d'abord, dans le miroir surmontant la tablette, son visage plein, marqué par la prospérité et le contentement - content, il l'était déjà depuis des années d'affilée, et à la longue cette humeur heureuse s'était transformée en un trait de caractère durable, en une expression du visage et en un principe: il croyait dans le contentement, tout comme il croyait en l'avenir. Ensuite seulement, il allait jusqu'à la fenêtre, affrontant le tintamarre continuel du dehors, cette nuée de coups de marteaux qui planait toujours sur le chantier, cette pluie de déflagrations qui de l'aurore au crépuscule se déversaient sur le terrain telles les pétarades d'une mitrailleuse, ce feu roulant, constant mais irrégulier, de frappe-devant, de marteaux ronds, de chasses-carrées et de marteaux à river s'abattant sur le fer, tantôt plus doucement, tantôt en un crescendo sauvage, comme si quelqu'un avait repéré l'ennemi. Partout le bruit était si intense, si pénétrant, qu'il ne paraissait pas plus puissant lorsque Bepol tirait le rideau et ouvrait la fenêtre.
De ce poste élevé il pouvait tout voir sans être vu lui-même: les énormes cisailles et le perçoir avec lesquels, sous lui, on découpait les tôles et pressait les trous de rivets, ou, en bas à droite, son bureau, à côté de la cuisine située à l'angle de la façade latérale, souvent avec la porte encore ouverte. Son regard pouvait également s'élancer au-dessus de cette façade dans l'espace s'ouvrant au sud, et survoler toutes les terres jusqu'au canal bordé de peupliers qui s'estompait dans la brume à l'horizon (c'était le canal de l'Ems), mais il arrivait par des matins clairs qu'il ne vît d'abord absolument rien. Le soleil l'éblouissait, la lumière faisait scintiller le fer répandu sur tout le chantier: entassements de cornières, rouleaux de feuillard, laminés à la rouille ardente et plaques fichées dans le coteau pour éviter les affaissements. Et même le sol, que chaque soir on saupoudrait, pour le raffermir, du mâchefer de la grande forge et des forges mobiles - même le sol gris prenait alors un éclat métallique et le chantier tout entier semblait devenir du fer, cette matière qui au lieu d'assourdir le bruit comme autrefois le bois, le rendait au contraire plus intense: en hiver on avait l'impression qu'il faisait plus froid sur le chantier qu'ailleurs, en été plus chaud, par temps de pluie plus humide.
Aveuglé, Bepol se tenait donc pendant quelques instants devant la fenêtre, écoutant sans bouger cette cacophonie ininterrompue de percussions, dont se détachait cependant à chaque fois un coup différent. Dès qu'il pouvait rouvrir les yeux, il regardait machinalement dans cette direction-là afin de vérifier ce qu'il avait déjà vérifié si souvent, et en effet: c'était toujours Niesten, qu'il fût occupé à libérer les moulages sur le terrain central ou dirigeât l'équipe des riveurs là-bas sur la pente. C'était toujours le marteau de Niesten qui s'abattait avec cette sonorité; c'était toujours son jeune contremaître Niesten qui frappait plus fort que les autres et qui, pour cette raison, semblait toujours plus proche...
Involontairement, Bepol reculait d'un pas lorsque son regard tombait sur Niesten, et tout aussi involontairement il continuait alors à observer sa façon de travailler, puissante et nette, comme l'était aussi son apparence, si différente de celle des autres: il portait non pas un bonnet tricoté, mais une casquette à visière; non pas un bleu de travail mais une veste noire en hiver et, l'été, une ample chemise et de larges bretelles qui se rejoignaient entre les omoplates de sorte qu'à l'arrière, exactement au milieu, son pantalon était toujours tiré vers le haut; et autour du cou il avait toujours un chiffon blanc qui lui allait comme une cravate de soie. Son autorité était acceptée aussi