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Chronique
Sadi de Gorter Paris
◼ en ce jour du 17 novembre dernier, par une aube grise et froide, je m'éveillai dans mon logis parisien et - croyez-moi - je repensai aussitôt au poète classique Joost van den Vondel dont la veille j'avais déjà en mon for intérieur commémoré le quatre centième anniversaire de la naissance. J'avais appris par mon ami Walter Thys, professeur de néerlandais à l'Université de Lille, qu'il était en train de rédiger, à l'occasion de ce quatrième centenaire, une étude sur Vondel et la France, dans laquelle il se proposait de retracer notamment la ‘fortune intellectuelle’ du dramaturge et du poète néerlandais dans ce pays. Le sommaire d'un tel ouvrage ne pouvait que susciter ma curiosité d'autant plus que nombre de lecteurs français ignore sans doute l'oeuvre de notre grand classique, voire le nom que le Petit Robert des noms propres classe alphabétiquement non pas à Vondel mais aux prépositions (van den) précédant son nom patronymique. Or, la France a joué un rôle important dans sa formation. Une nouvelle fois mon esprit s'emballe: Vondel a écrit à mon sens dans plusieurs de ses tragédies les choeurs les plus parfaits qu'un poète européen ait composés. Alors pourquoi n'ai-je jamais écrit sur lui; hormis quelques articles dans l'hebdomadaire Nouvelles de Hollande que j'ai rédigé pendant quelque vingt-cinq ans?
A force d'y penser, d'y repenser, mon esprit a en bon zélateur fait son travail de fourmi: bavard comme je l'étais à l'époque de ma jeunesse, j'ai dû certainement commémorer il y a cinquante ans le trois cent cinquantième anniversaire de la venue au monde à Cologne de Joost dont les parents originaires d'Anvers avaient fui l'oppression religieuse.
Ai-je écrit avant la guerre un texte sur notre poète dans une des publications françaises que je
Joost van den Vondel (1495-1587).
fournissais en prose? Je me rendis le jour même à la Bibliothèque Nationale dans ce repaire de bêtes de proie assoiffées d'encre et bien entendu je finis par découvrir que dans une revue mensuelle d'expression française intitulée Charpentes, j'avais effectivement parlé de ‘L'actualité de Joost van den Vondel’ dans le numéro 2 daté de juillet-août 1939, constatant de surcroît que la publication disparut un mois plus tard à la déclaration de la guerre. Dans le style qui était ma manière batavo-française de l'époque (ainsi qu'a affirmé un jour je ne sais plus quel critique peu sensible à mon charme), j'évoquais l'esprit de tolérance de Vondel moralisateur (premier poète catholique depuis Dante?) et de la nourriture spirituelle de ce créateur fécond. ‘L'influence des grands poètes grecs - ai-je lu sous ma plume -, des tragédies boursouflées de Sénèque, de plusieurs poètes français du xvie siècle, Ronsard, Du Bellay et peut-être Jodelle, le docile imitateur des préceptes d'Aristote, alourdit l'oeuvre de Vondel de scories abondantes. Shakespeare aussi a laissé des traces dans l'éloquence vondélienne.’ Plus loin, je trouvai ce passage: ‘Un fil conducteur relie entre elles les tragédies, les héroïdes et la satire de Vondel: l'amour de la nature, le besoin d'unir la matière
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et l'esprit. Une longue méditation - à cinquante ans seulement, il donna ses grandes tragédies, Gysbrecht d'Amstel, Adam en exil, Jérusalem dévastée, Jephté, Marie Stuart - jointe à un constant désir de s'instruire, ont contribué à perfectionner son oeuvre. L'inspiration ne connaîtra plus la moindre chute: Vondel entre dans l'Histoire.’
Pour illustrer mon propos, je citais ce chant de la naissance du monde, de la vie magique de l'Eden terrestre:
...Ici la divinité planta le ciel
Domaine à l'odeur de lait, de miel,
De lys pâles et de fraîches roses ouvertes.
Les rivages scintillent de turquoises,
D'escarboucles, d'onyx, de diamants en flammes.
Le sol est un tapis de fleurs. Aucune main étrangère
Ne peut broder tant de nuances dans un tissu.
Que d'oiseaux sont cousus dans un plumage d'or!
Là se trouve l'écureuil qui se mire dans la source,
Voici l'hélianthe à l'image du soleil,
Il embrase le coeur de ses rayons de vie!
Que d'oiseaux répètent une chorale d'anges,
Que de fruits portent leur destin fertile.
Venant de parcourir les 1450 pages en petits caractères des oeuvres de Vondel présentées et préfacées par le poète Albert Verwey dans une édition de H.J.W. Becht à Amsterdam en 1937, je n'ai pas retrouvé ces vers. Ai-je inventé ce lyrisme baroque, ai-je fait traduire cet extrait par un psalmiste bilingue? Vondel luimême n'aurait pu identifier ce passage car lui au moins traduisait entre autres Virgile et Ovide, l'Enéide et les Métamorphoses en vers alexandrins merveilleusement étoffés.
◼ il y a ceux qui sont lapidaires en vous parlant au téléphone, il y a ceux qui vous racontent d'abord la dernière bonne histoire belge - bonne à leurs yeux évidemment -, il y a ceux qui parlent par périphrases, il y a ceux enfin qui vous font juge de leur dernière trouvaille bouffonne, genre ‘Pour vos colis, la poste met le paquet!’. Ces correspondants-là auraient dû faire de la pub ou de la politique, une occupation qui consiste désormais à inventer des slogans. La méthode n'est pas nouvelle, les langues classiques nous en fournissent une multitude, mais le slogan d'aujourd'hui ne peut pas durer dans le temps, il doit être consommé et digéré séance tenante, à l'inverse des moralités de fables ou des maximes ou des aphorismes à la manière d'Hippocrate. Aux Pays-Bas, lors d'une soutenance de thèse, un étudiant présente des propositions, dites ‘stellingen’, autant de thèses d'une phrase que le jury universitaire examine avec condescendance comme un lecteur d'une revue une chronique à l'emporte-pièce. Dans les Pensées de Jacques Sternberg, on voit des exemples de ce type: ‘Quoi que l'on puisse en penser, survivre c'est encore ce qu'il y a de plus dangereux pour la santé.’
J'ai eu ces jours-ci un copain au téléphone qui m'a dit le plus tranquillement du monde qu'il terminait un livre dont le titre devait comporter des consonnes différentes entremêlées de voyelles ne se touchant pas. Je lui suggérai: ‘la colonisation de la parole’. Malin! me dit-il, en me faisant observer qu'à la fin du deuxième mot et au début du troisième on rencontrait deux consonnes. Et de plus, je venais d'utiliser trois l, deux n dans un même mot et trois o. En outre, il recherchait un titre d'un seul mot. L'ordinateur était d'ailleurs à l'ouvrage et il avait déjà examiné 500 ‘entrées’, mais il n'avait pas encore la réponse qui devait faire mouche. ‘Dommage, car tu batifoles mon pauvre vieux; tu es un type inouï, branché comme pas un et fabuleusement intumescent’. Je venais à peine de couper la communication lorsque je découvris le titre d'une exposition magnifique appelée Le Népal, pays où les dieux vivent parmi les hommes. Feuilletant un hebdomadaire, je vis une annonce sur la Chronique de la France et des Français, un grand reportage sur nos dernières 2410 années. Puis, un titre: Le présent du passé, puis un autre: Avec l'exil pour seule patrie. En somme, disait l'autre jour cette pub: ‘Nous sommes des gens étonnants, c'est chronique’.
◼ le peintre néerlandais max Raedecker est mort le 6 septembre dernier en Corrèze à l'âge de soixante-treize ans. Né à Amsterdam, il appartenait à une lignée d'artistes de renom. Son père, Willem, avait été sculpteur, son oncle John et son oncle Anton tout comme son cousin Han, fils de John, avaient été sculpteurs. Son frère Jan est peintre et son fils, Marnix, sculpteur, créateur de bas-reliefs et de fontaines monumentales. Tous ces Raedecker avaient ou ont en commun une
Max Raedecker (1914-1987).
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Max Raedecker: fontaine monumentale à ériger dans le vingtième arrondissement à Paris.
exemplarité artistique de stricte exigence professionnelle et humaine. Pour m'en tenir à mon ami Max souffrant d'insuffisance pulmonaire, hospitalisé à Paris, mais désireux de rejoindre son village de Chaunac dans les monts boisés de la Corrèze près de Tulle où il vivait une partie de l'année depuis la dernière guerre, il s'est vu mourir dans l'ambulance qui l'y transportait, heureux sans doute d'accomplir une fois de plus ce long voyage qu'il a tant suivi et aimé de son atelier parisien à celui du centre de la France. C'est dans ces terres limousines, qu'il avait sillonnées pendant la Résistance où les maquisards - il fut du nombre comme son frère Jan - avaient occupé sporadiquement non sans de terribles dommages le socle occidental du Massif central, qu'il avait fondé sa famille française. C'est dans un curieux immeuble en rotonde, vestige de l'exposition universelle de 1900, qu'il travaillait principalement à Paris dans un véritable monastère artistique de près de 80 ateliers appelé la Ruche.
J'avais présenté en novembre 1980 à La Haye une exposition de peintures de Max. L'artiste avait
Max Raedecker: Labyrinthe ou Parcours vers le troisième millénaire.
été figuratif dans sa jeunesse. A la maturité, il avait trouvé une écriture picturale rythmée, faite de caractères raffinés aptes à transcrire en un langage simplifié des traits et des volumes, des harmonies et des compositions à la limite du dessin et de la musique. Ainsi, du portrait au trait, du spectacle du monde à la vision de la matière inorganisée, Raedecker à travers le filtre de l'âge a regardé et analysé ‘la montée des couleurs dans les artères du dessin’. Cette calligraphie de l'espace ne supportait pas chez l'artiste le moindre ‘repentir’. On pourrait dire de la sorte que ses oeuvres sont restées éternellement inachevées ou tout au contraire mortellement accomplies. J'avais écrit à l'époque me rendant compte de cette transparence: ‘la liberté du geste du peintre est totale: elle n'est censurée par aucune retouche’. Max Raedecker est allé droit au but. Il peignait dans la plénitude de ses ressources spirituelles et de son impulsivité artistique.
Son fils Marnix incarne la responsabilité difficile d'assumer ses idées avec humilité, dans un monde peu architectural mais puissamment sculptural. Né à Tulle en 1951, il a fait des études aux Langues orientales et aux Beaux Arts, des études brèves mais attentives. Il crée des fontaines pour coupler l'eau et la matière, pour convertir les formes solides en formes liquides, créer des corps ‘informulés’ dans une stricte cohésion. J'ai vu dans son atelier une maquette somptueuse d'un signal sculpté sous forme d'un parcours labyrinthique, non pas inextricable, mais, au contraire, volonté de passage, cheminement à l'aide d'un fil d'Ariane corporel vers le troisième millénaire. Ce monument de communication destiné à être déployé sur une hauteur de plus de deux cents mètres doit être structuré dans l'espace en galeries au sens minier du terme de vingt mètres de largeur et s'élever autour d'une colonne axiale gigantesque. Celleci permettrait de communiquer directement avec le sommet afin que l'interaction des galeries puisse présenter un vaste déambulatoire. Rythmant l'espace, les galeries affichent un mouvement circulaire mais inégal. Véritable cathédrale éclatée, ce monument de l'an deux mille pourrait énergétiquement se suffire à lui-même et
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assujettir l'air, la lumière, l'habitat. Conçu à la verticale, le labyrinthe s'élève et se construit comme un signal-guide, un signalphare. J'ai passé des heures dans l'atelier de Marnix Raedecker et j'ai vu s'y développer une statue initiatique à l'accès difficile mais d'une monumentalité prodigieusement présente.
◼ dans un polar de la série noire dû à la main de Daniel Pennac et intitulé La fée carabine, je lis en exergue au premier chapitre du livre cette maxime solennelle: ‘La ville est l'aliment préféré des chiens’.
◼ comme vous n'êtes pas sans l'ignorer, tout Français moyen a un faible pour l'orthographe. Les questions de grammaire lui semblent infiniment plus indispensables à résoudre que les problèmes touchant le désarmement des superpuissances. Je n'en veux pour preuve que le succès remporté à l'échelon national, voire francophone, par le grand concours d'orthographe organisé pour la deuxième fois à la fin de l'année dernière avec la collaboration d'une chaîne de télévision qui n'a pas lésiné sur les moyens mis à la disposition des organisateurs pour la réussite de cette compétition d'une discipline pseudointellectuelle, à laquelle - pour votre gouverne! - j'ai participé ainsi que les membres de ma famille comme téléspectateurs.
Il faut considérer qu'en soi l'orthographe qui croule sous les règles est une manière d'écrire sans fautes. Or le jeu auquel je fais allusion est une épreuve typiquement française qui, j'en ai peur, fait du tort au rayonnement de la langue française dans le monde. Je m'explique. Chacun sait que le gouvernement français veut défendre à juste raison le prestige de sa langue et pour ma part j'y ai contribué en appelant l'attention, au temps où j'avais voix au chapitre, du ministère néerlandais de l'enseignement sur la nécessité de maintenir l'étude du français à l'école. Dans les instances internationales, j'ai utilisé le français de préférence à l'anglais tandis que la plupart de mes collègues néerlandais faisaient le contraire... parce que cela leur semblait plus facile. C'est d'ailleurs le leitmotif de la population aux Pays-Bas: le français est une langue difficile voire archaïque (ouderwets). Eh bien justement ce n'est pas mon avis, bien que le fameux concours d'orthographe auquel je fais allusion permette d'en douter. Certes, la célèbre dictée de Mérimée dans laquelle Napoléon III fit plusieurs dizaines de fautes était une dictée de réflexion et d'intelligence. Celle dont je parle que l'on peut appeler la dictée de Bernard Pivot est une dictée de stricte mémoire et de règles désuètes, c'est-à-dire le contraire de ce que prônent les partisans du français, langue vivante universelle. Dans la dictée dont il s'agit j'ai retenu le mot ‘irascible’. On l'a préféré sans doute au substantif ‘atrabilaire’ parce que le public fait plus facilement une faute dans le premier mot en le confondant
avec des mots à deux r (irradiation, irréfutable). Le reste à l'avenant. A-t-on tort ou raison de dire que le français est une langue difficile? Les mots qui s'écrivent avec un trait d'union comme arc-en-ciel, plus-que-parfait, porte-plume, Barsur-Seine méritent sans doute un ou plusieurs traits d'union, sauf précisément trait d'union qui est l'archétype des mots composés. Il y a deux façons d'écrire les noms composés de nos jours: celle que l'on trouve dans les dictionnaires du petit Larousse ou du petit Robert et qui servent de référence à notre concours comme par exemple Malo-les-Bains, Maisons-Alfort, Saint-Loup-des-Vignes et celle que le ministère français des PTT nous impose, à savoir Malo les Bains, St Bonnet le Courreau, Maisons Laffitte, etc. Cette absence de divisions est fautive, ont appris les usagers du français. Or le code postal nous en fait désormais un devoir. Peut-on en vouloir à un écolier néerlandais de croire que le français mérite d'être modernisé?
◼ ‘cent ans le livre de l'année’ ont fait l'objet d'une publication intitulée Het literair eeuwboek, le livre du centenaire littéraire néerlandais. L'ouvrage groupe, de 1885 à 1985, le livre de l'année, choisi parmi dix livres retenus annuellement, romans, nouvelles, essais, poésie, anthologies, etc. Les auteurs de ce guide: C.J. Aerts et N. van der Meulen. L'éditeur: les grands magasins d'Amsterdam De Bijenkorf. Dans l'une de mes anciennes chroniques, j'ai déjà loué les mérites de ce magasin qui a des succursales dans d'autres grandes villes, d'avoir mis en valeur par des publications de haut niveau son rayon ‘poésie’, y compris la poésie contemporaine. Cette fois, je lis avec le plus grand plaisir le choix fait par les rédacteurs du livre de l'année, bon an mal an, pendant cent ans. Les auteurs ont misé sur le système de la classification du ‘top tien’ (top ten en anglais) ce qui représente mille livres en un siècle, à raison d'un livre prétendûment primé par an suivi de neuf livres classés en respectant la chronologie annuelle. On peut se demander comment les rédacteurs ont procédé au tri et ensuite au classement de ces dix ouvrages annuels. En fait, rien de plus simple, mais diable! quel travail. Leur a-t-il suffi de noter les innombrables auteurs néerlandais un siècle durant selon un critère à la fois alphabétique et systématique, puis procéder à un choix des courants littéraires, des générations, des genres, puis recréer un manuel scolaire idéal ou un livre
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d'histoire littéraire, afin d'extraire les dix livres à retenir par année de parution puis désigner chaque fois le ‘top numéro 1’, puis, et puis, puis? En vérité, le livre n'a pas été conçu de cette façon. Sans doute a-t-il fallu tricher un peu, car personne au monde ne pourrait réunir des dizaines de milliers de livres en un siècle. Il leur a fallu je présume avoir recours à des anthologies pour fabriquer une sorte de ‘hit-parade’ après coup. Le côté intéressant de l'opération c'est d'avoir ‘repensé’ au goût des lecteurs de l'époque, à l'évolution de l'oeuvre des auteurs au fil des ans, car un écrivain est soit oublié au bout d'un siècle, soit célèbre après sa mort ou après la publication de ses oeuvres complètes. C'est pourquoi les initiateurs de ce choix annuel ont recherché les livres favoris des lecteurs, des éditeurs, des critiques littéraires, des libraires, des collègues de l'époque concernée selon le système de ‘quels livres aimeriez-vous amener avec vous sur une île déserte?’. De ce fait, la communis opinio joue un rôle prépondérant. Mais il a fallu tenir pour essentiel que les modes et le goût du public évoluent au fur et à mesure que l'on s'écarte des années fin de siècle et 1900.
Ensuite, il est beaucoup plus difficile de choisir le livre de l'année parmi les oeuvres d'un même romancier et d'un même poète productifs. Prenons le cas du Prix Goncourt. Il est attribué chaque année à un auteur différent. Le meilleur roman de l'année aurait aussi bien pu être l'oeuvre d'un écrivain déjà célèbre qui n'entre plus en ligne de compte s'il a déjà obtenu le Goncourt. Dans l'ouvrage Le livre de l'année, un écrivain n'est pas éliminé après avoir été déclaré vainqueur pour l'un de ses ouvrages ou avoir été choisi au sein des dix ‘nominés’ pour un autre. Ainsi le romancier Couperus a été nominé 32 fois entre 1886 et 1925 et couronné 5
Louis Couperus, dessin de Louis de Leeuw paru dans la revue catholique ‘De Roskam’ (L'étrille) en 1917. L'écrivain est caricaturé à gauche.
fois (en 1889, 1901, 1905, 1906, 1917) tout en ayant été en compétition avec deux livres à la fois en 1892 et 1895. En 1887, le roman de Frederik van Eeden De kleine Johannes a été choisi par les auteurs de notre ouvrage. Ce fut l'année de la mort de Multatuli. Depuis cent ans, De kleine Johannes a été tiré à 183 000 exemplaires répartis sur 41 éditions dont 29 datent de 1946 à 1985 et 12 de 1887 à 1932. Frederik van Eeden, pour un autre livre paru en 1900 aurait été vainqueur une seconde fois et nominé 11 fois si la compétition avait été inventée de toutes pièces pour le plaisir de la clientèle du Bijenkorf.
Dans une préface intitulée Ecrivains, marchands de gaufres et bouchers hippophagiques, Gerrit Komrij qui, soit dit en passant, n'a pas remporté la première place du ‘top dix’ bien que nominé 5 fois, écrit: ‘Comment panse-t-on une blessure avec un quatrain? Comment réconforte-t-on un soldat mourant avec une trilogie? L'écrivain, entre-temps pense qu'il s'active à la découverte d'une panacée contre toutes les infirmités, surtout contre le mal de sa propre condition mortelle.’ Et le préfacier de préciser ‘L'Histoire est équitable, mais il faut qu'on l'aide un peu pendant notre vie. Des “top ten” doivent être organisés parce que l'on ne peut pas attendre notre immortalité jusqu'à sa mort.’
Donc, vive le ‘top ten’. L'écrivain qui a eu droit dans ce classement à 12 nominations est le romancier, essayiste, poète prolixe Simon Vestdijk. Parmi les écrivains néerlandais en vie - puisque l'histoire est équitable à condition de l'aider - Willem Frederik Hermans est classé 20 fois et lauré 3 fois tout comme Gerard Reve mais avec 16 nominations, tandis que Harry Mulisch, 2 fois vainqueur, compte 14 nominations. Le livre de l'année a été remporté 3 fois par une oeuvre de Willem Elsschot comme par J. van Oudshoorn, 2 fois par F. Bordewijk (pour 10 nominations) Carry van Bruggen (11 nominations), Marcellus Emants (13 nominations), Hugo Claus (9 nominations), Jacob Israel de Haan (10 nominations), J. Slauerhoff et Stijn Streuvels, respectivement 7 et 6 nominations. A contrario, Boutens, Menno ter Braak, Cyril Buysse, Maria Dermoût, H. Marsman, Adriaan Roland Holst, Karel van de Woestijne nominés à profusion
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Jan Jacob Slauerhoff (1898-1936).
n'ont pas eu un livre de l'année, tandis que Ethel Portnoy nommée une fois a été élue cette seule fois. Quoi qu'il en soit, la formule est amusante. J'ai ouvert la page de l'année 1922 où figurent les noms des 10 top ten dans l'ordre: Stijn Streuvels (vainqueur pour son roman Prutske, 2) Willem de Mérode, 3) Hendrik de Vries, 4) Louis Couperus (mort en 1903!), 5) Arthur van Schendel, 6) Herman Teirlinck, 7) Carry van Bruggen, 8) C.S. Adama van Scheltema, 9) Cyril Buysse, 10) Frederik van Eeden. Le livre de Stijn Streuvels a connu à ce jour un tirage de 50 000 exemplaires répartis en 13 éditions. Commentaire du critique J. Eeckhout lors de la sortie du roman: ‘Un trésor; un livre qui rendra tout un peuple heureux.’
En cette année 1922, Mussolini arrivait au pouvoir, Rathenau était assassiné, James Joyce publiait son Ulysse, Wittgenstein son Tractatus logico-philosophicus, Proust succombait, la tombe de Toutânkhamon était découverte dans la Vallée des Rois, Hasek achevait de remanier les quatre tomes inachevés des Aventures du Brave soldat Chveik.
◼ près de quatre millions de Néerlandais se sont rendus coupables d'un délit au cours de l'année 1986 affirme le très officiel Bureau néerlandais de la Statistique. Ce nombre inimaginable a été certifié après enquête auprès d'un échantillon de 8700 personnes âgées de plus de 15 ans. Les fautifs appartenant à cette tranche d'âge représentent 40% de la population des Pays-Bas. Dans ce pourcentage interviennent 57% d'hommes et 27% de femmes ayant commis un acte délictueux. Avoir pris le volant en état d'ébriété, avoir voyagé sans titre de transport valable, avoir échangé les étiquettes de prix dans un magasin, avoir subtilisé ‘quelque chose’ sur le lieu de leur travail, avoir dérobé des objets ou des produits dans une grande surface, avoir causé des dégâts ou commis des déprédations dans un lieu public, avoir fraudé le fisc (ou les douanes?), telles sont les infractions avouées aux enquêteurs. Comme on le voit, les hommes confessent avoir violé la loi plus souvent que les femmes. Celles-ci seraient-elles plus honnêtes? Les jeunes avouent des entorses aux règlements plus souvent que les adultes. Ceux-ci seraientils plus irréprochables? Quant aux Néerlandais commettent-ils plus de forfaits que d'autres Européens ou admettent-ils plus volontiers de dire la vérité?
◼ l'unesco se propose de réunir en sept tomes une histoire universelle du développement scientifique et culturel de l'humanité, à laquelle travaillent déjà de par le vaste monde des historiens réputés (ou connus). De temps à autre, un comité d'experts se réunit au siège de l'organisation afin de coordonner les études et les manuscrits du premier volume qui devrait être terminé fin 1988. Ce comité exécutif présidé par l'historien français Charles Moraze s'est déclaré enchanté de la coopération intellectuelle internationale et il espère que les manuels d'histoire mondiale paraîtront en versions populaires dans les meilleurs délais.
Il y a des années une semblable histoire universelle avait été élaborée sur proposition des ministres de l'enseignement des pays alliés qui s'étaient réunis à Londres en 1943. L'Unesco avait repris l'idée et je me souviens que lorsque l'ouvrage parut en 1968 il fut accueilli élogieusement mais il s'avéra que cette histoire était incomplète et dès sa sortie de presse déjà parfaitement dépassée. Comme quoi paraît archaïque toute historiographie décrivant officiellement la vie des peuples de notre planète. A présent, le directeur général de l'UNESCO a promis que les collaborateurs de cette grande oeuvre encyclopédique travailleraient en toute liberté académique. Fort heureusement, les ouvrages traitant de la guerre Iran-Irak, du conflit israélopalestinien, des hostilités entre ethnies du Tamoul et de Sri Lanka, de la lutte armée dans les pays sud-américains ne sont pas pour demain. Sans parler des problèmes de détail à la Jean-Marie Le Pen.
◼ je viens de parcourir un guide touristique fort de 360 pages intitulé La Hollande circulaire datant de 1875. Ce guide pratique et son annexe Belgique, Hollande et bords du Rhin est instructif. On apprend que la vie en Hollande est chère, très chère, trop chère surtout quand on sort de la Belgique, véritable pays de cocagne où les prix sont exceptionnellement ‘doux’. La Hollande, lisje dans ce guide Conty, ‘est le pays de la propreté exagérée quelquefois et fatigante...’ Parmi les types hollandais il faut citer ‘les veilleurs de nuit, les croque-morts et les pleureurs. Les premiers sont des agents chargés du guet. Il sont vêtus d'une longue redingote et coiffés d'un chapeau droit. Ils tiennent à la main un bâton muni d'une planchette qu'ils actionnent pour faire du bruit. Parfois la planchette est remplacée par une
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La Hollande circulaire (guide Conty, 1875).
crécelle. Les croque-morts sont de noir vêtus et en culotte courte avec un tricorne garni d'un crêpe qui retombe jusque sur les talons. Ce sont des agents officieux qui vont à domicile faire part des décès. Quant aux pleureurs, nous apprenons qu'aucun enterrement sérieux ne se fait en Hollande sans pleureurs attitrés. Pleureur en Hollande est une profession.
Les pleureurs précèdent le corbillard et ont un mouchoir devant les yeux. Il est bien entendu que le pleureur n'est pas un personnage officiel et qu'il ne figure que dans les enterrements des défunts de l ère classe ou qui paient pour être des morts de 1 ère classe! Comble de la particularité hollandaise: rien de triste comme une maison hollandaise non commerçante: fenêtres, portes, tout y est fermé comme dans nos maisons les jours des décès. En ce qui concerne les hôtels, un bon principe en voyage c'est d'éviter les discussions et les surprises. Aussi le premier soin doit-il être en arrivant dans un hôtel de faire toujours prix d'avance pour la chambre, le service et la bougie...’ Voilà qui a dû inciter les frères Philips à fabriquer des lampes à incandescence. Après avoir analysé en deux mots les restaurants, les fromages et les bonbons, le guide explique que si vous n'avez pas la bonne habitude de vous raser toujours vousmême, vous serez fort embarrassés en Hollande car les coiffeurs dans ce pays sont des coiffeurs et non des barbiers. ‘Or, rien n'est sale comme le barbier hollandais en retard d'un siècle sur la propreté’. Cette propreté a été un véritable cauchemar pour l'auteur du guide. On en parle à toutes les pages. Dans le village de Broek ‘une grande partie du jour se passe à laver, frotter, épousseter jusqu'à ce que tout reluise comme un marbre poli.’ Entrant dans une maison, il y a une cuisine d'apparat dont on ne se sert que pour montrer aux autres jusqu'où peut aller le poli des cuivres et l'absence des mouches et une autre cuisine vraie qu'on dérobe à tous les regards. Pour achever le tableau de cette ridicule
propreté, ajoutons que les étables des vaches sont tenues avec un soin si prodigieux qu'on pourrait presque
Dessin de Ted Schaap dans ‘Présentation de la Hollande’ par S. de Gorter, 1954.
s'en servir comme de salons: les vaches elles-mêmes y ‘sont en toilette’, la queue retroussée par une attache à la solive... Croyezmoi, tout ce qui précède, j'aurais dû le noter entre guillemets.
◼ en cette matinée du premier janvier, j'ai feuilleté l'almanach des PTT de 1988. Ce document représente en France une... institution! Il vous est fourni chaque année depuis mon enfance contre des étrennes facultatives par le préposé au courrier qu'on appelait facteur au temps où il circulait à Paris à pied ou à bicyclette. Ce calendrier en carton qui sert de portefeuille à des pages éloquentes vous fait découvrir généreusement un petit aperçu de renseignements généraux sur le service des postes et des télécommunications, sur des indicatifs téléphoniques, des congés scolaires, des adresses utiles, des pharmacies parisiennes ouvertes la nuit, les lignes du métro. Quant aux prévisions météorologiques, on nous signale gentiment qu'elles sont ‘établies par l'éditeur et n'ont qu'un caractère de probabilités.’ Soyons donc prudents: à la pleine lune du premier mai 1988 à 23 heures 41 minutes, il fera doux et durant le dernier quart dès le 4 août à 18 heures 22 minutes, chaud et nuageux. Le reste est à l'avenant comme par exemple l'entrée du soleil dans les signes du Zodiaque. Cette entrée triomphale aura lieu dans la Balance le 22 septembre 1988 à 19 heures 29 minutes 47 secondes.
J'ai découvert une innovation cette année, mais il peut s'agir d'un oubli de ma part, à moins que j'aie confondu avec un tableau sur le langage des fleurs proposé l'année dernière. Cette innovation concerne les anniversaires de mariage. Nous connaissons évidemment les noces d'argent, les noces d'or, à la rigueur les noces de diamant à soixante
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ans, celles de platine à soixantedix ans, et si par malheur Dieu nous prête vie les noces de chêne à quatre-vingts ans. Mais je n'avais jamais rencontré dans un quelconque agenda le premier anniversaire de mariage: les noces de coton; le deuxième, les noces de cuir; le troisième, celles de froment et ainsi de suite: noces de cire, de bois, de chypre, de laine, de coquelicot, de faïence et d'étain. Le tout jusqu'à 49 ans. Vingt-trois ans de mariage: noces de béryl; 35 ans: noces de mercure;
Maria Semple: costume hollandais, gravure de 1817.
47 ans, noces de cachemire. Je ne suis pas d'accord en ce qui concerne le 32 e anniversaire de mariage. On prétend qu'il s'agit des noces de cuivre. Erreur grossière, chaque Néerlandais sait qu'elles commémorent les 150 mois de mariage soit 12 ans et demi, la moitié de 25 ans, les noces d'argent. Par contre on peut s'imaginer que les noces de flanelle représentent le ... 43 e anniversaire, souvenir lointain du tout premier qui, rappelons-le, incarne les noces de coton. |
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