Histoire
Les Armagnacs et les Bourguignons.
La maudite guerre
Dans son livre intitulé Les Armagnacs et les Bourguignons. La maudite guerre (1988), M. Schnerb se penche sur la guerre civile qui ravagea la France de 1410 à 1435. C'est une page sinistre de l'histoire de France, dont la lecture aide néanmoins à comprendre également l'histoire des Pays-Bas. En effet, l'un des protagonistes de l'épisode considéré était le duc de Bourgogne, qui portait aussi le titre de comte de Flandre. Entre lui et un autre membre de la dynastie des Valois, le duc d'Orléans, une âpre lutte s'était engagée afin d'exercer l'influence la plus grande sur le roi, lequel présentait, depuis 1392, les symptômes d'une démence périodique. Cette lutte aboutit à un conflit violent, connu sous le nom de ‘querelle des Armagnacs (partisans des Orléans) et des Bourguignons’.
M. Schnerb a synthétisé dans un ouvrage clair et très lisible les découvertes et les interprétations qui ont été faites récemment dans ce domaine historique complexe, en les assortissant de quelques résultats intéressants obtenus au terme de recherches personnelles. En outre, il a réussi à éclairer les aspects ‘modernes’ de cette guerre civile du xve siècle.
Dans le cadre du présent article, il convient de s'étendre quelque peu sur le rôle du duc de Bourgogne. M. Schnerb souscrit à l'opinion soutenue depuis peu, selon laquelle la rivalité entre le duc d'Orléans et le duc de Bourgogne reflétait bien moins un choc entre deux ambitions qu'une opposition entre deux conceptions de l'Etat. D'Orléans plaidait en faveur du progrès effréné de l'Etat français (c'est-à-dire d'une centralisation poursuivie aux dépens des principautés assujetties, telle la Bourgogne-Flandre), alors que le duc de Bourgogne défendait les valeurs et les libertés anciennes de même que la tradition politique, dont la consolidation du pouvoir étatique causait la perte. L'opinion exposée ci-avant met bien en lumière les raisons qui expliquent comment un litige entre deux membres d'une même dynastie put à ce point diviser l'ensemble du royaume pendant des années.
A cet égard, l'auteur aurait pu toutefois souligner davantage les raisons exactes qui poussèrent ce duc de Bourgogne, Philippe II le Hardi (1363-1404), et après lui Jean sans Peur (1404-1419) à tenter de freiner la croissance de l'Etat français. Ainsi aurait-il pu évoquer leur désir de voir se constituer un Etat ‘bourguignon’ indépendant aux côtés de la France. Les régions clefs de cet Etat, qui réunirait vers 1450 la majorité des principautés des Pays-Bas, seraient le duché de Bourgogne et le comté de Flandre, tous deux politiquement inféodés à la couronne française. Leur autonomisme se manifesta avec plus de force dès lors que la consolidation de l'autorité monarchique fut stoppée. Cependant, M. Schnerb estime que la construction de l'Etat bourguignon commença seulement
Portrait du duc Philippe le Bon (1396-1469). Musée Groeninge, Bruges. Copie d'un original qui fut probablement peint par Rogier van der Weyden.
sous Philippe le Bon (1419-1467) et, plus exactement, après que celui-ci se fut retiré de la scène politique française dans les années 1420-1430. Mais quel autre objectif visaient les tentatives obstinées de ses prédécesseurs (celles-ci allant jusqu'à entraîner une guerre civile) pour dominer la vie politique française si ce n'était, précisément, la défense des intérêts bourguignons? Gouverner la France ne leur offrait pas seulement un avantage matériel, mais leur permettait également d'infléchir la politique du royaume, en sorte que celle-ci favorisât pleinement l'essor de l'Etat bourguignon. Ainsi Philippe II le Hardi sut-il mettre fin, au bénéfice de la Flandre, à la guerre franco-anglaise qui entravait les relations commerciales. Dès les années 1430, l'immixtion du duc dans la politique française était devenue superflue: l'Etat bourguignon était alors, pour une grande part, un fait accompli. Cette situation fut du reste reconnue par le roi de France en 1435.
Le livre présenté ici démontre une fois de plus qu'il est toujours utile d'aborder à nouveau, en