Septentrion. Jaargang 2
(1973)– [tijdschrift] Septentrion–
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The way to Brussels, please (1967) par Roger Raveel.
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roger raveel ou la ‘nouvelle vision’roland patteeuwNé le 2 février 1945 à Rumbeke (Flandre occidentale). Rédacteur de la section des arts plastiques contemporains des revues Kreatief et Visuel. Collaborateur de la revue Revoiver. Membre de l'Association internationale de la critique d'art. ![]() Paris perdant son rôle de centre artistique mondial au profit d'Amsterdam et de New York, le caractère non anecdotique de l'oeuvre de Roger Raveel, l'hésitation qui est toujours celle des Flamands quand il s'agit de reconnaître la qualité de leurs peintres contemporains, et la politique artistique déficiente de l'Etat et des musées résultant d'une telle attitude, voilà autant de raisons qui peuvent expliquer pourquoi le public français ignore quasi totalement Roger Raveel, l'un des peintres les plus novateurs de l'aprèsguerre. Pour Raveel, l'art pour l'art constitue une attitude exaltée de médiocre valeur, la limite ultime où s'arrêté la problématique de la création et où commence l'art de salon. Compte tenu de cette indication d'ordre théorique, il est curieux et très significatif à la fois que des mouvements dans la ligne de Cobra, de l'Ecole de Paris et d'autres encore apparentés à ces derniers - dont de nombreuses expositions ont été organisées en Belgique vers les années cinquante - n'aient pas suffisamment répondu aux aspirations de Raveel, qui les estimait trop détachés des aspects quotidiens du monde qui nous entoure. Les années quarante, la guerre, qu'avaient-elles signifié pour la formation de l'esprit de Raveel? ‘La guerre, je l'ai plutôt subie comme quelque chose d'inévitable, comme une sorte de cataclysme. Sans être animé par la haine, mais dans une indifférence absolue, j'ai tourné le dos à la génération précédente. Je recherchais déjà comment j'arriverais à la cristallisation d'une nouvelle forme, d'un nouveau visage de l'époque. Ainsi, l'intérêt que je portais au mouvement Cobra allait surtout dans le sens d'une appréciation des qualités | |
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Chat par Roger Raveel (1951, 28 cm × 36 cm).
politiques et formelles - notamment l'élément de la couleur et cela d'après des critères traditionnels’Ga naar eind(1). Entrevoyant des possibilités nouvelles dans la banalité de ce qui l'entourait immédiatement, Raveel refusait toute transcendance, toute référence à quelque disposition d'ordre spirituel que ce soit, et aspirait à embrasser la vie dans son immense complexité. Il voulait donc en arriver à un art objectif qui, à l'encontre de l'art de Cézanne, par exemple, fût confiné à l'intérieur de l'expérience totale de la réalité. Essayer de réaliser cet objectif, c'était substituer autre chose à ce qu'il avait appris jusquelà, à ce qui lui était connu jusqu'alors. Très vite, Raveel établissait pour luimême que tout valait la peine d'être peint pour la simple raison que dans la vie il existe des relations qui, finalement, englobent toutes choses existantes. Un examen portant sur l'aspect créatif de ces relations devait aboutir dès lors à l'abc d'un langage plastique authentique. Avant 1948, Raveel ne se soucie guère de l'atmosphère ni de la lumière dans son oeuvre. Il s'occupe beaucoup plus du signe des choses (herbe, arbuste, arbre) et de son expression graphique. Premiers exercices de doigté, des dessins et quelques peintures d'entre 1948 et 1950 l'éloignent de façon définitive d'une normalisation figurative qui avait été présentée plutôt comme artistique et éducative. Par la suite, Raveel choisit des sujets qui lui sont familiers, dessine sans | |
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se soucier aucunement du résultat, ignorant s'il en sortira quelque chose ou non. Il est animé cependant d'une foi utopique lui disant qu'il doit exister quelque part une solution qui ne se situe pas nécessairement dans la ligne d'un style d'expression antérieur. Mentalement, pour l'élaboration de sa vision, ce procédé a beaucoup enrichi Raveel, notamment parce qu'il lui a permis de se libérer de l'importunité de ce qui à l'époque était à la mode et de ce qui était démodé dans le monde des arts plastiques, et qu'il a pu abondonner l'élément esthétisant de l'art. ‘Dépourvus des préjugés de l'intellectualisme et des conventions esthétiques, les gens de mon village assimilent avec une audace effrénée de nombreuses choses généralement considérées comme du kitsch. La façon dont ils s'y prenaient, surtout, ne m'a plus lâché dès le début et m'a toujours inspiré. En dépit de nombreux éducateurs, promoteurs de l'élévation du niveau culturel du peuple, et des théoriciens des formes, je trouve délicieux ce qu'ils font...’Ga naar eind(2). Avant 1948, un paysage est provisoirement pour Roger Raveel un espace absolument vide, dépourvu d'atmosphère, ce qui peut être considéré comme l'antipode de ses aspirations plus réalistes ultérieures. Au stade suivant, après 1948, ses dessins veulent explorer ce qu'est, par exemple, un poteau dans la totalité du jardin et ce qu'en est le résultat sur le papier. Raveel s'efforce ainsi de réunir des identités différentes dans le contexte d'un dessin; le résultat constitue pour lui une première incitation à poursuivre ses recherches concernant les relations mutuelles entre les objets de son entourage. A cette époque, l'intuition de Raveel qui veut pénétrer dans l'essense des choses,![]()
Homme jaune par Roger Raveel (1952, 105 cm × 75 cm).
dans leur intensité spirituelle, anticipe sur la formulation littéraire consciente de la vision dans une figuration fragmentaire. ‘En 1963 seulement m'ont été révélées dans l'oeuvre des artistes Pop américains les aspirations qui m'occupaient pleinement à cette époque-là et qui, au fond, m'occupaient déjà en 1952’Ga naar eind(3).
Quelles étaient ces aspirations et comment étaient-elles transposées? Chez l'artiste, l'acte créateur s'accomplit à deux niveaux: celui de la perspective mentale inhérente à une attitude déterminée devant la vie et celui de la formulation de la vision que le spectateur peut reconnaître | |
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Homme et seau par Roger Raveel.
dans la forme (le dessin ou le tableau). Le caractère authentique de la forme qui en résulte a une signification d'autant plus importante que l'aspiration, à l'origine, à la viabilité, est évidente lors de la motivation plastique. Parce que le goût de peindre et de dessiner permet précisément à Raveel de sauvegarder la viabilité de ce que son esprit conçoit, son oeuvre contient les indications authentiques et déterminantes qui lui donnent sa place dans une tradition ininterrompue allant de Van Eyck jusqu'à notre époque. Faire une image de ce qu'on ne voit pas et de ce qui est invisible n'a pour Raveel qu'une signification littéraire et pseudoartistique. Là où Matisse consacre quasi exclusivement son attention à la composition des couleurs et parvient à une harmonie supérieure entre les parties d'ombre et les couleurs vives, Raveel témoigne d'un intérêt primordial pour l'apparition la plus typique des objets tant du point de vue du contenu des couleurs que de la forme. Raveel refuse dorénavant de considérer le dessin, le tableau comme une chose isolée [voir Beervelde]; il crée une sorte d'interaction entre le tableau et son entourage. Ainsi, ses dessins et tableaux ne sont même pas déterminés par le périmètre de leur rectangle ni par leur superficie. Si cet aspect comporte déjà | |
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une signification historique et si le premier élément met l'accent sur l'ambition de Raveel de saisir l'essence même des objets qui l'entourent, cette valeur additionnelle constitue une libération de l'esprit et subsidiairement de la forme par rapport à l'expressionnisme. Herinnering aan het doodsbed van mijn moeder (1965 - La mort de ma mère... je m'en souviens) nous montre clairement comment Raveel cherche à réaliser un lien englobant tout à l'intérieur de l'événement d'un tableau. Il nous confronte avec un souvenir: il ne s'agit pas d'une épreuve psychologique ou symbolique dont le seul but serait de susciter des émotions par le sujet à lui tout seul, mais d'une question de participation plastique totale. Au sujet de cette oeuvre, voici ce qu'on a pu écrire: ‘Raveel a forcé la paroi qui se dresse d'habitude entre le spectateur et la surface de l'image’. Du point de vue structurel, le déroulement de cette peinture est assez complexe. Le profil de la mère et une ‘main présente’ constituent, si l'on veut, des indications graphiques dans une surface peinte émotionnellement qui est détachée de la surface de la toile par le découpage du coin supérieur de gauche et par l'enchaînement en perspective de la tête et du pied du lit. Cette présentation planifiée est limitée par des horizontale les courbes et par l'adjonction des deux pièces du lit, qui sont des objets réels. ‘Le souvenir’, l'événement s'y trouve enfermé, mais Raveel veut que la peinture s'intègre dans l'entourage et, dans ce déroulement planifié, il situe la figure de son père hors du tableau, en tant que ‘spectateur’. Enfin, un
carré blanc se détachant de l'ensemble organique de la structure et contribuant à donner quelque sens de relativité à notre position vis-à-vis du tableau
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Homme et charrette par Roger Raveel (1963, 95 cm × 120 cm).
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Homme et arbre par Roger Raveel (1954, 36 cm × 28 cm).
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Basse-cour avec pigeon vivant par Roger Raveel (1962-1963, 150 cm × 420 cm).
constitue un élément magistral. Pour Raveel, le carré est un élément qui dépasse le contexte logique du tableau et lui permet de concrétiser les relations entre le peintre et celui qui contemple le tableau, entre le tableau et l'entourage. A côté du carré en tant que vide, nous trouvons d'autres essais du même ordre dans les tableaux de Raveel: le découpage de coins, l'intégration d'un miroir, le fait d'y attacher des objets réels. ‘De nombreux critiques restent sceptiques à l'égard du carré dans mes tableaux; celui-ci constitue cependant un aspect essentiel de mon oeuvre. Ils ne semblent pas vouloir abandonner la toile en tant que tableau achevé, isolé et délimité. Mon intention c'est précisément de passer outre à ces critères. Je veux confronter l'homme avec le tableau. Par l'intermédiaire de mon art, je veux mettre en question et peut-être élucider l'image qu'il a de son entourage’Ga naar eind(4). Chez Raveel, les relations ou les contradictions intérieures des structures de l'image sont la conséquence d'une expérience visuelle très intense, nécessaire pour montrer de façon plastique, pour rendre visible, en d'autres termes, comment tout le monde peut voir qu'il s'agit d'un chat, quelque allusive qu'en soit la représentation. Cette indication essentielle d'un chat, la simplicité directe de l'explication de Raveel, nous renvoient à sa préoccupation, - liée à une attitude devant la vie très complexe -, de ne pas peindre un chat à partir de sa propre psychè d'artiste, mais de poser au chat la question: ‘qu'es-tu, au fond, par rapport à ton entourage?’, et de saisir la réponse dans un dessin ou un tableau. On pourrait dire que Raveel se pose des questions à travers les choses qu'il peindra; il s'y identifie en vue de les laisser répondre à partir de leur essence, de leur être fondamental. Il se rend compte que la simplicité chez l'adulte, aussi bien celui qui peint que celui qui regarde, est une illusion parce que, contrairement à l'enfant qui réagit spontanément, il travaille à partir d'une certaine détermination. La formulation plastique pour son entourage et, en premier lieu évidemment, le fait de rendre quelque objet visible pour lui-même, s'accompagne chez Raveel de plusieurs aspirations cosmiques. | |
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La mort de ma mère... je m'en souviens par Roger Raveel (1965, 163 cm × 214 cm).
Cela s'exprime surtout dans sa connaissance de la symbolique primitive concernant la ligne, la forme et la couleur. Quelqu'un qui a du chagrin baisse la tête; celui qui est heureux jette les bras en l'air. Voilà de prime abord des indications cosmiques ‘perceptibles’. Mais les objets sont également chargés de temps et d'espace. Il suffit de regarder la tête du Christ ou de Judas chez Giotto pour sentir à quel point elles sont chargées d'un dynamisme témoignant de forces jusque-là insoupçonnées. En effet, les choses portent en elles-mêmes des forces que nous ne pouvons pas percevoir directement mais qui nous sont révélées par la voie de l'expression optique qui nous les rend visibles. L'intérêt qui en résulte pour l'interaction ou pour les relations mutuelles entre les objets a amené Raveel à réfléchir sur les aspects contradictoires de ces relations. Il en est résulté une réflexion à travers dessins et peintures sur les différents procédés d'écriture qui | |
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Les souterrains de Beervelde (1966) par Roger Raveel, en collaboration avec Raoul de Keyser, Elias et Lucassen.
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pouvaient lui permettre d'accentuer l'interdépendance de ces relations. Voilà le moment important par excellence, dont les premiers résultats se sont fait sentir vers la fin des années quarante. La nature morte, le paysage, la figure n'existaient plus pour Raveel en tant que notions définitives sans signification essentielle. Nous avons déjà parlé de la rupture de la surface et de la préoccupation de Raveel de laisser son oeuvre d'art s'incorporer à ce qui l'entoure; il y a là une invitation à la participation qui, du point de vue de l'histoire de l'art, constitue déjà une valeur nouvelle. Les différentes écritures - lisez: les différentes manières dont la peinture est pensée sur le tableau - peuvent être considérées comme le pivot suivant de la Nouvelle Vision. Nous en voyons des traces notamment dans Karretje en man (1953 - Charrette et homme) et dans Gele man (1952 - Homme jaune).
Mes premiers contacts et, ultérieurement, mes contacts plus étroits avec les oeuvres de la période 1950-1954, qui doivent avoir produit un effet consternant au début des années cinquante, m'ont fait comprendre que des parties émotionnelles à côté de parties plus raisonnées étaient les éléments essentiels de ces oeuvres-là précisément. Une négation radicale de l'expressionnisme a déterminé l'élargissement ultérieur de l'oeuvre de Raveel. Le tableau Gele man surprend en premier lieu par une épuration plastique poussée très loin, par la recherche de l'essence des choses. Le mur, la charrette, l'homme, le poteau et les maisons constituent les éléments essentiels du tableau. L'expérience de la réalité que nous faisons en regardant la caisse du triporteur - voir aussi Karretje en man - est accentuée par la représentation réaliste du![]()
Groupe de l'illusion par Roger Raveel (1965-1967).
moyeu. En son essence, élémentairement, la roue est un cercle; les rayons ne sont donc pas représentés, tandis que le déchargement des anguilles est indiqué fragmentairement et s'appuie sur une expérience visuelle manifeste. Le mur bleu clair, égal, repousse les maisons à l'arrière-fond de façon planifiée tandis que des lignes pointillées noires sur une surface blanche indiquent une direction dans le sens de la profondeur du tableau. Ces lignes pointillées rongent la surface blanche au point qu'on ne peut plus songer à un tableau comme porteur de peinture. Ici pas de lignes pleines, parce que Raveel veut que le spectateur prenne un | |
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Homme dans un parc par Roger Raveel (1970, 150 cm × 200 cm).
point de vue relativiste. Une ligne pleine aurait un effet trop destructeur et acquerrait d'ailleurs une valeur trop semblable à celle des deux lignes parallèles désignant le vide. Le poteau à gauche possède davantage l'identité de poteau, mais il est moins réaliste que la charrette dont l'aspect de la caisse est ce qui est le plus accentué, ainsi que le moyeu. L'homme jaune, enfin, tout comme la charrette et la maison, est reconnaissable de façon si essentielle qu'il est impossible de douter de sa réalité. Pour mieux encore expliquer les écritures différentes, je choisirais deux autres tableaux: Het neerhof met levende duif (1962-1963 - La bassecour avec pigeon vivant) et The way to Brussels please (1967 - La route de Bruxelles, s'il vous plaît).
Les deux tableaux sont révélateurs en ce qui concerne l'utilisation de la couleur résultant des écritures différentes. Pour comprendre le premier tableau, il nous faut retourner un instant à la période 1954-1960 que l'on a généralement baptisée ‘la période abstraite de Raveel’. Elle me semble cependant une continuation de sa préoccupation principale. Il veut transmettre ce qu'il distille de son observation aux objets de la réalité. Très souvent, il veut mettre l'accent sur ce qui est essentiel dans la nature au moyen d'une écriture organique, de ce que beaucoup de gens considèrent comme des formes abstraites. Dans Het Neerhof met levende duif, il s'agit déjà d'une forme plus avancée d'impression naturelle totale avec, secondairement, une expressivité significative des choses. Au centre se trouve un carré blanc au contour bleu clair, à l'intérieur duquel est accrochée une cage contenant un pigeon vivant. Voilà la partie explicitement la plus vitale du tableau. Des deux côtés de la cage, le tableau s'échappe dans toutes les directions; ce glissement planifié repose surtout sur les rapports entre les couleurs complémentaires et sur l'interruption du déroulement horizontal, ce qui entraîne une atmosphère, un climat dramatique. Deux vides à côté du carré accentuent la position relativiste dans l'espace autour du tableau, tandis qu'un rouge très éclatant, très ‘présent’ sur le volet de droite constitue un moment final de déstructuralisation. Dans The way to Brussels please, les différentes écritures alternent; comme il a | |
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Fenêtre ouverte par Roger Raveel (1971, 228 (2 × 114 cm) × 146 cm).
déjà été indiqué, cela va de pair avec le climat et la couleur à l'intérieur de l'oeuvre même. Un bout de manche avec une main désignant quelque objet représenté de façon très réaliste, à la Frans Hals, et très pénétrante, se trouve au premier plan tout près de celui qui contemple le tableau. La femme, esquissée de façon très élémentaire par des coups de brosse rapides et larges, constitue le plan suivant. On remarque la représentation lumière-couleur-lumière du visage, la représentation plane du châle, contrastant avec l'expression extrêmement réaliste de la chevelure. Le dernier plan comporte trois éléments en construction: un building très linéaire, un morceau de la nature très organique et un fond bleu égal comme arrière-plan. Enfin, le rougetransparent-rouge de la bande sur la droite fait en sorte que le tableau n'est déterminé ni par sa circonférence ni par sa superficie.
Comme je l'ai déjà indiqué, l'écriture organique constitue explicitement un apport plastique de la période 1954-1960; cet apport devait exercer une influence enrichissante sur les oeuvres des années soixante. ‘Ainsi, je recourais au carré ou à une couleur pénétrante même dans les oeuvres les plus spontanées et les plus inorganiques’ et ‘La couleur déterminant l'entourage, la peinture dans laquelle l'espace et le spectateur sont impliqués, je crois que jamais je n'ai mieux su concrétiser ces aspirations que dans l'oeuvre que j'ai réalisée dans les souterrains du château de Beervelde (petit village aux environs de Gand, en Flandre orientale) avec la collaboration de Raoul De Keyser, Etienne Elias et Reiner Lucassen. Cette oeuvre commune réalisée au mois de septembre et d'octobre 1966 reste unique en tant qu'“environnement” dans la peinture d'après 1945, non seulement par l'engagement plastique mais également en tant que confirmation absolue de la Nouvelle Vision’Ga naar eind(6). Tout au début des années cinquante, Roger Raveel a créé la base de ce mouvement qui, des années soixante jusqu'aujourd'hui, a eu une très grande signification pour la jeune peinture aux Pays-Bas. ‘L'essence des peintures de Beervelde se | |
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Contraste de chambre rouge-verte et Elisabeth par Roger Raveel (1972, 200 cm × 300 cm).
trouve dans la transformation d'un espace disponible en un événement plastique. Cet événement se concrétise par des couleurs directes qui assaillent le spectateur, par une simplicité désarmante du langage plastique, par une présence parfois contraignante de la façon de peindre, par l'utilisation de l'élément “temps” et, enfin, par l'aspect relativiste.’ Il est impossible cependant de décrire de façon représentative l'expérience de Beervelde sans faire tort à la réalisation des artistes. Même un film ou un montage à l'aide de diapositives ne constitue qu'une façon auxiliaire de présenter et d'expliquer cet événement. Il faut y aller voir de plus près pour se rendre compte à l'heure actuelle de l'importance et de l'influence, du point de vue de l'histoire de l'art, de Raveel et de ses compagnons. S'il est souvent question de temps et d'espace chez Raveel, c'est un aspect de son oeuvre plus difficile à saisir, parce que ce n'est pas la perceptibilité, mais l'expérience vitale, l'intuition plastique qui sont prépondérantes. A ce sujet, Raveel nous renvoie dans plusieurs textes écrits en vue d'éclaircir son expression artistique au peintre médiéval italien Giotto. Vers 1950-1954, Raveel a | |
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En route vers sa fiancée par Roger Raveel (1972, 114 cm × 145 cm).
constaté non sans étonnement, lors de sa première confrontation avec l'oeuvre de Giotto, que ses aspirations en matière d'écriture manifestaient des ressemblances avec les siennes propres, un certain parallélisme. ‘A plusieurs points de vue, Giotto était plus moderne que mes contemporains. Je trouvais chez lui la possibilité d'éprouver l'espace de la vision du monde (c'est-à-dire: le choix d'une attitude devant la vie) dans sa tension totale. Par la voie d'une spiritualité lumineuse et d'un réalisme prononcé, Giotto avait placé les hommes et les choses dans l'espace et le temps, tout cela sur la base d'un sens de la relativité prononcé. Du point de vue plastique et créateur, l'oeuvre de Giotto est une “ouverture vers la nouveauté”. Grâce à l'élément spirituel de son oeuvre, on éprouve l'existence | |
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Roger Raveel.
de forces de la nature découvertes plus tard seulement. Je décelais également chez Giotto une préoccupation d'intégrer le tableau dans l'espace’Ga naar eind(8). Si le sujet venait à la deuxième place, l'objet était bien plus important dans sa tentative de rendre reconnaissables des forces que nous ne pouvons pas apercevoir mais que nous pouvons pressentir dans leur représentation. Cela veut dire que Raveel ne donne pas une représentation d'un arbre mais qu'il donne à l'arbre la possibilité de se révéler à nous dans sa qualité complexe d'arbre. Ce que le Pop-art vers la fin des années cinquante définissait comme des aspirations à l'essence des choses constituait dix ans auparavant l'essence de la viabilité de Raveel, qui pouvait donner un résultat plastique indépendant. Dans ce contexte, ‘indépendant’ veut dire que Raveel tourne constamment le dos à la normalisation esthétique. Lorsque quelqu'un s'occupe d'expression plastique, il faut se poser quelques questions: quel dynamisme l'a poussé à faire cela? Pourquoi et pour qui Raveel l'a-t-il fait? Il semble qu'il ait peint en vue de sauvegarder sa viabilité mentale, ce qui est d'ailleurs, à côté du caractère d'authenticité, le seul moyen de distinguer ce qui a vraiment un caractère créateur du fatras esthétisant. L'authenticité est le caractère des choses que nous acceptons comme étant les plus proches de la vérité de la vie et que nous voyons, avec du recul, comme des points culminants. Tout doit être reconnaissable pour tout le monde - à plus ou moins long terme, les moments importants finissent par être reconnaissables pour tout le monde -, car il ne peut y avoir qu'un seul mobile à la base: des impulsions de la vie, des tentatives d'approcher le plus possible l'attitude fondamentale de la vie. Ce n'est qu'alors que l'on peut distinguer l'art d'un amusement formel et que l'art devient non quelque chose de superflu mais un élément important dans notre recherche de ce qui est au coeur de la vie. Le moyen d'expression, de quelque façon qu'il nous soit communiqué, n'a pas d'importance. Cela peut être la peinture. Raveel a peint et dessiné durant la période qui alla de 1950 à 1954, tout comme aujourd'hui il peint et dessine encore... Ga naar eind(5)Ga naar eind(7)Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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