Les classiques néerlandais dans l'enseignement
Est-il concevable qu'en Angleterre un élève achève avec succès ses études secondaires sans avoir dû lire Shakespeare de manière approfondie? Non. Or, son petit camarade des Pays-Bas peut, quant à lui, réussir ses examens de fin d'humanités en n'ayant dans son ‘bagage intellectuel’ qu'une connaissance superficielle du tragédien du xviie siècle Joost van den Vondel (1587-1679).
Ce n'est sans doute pas Vondel, mais l'inquiétude née de l'absence d'une norme nationale pouvant servir de base aux examens de néerlandais de fin d'études secondaires qui a incité le ministre néerlandais de l'Enseignement à instituer une commission chargée de définir cette norme. Après avoir examiné la situation actuelle avec attention, cette commission s'est montrée choquée. Il est apparu en effet que, lors des examens de classe terminale les connaissances littéraires peuvent, dans certaines écoles, être vérifiées sur la base d'une petite liste composée d'un minimum de cinq ‘livres lus’. De surcroît, l'enquête de la commission a montré que la teneur littéraire de ces livres, voire leur volume en nombre de pages, dépend des ambitions du professeur et / ou de l'élève. La commission s'est rendu compte que certains professeurs accolent même l'étiquette ‘niveau littéraire’ à la lecture de Suske en Wiske (Bob et Bobette) ou au simple fait d'avoir vu le film Turks fruit (Délices de Turquie), une adaptation passablement érotisée du roman de l'écrivain Jan Wolkers (o1925). La commission en a conclu que l'enseignement de la littérature néerlandaise s'est dégradé depuis la ‘démocratisation’ des années 60 et est devenu un véritable ‘Jardin d'enfants’ dont la finalité principale est le plaisir de l'élève. Le fait que les classiques de la littérature néerlandaise ne correspondent pas au ‘vécu’ de la plupart des élèves de l'enseignement secondaire - on se plaît à
répéter partout que l'enseignement doit surtout développer le ‘plaisir de la lecture’ chez les élèves - avait découragé nombre de professeurs soucieux de poser certaines exigences quant à la norme évoquée ci-dessus.
Cela dit, l'instauration d'une obligation de lire un certain nombre d'oeuvres conformes aux ‘canons’ de la littérature néerlandaise demeure une affaire extrêmement délicate. La commission ministérielle a recueilli les avis de quantité de professeurs de lettres. Dans leurs recommandations, les spécialistes de l'histoire littéraire allant jusqu'à 1830 ont adopté une attitude réticente. Ils se sont bornés à fournir des indications concernant les courants littéraires et leurs représentants dont le nom devait, à leurs yeux, être connu par les élèves. Quant à la lecture proprement dite de textes historiques jugés ‘difficiles’, cette question a été laissée à l'appréciation des enseignants. En revanche, les trois spécialistes de littérature moderne réagirent différemment à la demande de la commission: ils lui remirent une liste de vingt et une oeuvres dont ils imposaient la lecture. Cette liste se voulait une provocation et elle fut considérée comme telle quand on la divulgua (prématurément).
Elle fit la une des journaux pendant des semaines et donna lieu à un débat divertissant pas certains côtés. Bien évidemment, les journalistes ne manquèrent pas de demander à des écrivains renommés dont le nom ne figurait pas sur la liste d'y aller de leur commentaire - si possible en termes choisis et originaux. L'omission la plus surprenante était celle de Jan Wolkers, qui est l'auteur favori des élèves du secondaire et dont le renom a été confirmé par le prix P.C. Hooft (qu'au reste il refusa). Wolkers fit un commentaire sarcastique. A propos de la liste, il fut le premier à évoquer - évocation qui n'était pas de très bon goût - l'oppression allemande pendant la seconde guerre mondiale, mais il fut également le premier à observer que le plus grand poète des Pays-