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Architecture
Lucien Kroll, projets et réalisations
Avec Charles Vandenhove, son compagnon d'études qui, en 1952, s'associa à lui pour fonder un bureau, Lucien Kroll est un des rares architectes belges dont le nom ait percé à l'étranger. Non content d'attirer l'attention de la presse spécialisée internationale, Lucien Kroll a également construit en France, en Allemagne et aux Pays-Bas.
Sa réputation s'explique par de tout autres raisons que celle de Charles Vandenhove. Leurs interprétations de l'héritage commun du modernisme sont diamétralement opposées et illustrent le dualisme inhérent à cette école. Vandenhove se distingua par sa vigueur et sa pureté formelles; Kroll, convaincu que l'architecture jaillit spontanément de la vie, prône l'absence de toute forme.
Telle est la conception que Lucien Kroll défend avec ardeur dans la récente monographie consacrée à son oeuvre propre mais que les réalisations invoquées contredisent à chaque page.
L'auteur passe ses débuts sous silence pour situer sa première oeuvre au moment de la construction de sa maison de Bruxelles. Conçue pour abriter plusieurs familles, elle reflète déjà le souci de participation et de sociabilité qui caractérise son architecture. L'ouvrage ne s'attarde pas sur les réelles qualités de cette architecture limpide ni sur celles des projets et réalisations ultérieurs.
L'auteur insiste constamment sur la participation (souvent imaginaire), sans essayer de montrer comment elle peut s'inscrire effectivement dans l'ensemble du processus architectural. Et c'est dommage. En effet, malgré les chimères qu'il poursuit, Lucien Kroll reste un excellent architecte et c'est sans doute cette qualité qui lui vaut sa réputation.
La percée de Kroll est en grande partie due au foyer d'étudiants mondialement connu du campus de médecine de l'Université catholique de Louvain. Situé à Woluwé-Saint-Lambert, le ‘Mémé’ fut mis en route à la fin des années 60. En concevant ce complexe de bâtiments, Kroll a voulu donner une image directe d'une architecture anarchiste dont l'excitant éclectisme n'exclut aucune possibilité. Une chambre droite y prend une connotation fasciste, une ligne courbe est synonyme de délivrance, un mur composite est plus humain qu'un mur en un seul matériau. Le ‘Mémé’ est d'ailleurs unique dans l'oeuvre de Kroll.
Dans son introduction, qu'il intitule ‘Le retour des Sioux’, Wolfgang Pehnt s'efforce sans y réussir vraiment de trouver un fondement et une explication théoriques à l'oeuvre de Kroll. Pehnt comprend trop bien que sa pratique de l'architecture a des racines plus larges et plus profondes que Kroll ne veut nous le faire croire et que la vie, même celle de tous les jours, s'inscrit dans une structure dont elle tire sa signification.
Comme Pehnt le suggère, il en va de Kroll comme de tout créateur: il ‘dialogue avec lui-même’. La qualité de l'oeuvre dépend de la profondeur du dialogue. Bien que Kroll veuille se distancer de l'architecture et de son rôle d'architecte, il est bon gré mal gré, et peut-être plus que les autres, impliqué dans l'architecture, son histoire, son statut social et ses possibilités poétiques dans l'environnement technologique.
La polémique de Lucien Kroll et la publication de son oeuvre n'ont d'ailleurs de sens qu'à l'intérieur de son art.
Ce livre ne permet pas au critique une confrontation sérieuse avec l'oeuvre de Kroll. Une analyse du commentaire entraîne inévitablement l'évaluation critique que Kroll lui-même veut éviter. De ce fait, il se manifeste une fois de plus comme le type de l'architecte qui, victime du trac, ne prêche que des convertis.
Le livre fournit certes une bonne documentation sur l'oeuvre de Kroll mais il n'apporte rien au débat actuel sur l'architecture.
Geert Bekaert
(Tr. Ch. Gerniers)
Lucien Kroll. Projets et Réalisations/Projekte und Bauten. Introduction/Einleitung Wolfgang Pehnt. Editions Arthur Niggli S.A., Teufen, 1987, 144 p.