Septentrion. Jaargang 17
(1988)– [tijdschrift] Septentrion–La Maison DescartesRené Descartes n'a jamais habité dans cette très belle demeure qui porte actuellement son nom. Mais peut-être sa fille Francinette qu'il eut de la servante Hélène connut-elle l'ancien hospice wallon qui fut construit à la fin du 17ème siècle. Cette maison servait en effet d'orphelinat et d'hospice aux communautés wallonnes et huguenotes, et la langue et la mémoire françaises avaient pu s'y maintenir au fil du temps. En 1966 la communauté wallonne d'Amsterdam décida de vendre l'hospice wallon. Le ministère français des affaires étrangères se chargea d'acquérir ce magnifique bâtiment pour y transférer les services de l'ancienne Maison de France où les locaux qu'elle partageait avec les services culturels de l'Ambassade de France à Amsterdam étaient devenus trop exigus. Cette première Maison de France était d'abord située au numéro 11 du Museumplein (derrière le Rijksmuseum) et fut inaugurée par la princesse Juliana le 27 octobre 1933. L'impulsion première avait été donnée par le médiéviste de la Sorbonne Gustave Cohen qui avait occupé la chaire de littérature française à Amsterdam en 1912 et qui écrivait en 1939: ‘Cette maison Descartes... serait la Maison de France en Hollande, répondant au pavillon néerlandais de la Cité universitaire et qui accueillerait nos jeunes artistes, savants, hommes de lettres, désireux de s'initier à l'art, à la science, à la littérature néerlandais...’ En 1630, René Descartes se fit immatriculer à l'Université de Leyde comme étudiant, mais c'est dès 1628 que le philosophe Descartes était arrivé aux Pays-Bas (il devait y rester jusqu'à son départ en Suède en 1649). ‘Quel autre pays’, écrivait-il, ‘où l'on puisse jouir d'une liberté plus entière?’ Depuis, Montesquieu, Voltaire, Diderot et Verlaine pour ne citer que quelques noms sont venus puiser aux sources de ce pays, ‘petit par sa superficie, mais grand par sa culture...’ Si l'histoire nous ramène au présent, c'est pour ne pas oublier que cette Maison Descartes - l'Institut Français des Pays-Bas - existe avant tout par la volonté des femmes et des hommes qui l'ont fait et le font chaque jour. De grands travaux d'aménagements et de restauration durent être effectués pour protéger et moderniser cette maison. La salle de cinéma du Prinsengracht a été transformée à la demande de l'ancien directeur de l'institut français, Jean Galard. Cette salle est devenue polyvalente et utilisable aussi bien pour des projections de films, des représentations de pièces | |
[pagina 5]
| |
de théâtre que des entretiens avec une personnalité. Jean-Louis Lalanne qui, auparavant, était en poste au MarocGa naar eind(1), a succédé à Jean Galard et a continué les travaux de rénovation et d'embellissement de la Maison Descartes. Le directeur de l'institut veut redonner à la Maison Descartes son rôle un peu délaissé de lieu de recherche et de réflexion, comme Gustave Cohen l'avait proposé. Cela passe d'abord par le développement des relations entre les universités des Pays-Bas et de France, et par des échanges d'universitaires. Un des projets qui lui tient le plus à coeur, c'est d'inviter les membres du Collège de France à Amsterdam et de revenir à la culture française par le sommet. Parallèlement il poursuit l'organisation de nombreux colloques; celui de la rentrée d'automne aura pour thème ‘La bêtise’. Tous ces colloques font l'objet de publications régulières. La Maison Descartes doit ‘devenir une plaque tournante européenne ouverte sur la ville’, d'où la nécessité de ne pas oublier l'Europe télévisuelle: Georges Duby est venu au mois de mai 1988 présenter ‘La 7’. Amsterdam étant une ville pionnière dans le domaine du design, l'institut va continuer à développer des expositions autour de designers; l'exposition de Philippe Starck au mois de mai 1987 avait en effet eu un très grand succès. Des accords bilatéraux ont aussi été signés entre l'IRCAM (Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique) et la Maison Descartes. L'institut dispose de 3 000 mètres carrés aménagés en salles d'expositions, bibliothèques, salles de cours, centre de documentation, salle de conférences, de cinéma et de réunion. | |
Amours secrètesLa bibliothèque compte plus de 30.000 volumes, et est riche d'un millier d'ouvrages rares en éditions anciennes, parmi lesquels de nombreux livres publiés en français aux Pays-Bas aux 17ème et 18ème siècles. La bibliothèque a également un service de prêt de disques et de cassettes et dispose d'un espace réservé aux enfants. ![]()
J.-L. Lalanne, directeur de la Maison Descartes à Amsterdam.
Margot Dykgraaf a la responsabilité de cette bibliothèque depuis deux ans. Elle a voulu en changer l'accueil et en faire une bibliothèque ouverte: l'éclairage a changé, les livres jamais consultés ont été mis au grenier. La place ainsi gagnée a permis d'organiser des soirées autour des ‘amours secrètes’: des soirées littéraires animées souvent par des professeurs de faculté, et qui viennent présenter les auteurs aimés. Au cours de l'année 1987, ont été présentées entre autres: ‘Le cauchemar de l'araignée’, ‘Electre ou la chute des masques’ de Marguerite Yourcenar, ‘Marivaux féministe?’, ‘La géographie imaginaire du moyen âge et sa vérité, ‘L'homme assis dans le couloir 18 ans avant’ de Marguerite Duras, Henri Michaux: ‘Un certain Plume’, ‘Marcel Aymé et les mythes de l'enfance’, ‘Maurice Blanchot et l'espace littéraire’. En 1988, a eu lieu une introduction aux oeuvres des écrivains du Québec. Margot Dykgraaf est aussi chargée des relations publiques avec les universités et avec les auteurs, leurs éditeurs et leurs traducteurs. L'année dernière s'est tenue une table ronde qui avait comme thème la traduction. L'année prochaine, ce sera le tour d'écrivains néerlandophones de présenter leurs amours secrètes et de | |
[pagina 6]
| |
![]()
Françoise Chevy.
venir parler des écrivains francophones pour lesquels ils éprouvent un sentiment d'amour. Nous attendons donc: Hugo Claus, Cees Noteboom et Hella Haasse. On attend aussi leurs traducteurs et l'un de leurs critiques littéraires du journal Vrij Nederland (comparable au Nouvel Observateur) Rudy Wester. Hubert Reeves est lui aussi attendu à la Maison Descartes pour la traduction de son livre en néerlandais ‘L'Homme et son univers’. 1989 sera, bien sûr, consacré au bicentenaire de la révolution française. Le centre de documentation dont Danièle Pin assure la bonne marche possède un service de prêt de photographies et de diapositives, une téléthèque de 700 émissions de la télévision française qui peuvent être visionnées sur place et un catalogue de 110 films récents sur VHS. Le service de documentation répond aux nombreuses et diverses questions des visiteurs. Le public peut consulter sur place la presse et les revues spécialisées qui font l'objet d'un dépouillement quotidien. La presse néerlandaise a donc fréquemment recours à la ‘doc’. Danièle Pin reçoit aussi en permanence des stagiaires documentalistes en formation pour des périodes variables, à la demande des écoles néerlandaises ou françaises. | |
Carnet du B.A.L.Le Bureau d'Action Linguistique (B.A.L.) d'Amsterdam, c'est Lionel Boulanger qui en a la charge. Le B.A.L. dépend du service culturel de l'ambassade de France, et a pour mission l'encouragement et la promotion de la langue française. Lionel Boulanger développe son action sur plusieurs axes: - d'abord intervention dans la formation des enseignants de français langue étrangère dans les écoles secondaires des Pays-Bas, par le biais de stages, de bourses ou d'opérations promotionnelles - ensuite, le développement des nouvelles techniques: vidéo dans la classe de langue (60 cassettes pédagogiques en prêt), sessions de recyclage de vidéo pour les professeurs du secondaire, puis, ‘appropriation’ de la vidéo par les élèves euxmêmes en vue de création. Lionel Boulanger a réalisé en collaboration avec des élèves du collège Saint Laurent de Rotterdam et du collège Nassau de Harderwijk une vidéo sur la vie d'Arthur Rimbaud aux Pays-Bas. L'Association ‘Levende Taal’ a, avec le B.A.L., organisé un concours qui met en compétition une vingtaine de films réalisés par des classes de langue du secondaire. Un autre aspect du travail du bureau d'action linguistique d'Amsterdam, c'est l'informatique, avec la création d'une association installée à Utrecht, ORDIDACT, qui organise des stages de formation à l'EAO (enseignement assisté par ordinateur). En septembre, Lionel Boulanger organise une journée consacrée à la télématique. Mais, bien évidemment, en même temps qu'il utilise toutes ces techniques de pointe, le B.A.L. continue à intervenir de façon traditionnelle en animant des groupes de travail de professeurs et de formateurs. Vous comprenez maintenant pourquoi les Néerlandais parlent si bien le français? | |
Animation culturelleDepuis 1985, à la demande de l'ancien directeur et du ministère des Relations extérieures, Chantal et Daniël Mesini de l'Ile Théâtre sont venus agrandir l'équipe du personnel de la Maison Descartes. Chantal et Daniel Mesini viennent des maisons de la culture. Ils assurent | |
[pagina 7]
| |
![]()
Le jardin intérieur de la Maison Descartes.
entre autres: la programmation culturelle des activités de l'institut, qui se fait à la demande d'une part des ‘théâtreux et cultureux de tous poils’, d'autre part du public néerlandais: universités, écoles, ou groupes qui expriment le désir de faire une ‘rencontre’ avec une personnalité française. Et bien sûr cela passe par le filtre du budget et de l'espace. Daniel Mesini cherche et trouve la grande qualité qui s'allie à des finances souvent modestes. Mais Daniel et Chantal Mesini n'arrêtent pas là leurs activités: ils ont monté un atelier de théâtre, un lieu d'action et de réflexion. Ces ateliers sont fréquentés par des adultes de différentes nationalités, dont la passion commune est l'expression théâtrale. Ainsi, ces dernières années, ont été montés pour le public, le Balcon de Jean Genet et Les Mouches de Jean Paul Sartre. Cette dernière pièce a été présentée en deux langues. Dernièrement, Chantal Mesini a interprété Le Horla de Guy de Maupassant. Elle s'occupe plus particulièrement des enfants de huit à douze ans et, avec eux, elle rédige des pièces qui sont jouées devant le public. Leurs créations: Le secret de la déesse inconnue, et Mammamouchi. Pour Daniel Mesini, l'expression théâtrale est importante, surtout en pays de langue étrangère, car le théâtre est une ‘initiation’, le comédien est un ‘passeur’ d'émotions, et tout autant que la musique ou la danse, on doit être capable de ressentir le langage de l'humain. C'est lui qui met en marche la poésie et fait sortir ‘la folle du logis’. Des projets, Daniel Mesini en a plein: tirer Bergotte de la recherche du temps perdu et le refaire mourir et remourir devant cette toile réelle de cette Vue de Delft de Vermeer. Daniel Mesini pense aussi mettre en scène Le professeur Taranne d'Arthur Adamov qui présente un de ces perpétuels conférenciers, professionnels de la culture. Lorsqu'un auteur français est traduit en néerlandais, il est systématiquement invité par la Maison Descartes pour une rencontre avec son public, et souvent cette traduction devient un événement médiatique dans la société néerlandaise. Nous avons encore dans nos coeurs le sourire lumineux de Marguerite Yourcenar et, plus proche et moins nostalgique, la vivacité d'Annie Cohen-Solal venant présenter sa biographie | |
[pagina 8]
| |
![]()
La Salle des Régents qui sert de salle de réunion.
de Jean Paul Sartre. Et le philosophe E.M. Cioran qui annonça au public qu'il ne publierait plus de livres... ‘Des livres, pourquoi faire?’ Entre toutes ces activités de l'esprit, bien sûr, on peut discuter autour de succulents repas servis par Ariane dans l'ancienne cuisine de l'hospice wallon. | |
Parlez-vous français?Le moteur de la Maison Descartes, c'est aussi sa fonction d'enseignement du français. François Rougelot, le directeur des cours a vu le nombre des étudiants remonter depuis quelque temps. En 1987, il y avait 1124 étudiants qui ont suivi les cours. Et ceci, dans une ville qui voit sa population baisser (actuellement: 700.000 habitants). Ces cours pour 40% sont des cours de langue, et le reste se divise en cours spécialisés, cours de français commercial, cours de français juridique, de littérature, de philosophie ou de traduction. Ce qui fait la spécificité des cours de français de l'institut, c'est qu'ils sont donnés par des ‘native speakers’ expérimentés. Des débutants aux niveaux supérieurs une équipe de 12 professeurs travaille en parfaite entente; et tous les deux ans, deux VSNA (Volontaires du service national actif) viennent apporter une bouffée d'air frais dont chaque institution a régulièrement besoin. Du ‘Je pense donc je suis’ cartésien au ‘Je pense où je ne suis pas’ et ‘Je suis où je ne pense pas’ des disciples de Jacques Lacan, 350 ans et plus se sont écoulés et la culture française pense-t-elle là où elle n'est pas, c'est-à-dire en dehors des frontières de l'hexagone? Tous les voyageurs le savent, la culture nationale subit des distorsions équivoques et fragmentaires lorsqu'elle est arrachée du sol qui l'a nourrie. Les instituts français comme la Maison Descartes sont des miroirs et des vitrines de la culture où l'on vient chercher non seulement l'indicible et l'inexprimable d'un pays, mais aussi ce qui a trouvé une forme sous le masque des mots, le jeu des comédiens ou l'amitié d'un regard. FRANÇOISE CHEVY
Professeur à l'Institut français à Amsterdam. |
|