Johannes Kinker à l'université de Liège
Fin 1990, l'écrivain néerlandais Willem Frederik Hermans (o1921) recevait le titre de docteur honoris causa de l'université de Liège. Un doctorat honorifique très remarqué; aucune université néerlandaise n'avait encore décerné ce titre à Hermans; l'université francophone de Liège n'avait, elle non plus, jamais conféré ce titre à un écrivain néerlandophone de Flandre. Il est vrai qu'on a suggéré que celui-ci avait été offert à Hermans parce qu'il s'était établi à Paris. D'ailleurs, si cela n'avait tenu qu'au roi Guillaume Ier (1772-1843) - Guillaume Ier fut roi de 1815 à 1830 du Royaume indivis des Pays-Bas - l'université de Liège n'aurait pas été de langue française mais bien de langue néerlandaise.
Lorsque après les guerres napoléoniennes, les ‘Alliés’ eurent décidé à Londres d'agrandir le territoire des Pays-Bas (en particulier pour servir au Nord de contrepoids à la France), Guillaume Ieri commença une politique linguistique, qui devait avoir pour résultat qu'en l'espace d'une génération, le néerlandais deviendrait la langue du royaume.
Cette politique linguistique, typique de la période romantique, a totalement échoué; pis encore: elle jetterait les bases du mouvement sécessionniste de 1830.
Comme il y avait, dans le Nord, trois universités: Leyde, Utrecht et Groningue, Guillaume Ier voulait que dans le Sud, il y en eût également: Louvain, Gand et Liège. Dans ces trois nouvelles universités, on enseignait bien sûr les lettres et la langue néerlandaises. C'est pourquoi aucun professeur ne fut recruté dans le Sud, tous le furent dans le Nord. Le professeur Johan Melchior Kemper (1776-1824) de Leyde, envoyé en reconnaissance par Guillaume Ier, rapporte en novembre 1816 à La Haye que son ‘enquête parmi les professeurs belges s'est révélée fort défavorable. Des beaux parleurs, oui, j'en ai rencontré beaucoup, mais des savants, comme nous l'entendons dans les Provinces du Nord, pas un seul’. Il y en avait bien mais des ‘moines esclaves’. Ceux-ci étaient peut-être susceptibles de nomination, mais il convenait alors de les disperser tant que leur ‘esprit de corps’ ne puisse nuire. Partant de cette vue des choses, nord-néerlandaise - typique de l'époque - on nomma l'homme de lettres néerlandais Johannes Kinker (1764-1845) à l'université de Liège - ouverte en 1817 - Kinker était un homme universel, outre linguiste, il était aussi philosophe et avait par-dessus le marché étudié la médecine. Les leçons à donner en néerlandais furent un long calvaire pour Kinker. Avec une grande régularité, il écrivit des lettres pour se plaindre à ses supérieurs de La Haye. Comme son collègue de Gand, Johannes Maria Schrant (1783-1866), c'est à peine si Kinker avait quelques étudiants. En 1820, Kinker écrivait qu'à Liège ‘ils étaient prêts à toutes les concessions
mutuelles pour garder la langue française comme seule langue du Pays’. Kinker pestait contre le ‘noir esprit jésuite’ qu'il rencontrait. A côté de cela ce sont des ‘esprits libres qui ne croient en rien, mais sans savoir pourquoi!’ Cette dernière particularité dut toucher jusqu'au fond de son âme nordique éprise d'authenticité le libéral cons6cient qu'était Kinker.