Septentrion. Jaargang 31
(2002)– [tijdschrift] Septentrion[p. 42] | |
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Leo Pleysier (o1945) (Photo D. Samyn).
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A la recherche de la chaleur perdue du nid:
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A la recherche de la langue maternelle perduePleysier découvrit sa muse lorsque celle-ci n'était plus de ce monde. En 1989, il immortalise à titre posthume la figure loquace de sa mère dans un hommage émouvant, Wit is altijd schoon (Le blanc c'est toujours bien)(1). Après des années de gestation, il avait ainsi trouvé un mode de narration astucieusement basé sur la dictée d'une voix: sa mère défunte s'adressait directement au lecteur, comme si elle était assise sur ses genoux. Le succès de cet art de la narration orale quasi spontanée permit à Pleysier de se consacrer à temps plein à l'écriture à partir de 1990. Dans les années 1990, il développa, dans la meilleure tradition narrative orale, un cycle familial en cinq volets: après Wit is altijd schoon parurent De kast (L'armoire, 1991), De gele rivier is bevrozen (Le fleuve jaune est gelé, 1993), Zwart van het volk (Noir de monde, 1996) et enfin Volgend jaar in Berchem. Dans les quatre premières parties de cette chronique magistrale, ce sont donc des voix de femme qui ont la part belle, la voix de la mère étant omniprésente. Dans Wit is altijd schoon, le lecteur se tient avec le fils au chevet de la mère décédée. Depuis l'au-delà, elle s'exprime sur ce qui continue de la préoccuper. Elle demande un drap blanc, car ‘le blanc c'est toujours bien’ et propre. Pleysier réussit à restituer de façon authentique la voix de sa mère en laissant les bribes de conversations parler par ellesmêmes. La tonalité du dialecte et les jeux sonores (rimes intérieures et assonances) confèrent un grand naturel à cette confession. Dans De kast, le lecteur entend la voix de la soeur du narrateur en train de téléphoner. La grande commode en chêne qu'elle a héritée de sa mère lui est restée sur les bras, elle ne sait que faire des souvenirs emmagasinés, au propre et au figuré, dans les tiroirs du meuble. De gele rivier is bevrozen, le troisième volume du cycle, forme avec Wit is altijd schoon le point culminant du quintette. Dans ce portrait de tante Roza, religieuse en Extrême-Orient, on n'entend guère sa voix, car il s'agit d'un personnage plutôt taciturne, mais elle écrit des lettres depuis son poste de mission en Chine ou en Inde. Les séances de lecture de ces lettres par la muse maternelle font rêver le jeune filsnarrateur. A plusieurs reprises, il retourne en pensée dans le nid paradisiaque d'autrefois, lui donnant même les dimensions mythiques lointaines d'un royaume sous-marin: ‘Lentement je m'enfonçais vers le fond de la mer Jaune. Le silence bienfaisant des algues qui croissent sous la surface de l'eau. Les coraux. Les méduses. Les buissons ondulants. Les rochers entre lesquels les poissons nagent lentement.’ | |
Le nid de l'enfanceCes trois portraits de la mère, de la soeur et de la tante - avec l'ombre impérieuse de la mère constamment présente à l'arrière-plan - sont pourvus d'une sorte de commentaire en marge dans Zwart van het volk. L'enterrement de la mère fournit au protagoniste, qui se trouve au Nigéria, l'occasion de rentrer au pays. Pleysier décrit ici, dans une sorte de monologue intérieur, le flux des pensées qui animent le frère, Wim, géologue au Nigéria. Le frère finit par partir à la recherche d'un royaume de silence absolu dans les entrailles de la terre, royaume qui rappelle nettement le paradis mythique au fond de la mer Jaune. Ce n'est pas un hasard si cette Arcadie souterraine présente un aspect plutôt foetal. En effet, la quête de la langue maternelle perdue voit le | |
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narrateur atterrir plus d'une fois dans le giron maternel ou même sous les jupes des femmes de la famille. Le nid (heimat) que Pleysier évoque n'est pas un nid joyeux où l'homme du peuple se sent parmi ses égaux. Le silence et l'abri du royaume sous-marin foetal sont menacés par les protecteurs masculins du nid, et en particulier par le père de l'auteur. Dans Volgend jaar in Berchem, Pleysier se concentre pour une fois sur son lignage masculin. Autant la mère était présente dans toute la chronique, autant le père était absent. Dans cette dernière partie, pendant la traditionnelle réunion de famille du nouvel an, le fils compose un requiem pour le père toujours absent. L'image qu'il en propose est tout sauf belle, ainsi par exemple quand le fils regarde son père endormi et se sent envahi par le désir oedipien de ‘lui couper la tête’. De même, les soeurs sont généralement impitoyables pour le marchand de bestiaux taciturne et grossier que leur père était à la maison. Pourtant, c'est la sonorité, la musique du bois fendu qui ramène sporadiquement le narrateur aux réalités synesthétiques d'un monde où il fait bon vivre. Ainsi, à sa façon, la brute patriarcale, qui attaque troncs d'arbre et bêtes à la hache, devient malgré tout le guide involontaire vers un monde sensuel et grisant: ‘Le cloc-clonc. (...) Sens l'odeur (...). Acre et acide (...). Grisante et douce (...). Amère (...)’. | |
Une totale immersion sensorielleSelon ses propres dires, Pleysier clôt sa chronique familiale par ce cinquième volet. Cependant, sa quête d'un monde tangible et irréductiblement intime, au-delà des mots, continuera probablement à l'occuper. Il semble paradoxal que quelqu'un qui a quitté le nid familial dans sa jeunesse, ayant entendu l'appel du large, se sente à nouveau aspiré par ce refuge. Mais le nid que Pleysier trouve en conjurant toutes les voix (féminines) qu'il entend, a quelque chose d'inquiétant. Il n'a rien à voir avec l'ambiance chaleureuse des auberges ou des kermesses flamandes, il a tout à voir avec l'absorption imperceptible par des galeries souterraines ou des cavités embryonnaires secrètes. En effet, Pleysier veut se fondre dans un pétillement de pures impressions sensorielles: ‘Prête-moi ton oreille. Et tu es si empli de quelqu'un d'autre que tu sens le picotement depuis les lobes de tes oreilles jusqu'à tes orteils’ (De kast). A vrai dire, Pleysier ne veut nullement écrire, mais seulement écouter et se laisser entraîner par la magie des sons jusqu'à ce que le miracle se produise et que le corps à l'écoute s'efface entièrement dans le ‘scintillement’ d'une totale immersion sensorielle.
Frank Hellemans Collaborateur de ‘Knack Magazine’. Professeur d'histoire des médias à la ‘Katholieke Hogeschool Mechelen’. Adresse: Keldermansvest 23, B-2800 Mechelen. Traduit du néerlandais par Marnix Vincent. La chronique familiale en cinq parties de Leo Pleysier a paru en un volume en 2001 aux Éditions De Bezige Bij, Amsterdam. |