Septentrion. Jaargang 16
(1987)– [tijdschrift] Septentrion[p. 20] | |
Le style normand dans l'architecture de la côte belgeOn assiste depuis quelques années chez les historiens à un regain d'intérêt pour l'évolution des stations balnéaires européennes(1). Leur attention se porte en particulier sur la façon dont des dizaines de petits villages de pêcheurs ont été transformés, entre 1860 et 1900, en résidences estivales pour la bourgeoisie citadine. Si l'on a déjà consacré quelques monographies à la côte belge, il n'existe pas pour autant de bilan exhaustif sur son architecture et son urbanisation. On peut néanmoins constater que le tourisme s'est développé selon deux phases distinctes, d'expression architectonique fondamentalement différente. Dans un premier temps, on construit surtout des villas privées (isolées ou alignées sur le bord de mer) et de grands hôtels de luxe. Puis, au lendemain de la seconde guerre mondiale, on assiste à l'apparition du tourisme de masse et l'immeuble devient la construction type. En divers endroits de la côte, on en est déjà aujourd'hui à la quatrième génération de logements, construits au même emplacement, et cela en tout juste cent ans(2)! Les changements sociaux, et en particulier la véritable révolution dans la conception du tourisme, entraînent la métamorphose de plusieurs communes côtières belges. Bien souvent, lors de la deuxième phase du développement touristique, on a implanté les immeubles sur la structure urbaine d'avant 1940, ce qui explique la forte concentration de logements sur le littoral à l'heure actuelle. Mais la faible étendue de la côte belge par rapport à celle du littoral néerlandais et français explique également la densité de l'infrastructure. La villa est la construction représentative du premier stade dans le développement du tourisme. En fait, on en distingue trois types en fonction de critères plus symboliques que concrets correspondant aux trois modèles de résidence dont rêve la bourgeoisie: la villa ‘ostentatoire’, la villa ‘bourgeoise’ et la villa ‘cottage’. La première cherche avant tout à paraître excentrique et son aspect a un caractère romantique ou exotique. La villa ‘bourgeoise’ diffère peu de la résidence secondaire bourgeoise généralement vouée aux styles à référence historique. Le troisième modèle, la villa ‘cottage’, s'oriente vers une architecture rustique. On peut déjà noter en Angleterre, dans la première moitié du xixe siècle un intérêt prononcé pour les constructions rurales comme en témoignent plusieurs publications(3). De ce regain d'intérêt pour l'architecture régionale profite en France, entre autres, l'architecture normande traditionnelle. On ne se borne pas à adopter les caractéristiques régionales pour concevoir les villas privées. On les utilise pour créer une harmonie visuelle et atteindre par ce biais l'objectif principal: un certain chic et une certaine originalité. Deauville, en France, en fournit un magnifique exemple. Sur la côte belge, le grand lotissement du Zoute à Knokke est l'exemple le plus beau et le plus intéressant de cette recherche d'une harmonie(4). Le promoteur, qui avait choisi de n'autoriser que les constructions à caractère régional et d'interdire toute expérience d'architecture moderne, reçut pour ainsi dire une bénédiction officielle lorsque Léopold III fit construire au Zoute une villa conçue par les architectes Joseph et Luc Viérin. Les modernistes tels que H. Hoste et G. Eysselinck virent dans cette villa un affront à l'architecture moderne et l'anéantissement de leurs espoirs de voir un jour la Maison royale soutenir ce mouvement. D'ailleurs, le roi Albert Ier avait confié en 1926 à l'architecte belge H. van de Velde(5), célèbre à l'époque dans le monde entier, la conception d'une villa à Oostduinkerke, | |
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Couverture de la revue ‘Opbouwen’ (Construire), no 10, 1934, Een ‘koninklijke’ villa? (Une villa ‘royale’?).
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Nieuport-les-Bains, Villa Crombez, 1925, architecte L. David (photo M. Dubois).
mais le projet resta à l'état d'ébauche... Dans la revue Opbouwen (Construire), H. Hoste réagit violemment contre la ‘ferme’ royale et définit le phénomène du Zoute comme ‘une tentative désespérée de concilier l'inconciliable, partant du principe que seule la forme des vieilles fermes s'harmonise avec le paysage du Zoute’(6). L'architecte Viérin connaissait parfaitement l'architecture régionale et maria dans la ville royale l'architecture rurale à l'esthétique des maisons blanches des pêcheurs de la côte. Au lieu d'importer une architecture, il utilisa le langage des formes employées dans la région(7). On peut se demander pourquoi, dans les exemples ci-après, les architectes ont adopté les caractéristiques des vieilles maisons normandes. Deauville, où se trouvait la villa tape-à-l'oeil de Henri de Rothschild, la ‘Ferme du Coteau’, construite en 1912, était le modèle par excellence. Cette villa symbolise la victoire du style normand sur les conceptions exotiques ou à référence historique(8). Cet édifice a certainement![]()
Westende, trois villas du début des années vingt (photo Nels, Bruxelles).
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Ostende, les Grands Magasins ‘A l'Innovation’, 1937, architecte A. Dautzenberg (dans ‘Le Document d'Architecture’, Bruxelles, no 4, 1939, p. 70).
servi de modèle à la villa, conçue par l'architecte L. David, que le baron Crombez fit construire en 1923 à Nieuport-les-Bains. La façade présente deux parties distinctes: une partie inférieure décorée en damier et une partie supérieure composée de différents pignons. Ceux-ci comportent l'élément typique de l'architecture normande: les colombages. Ainsi qu'en témoignent les autres constructions inspirées du style normand, cette architecture offre le grand avantage de rompre la monotonie d'une large bâtisse grâce aux toits pointus et aux colombages. C'est le cas de l'hôtel Memlinc à Knokke, conçu par les architectes Viérin et Dugardyn, et d'un certain nombre de villas à Westende. Les grands magasins ‘A l'Innovation’, situés dans la Kapellestraat, une rue très étroite d'Ostende, constituent pour 1940 la réalisation la plus remarquable dans l'emploi des caractéristiques propres à ce style(9). Conçue par l'architecte A. Doutzenberg, cette construction illustre clairement comment on peut segmenter une longue façade en se servant de ![]()
Knokke, Hôtel La Réserve, 1950, architecte L. Govaerts (Fotoprim, Bruxelles).
la structure qui l'entoure sans pour autant sacrifier l'unité visuelle de l'ensemble. Après 1945, on construisit deux grands édifices qui se réfèrent directement à l'architecture normande. Il s'agit tout d'abord de l'hôtel ‘la Réserve’ à Knokke, conçu en 1950 par l'architecte bruxellois L. Govaerts. Puis vient le nouveau kursaal de Middelkerke dans lequel l'influence est encore plus frappante. Cette réalisation reflète le choix de l'architecte A. Vereecke: une conception parfaitement symétrique coiffée d'un toit imposant. L'ensemble est presque la réplique de la gare de Trouville/Deauville, conçue par l'architecte Phillipot en 1930(10). L'utilisation du volume global, la forme des chiens-assis et la mise en valeur de la porte d'accès y sont à peu près identiques. Le kursaal de Middelkerke possède un seul fronton dominant l'entrée au lieu de trois comme à la gare de Deauville. On ignore pourquoi l'architecte a choisi le style normand. L'aspect du bâtiment est diamétralement opposé à celui du kursaal d'Ostende, de style | |
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La gare de Trouville/Deauville (France), 1930, architecte Phillipot (photo La Vie du Rail, Paris).
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Le Kursaal de Middelkerke, 1953-1954, architecte A. Vereecke (photo Nels, Bruxelles).
moderne, conçu à la même époque par l'architecte L. Stynen (1946-1952). Ces exemples ne forment qu'une infime partie de l'architecture traditionnelle normande sur le littoral belge, où l'on peut voir des dizaines d'autres villas qui possèdent quelques caractéristiques de cette architecture. Toutefois, dans le cas des exemples cités, on peut réellement parler d'un emprunt massif de ses éléments stylistiques.
MARC DUBOIS Architecte. Adresse: Holstraat 89, B-9000 Gent. Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin. |
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