L'oeuvre intégral de Jérôme Bosch
Il y a une quinzaine d'années, en 1972, Roger Marijnissen publiait son
Hiëronymus Bosch aux éditions Arcade (disparues depuis). Songeant au bon accueil fait à l'époque à l'ouvrage, le Mercatorfonds lui en demanda récemment une nouvelle mouture. Il en résulta un magnifique ouvrage, l'auteur ne s'étant pas contenté d'une simple réédition revue et augmentée. Dans l'étude parue chez Arcade, il s'était intéressé surtout à ses trois triptyques majeurs: cette fois, c'est de tout l'oeuvre du peintre qu'il traite. Depuis, il était paru tant d'ouvrages spécialisés que c'était une occasion rêvée d'établir un nouvel état de la question. L'ouvrage est remarquablement bien illustré et les nombreuses reproductions de détails constituent un excellent guide visuel à travers le monde fascinant de Bosch. En outre, apparaissent de-ci de-là de saisissantes confrontations du langage pictural de Bosch avec d'autres sources plastiques contemporaines choisies dans des manuscrits et incunables. Les illustrations sont presque systématiquement accompagnées de citations littéraires qui éclairent le climat culturel dans lequel travaillait Bosch. L'édition Arcade de 1972 incluait encore quelques amples essais d'autres auteurs: ici par contre, Marijnissen a rédigé seul le texte, faisant toutefois appel à la collaboration éclairée de Peter Ruyffelaere, médiéviste chevronné. Peu de gens restent insensibles à l'oeuvre de Bosch: c'est que l'on n'a jamais égalé ce peintre. Mais plus encore que par son métier exceptionnel, Bosch fascine le grand public par la bizarrerie et la fantasmagorie de son langage pictural. Un langage qui s'enracine dans notre Moyen Age
finissant, et quiconque a lu
Herfsttij der Middeleeuwen (L'automne du Moyen Age) d'Huizinga ou
Pour en finir avec le Moyen Age de Régine Pernoud, sait à quel point ce lointain Moyen Age est devenu étranger aux hommes de notre temps. Aussi Marijnissen met-il en garde contre toute prétention dans l'interprétation
Jérôme Bosch, ‘Le Jardin des Délices’, peinture à l'huile, s.d., détail, Prado, Madrid.
de Bosch et de son art. C'est que Bosch, plus que tout autre peintre des Pays-Bas, a suscité les plus folles hypothèses et Marijnissen ne serait plus Marijnissen s'il s'était abstenu de les évoquer avec l'ironie qui convient. Dès son introduction, il se déchaîne contre toutes les insuffisances dans l'exercice de l'Histoire de l'art. Aussi estime-t-il qu'on manque de bases solides pour se risquer à proposer une chronologie et, fort logiquement, renonce-t-il à établir un catalogue critique de l'oeuvre pour aborder les oeuvres par le biais de ce qu'il appelle une tentative d'interprétation.’ On pourrait définir cavalièrement l'ouvrage comme un bilan critique de l'état de la question, tout particulièrement axé sur la problématique iconologique, intelligemment conçu et luxueusement édité. Et pourtant cet ouvrage laisse un arrière-goût de déception. On n'arrive pas tout d'abord à se défaire de l'impression que l'auteur s'est bien souvent laissé aller, par goût de l'extrême et du sensationnel, à délayer à longueur de pages des points de vue et des interprétations délirants qu'aucun historien de l'art ne prend plus au sérieux et qui ne méritaient guère plus qu'une mention en note. Les citations, trop longues et volontiers dans la langue originale, ce qui interdit l'accès du livre à qui n'est pas polyglotte, alourdissent la lecture. L'appareil iconographique est généralement bien composé, mais n'est pas vraiment intégré au texte et manque de légendes réellement explicites. En
outre, les introductions violemment critiques suscitent des attentes déçues par la suite: on espérerait par exemple que Marijnissen dans son propre ouvrage s'appesantît davantage sur l'état de la recherche matérielle... Mais passons, le point le plus fort de l'ouvrage reste l'approche iconographique de l'oeuvre de Bosch. Sur ce plan, il révélera à maint lecteur un monde encore inconnu et l'approche résolument critique de Marijnissen ne manquera pas d'éclairer quiconque s'intéresse à l'oeuvre de Bosch.
Paul Huvenne
(Tr. J. Fermaut)
Roger H. Marijnissen, avec la collaboration de Peter Ruyffelaere, Hiëronymus Bosch. Het volledige oeuvre (L'oeuvre intégral de Jérôme Bosch), Mercatorfonds, Anvers, 1987, ouvrage publié simultanément en version néerlandaise, française et anglaise.