Septentrion. Jaargang 1
(1972)– [tijdschrift] Septentrion–
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Statue près du Palais d'Eté (1935) par Carel Willink.
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carel willink
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![]() Le peintre Carel Willink (photo de Nico van der Steen, Amsterdam).
Cette exposition constituera dans l'histoire un point de repère de signification symbolique. Qu'elle en ait, par la force des choses, remplacé une autre qui aurait dû être consacrée au surréalisme en Belgique et aux Pays-Bas, devenue impossible du fait des circonstances, n'y change rien.
Il y avait d'autres aspects symboliques encore. Le choix de la ville d'Anvers, situant par le fait l'exposition en dehors des frontières néerlandaises, peut être considéré comme caractéristique de l'hésitation que manifestaient les hautes instances des musées néerlandais. Ces personnalités tardaient à se rallier à la reconnaissance d'une situation toute modifiée dans laquelle la nouvelle jeune génération avait rétabli le contact avec des manifestations surréalistes, ou apparentées au surréalisme d'avant-guerre. Entretemps, le succès sensationnel de la première grande exposition consacrée à Melle au Musée Communal d'Amsterdam a clairement démontré leur réussite. Ce qui est à l'ordre du jour chez les jeunes artistes contemporains néerlandais semble être aussi déterminant que l'avènement d'une nouvelle génération à la veille de la première guerre mondiale, que l'apparition des ‘réalistes magiques’ vers les années trente ou que la coupure provoquée par le groupe de CobraGa naar eind(1) et leurs collègues américains au lendemain de la seconde guerre mondiale. D'une manière plus générale, il s'agissait de la domination de l'abstrait ou de tendances vers l'abstraction en même temps que de la peinture de matière. Les jeunes artistes d'aujourd'hui se voient placés dans un contexte entièrement modifié, et parmi eux nous trouvons aussi des artistes comme Carel Willink, né à peu près avec le siècle. A côté de lui, on pouvait rencontrer à Anvers Pyke Koch et Raoul Hynckes. Ils formaient un triumvirat choisi parmi un plus grand nombre de peintres. Une autre raison de fierté de l'exposition d'Anvers résidait dans le fait qu'un tel aperçu représentatif des trois figures principales du réalisme magique aux Pays-Bas n'avait jamais été réalisé, mais qu'alors il se greffait sur une situation qui lui était favorable, à l'instant même où de tout côté se remarquait une crise qui dure encore: la ‘révolution artistique’ dans le sens formel du terme - dans laquelle le renouvellement des formes est | |
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Wilma (1932) par Carel Willink.
l'élément le plus important - est combattue en faveur d'un art plastique qui veut à nouveau être un langage efficace pour exprimer ce qui émeut l'homme à notre époque de menace et d'angoisse.
Nous saluons aussi le document historique que constitue le catalogue, travail imposant de monsieur J. Buyck - dont le titre n'est pas dénué de quelque ironie: Chef de la section dix-neuvième siècle du département Maîtres Modernes du Musée Royal. Son introduction démontre très bien que ce n'était pas un spectateur néerlandais mais un belge qui a su donner au phénomène du Réalisme Magique aux Pays-Bas une résonance internationale aussi large que possible. Heureusement, les Belges ont su jusqu'à ce jour vivre avec leur Delvaux et leur Magritte, en dépit de ce qui était à la mode chez les jeunes. Aux Pays-Bas, c'était plus difficile, plus dogmatique: il a fallu que ce soit une nouvelle génération qui fasse sortir de l'ombre les septuagénaires du réalisme magique. Dans son catalogue, Buyck traite abondamment les problèmes de terminologie et les problèmes réels de l'histoire de l'art en ce qui concerne les noms tels que réalisme magique, surréalisme, Neue Sachlichkeit, Pittura Metafysica et Néoréalisme. Il est possible d'établir de magnifiques subdivisions, apparemment sans faille, mais la vie et la réalité l'emportent toujours. En 1923, la notion de Neue Sachlichkeit a été créée par Hartlaub. Elle désignait la réaction contre l'expressionnisme, le cubisme et d'autres courants d'avant la première guerre mondiale. Franz Roh suit en 1925 avec ‘magischer Realismus’, désignation reprise aux Pays-Bas vers les années trente par les critiques d'art sous la direction de Jan Engelman, l'un de ces écrivains qui, avec Jan Greshoff, Menno ter Braak et Eddy du Perron, étaient affiliés à des artistes tels que Willink et Koch. Peu avant sa mort, Magritte a encore fait une distinction entre les surréalistes et les réalistes magiques: lui-même ferait partie des surréalistes, Delvaux serait plutôt du côté des réalistes magiques et Willink implicitement au côté de ce dernier. Si nous cherchons les traits communs ou apparentés chez les artistes qui sont souvent | |
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Fuga Monialium (1967) par Carel Willink.
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classés dans ces catégories, il ne reste plus que quelques surréalistes proprement dits. Le surréalisme au caractère révolutionnaire, dans les années les plus importantes était axé sur le renversement de toute la société et de la culture bourgeoise, y compris l'art. En tant que mouvement historique, il occupait une place toute particulière, à peine comparable avec le réalisme magique aux Pays-Bas ou avec la Neue Sachlichkeit en Allemagne. Historiquement, la Pittura Metafysica devance les autres courants, mais l'influence qu'elle a exercée en Allemagne et aux Pays-Bas, et, dans une moindre mesure, en France, est due surtout à la personalité de De Chirico.
Ce qui reste finalement comme ligne commune est la combinaison d'un nouveau respect pour l'ancienne peinture et d'un retour à la technique réaliste de la perspective, en même temps qu'au modelé et à l'expression de la matière. S'y ajoute une nouvelle signification qui s'extériorise surtout par le sujet de la représentation. Les dénominations ‘métaphysique’, ‘magique’ ou ‘surréel’, si insuffisantes et discutables que de telles appellations puissent être, démontrent en tout cas que ces artistes avaient pour but de rendre une autre atmosphère ou réalité que la réalité donnée telle qu'elle apparaît habituellement à la vue. La conquête de l'apparition visuelle, telle qu'elle existe chez les primitifs flamands, avait encore tout le caractère d'une découverte heureuse, où toutes les choses expriment un ‘langage’ dans le contexte d'une vision théologique du monde. Pour la première Renaissance italienne, elle constituait encore la révélation d'un ordre supérieur. Au dix-neuvième ![]()
Le prédicateur (1932) par Carel Willink.
siècle, elle s'était dégradée jusqu'à n'être plus qu'une aspiration bourgeoise et banale à copier la vie quotidienne. Mais après les révolutions formelles turbulentes de la fin du siècle dernier et du début de ce siècle, ce qui avait été conquête de l'apparition visuelle reçut soudain une signification différente et négative. La même attention consacrée au détail, à l'apparition matérielle des choses et la même attention à la technique picturale minutieuse - autrefois au service de l'habituel, de la beauté et du bonheur -, est vouée maintenant au monde de l'étrange, au bizarre, à l'angoissant, au dangereux | |
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Chameau au parc de Versailles (1956) par Carel Willink.
et au menaçant, au monde fuyant plein de distanciation, ou s'exerce sur un arrièrefond de néant sartrien. Toutefois, à l'intérieur de cette caractérisation très générale, les différences individuelles sont énormes. On peut aussi bien aboutir à la recherche d'un autre ordre d'intemporalité métaphysique que s'allier au démasqué agressif de la réalité existante, comme dans la Neue Sachlichkeit ou chez un peintre néerlandais tel que Pyke Koch. On peut mettre la vie sous le signe de la mort comme chez notre peintre de Vanitas, Raoul Hynckes, mais aussi perturber notre approche habituelle et conditionnée des choses au moyen pictural d'ambiguïté optique, comme chez Magritte. On peut finalement essayer d'exorciser un sentiment pessimiste de la vie pleine d'angoisse et de menace en l'évoquant précisément d'une façon si pénétrante et tangible, ou forcer une tâche apparemment impossible à donner une satisfaction ultime. Et nous voilà arrivés chez Carel Willink qui a formulé cela luimême de la façon suivante:
‘C'est la confrontation avec le monde des apparences jamais reposant, jamais entièrement connaissable, à l'intérieur duquel le plus petit objet quotidien peut devenir une “chose” angoissante et incompréhensible, un monde étrange et plus horrifiant par son aspect fermé et hautain que le rêve d'angoisse le plus effrayant. Un paysage ensoleillé, autrefois symbole de la paix pastorale, peut se muer en une menace insupportable. Mais ce monde peut aussi soudain révéler la grâce des choses comme une harmonie émouvante et merveilleuse.’
Willink a dit aussi que physiquement il est né aux Pays-Bas, mais que spirituellement il est né en Allemagne, en France, en Italie, et peut-être bien en même temps. Il est impossible de caractériser plus brièvement ses explorations éclectiques et internationales qui ont déterminé son évolution jusqu'à ce qu'il ait acquis son style définitif.
Willink naquit à Amsterdam en 1900, dans une famille qui comptait parmi ses ancêtres de nombreux assureurs et agents de change parmi lesquels il y avait au dix-neuvième siècle des peintres amateurs compétents. Son père était l'un de ceux-là et il emmenait son jeune fils dans tous les musées et à toutes les expositions. La veille de la première guerre mondiale, les grandes expositions internationales du Hollandse Kunstkring (Cercle artistique de la Hollande) et des | |
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De Onafhankelijken (Les Indépendants) confrontaient pour la première fois le public néerlandais avec le succès des nouvelles tendances du Paris fauviste et cubiste, de Kandinsky et des constructivistes russes, de l'expressionnisme allemand. Ces expositions ont eu une influence considérable sur de nombreux peintres néerlandais de cette époque-là, et elles ont révélé très tôt le monde de l'art moderne![]()
Siméon, le stylite (1939) par Carel Willink.
à Willink. Mais on l'avait prédestiné à une autre carrière. On l'obligea à faire des études d'architecte à l'Institut Royal pour Ingénieurs de Delft, ce qu'il fit de 1918 à 1920. Puis il rompit radicalement avec l'architecture pour choisir la peinture libre. Cette période l'a, sans aucun doute, marqué profondément; d'où, en particulier, le grand rôle que l'architecture joue dans son oeuvre picturale, la grande connais- | |
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sance des formes architecturales anciennes qu'il y étale, et plus généralement sa maîtrise magistrale de la perspective, des conceptions et des constructions de l'espace. Pour lui, l'architecture s'est petit à petit chargée de symboles, de références à des cultures lointaines et disparues. Parfois elle traduit l'idée de la mort qui hante les évocations - d'où la vie est absente - du vieil Amsterdam de la fin du dix-neuvième siècle. La Tate-Gallery de Londres tient le premier rôle dans l'une de ses toiles les plus récentes. L'année de sa nouvelle orientation, Willink![]()
Château en Espagne (1939) par Carel Willink.
choisit bien consciemment le Berlin d'après-guerre. A cette époque, plus encore que Paris, Berlin est la ville où tout fermente et bouge en matière d'art plastique, sous l'influence de l'oeuvre de Herwarth Walden entre autres et de sa revue Der Sturm. Willink commence à l'académie, mais il passe bien vite à l'école de peinture internationale de Hans Baluschek, où il reste jusqu'en 1923. Il fréquente le milieu des jeunes révolutionnaires de l'art plastique, y rencontre un esprit apparenté, Theo van Doesburg - l'homme du groupe De Stijl -, et il expose | |
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pour la première fois de grandes compositions abstraites avec le Novembergruppe. Observateur attentif et analytique, Willink se laisse influencer par une multitude de conceptions et d'exemples parfois contradictoires, aussi bien par ceux de Malevitch et de Klee ou de Kandinsky que par la réaction déjà ébauchée qui en 1923, l'année de son départ, est nommée Neue Sachlichkeit par Hartlaub.
Un séjour à Paris succède à celui de Berlin; il s'agit pour Willink d'y poursuivre ses explorations de l'art moderne. Il y aura encore pour lui des voyages d'étude en Italie. A Paris, il suit des cours de dessin de modèle nu chez Le Fauconnier, ce qui ajoute un nouveau petit chapitre à l'influence de celui-ci sur l'art néerlandais. Le Fauconnier était en effet le peintre français du Paris cubiste et fauviste (tendances qu'il voulait concilier). Il fit un séjour forcé à Bergen, le village d'artistes néerlandais, durant la première guerre mondiale - il y est resté jusqu'en 1920 -, qui a tant influencé un certain nombre de peintres appelés ‘l'Ecole de Bergen’, ainsi que lui-même le fut à son tour par l'expressionnisme de Bergen.
Mais le contact avec le cubisme, et surtout avec Fernand Léger, s'est révélé bien plus important pour l'évolution de Willink que celui qu'il a eu avec Le Fauconnier. Picasso - en pleine période néo-classique - et les contacts avec les surréalistes l'impressionnent très fort, ainsi que De Chirico qui, à l'invitation des surréalistes, expose en 1924 avec ceux-ci à Paris, bien qu'il se soit déjà détaché de la Pittura Metafysica qui avait évolué avec Carrà.
L'Allemagne, l'Italie, la France, les pays où peut-être il est né spirituellement en même temps, le réalisme magique, le surréalisme, Léger, Picasso, De Chirico, tout cela se retrouve plus ou moins dans ses toiles des années 1925-1930. Mentionnons encore qu'en 1924 il avait fait la connaissance d'Eddy du Perron chez Jozef Peeters à Anvers, et qu'à cause de sa façon d'introduire des éléments figuratifs dans ses compositions d'ailleurs fort abstraites, il se dispute avec Peeters, plus axé sur le constructivisme. Les tableaux d'avant 1930 annoncent déjà la crise. Ils présentent bien clairement un résumé de toute sa recherche éclectique. Ils contiennent des éléments empruntés à Léger, au cubisme, au surréalisme, et manifestent indéniablement un humour et une distance qui donnent un caractère relatif au sérieux des révolutions formelles de Paris et d'ailleurs. Les coloris voyants et clairs des oeuvres du peintre sont à cette époque fort différents de ceux de ses oeuvres ultérieures. Willink se souvient d'avoir rejeté déjà en 1927 ‘tout le tremblement des éléments constructivistes’. Il s'oriente alors presque en même temps que Hynckes et Koch, vers une conception qui ne se modifiera plus fondamentalement par la suite, sans qu'il puisse d'ailleurs pour autant être taxé d'immobilisme, ni comme homme ni comme artiste. Il a alors trente ans, comme le siècle. Par la suite, les exégètes n'auront pas grand-peine à établir un rapport entre les oeuvres qu'il composera et les angoissantes années trente, la menace du nazisme et de la deuxième guerre mondiale, la crise, le pessimisme spenglerien du Déclin de l'Occident. Cette interprétation le pose en modèle pour le réalisme magique néerlandais, en tant que représentant le plus spécifique | |
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et symbolique, dont l'oeuvre incarne une sorte d'idéologie picturale des années trente. En fait, il ne pouvait jouer ce rôle que parce que le climat spirituel de ces années s'accordait avec sa propre personnalité et à partir de celle-ci avec son assimilation originale de tout ce que la peinture - la peinture traditionnelle aussi bien que celle de ‘la révolution de l'art moderne’ - pouvait lui offrir. Un excellent exemple de la première période d'après 1930 est le tableau Late bezoekers van Pompéi (Visiteurs tardifs de Pompéi) de 1931. On y voit déjà les paysages méridionaux, italiens, volcaniques ainsi que l'espace vide à la De Chirico et ![]()
Visiteurs tardifs de Pompéi (1931) par Carel Willink.
la perspective fort accentuée. Mais l'ensemble sert surtout de décor plein d'illusion et distant à un événement ironique et anecdotique: la présence tout égarée et absurde de quelques bourgeois soigneusement habillés du vingtième siècle, avec cigare et chapeau melon et en jaquette. A gauche, Willink a peint son autoportrait: par-dessus l'épaule il jette au spectateur un regard avertisseur, prophétique et dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est inquiet.
Un procédé anecdotique analogue se retrouve un an plus tard dans De jobstijding (La nouvelle désastreuse), situé cette fois-ci dans un vieux quartier d'une | |
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ville qui fait penser à Maastricht. Ce genre de décor reviendra fréquemment dans les oeuvres ultérieures de Willink. Au coin d'une rue tranquille, une femme se dirige vers un homme au chapeau mou, une canne à la main. Elle porte une lettre dont nous ignorons le contenu. Mais il y a l'atmosphère, avec le ciel lourd de nuages, l'éclairage, l'image immobile de la rue et de la femme qui accourt, figée comme sur un instantané, remplie d'une terreur panique. ![]()
Vers l'avenir (1965) par Carel Willink.
Au cours des mêmes années, Willink peint sa femme Wilma dans le décor de la ville d'Amsterdam du dix-neuvième siècle, les environs du Rijksmuseum (Musée Royal) sur lequel donne son atelier. Il y place un double portrait de sa femme et de lui-même, Européens contemporains égarés et fatigués, dans un paysage fantaisiste méridional avec une statue hellénique décadente. La ville d'Amsterdam telle qu'elle était à la fin du dix-neuvième siècle et le dernier épanouisse- | |
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ment du monde classique (qui peut encore évoluer vers le maniérisme) alternent dans ses oeuvres depuis 1930, mais en fait ils constituent un monde unique. L'éclectisme de l'architecture du dix-neuvième siècle aboutit à une atmosphère de désolation. Le monde classique est mort également, mais chez Willink il continue à vivre dans des marbres moroses qui pourraient être aussi bien des moules en plâtre. Le passé grandiose hante encore les palais et les autres architectures désolées dont la matière exprime quelque chose de poreux et qui tombe en ruine. Le ![]()
Mathilde entourée de monstres (1966) par Carel Willink.
ciel assez serein au début se fait de plus en plus orageux. Puis les nuages poussés comme par des cyclones passent au-dessus des paysages, se dirigent vers nous dans une expression dramatique terrifiante, et limitent ainsi un espace étouffant.
Dans cette évolution, l'aspect anecdotique diminue, le présent qui domine encore l'image de La nouvelle désastreuse recule très fort afin de laisser place à une approche du paysage de portée historique et à une symbolisation des personnages. Willink devient lui-même De Prediker (Le Prédicateur) de 1937, sur | |
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un arrière-plan de ville incendiée. On retrouve La nouvelle désastreuse de 1932 dans la figure de Job lui-même, au milieu d'un paysage montagneux fantastique. Simeon, de pilaarheilige (Siméon, le saint sur la colonne) de 1939, au milieu de la vision d'une ville brûlante et fumante - comme bientôt il y en aura des dizaines - apparaît plutôt comme l'expression privilégiée du prophétisme de Willink. Tout ce qui est éclairé par la lumière éblouissante et indirecte du soleil devient ![]()
Exorcisation des vieux esprits (1968) par Carel Willink.
étrange, angoissant, opprimant. Tout est livré à la mort et à la décomposition, justement par la façon dont tout nous apparaît tangible et réel. La méticulosité avec laquelle l'artiste peint toutes les mailles d'une veste tricotée engendre une obsession diamétralement opposée à l'application pleine d'amour avec laquelle les primitifs du moyen âge finissant exprimaient la réalité.
La perspective - le moyen traditionnel par excellence capable de créer un espace | |
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libérateur -, se trouve ici précisément mise au service de ce qui est opprimant et inquiétant. Ce sont les écrivains, surtout Eddy du Perron et Menno ter Braak de la revue Forum qui, dans les années trente, poussent au faîte de l'art néerlandais Willink et en même temps les autres réalistes magiques. Ils ont beaucoup de contacts entre eux, tout comme dans le mouvement surréaliste français et international se rencontraient la littérature et l'art pictural.
Les ciels menaçants, les villes fumantes et détruites, la luminosité empoisonnée des éclairages, les paysages sauvages et dramatiques de la période juste avant et durant la guerre se succèdent en une gradation intelligible, mais ensuite l'oeuvre de Willink d'après la guerre - sauf dans les portraits qu'il continue à peindre - indique qu'il est arrivé à une impasse. L'optimisme d'après-guerre aussi bien que toutes les nouvelles tendances de l'art plastique qui s'y rallient - dominés surtout par l'Amérique - le relèguent à l'arrière-plan et font qu'on l'identifie à une époque du passé, - les années trente remplies de peur -, mais laissent aussi dans ses oeuvres des traces d'une intensité moins forte.
Il est cependant difficile de croire au pur hasard quand on remarque le nouvel et grand intérêt que suscite son oeuvre. Cela concorde avec plusieurs éléments: il y a d'abord la conscience angoissée et toujours accrue d'une catastrophe qui s'approche rapidement, et, sinon d'un déclin total, du moins de l'aspect apocalyptique de notre monde actuel. Il y a l'avènement d'une nouvelle génération de figuratifs, doublé d'un intérêt accru pour le surréalisme que l'on apprécie à partir de la technique picturale néo-réaliste. La nouvelle jeune femme de Willink, Mathilde, elle-même, devient un symbole. Comme modèle nu, elle ajoute une nouvelle tension à ses fictions aussi bien d'un passé fantastique - au milieu, par exemple, des monstres maniéristes dans les jardins du palais des Orsini - que parmi les maisons de la fin du dix-neuvième siècle de la rue Vossius à Amsterdam, ou dans le face à face avec un monstre robot de la technocratie du monde actuel. Dans le monde de Willink ont surgi des cosmonautes, des modules lunaires, des parachutistes; des cultures s'effondrent comme sous l'effet de la force atomique. Au milieu de tout cela, Willink peut rester lui-même.
Les artistes apparentés belges comme Delvaux et Magritte sont devenus célèbres en dehors des frontières de leur pays. Les soi-disant réalistes magiques des Pays-Bas ne sont connus, jusqu'ici que de leurs compatriotes. Mais on peut déceler en ce moment des signes indiquant que le temps est mûr pour une découverte tardive amenée par les développements récents de l'art plastique au plan international. Willink se trouve plus que jamais au centre de l'événement qu'il suit attentivement. Accompagné de Mathilde, dont on remarque l'allure, et soigneusement vêtu lui-même, il se promène dans les rues de son pas léger et jeune. De sa haute résidence - atelier, située tout près du Rijksmuseum, il scrute notre monde d'un regard aigu, alerte, sceptique, méfiant, mais tout de même non dépourvu d'humour. | |
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Carel Willink: bibliographie sommaireOEuvres générales.W. Jos de Gruyter: De Europese schilderkunst na 1850 (La peinture européenne après 1850), Anvers-La Haye, 1954.
A.M. Hammacher: Stromingen en persoonlijkheden. Een halve eeuw schilderkunst in Nederland (Courants et personnalités. Un demi-siècle de peinture aux Pays-Bas), Amsterdam, 1955.
Charles Wentinck: De Nederlandse schilderkunst sinds van Gogh (La peinture néerlandaise depuis van Gogh) Utrecht-Anvers, 1960.
J.H.M. van der Marck: Néo-realisme in de Nederlandse schilderkunst (Le néo-réalisme dans la peinture néerlandaise), Amsterdam, 1960.
H.L.C. Jaffé et J. van Geest: Catalogus Vijftig jaar Nederlandse realistische kunst (Catalogue de cinquante ans d'art réaliste néerlandais), Amsterdam, 1970.
J. Buyck. H. Redeker et d'autres auteurs: Catalogus Magisch Realisme in Nederland (Catalogue du Réalisme Magique aux Pays-Bas), Musée Royal des Beaux-Arts, Anvers, 1971. | |
Monographies.Menno ter Braak: Weer eens bij de schilders (Une nouvelle visite chez les peintres) et De literaire tendens van de schilder (La tendance littéraire du peintre), dans OEuvres Complètes, tome 3, p. 541 et suivantes et tome 4, p. 504 et suivantes.
P.H. Dubois: A.C. Willink, Elsevier, Amsterdam-Bruxelles, 1940 (Série: Peintres néerlandais contemporains).
K.G. Boon: A.C. Willink dans Maandblad voor beeldende kunsten (Revue mensuelle de l'art plastique), XXII (1946, p. 210-211).
Bibeb: Entretien avec A.C. Willink (Vrij Nederland, 6-4-1968).
B. Dull: Entretien avec A.C. Willink (Het Parool, 10-4-1971).
Film: Lies Westenberg et Hans Redeker (30 min.), dans la série Portraits d'artistes filmés en couleur, télévision VPRO.
Nous remercions M.A. Dane du Service d'Emigration néerlandais à La Haye et M.A.C. Willink à Amsterdam, qui ont bien voulu nous prêter les clichés en couleur illustrant cet article. |
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