Échanges
Du Grand-Hornu à Bruges
Le nouveau bureau de Laurent Busine donne sur l'ellipse majestueuse de la cour centrale du Grand-Hornu, le joyau de la Révolution industrielle au Borinage. Les armoires sont encore vides, l'ordinateur flambant neuf, mais Busine reconnaît qu'il n'a pas renié le crayon et le papier, les schémas émaillés de flèches. Il me fait visiter son musée, qui a demandé douze années de réflexion et de travail. Les salles vides, qui baignent dans une douce lumière naturelle, chaque fois différente, attendent leur achèvement et l'arrivée des oeuvres d'art. Au moment où vous lisez ces lignes, il est enfin ouvert: le MAC's ou Musée des arts contemporains, qui héberge la collection de la Communauté française de Belgique. Le musée est érigé sur et à côté du site du Grand-Hornu. Les deux édifices gardent leur autonomie et se respectent mutuellement. Un seul billet d'entrée permet de visiter le site entier, musée compris. Celui-ci possède plusieurs sorties vers la cour centrale. En effet, Busine ne veut pas forcer la main au visiteur. Il aime que s'instaure un dialogue avec le lieu, avec son histoire. Et le Grand-Hornu est lourd d'histoire. Conçu et construit entre 1810 et 1830 par des architectes de Lille, Tournai et Termonde, ce complexe d'inspiration néoclassique (frontons, arcades et fenêtres en demi-lunes), qui offre place à l'activité industrielle comme au logement, conjugue l'esthétique et la dimension fonctionnelle. D'ici, des tonnes de houille furent envoyées autrefois vers la Flandre et vers Paris. Plus de quatre cents habitations, possédant chacune son jardin, hébergeaient les ouvriers. Aujourd'hui les ruines de l'atelier principal ont l'apparence d'une cathédrale s'ouvrant sur la voûte
céleste.
Hugo de Greef, l'intendant de Bruges capitale culturelle de l'Europe 2002, a invité Laurent Busine, le pionnier du MAC's, à prêter forme à la troisième grande exposition de l'année culturelle. Il s'agit, dans le cadre du Grand séminaire (xviie et xviiie siècles), l'ancienne abbaye cistercienne de Ten Duinen en bordure du centre-ville, de confronter les manuscrits et miniatures de la bibliothèque du monastère et de ses fondations, Clairmarais (près de Saint-Omer) et Ter Doest (Lissewege, Flandre-Occidentale) avec des témoignages d'art contemporain.
L'exposition de Busine, Le vaste monde à livres ouverts, est la plus intimiste des trois (après Jan van Eyck, les Primitifs flamands et le Sud, grande manifestation qui connut un succès énorme, et l'exposition Hanze@Medici.com consacrée à ce marché des échanges culturels qu'était Bruges) et la plus stratifiée parce que l'architecture de l'ancienne abbaye et la richesse de la vie catholique romaine jouent ici leur rôle. L'église est vide; l'immense séminaire, à une dizaine de séminaristes près, l'est également.
Ne prenant pas de risques, Busine a invité trois artistes avec qui il avait déjà travaillé: le Flamand David Claerbout, l'Espagnol Jose Maria Sicilia et l'Italien Giuseppe Penone. Le choix des oeuvres s'est effectué en dialogue avec les artistes et le site. Ainsi, en pénétrant dans la froide église monumentale du Séminaire, le visiteur voit, disposées sur le pavement vide, 250 colombes en grès. Certaines servent de lampes à huile.