Septentrion. Jaargang 35
(2006)– [tijdschrift] SeptentrionHonneur aux passeurs:
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Philippe Noble (o1949).
En 1981, il a obtenu le prix Martinus Nijhoff pour sa traduction en français de Het land van herkomst d'Eddy du Perron (Le Pays d'origine, Gallimard, 1980)(1). Parallèlement à ses activités de traducteur, il a contribué de diverses manières à la diffusion de la littérature de langue néerlandaise dans la francophonie. Il a enseigné à la Sorbonne, a été, dans les années 1990, directeur de la Maison Descartes à Amsterdam, puis diplomate en poste à Gand et à La Haye. Il occupe actuellement la fonction de chef de projet du réseau franco-néerlandais de l'enseignement supérieur et de la recherche à l'université de Lille. Cela fait donc 25 ans que Philippe Noble consacre ses loisirs à la traduction. Quand on lui pose la question, il avoue en toute sincérité qu'il est toujours quelque peu effrayé à l'idée de se retrouver seul face au texte à traduire. A Paris, ce sont Jean Mattern, directeur des droits étrangers de Gallimard, et l'écrivain néerlandais P.F. Thomése, dont il a traduit l'inoubliable récit Schaduwkind (L'Enfantombre)(2), qui se sont faits les interprètes de![]()
Marnix Vincent (o1936).
l'hommage rendu à Philippe Noble. Leurs allocutions nous ont appris que, tout jeune, celuici avait commencé à étudier le néerlandais pour des raisons sentimentales et qu'après quelques mois à peine, il réussissait à tourner fort joliment de petits poèmes pour la Saint-Nicolas. Il faut bien avouer qu'avec les années, il est parvenu à une maîtrise du néerlandais que de nombreux locuteurs natifs sont en droit de lui envier. Au début de sa carrière de traducteur, Philippe Noble partait souvent de modèles littéraires. Depuis, il a appris à prendre du recul par rapport à ses préférences littéraires, et à se mettre davantage à l'écoute de la ‘voix’ même du livre, y compris dans les cas où la traduction qui en résulte sort quelquefois des sentiers battus de la correction grammaticale. Par exemple, il traduit les images abruptes de Cees Nooteboom aussi abruptement que possible. Avec les années, sa définition de la traduction s'est faite plus modeste, plus minimaliste: ‘Une traduction, ce n'est peut-être rien de plus que la lecture qu'un individu fait d'une oeuvre à un moment donné, | |
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ou plutôt le compte rendu de cette lecture. Mais c'est un compte rendu un peu particulier, écrit dans une autre langue que celle du texte original.’ Une ‘drôle de définition’, peut-être. Philippe Noble en est conscient ‘mais elle a le mérite d'expliquer certaines caractéristiques ennuyeuses de textes traduits: pourquoi une traduction est toujours plus longue que l'original (parce qu'elle est de l'ordre du commentaire et non de la copie), pourquoi elle vieillit plus vite que l'original (parce qu'elle manifeste un sens perçu à un moment donné, et si l'oeuvre est suffisamment riche, elle produira trente ans plus tard un sens légèrement différent), pourquoi elle est généralement plus explicite, moins polysémique que l'original (parce qu'elle est toujours le fruit d'un déchiffrement, d'une déconstruction, sans lesquels on ne pourrait l'écrire).’ Le 6 février 2006, c'était au tour de Marnix Vincent d'être primé. Au Centre culturel Flagey, à Bruxelles, il a reçu le prix triennal de Traduction de littérature de langue néerlandaise. Il l'a emporté sur les deux autres candidats en lice: Marie Hooghe (également traductrice en français) et Gregor Seferens (qui traduit en allemand). La vie de Marnix Vincent trahit une histoire linguistique complexe. Flamand de naissance, il grandit en Wallonie. Après des études en philologie romane à Gand, il fut plusieurs années assistant en littérature française moderne, et termina sa carrière dans une école pour traducteurs et interprètes à Bruxelles. Il traduit depuis une vingtaine d'années. Dans son rapport, le jury a mis en exergue les grandes qualités dont témoignent les traductions de poésie dues à Marnix Vincent, lesquelles vont de Hugo Claus (o1929), en passant par Stefan Hertmans (o1951) et Leonard Nolens (o1947), jusqu'à Benno Barnard (o1954), Jozef Deleu (o1937) et Luuk Gruwez (o1953). Il a traduit la quasi-totalité de l'oeuvre poétique de Hugo Claus, pour qui il professe une grande admiration(3), a collaboré à la traduction des deuxième et troisième tomes de la traduction intégrale de son oeuvre théâtral et a signé la traduction de plusieurs de ses ouvrages en prose. De Leonard Nolens il a traduit Bres (Brèche), un cycle de poèmes tout à fait singulier, une ‘oeuvre en évolution’, répartie sur plusieurs recueils, mais présentée ici pour la première fois en traduction comme la quintessence de l'oeuvre de l'auteur(4). Avec Le Paradoxe de Francesco de Stefan Hertmans, le traducteur est encore allé plus loin: cette anthologie de poèmes et d'essais (dont le sous-titre est récit avec poèmes) n'existe en tant que telle qu'en français, et représente peut-être l'un des livres les plus réussis de Hertmans(5). Beaucoup des traductions de Marnix Vincent ont été publiées dans la Bibliothèque flamande des Éditions Le Castor astral (Bordeaux), une collection dirigée par Francis Dannemark, auteur belge d'expression française, qui a réussi en quelques années à constituer un éventail impressionnant d'oeuvres littéraires issues de Flandre, tant classiques que contemporaines. Figurent ainsi dans cette collection, tous deux traduits par Marnix Vincent, Villa des Roses et Le Feu follet de Willem Elsschot (1882-1960)(6). Marnix Vincent traduit loin des rumeurs. Patiemment et avec une obstination sereine. Il fuit les projecteurs, mais entretient d'intenses contacts avec les auteurs qu'il traduit. Je sais par expérience que ses questions pertinentes mettent le plus souvent en lumière des passages du texte obscurs ou mal rédigés. Les traducteurs sont en effet les meilleurs lecteurs. Ils se nichent dans les replis les plus secrets du texte. Marnix Vincent, qui affectionne tout particulièrement la traduction des poètes, ne tarit d'ailleurs pas d'éloges sur la qualité et la diversité de la poésie flamande. S'il est permis de voir dans la traduction une ‘caresse intactile’, reconnaissons que ces deux traducteurs sont des maîtres de la caresse. Nombre d'écrivains de Flandre et des Pays-Bas leur doivent une seconde naissance. ‘Honneur aux passeurs.’ Luc Devoldere (Tr. Chr. Marcipont) |
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