graveur professionnel que l'on doit l'invention du procédé, et à un autre militaire sa propagation en Europe. Ludwig van Siegen (1609-1680), un lieutenant-colonel attaché au service du landgrave de Hesse-Cassel, employa les années 1641 et 1642 à graver la première manière noire: le célèbre Portrait en buste d'Amelia-Elisabeth de HesseGa naar eind31 (pre- | |
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mier état, 1642; second état, 1643). Dans le premier état, le graveur passe principalement du clair au sombre par addition d'ombre sur un arrière-plan peu ou pas du tout travaillé. Seule la figure de la landgravine a été gravée, le reste de l'image n'a pas été touché et le fond blanc n'a subi encore aucune atteinte. Siegen fit ensuite preuve d'une audace brillante et d'une grande ingéniosité en transformant le procédé en négatif, travaillant la manière noire non plus des blancs vers les sombres, comme il le pratiquait au début, mais noircissant ses fonds, se servant des racloirs comme d'un crayon blanc. De l'officier hessois, nous ne connaissons qu'un certain nombre de gravures. Lui reviennent les représentations d'Ignace de LoyolaGa naar eind32, de Saint Jérôme méditantGa naar eind33, de Saint Bruno dans une grotteGa naar eind34, une Sainte famille auprès de saint Jean-BaptisteGa naar eind35 - datée de l'année 1657, signée Sÿgen, gravée d'après une peinture d'Annibal Carrache -, et trois grands portraits d'après Honthorst: Élisabeth de Bohême (?) (1643)Ga naar eind36, William VI d'Orange et sa femme Henriette Maria (1644), et L'empereur Ferdinand III (1654).Ga naar eind37 Le prince Rupert (1619-1682), troisième fils de Frederik V de Bohême, chef royaliste engagé dans les servitudes de la vie militaire et défenseur de la cause anglaise, s'essaya comme Siegen à la nouvelle façon de graver. Ingénieux et curieux, ce dernier fut tout à la fois: prince, chimiste, viceamiral d'Angleterre, pirate, artiste et grand militaire. La manipulation ‘des alambics, des creusets, des fourneaux, et tout le noir attirail de sa soufflerie’Ga naar eind38 lui valut une réputation d'inventeur dans la fabrication de la poudre à canon, de procédés de guerre à l'usage des marins, de diverses machines pour élever l'eau, lever un plan en perspective, d'une curieuse technique picturale à appliquer sur le marbre, et dans la fonte des métaux.Ga naar eind39 La découverte de la manière noire, qu'il venait d'apprendre de Siegen en 1654Ga naar eind40, lui donna l'occasion de goûter une autre distraction. Comme l'officier allemand, Rupert commença travailler du clair vers l'obscur, et représenta de cette manière Marie-MadeleineGa naar eind41 s'anéantissant dans la contemplation. Retourné dans le Palatinat pour régler les questions de son apanage, il rencontra en 1655-1656 Wallerant Vaillant, établi à Franckendael chez son frère Jean, occupé en ce temps à graver à l'eau-forte quelques-uns des représen- | |
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tants de la Maison palatine: le frère aîné du prince Rupert, Charles-LouisGa naar eind42, électeur du Bas-Palatinat; ses deux soeurs, les princesses palatines SophieGa naar eind43 et Élisabeth de Bohême.Ga naar eind44 Attaché au service du comte palatin du Rhin qui l'avait choisi comme assistant, et qui lui communiqua le secret de la manière noire, Wallerant Vaillant aida le prince Rupert dans la pratique et le perfectionnement de cette gravure. Il s'y attela avec l'intention nouvelle de graver non plus des lumières vers les ombres, comme avaient commencé Siegen et Rupert, mais en faisant sortir progressivement du fond noir les figures et les motifs qui, tantôt éclatent comme des coups de projecteurs, tantôt, assourdis, semblent surgir d'un bain d'ombre à l'aide du brunissoir et du grattoir. ‘Dans la gravure noire, la nuit est profonde, le travail fait [désormais] poindre le jour dans cette nuit’.Ga naar eind45 La Décollation de saint Jean-BaptisteGa naar eind46, gravée par Rupert et son collaborateur, d'après une peinture de l'atelier de Joseph de Ribera (Munich, Bayr. Staatgemäldeslg, inv. no 969), témoigne de ce changement d'orientation dans la façon de travailler la gravure. Avant que le berceau ne soit inventé, les artistes utilisaient des instruments rudimentaires pour obtenir la grenure de la planche métallique. Des roulettes piquetaient grossièrement la surface en métal, et laissaient la marque d'une multitude de petits grains en creux ou en relief, susceptibles de retenir l'encre. A cette préparation s'ajoutait encore au moment de l'apprentissage l'emploi simultané d'autres techniques, qui venaient en complément du travail accompli. Burin, pointe sèche ou eau-forte s'associaient à la roulette pour augmenter ou moduler l'impression des noirs veloutés. Selon Léon de Laborde, la première gravure de Siegen - le célèbre Portrait de la landgravine de Hesse - a été ‘préparée dans le sens du dessin et elle est en grande partie roulée et pointillée’.Ga naar eind47 Il ne peut donc s'agir d'après William IvinsGa naar eind48 d'une pure manière noire, dans la mesure où la dénomination indique une préparation plus uniforme de la planche, entièrement et uniquement travaillée au berceau. Présentés dans une configuration de petits traits en zigzags, des points noirs très foncés apparaissent sur l'épaule gauche de la landgravine.Ga naar eind49 En cet endroit, le travail de l'outil n'égale pas celui du reste de l'image au tracé plus continu et régulier. La présentation légèrement allongée des entailles indique le passage d'un ciseau incisif, | |
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capable de soulever de profondes barbes, sans doute un poinçon du même type qu'un burin. Celui-ci laissa aussi sa marque dans la Tête d'hommeGa naar eind50, l'une des estampes du prince Rupert gravée d'après Joseph de Ribera. Une série de pointillés très foncés, inscrits dans le fond noir sur lequel se détache le turban du modèle, révèlent la trace de son passage. La combinaison de procédés se vérifie dans l'une des premières manières noires de Wallerant Vaillant. Au milieu de toutes ses estampes, il en est une qui appelle le regard. Il s'agit du Prince Rupert en armureGa naar eind51 (fig. 1) gravé d'après deux dessins à la pierre noire, préparations à cette gravureGa naar eind52. Propre à démentir celui qu'en fit Philibert de Gramont dans ses amusements littéraires et ses MémoiresGa naar eind53,![]()
Fig. 2: Wallerant Vaillant, ‘Saint Christophe’, d'après Adam Elsheimer, manière noire.
dont le succès ne s'explique que par la verve piquante, le relief ragoteur, et dans lesquels l'auteur livre une description sévère de vérité du prince, le portrait de Vaillant est à dater des années 1658-1660.Ga naar eind54 L'estampe fait allusion aux belles actions navales du prince Rupert qui conjuguait les prouesses maritimes et guerrières. Élevé à l'ordre de la Jarretière et à la pairie d'Angleterre, sous le titre de duc de Cumberland et de comte de Holderness en 1644, celui-ci servait sur terre et sur mer son père l'Électeur, son oncle Charles 1er, son cousin Germain Charles II, son parent le prince d'Orange, et le roi Louis XIV. A la tête des escadres anglaises de 1650 à 1654, aux Açores, à la Barbade, à Madère, sur les côtes de Guinée, et aux Indes-occidentales, le vice-amiral d'Angleterre fait figure d'épée européenne du- | |
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rant les guerres de son temps.Ga naar eind55 Pendant la guerre de Hollande, en 1673, il disputait la mer du Nord à l'amiral néerlandais Ruyter et à son allié français, le duc de Beaufort. Le portrait gravé que fit de lui Wallerant Vaillant est intéressant pour ce qui est de la technique en manière noire qui est ici mise à l'épreuve. Une multitude de lignes en pointillé, s'entrecroisant dans tous les sens, et l'irrégularité du tracé témoignent d'une combinaison de procédés. L'harmonie et les fondus de l'ensemble ne sont pas encore parfaitement trouvés, et l'artiste dut faire appel à une roulette qui a segmenté en unités réduites les gris et les noirs de velours, et à un burin qui a souligné le sommet du crâne, à droite, les boucles de cheveux aux ondulations très marquées, et les multiples rangs d'anneaux qui baguent l'extrémité du bâton de commandement. L'on admirera en revanche la brillance de l'habit de fer que porte l'homme militaire, le travail du brunissoir et du grattoir qui fait sortir comme d'un nuage la physionomie du prince, et une douceur de texture qui donne au regard et au noeud de cravate déployé en volants une qualité d'exécution déjà pleine d'avenir.Ga naar eind56 Le prince rupert ne laissa à la postérité que quinze manières noires.Ga naar eind57 On lui connaît un Portrait de lui-même accoudéGa naar eind58, des représentations de saints, des philosophes méditant dans leur cellule dont un Ermite, gravé en 1664, considéré comme sa dernière manière noireGa naar eind59, et trois de ses pièces qui l'ont rendu célèbre, travaillées avec la collaboration de Wallerant Vaillant: le Jeune homme en porte-fanionGa naar eind60, daté de l'année 1658, d'après une peinture de Pietro della Vecchia, à Pommersfelden; la Tête du Grand Exécuteur, qui servit d'illustration à l'ouvrage de John Evelyn, intitulé Sculputra (1662)Ga naar eind61; et La décollation de saint Jean-Baptiste (1658), exécuté d'après un tableau de l'atelier de Joseph de Ribera.Ga naar eind62 Wallerant Vaillant avait en revanche pour dessein l'étude, la pratique et la promotion de la manière noire. Avec lui, la technique devint l'affaire d'un professionnel. Les encouragements du comte palatin que l'artiste avait rencontré à Francfort, puis à Heidelberg, à l'occasion de la cérémonie de couronnement de Leopold 1er, élevé à la condition impériale en 1658, avait préludé à la mise au point du nouveau procédé et servirent à accroître son activité. Enhardi par ses premiers essais, l'artiste produisit ensuite plus de | |
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deux cents estampes, tirées en plusieurs exemplaires, dispersées dans les plus grands cabinets d'arts graphiques d'Europe - ceux de Londres, d'Amsterdam, de Paris et de Dresde, en particulier. Dans le nord de la France, le musée des Beaux-Arts de Lille possède également, en plus de trois beaux tableaux de Wallerant Vaillant - Le jeune élève dessinant à la craie (inv. 202), deux portraits d'homme et de femme faisant pendants (inv. P. 313 et P. 203) (aujourd'hui déposés à l'Hospice Comtesse) -, une importance collection
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Fig. 3: Wallerant Vaillant, ‘Jeune homme lisant une lettre’, manière noire.
de manières noires qui V.J. Vaillant, l'un des descendants de la famille habitant Boulogne-sur-mer, avait léguée à la Société des sciences et des arts de Lille, en 1887.Ga naar eind63 ‘... fort propre à représenter le portrait, les effets de nuit et d'une lumière artificielle les phantômes, les enchantements..., [la manière noire] est de toutes les gravures celle qui colore le plus, et qui est capable du plus grand effet par l'union de la lumière et de l'obscurité qu'elle laisse dans les masses...’.Ga naar eind64 Les effets de nuit donnèrent une impulsion | |
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nouvelle à Wallerant Vaillant qui, à l'imitation d'Adam Elsheimer, de Rembrandt ou de Hendrick Goudt, parvint à traduire en gravure le pouvoir expressif de la lumière, les clairs-obscurs spectaculaires. L'artiste les obtenait grâce à l'utilisation magique et inventive de la manière noire parfaitement adaptée aux nocturnes. Toute une gamme de valeurs, des blancs immaculés aux tonalités de gris en passant par les noirs veloutés définissent les qualités de sa facture. S'aidant d'un dessin de Jan de BisschopGa naar eind65 pour graver en sens inverse la représentation de Saint ChristopheGa naar eind66 (fig. 2) Wallerant Vaillant anime de lueurs l'estampe, fait briller l'astre lunaire qui se reflète dans le miroir des eaux. De celui-ci dépendent tous les reflets: la clarté du ciel, d'où s'effiloche un chapelet de nuages; le scintillement léger des arbres perlés à leur sommet de fines gouttelettes de rosée; l'écume argentée des vagues qui effleurent doucement les rives et les jambes du saint. Les effets de lumière trouvent d'autres échos dans une autre série de gravures qui resteront pour beaucoup dans le rayonnement des motifs de l'école d'Utrecht: qu'il s'agisse du Jeune homme lisant une lettreGa naar eind67 (fig. 3), du Prince Rupert en porte-fanionGa naar eind68 ou du Jeune chasseur au retour de la chasseGa naar eind69, les figures sont coupées à la taille, elles sont placées tout près du premier plan de l'image et occupent pratiquement la totalité de l'espace. Le graveur met l'accent sur la diffusion d'une lumière qui imite l'évanouissement du jour ou au contraire sa naissance au moment d'une matinée lumineuse. Il enveloppe d'une nuit de brume l'atmosphère, et baigne ses figures d'un sfumato de contours qui élimine ou dilue complètement le trait. Les effets de matière sont également le propre de la gravure en manière noire qui use des possibilités du berceau pour traduire le rendu parfait d'une étoffe, l'armure simple et épaisse d'un tissu. Ourdi, feutré et serré, un tel réseau de fibres textiles apparaît dans le jeté de rideau, tendu à l'arrière du Portrait d'Isabelle-Claire Eugénie en habit de pauvre Claire (troisième était)Ga naar eind70, d'après Van Dyck. La jeune femme recevant du Trompette une lettreGa naar eind71 (fig. 4) porte une robe aux reflets moirés simulant pareillement la chaîne et la trame d'un tissu. Le velours, le satin, la laine ou la toile de sac, peuvent ainsi être reproduits en manière noire. Leur aspect résulte d'un travail particulier de l'estampe qui accroche la lumière et vise à l'effet. | |
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Sous le berceau du graveur, sous le crayon ou le pinceau du peintre, un portrait naît de l'estampe, du dessin ou de la toile. Les peintures et les dessins de Wallerant Vaillant - consacrés principalement au portrait - définissent la sphère d'appartenance à laquelle l'artiste est rattaché. Son oeuvre peint et dessiné doit son existence à l'aspiration de citoyens amstellodamois fortunés, patriciens des villes, désireux de laisser à la postérité l'image et le symbole d'une réussite sociale et individuelle. En gravure, ses portraits ne sont pas aussi nombreux. L'artiste demeure inégal dans le choix de
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Fig. 4: Wallerant Vaillant, ‘Le Trompette’, d'après Ter Borch, 1668, manière noire.
ses sujets qui se rapportent tant à la Bible, à la fable, à la scène de genre, qu'au portrait et à la nature morte. En plus de ses propres dessins et portraits peints, Wallerant Vaillant s'est inspiré d'un bon nombre de dessins de Jan de Bisschop (1628-1671) avant de commencer la manière noire.Ga naar eind72 Brillant dessinateur et aquafortiste, Bisschop interprétait aux crayons les oeuvres d'artistes du Nord, et celles des maîtres italiens. Il s'essaya dans les années 1663-1664, à la nouvelle façon de graver.Ga naar eind73 Nul doute qu'il ne rencontrât Vaillant à Amsterdam. Ses dessins permettaient à | |
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celui-ci d'inverser sans grandes difficultés le sujet, et ils facilitaient le report de proportions sur la planche en métal. Parmi ceux que Wallerant Vaillant a destinés à la reproduction gravéeGa naar eind74, l'on compte une Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, d'après Polidoro Lanzani; une Vierge à l'enfant (San Marino, Hungtington Library) d'après Van Dyck; une Allégorie de la Peinture et du Dessin (Turin, Bibliotheca Reale), d'après Guido Reni; Deux Femmes et un Homme (Chatsworth, coll. duc de Devonshire), d'après Titien. En plus du portrait de Jan SixGa naar eind75 - célèbre bourgmestre d'Amsterdam, riche collectionneur ami de Rembrandt - gravé d'après l'un de ses dessins à la pierre noireGa naar eind76, Vaillant fixa dans l'art de l'estampe le visage des êtres qui lui sont chers; sa soeur Maria VaillantGa naar eind77; Élisabeth van SwanenbourgGa naar eind78, épouse de son demi-frère; André VaillantGa naar eind79, son frère, gravé d'après l'un de ses tableaux, à Budapest (Szépmüvészeti Muzeum, inv. 53-465); son père et sa mère.Ga naar eind80 Le célèbre portrait du marchand et protecteur des arts, Lucas van UffelGa naar eind81 (fig. 5) d'après Van Dyck (New York, Metropolitan Museum of Arts, inv. 14-40-619) rallie également tous les suffrages dans l'éventail de sa production. Laissant de côté le trait, l'artiste intensifie les valeurs, les contrastes noirs et blancs, et insiste sur le flou des contours. Dupliquée en gravure, l'oeuvre reproduit la qualité décorative d'Antoine van Dyck qui amincit ses modèles, lesquels, habillés de dentelles raffinées, prennent une note de grâce et de finesse. Les autres portraits sont porteurs de spiritualité. Les pasteurs, investis à demeure d'un ministère sacré, subordonnés au magistrat des villes, ont également retenu l'outil du graveur. D'une réserve froide, les représentations de Johannes Michael Dilhers, de Samuel Coop, de Laurentius Homma, de Petrus van der Haagenou d'Henri BlanchetesteGa naar eind82, entourés des livres qui leur sont familiers, vêtus de la toge, ou portant la calotte qui marque le signe de la prédication, traduisent la rigueur de la foi calviniste, et sont ici rassemblés sous la forme d'un tableau récapitulatif des plus intéressants. Le caractère sociologique qui ressort de son oeuvre gravé mérite également d'être mis en avant. Wallerant Vaillant peut être crédité d'avoir attiré l'attention sur une veine de sujets ayant pour objet la description des comportements | |
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en société. Les tranches de vie empruntées à l'univers d'Adriaen Brouwer, de Cornelis Bega, de Gerard van Zijl, forment une grande partie de son répertoire. Ces gravures d'interprétation possèdent une valeur informative évidente et résument à elles seules tout l'art gravé de Vaillant. Documents fidèles et précieux pour l'histoire du Siècle d'Or, elles forment une sorte de reportage judicieux de l'époque. De ces représentations, nous avons pu tirer d'importantes informations sur la vie en Hollande au XVIIe siècle. Plusieurs d'entre elles s'attachent à représenter différentes
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Fig. 5: Wallerant Vaillant, ‘Lucas van Uffel’, d'après Van Dyck, manière noire.
classes sociales et décrivent des images populaires où le pittoresque vient parfois rejoindre l'étude sociologique. La rusticité de certaines scènes, comme Le chirurgien du villageGa naar eind83 d'après Adriaen Brouwer, Le tenancier d'aubergeGa naar eind84, la conversation près de la cheminéeGa naar eind85 d'après Cornelis Bega, jette un regard observateur sur un monde de condition simple, enfermé dans les tavernes, au sein d'une atmosphère chaleureuse, pittoresque, paillarde, au milieu des nuages de fumée, d'un air empesté par les vapeurs de l'alcool et l'odeur du tabac. Pêcheurs, baleiniers en partance | |
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vers le sud ou le grand nord, mariniers destinés au voyage en Orient, nouvelles recrues enrôlées sur les bateaux de la célèbre V.O.C., font aussi partie du décor. Au milieu de la placide et de la sereine Hollande - dépeinte dans les oeuvres de Samuel van Hoogstraten, de Peter de Hooch ou de Vermeer, pleines d'un jour étouffé, habitées par une discrète figure féminine glissant le long des murs de chaux inondés de lumière - ces scènes populaires détonnent par l'entrain, le nombre des personnages et leur agitation. Dans un autre registre de reproduction, Vaillant grava d'élégantes compagnies dans le goût de Gerard Pieters van ZijlGa naar eind86 (fig. 6). Ce sont des petites sociétés rassemblées sur une terrasse, jouant aux cartes, lisant une lettre, ou s'avisant de chanter en concert. La musique scelle les rapports de complicité entre ces gens et devient une délectation offerte par le chant. La danse peut également prendre la légèreté d'une cadence, rythmée par les petits pas réglés de ses participants. Annonçant les récréations champêtres, les fêtes galantes ou les bergers enrubannés d'un Watteau, d'un Pater ou d'un Lancret, un siècle après, la Danse dans un sous-boisGa naar eind87 présente, dans un décor aux feuillages estompés, deux groupes de personnages. Les uns conversent, les autres marivaudent, d'autres encore dansent au son de l'instrument. Les bras levés, les mouvements lents et modérés, décrivent de courtes évolutions et confèrent à cette scène de genre un caractère charmant et précieux. Après le prince Rupert qui, en plus de Vaillant, initia à Londres où il se rendit en 1660, celui qui prend place en tête des graveurs anglais - l'historien John Evelyn -, d'autres devanciers firent la fortune de la manière noire.Ga naar eind88 La Hollande s'intéressa rapidement au procédé. Aiguillonné par son frère, Bernard Vaillant interpréta à son tour en gravure quelques pièces intéressantes: des philosophes d'après Jusepe de Ribera et Luca GiordanoGa naar eind89, des peintres et des pasteurs d'après d'autres artistes. Jacob Gole, Jan Verkolje, Gerard Valck, Petrus Schenck, font partie des autres précurseurs. L'Allemagne suivit et connut un foyer de gravures à Augsbourg, à Nuremberg. Mis à part le portrait du prélat Hardouin de Beaumont de PéréfixeGa naar eind90 d'après une interprétation de Nanteuil, et celui de Jean Daillé, pasteur à CharentonGa naar eind91 gravés par Vaillant, il ne reste des débuts de la manière noire à Paris que quelques | |
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sources fragmentaires. Sans doute est-ce à l'instigation de notre artiste qui s'était frotté aux burinistes français, et qui leur avait enseigné la nouvelle façon de graver, qu'Abraham Blooteling et Pierre Louis Van Schuppen s'essayèrent pour la première fois à la manière noire, en 1660.Ga naar eind92 Reviendrait à ce dernier un portrait d'Anne de Courteney.Ga naar eind93 Jan van der Bruggen, un graveur et un marchand d'estampes d'origine flamande, fit gagner à la manière noire un peu plus de terrain en réalisant, vers 1680, plusieurs portraits d'après Largillierre.Ga naar eind94 Taxée de mollesse au XVIIe
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Fig. 6: Wallerant Vaillant, ‘Le concert’, d'après Gérard van Zijl, manière noire.
siècle, la manière noire connut au siècle suivant un meilleur retentissement en Angleterre. Plus qu'ailleurs, elle fut considérée comme le seul moyen de rendre les effets de lumière, le velouté des chairs, le chatoiement des étoffes, en un mot elle avait le pouvoir de simuler le modelé de la peinture. L'attrait de sa nouveauté, sa rapidité d'exécution, sa facilité à rendre les contrastes violents ou les dégradés les plus délicats, semblaient disposer à reproduire dans l'art de l'estampe les portraits artistocratiques de Peter Lely, de Kneller, de Gainsborough, ou ceux de Joshua Reynolds. | |
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L'Anglais John Smith (1652-1742) en fit sa spécialité. La manière noire offrait aux graveurs insulaires une gamme de tons plus amples, une souplesse et un moelleux dans le traitement des formes, étroitement liés à la conception picturale d'outre-Manche. Objet d'enseignement essentiel pour comprendre et apprécier cet art, le corpus que Wallerant Vaillant a laissé demeure incomparable et fondamental dans l'histoire de la gravure. Technique d'avant-garde en ce milieu du XVIIe siècle, la nouvelle invention qui fait appel à l'ingéniosité du berceau annonçait un vent de modernité au milieu des autres estampes. Notre artiste dépassa de toute évidence l'amateurisme de celui qui l'avait initié à ce genre de gravure: le prince Rupert. Il se place au premier rang des précurseurs de son temps. Le caractère novateur de cette entreprise ne peut qu'emporter l'approbation et récolter tous les éloges. Il importait d'un pérenniser la nouveauté et l'originalité. | |
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Samenvatting
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de zwartekunst beoefenen. In 1658 maakte Wallerant een portret van zijn leermeester (fig. 1). De mogelijkheden van de zwartekunst worden hier uitgetest. De wirwar van lijnen die elkaar in alle richtingen kruisen, vereisen de toepassing van allerlei procédés. In deze prent bereikte Vaillant zeker niet zijn hoogtepunt, maar hij perfectioneerde de techniek zodanig dat hij zonder enige twijfel dé specialist van deze kunstvorm genoemd mag worden. In navolging van kunstenaars als Adam Elsheimer, Rembrandt of Hendrick Goudt slaagde Wallerant Vaillant erin met de zwartekunst de speling van het licht zeer expressief weer te geven. Een mooi voorbeeld hiervan vinden we in de Sint-Kristoffel (fig. 2). In de jaren die volgden, maakte hij honderden prenten die hun plaats vonden in belangrijke prentenkabinetten in Londen, Amsterdam, Parijs en Dresden. Zijn werk was ook geliefd bij de Amsterdamse gefortuneerde burgerij, die in deze prenten of portretten haar welstand voor de geschiedenis wilde vastleggen. In Noord-Frankrijk bezit het Museum voor Schone Kunsten van Rijsel, naast een drietal schilderijen, ook een belangrijke collectie zwartekunstprenten van Vaillant die door een verre nazaat van Wallerant in 1887 aan de Société des sciences et des arts de Lille werden nagelaten. Wallerant Vaillant behoorde tot de avant-garde van het midden van de 17de eeuw, die vernieuwing bracht in de grafische kunsten. (Samenvatting door Dirk van Assche) |
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