Floris Jespers, ‘Acht negerinnen’ (Huit noires), huile sur toile, 170 × 210, 1953, Collection Hugo Donné, Hasselt.
sa production surabondante, elle était également le point faible. Homme sensible, Jespers avait besoin de reconnaissance, mais cette même sensibilité l'a sans doute poussé à vouloir atteindre les plus hauts sommets et à vouloir se mesurer aux artistes les plus renommés de son époque. Ces deux aspects de sa personnalité, sa compétence d'une part et son désir de s'affirmer d'autre part, ont mené à une ambivalence caractéristique de son art qui ressortait clairement à la rétrospective organisée au
Koninklijk Museum voor Schone Kunsten (Musée des Beaux-Arts) d'Anvers, fin 1989. Il ne s'agit pas ici d'une constatation après coup, car même de son vivant ce fait a été souligné par plusieurs critiques. Les salles offraient au spectateur un aperçu des différents styles caractéristiques de ce siècle. Dès le début, on reconnaît chez Jespers les sources qui l'ont inspiré et qu'il s'est appropriées avec virtuosité. Ses oeuvres les plus personnelles datent des années 20, quand il parvint à créer une osmose en amalgamant des éléments de l'expressionnisme, du cubisme et du surréalisme pour en représenter par la suite la synthèse épurée. L'oeuvre de cette époque est franchement passionnante, clairement lisible et imprégnée d'un humour intelligent et satirique. Par rapport à l'ensemble de l'expressionnisme flamand, les réalisations de cette période sont vraiment uniques. Il atteignit un deuxième sommet dans les
années 50 après avoir entrepris plusieurs voyages au Congo belge de l'époque. Dans ce pays, il subit un choc culturel et tant les hommes que la nature l'inspirèrent à créer des oeuvres de grandes dimensions où dominent les couleurs brunes de l'Afrique et les formes rigoureusement structurées. C'est à cette même époque que l'artiste se sent apparemment incapable de peindre tout ce qu'il avait enregistré et qu'il s'essaie à la sculpture. A cet effet, il se servira de tissus imprégnés de ciment qui seront fixés à des carcasses métalliques.
En résumé, on est en droit d'affirmer que Floris Jespers a trop souvent utilisé son talent indéniable pour se mesurer à d'autres. Dans ses meilleures oeuvres, il n'a pas d'égal, mais la surproduction l'a sans doute empêché de prendre suffisamment le temps de réfléchir sur un langage pictural propre, à travers lequel il aurait pu s'affirmer de manière personnelle. Néanmoins, l'histoire n'oubliera pas de si tôt ce phénomène unique de l'art flamand.
Ludo Bekkers
(Tr. G. Devriendt)