Septentrion. Jaargang 19
(1990)– [tijdschrift] Septentrion[p. 12] | |
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Anton Korteweg (o 1944).
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Le poète Anton KortewegOn peut qualifier Anton Korteweg (o1944), poète néerlandais, de néoromantique autant pour son orientation historico-littéraire que pour sa thématique. Comme bien des poètes débutant vers 1970, ignorant les tendances littéraires de renouveau du xxe siècle, il dirige son regard vers une vision de la vie et une conception artistique du xixe siècle romantique, un regard qui trahit la gravité de l'émotivité comme problème artistique. Ce sérieux n'empêche d'ailleurs pas son regard vers le passé comme son attrait pour les émotions d'être, dès le début, empreints d'ironie. Le titre du recueil de ses débuts, Niks geen Romantic Agony (Rien pas d'Angoisse romantique, 1971) fait déjà référence de manière ambiguë à la problématique de l'émotivité dans un cadre historique. Elle renvoie à la célèbre étude de Mario Praz (o1896), homme de lettres et professeur italien, sur le rôle dominant de la sensibilité érotique dans la littérature romantique décadente au xixe siècle(1). Le titre du poème extrait du recueil de Korteweg prouve clairement que la violence de ces sentiments - personnifiés dans La Belle Dame Sans Merci ou Persecuted Virgins (Vierges persécutées) ne peut être provoquée dans la réalité; elle reste une fiction. Bonheur et détresse, désir et échec semblent ne pas pouvoir prendre dans la réalité les dimensions que promet la littérature d'un siècle passé (et le jugement sur celui-ci) - en art, il en est autrement que dans la vie même sur le terrain des émotions seulement légèrement accidenté; et selon Korteweg, cela est bien ainsi. Cette conception le rapproche d'un poète non moderniste comme J.C. Bloem (1887-1966) qui donna des titres à ses recueils comme Het Verlangen (Le Désir) et De Nederlaag (L'Échec) et dont l'oeuvre a inspiré de nombreux thèmes à Korteweg. Le genre xixe siècle auquel il ressemble bien un peu, est plutôt de coupe victorienne ou Biedermeyer que celle du romantique décadent. Il ménage ses passions car il préfère en obtenir une rente toute sa vie au lieu de les épuiser en une seule fois. Depuis vingt ans déjà, Korteweg traduit cette vision assez cynique sur tous les tons. Sa poésie est certes l'expression d'un désir permanent de formuler l'absolu mais elle dit également la crainte d'admettre sérieusement ce désir: le vol artistique et émotionnel le plus haut conduit irrémédiablement à la chute la plus violente. Pour symboliser cette peur, Korteweg cherche son salut artistique dans un monde de mauvais goût et de clichés et de bonnes intentions comme s'il voulait se servir du monde petit-bourgeois pour dresser un rempart autour de lui. Korteweg consolide cette opinion aussi sincère qu'ironique et cynique avec de nombreuses allusions à des textes bibliques et des chants de la liturgie protestante qu'il dépouille de leur sublimité dans une atmosphère de vulgarité. Il utilise de préférence ces textes intraduisibles par leur ambiguïté notamment dans son deuxième recueil Eeuwig heimwee drijft hem voort (Une nostalgie éternelle le pousse en avant, 1973), un recueil dont le titre fait référence à un chant populaire de la liturgie protestante modernisée. Cette attitude équivoque envers les valeurs et la langue de son milieu d'origine peut être qualifiée de ‘recul solidaire’. Cette solidarité distante concerne également la jeunesse et les expériences érotiques d'alors. Korteweg exprime cela à travers un thème qui revient sans cesse: la masturbation. Le titre de son troisième recueil, De stormwind van zijn hand (La tempête de sa main, 1975), fait allusion à celle-ci. En même temps, cet inté- | |
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rêt artistique pour la masturbation appartient au monde du mauvais goût surtout parce qu'elle va de pair avec un intérêt sournois pour la sexualité et qu'elle est considérée comme un succédané pour la sexualité à deux; ce dernier élément se répète dans ses poèmes comme un acte conjugal obligé ou comme un viol. Dans ce domaine également, Korteweg dépouille les sentiments de leur grandeur. Les trois premiers recueils parus dans un délai rapproché présentent une telle consistance dans les thèmes et la conception de la vie que Korteweg a pu en présenter une sélection cohérente en 1988 sous le titre, Dierbare Tijden (Temps précieux). Dans les trois recueils suivants, après une interruption de sept ans, sa vision est restée identique dans son essence bien que les thèmes sur la vie aient changé avec celleci. Comme directeur du Nederlands Letterkundig Museum en Documentatiecentrum (Musée des lettres et Centre de documentation néerlandais), Korteweg occupe depuis 1979 une fonction identifiable par tous dans le monde littéraire néerlandais. Placé dans la même situation, un autre poète que lui, aurait certainement tout mis en oeuvre pour éviter que sa poésie soit contaminée par sa fonction. Au contraire, Korteweg fait de son existence officielle un fructueux sujet d'inspiration. Il est allé, comme il l'écrit dans Tussen twee stilten, (Entre deux silences, 1982) ‘délicieusement loin dans la carrière / en gardant ce brin d'adolescence’. Cela vaut pour la personne, mais également pour le poète. Comme dans son oeuvre antérieure, ironie et gravité sont à part égale bien que l'ironie ait en partie disparu de la surface du poème et soit enfouie dans le sentiment de la vie qui sert de fondement: ce paradoxe incompréhensible qui oblige à pleurer lors de l'accouchement ou que la nostalgie ne signifie pas une vraie connaissance quant à l'endroit où l'on a vécu avant. Cette ironie se retrouve aussi dans les nombreux poèmes d'amour qui montrent toujours avec l'amour et le désir, la durée limitée de ces sentiments; la ‘Belle Dame sans Merci’ est toujours dans l'ombre. Dans les recueils suivants, le mélancolique et le cynique se disputent la première place plus nettement qu'auparavant. Dans les titres comme Geen beter leven (Pas de vie meilleure, 1985) et Voor de goede orde (Pour le bon ordre, 1988) le cynique semble être le vainqueur, mais, dans les poèmes, il doit supporter le mélancolique en permanence près de lui. Le mélancolique voudrait bien être un baron von Münchhausen qui peut se sortir lui-même du bourbier de l'exil quotidien; le cynique sait que Münchhausen - un personnage du xixe siècle que Korteweg fait sans cesse entrer en scène dans ses poèmes - n'existe que dans l'imagination. Le mélancolique et le cynique se retrouvent dans leurs tentatives de réduire autant que possible l'espace de l'imaginaire, en puisant leur force dans l'isolement et les métaphores de l'existence des fonctionnaires. Ainsi, la ration d'émotion partagée durant des années et donc maigre reçoit le sceau du général, de l'officiel. Cette tendance a atteint un point culminant provisoire dans les vers du poème Evenwicht (Équilibre): Je renonçais donc aux grands sentiments. / Par la fenêtre, oui, je les laissais entrer, / mais je verrouillais drastiquement la porte, / comme si j'étais un employé. Ce qui s'applique dans cette poésie aux émotions interhumaines concerne tout autant les sentiments d'ordre religieux. La conception professée dans les chants religieux présentant la vie comme un pèlerinage pénible sur le chemin | |
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de la lumière, est pour Korteweg une illusion. Le cynique qu'il est, sape cette conception entre autres dans le titre emprunté à J.C. Bloem Tussen twee Stilten (Entre deux silences), suscitant la remarque suivante: ‘nous sommes bien sur le chemin, mais d'un silence vers un autre. Dommage’. Dans ce domaine aussi, il ne faut pas vivre avec de grandes illusions. Mais il n'est pas dans les habitudes de Korteweg de renier définitivement des illusions quelles qu'elles soient; il est suffisamment réaliste pour savoir que le mélancolique veut encore se cramponner à des illusions: il ne peut répondre de la permanence de son refus actuel. Il esquisse ainsi dans le poème déjà cité Herrlich weit (Merveilleusement développé, dans Tussen twee stilten) son avenir possible comme celui d'un père qui, d'un bout de contre-plaqué fait une moulure, en brûlant un texte de la Bible. Son recul solidaire fait ressortir dans ce passage qu'il ne se voit pas construire une belle oeuvre d'art (un poème par exemple) mais qu'il estime possible un retour à de petites oeuvres kitsch, résultant d'activités pieuses accrochées au mur dans de nombreuses maisons protestantes durant sa jeunesse. La représentation ironique des choses dans le poème Voor later (Pour plus tard, dans Voor de goede orde) montre encore plus clairement que, même dans le domaine religieux, quelque chose doit être conservé. Dans ce poème la forme la plus banale d'un contact religieux (en fait avec des témoins de Jéhovah sur le seuil de la maison), est refusée dans l'instant mais réservée pour l'avenir pour combattre la banalité du reste de l'existence à ce moment-là. Dire qu'il n'y a pas de vie meilleure implique que la vie peut toujours être plus difficile. Sur le chemin de cette vie plus dure à l'avenir, Korteweg emporte des vivres sous la forme de ses poèmes. Les émotions économisées parcimonieusement sont les bienvenues.
AD ZUIDERENT
Poète, critique de poésie et professeur de littérature à la ‘Vrije Universiteit Amsterdam’. Adresse: Zacharias Jansestraat 52 hs, NL-1097 CN Amsterdam.
Traduit du néerlandais par Marie-Noëlle Fontenat. |