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Nouvelle photographie aux Pays-Bas et en Flandre
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Alain van Haver (o 1967)
Rien n'est insignifiant
La photo est plus sombre aux quatre coins. Cette obscurité protège la femme. La composition semble s'être trouvée naturellement sur place. Comme s'il avait suffi au photographe d'être là et d'appuyer sur l'obturateur. Les pierres grossières à l'arrière-plan, sur lesquelles pousse une végétation, sont familières. Le spectateur sait comment elles sont au toucher. La femme pose. Elle regarde droit devant elle, au loin, par-delà le spectateur. Le portrait, d'une ordonnance symétrique, invite à la quiétude. La silhouette y prend la forme d'un oeuf. Elle est assez floue, un peu vaporeuse, de sorte que des détails sont gommés. La photo en devient moins anecdotique. Moins d'actuel, plus de permanent.
Alain Van Haver est un photographe discret. Il ne réclame pas d'emblée l'attention pour les objets ou les personnages qu'il fixe sur la pellicule. La photographie doit dépasser le visible concret. Ce qui l'intéresse, c'est le temps ou, mieux, l'intemporel. La photo, il la veut capable de poursuivre son existence de manière autonome. Pour une exposition, il réalise ses photos en grand format mais, même alors, son travail est millimétré. Rien n'est secondaire ou insignifiant. Ce qui va apparemment de soi est, dans le fond, étudié. La somme d'une manière de regarder et de ressentir. Alain Van Haver a reçu sa formation en photographie à l'Institut Saint-Luc à Bruxelles, où il a notamment eu pour professeur Dirk Lauwaert. Influencé, entre autres, par ce dernier, il rejoint la génération de photographes flamands dont le regard méditatif participe d'une réflexion sur le temps, la vie et la mort. En même temps, son art se nourrit de ses expériences de vie: une famille, les cours qu'il donne dans un établissement d'enseignement artistique, la réalisation de photos publicitaires.
www.alainvanhaver.be
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Elspeth Diederix (o 1971)
Dahlias
Les fleurs en bas, prises en surplomb. Les fleurs poussent à même le sol et la photographe se tient debout pour les photographier. Ce point de vue, normal de prime abord, est pourtant peu courant lorsqu'il s'agit de fleurs. Généralement, l'artiste peintre ou le photographe se place à hauteur des fleurs. Par respect, par souci de rendre les moindres détails. Sur cette photo, ce sont surtout les fleurs les plus éloignées qui apparaissent avec netteté. Les plus grands dahlias sont baignés de lumière et le ‘flou’ fait qu'ils sont à peine reconnaissables. La photo a été prise avec un flash dirigé. Il en résulte que les parties du sujet situées à l'avant-plan reçoivent un éclairage plus vif et que l'arrière-plan, en revanche, est sombre. Cette lumière provoque un décalage. Nous identifions les fleurs et l'herbe, mais ce que nous voyons n'a existé que durant un millième de seconde, le temps du flash électronique. Et c'est bien là ce que recherche la photographe: créer, à partir d'éléments familiers, un monde nouveau, coloré, qui engendre une sensation d'aliénation.
Elspeth Diederix a commencé par étudier la peinture et la sculpture à l'académie Rietveld à Amsterdam. C'est seulement plus tard qu'elle a découvert les ressources de la photographie, qui s'accordaient parfaitement à sa philosophie personnelle. Elle traite l'image à sa manière sans recourir à des techniques de manipulation numérique. Elle privilégie la perspective déformante et la combinaison de la couleur et de la lumière. De sorte que sa photographie a quelque chose de pictural. Elspeth Diederix ne compose pas uniquement ses photos en studio. Elle voyage fréquemment, en quête de nouvelles combinaisons de couleurs, de l'exotique, de l'insolite. Elle pratique aussi son art dans le créneau commercial et pour des magazines. En 2002, elle a reçu le prix de Rome de photographie.
www.elspethdiederix.com
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Photo SOFAM - Belgique
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Tim Dirven (o 1968)
Dans les nuages
Tim Dirven était encore étudiant lorsqu'il s'est découvert une vocation pour la photo de reportage à risques. Il a accompagné le député européen flamand Willy Kuypers en Roumanie et en ex-Yougoslavie. Il s'est ainsi trouvé brutalement dans des régions en guerre. De quoi accélérer son apprentissage d'homme. Ces expériences ainsi que les nombreux voyages qu'il allait accomplir dans des régions peu fréquentées par les touristes ont considérablement élargi, diversifié, humanisé sa vision du monde. Tim Dirven a acquis une grande faculté d'adaptation et d'empathie. Ses photos, dont le style a des affinités avec la philosophie du quotidien flamand De Morgen, paraissent dans ce journal dans une composition très appuyée; elles sont le plus souvent - à la différence de celle que nous voyons ici - en noir et blanc et montrent un intérêt réel du photographe pour les personnages qu'il met en scène. Les photos de Dirven sont aujourd'hui publiées un peu partout et lui ont valu des distinctions de premier ordre.
La photo que nous avons sous les yeux a été prise dans le village arménien de Stepanavan, qui avait été sinistré par un tremblement de terre en 1988 et où les habitants vivaient depuis lors dans des containers ‘provisoires’. La maman soulève son enfant bien haut, devant un filet de nuages. Elle l'accompagne du regard. Une autre femme (une grand-mère?), qui tient un enfant sur les genoux, regarde vers l'objectif. Un sentier parcourt le milieu de l'image. L'enfant devant les nuages ressemble à une poupée avec ses vêtements de couleurs vives, son bonnet et son visage joufflu. Image de bonheur. Bonheur que le photographe soit là, bonheur grâce à l'enfant, bonheur du moment vécu, bonheur en dépit de la misère, bien visible. La photo paraît simple, mais elle ne serait pas sans l'expérience vécue. Un photographe qui a vu de prés la folie de la guerre, senti l'odeur de la misère, ne peut qu'être sensible à la beauté d'un enfant devant les nuages.
www.timdirven.com
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Viviane Sassen (o 1972)
Une zone frontière
Quelques petits points lumineux se détachent de cette photo. Les perles sur le vêtement, le vernis des ongles de la main droite, les yeux de cette femme noire. Le noir de son corps se fond dans l'arbre sur lequel elle est couchée. Son corps devient tronc de l'arbre, ses bras deviennent des branches. Montrer et cacher, c'est typiquement la démarche de Viviane Sassen. Un jeu qui émoustille le regard du spectateur. Les formes sombres et capricieuses d'un arbre trapu d'Afrique contrastent de façon à peine perceptible avec l'élégante silhouette de la femme noire. Le spectateur s'attarde irrésistiblement, phénomène notable à notre époque de consommation effrénée d'images.
Viviane Sassen opère à la frontière entre la mode et l'art. Elle y avait déjà été en quelque sorte préparée par ses études, où elle avait mené de front le stylisme et les arts plastiques. D'autre part, elle a passé une partie de sa jeunesse au Kenya. L'Afrique lui colle à la peau, et elle y retourne régulièrement. Viviane Sassen, qui compte aujourd'hui parmi les photographes les plus réputés des Pays-Bas, a remporté le prix de Rome de photographie en 2007. Elle travaille pour des magazines de mode tels que i-D, Kutt, Vogue, Another Man, Purple, Selfservice, Frame, RE-magazine et Dazed & Confused. Elle est à la base de campagnes retentissantes pour les marques Miu Miu et So. Si les campagnes publicitaires dans le domaine de la mode ont un côté chatoyant et éphémère, il ne faudrait cependant pas sous-estimer la photographie de mode. Et les photos de Viviane Sassen doivent sans aucun doute leur tonalité fraîche et décapante au fait qu'elle s'intéresse bien moins à la parure qu'à la personne qui la porte.
www.vivianesassen.com
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Maarten vanden Abeele (o 1970)
Théâtre
Vingt-quatre bottes dans une lumière bleutée. Vingt-deux ont une bande réfléchissante. Dans la huitième à partir de la gauche, une bouteille de plastique retournée. Quelques bottes sont de couleur sombre. Au centre, deux exemplaires fripés. La photo a été prise à faible hauteur et sous un éclairage frontal. Les ombres sont presque inexistantes. Le mur lézardé et les accessoires qui y sont accrochés font penser à un garage ou à une remise. Le tableau n'a rien de spectaculaire. D'après des informations fournies par le Muhka (musée d'Art contemporain d'Anvers), la photo a été réalisée à Tokyo. Elle aurait tout aussi bien pu l'être dans le plus modeste village de France ou en Hongrie. Maarten Vanden Abeele laisse au spectateur un maximum de liberté d'interprétation. La photo a été prise ‘en passant’, par intuition. Le regard du spectateur n'est pas forcé à prendre une direction précise. Il y a beaucoup et peu à la fois, et chacun peut reconnaître sur une photo quelque chose de différent.
Maarten Vanden Abeele est un photographe aux activités diversifiées. Après sa formation en design et en communication à Rotterdam, il a travaillé deux ans comme scénographe et photographe en Finlande. Il s'est signalé par ses réalisations pour la compagnie de danse de Pina Bausch, par son travail novateur pour la compagnie théâtrale Needcompany et par ses photos pour des groupes rock tels que dEUS et Zita Zwoon. Il est également l'auteur de vidéos, d'installations et de décors sonores. En photographie comme à la scène, il sait conférer à l'intime la dimension du monumental.
www.muhka.be
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Edwin Zwakman (o 1969)
Architecture irréelle: ‘pfluggaslein 2002’ (de la série ‘façades’
La surface plane à l'arrière-plan est lumineuse. La lumière qui émane du fond inonde l'immeuble. Il en résulte une vibration des contours, qui se décolorent. Ils bleuissent. À côté de l'immeuble, nous apercevons les restes d'une construction ancienne, des escaliers, des pans de murs de différentes couleurs. Au fond se trouvent une voiture et une petite excavatrice à chenilles. Edwin Zwakman mène effrontément son public en bateau. Ce que nous voyons au premier degré n'est peut-être pas un immeuble mais la maquette d'un immeuble, éventuellement combinée avec des bouts de photos, le tout, de surcroît, retraité numériquement. Les photographes de la nouvelle génération aiment assez déformer la prétendue réalité. En définitive, il n'y a pas de photographic objective, reflétant fidèlement le réel. Le simple choix d'un moment, une découpe, sont déjà une manipulation. Le spectateur ne voit que ce que montre le photographe, évidemment complété de ses propres réminiscences ou des images enregistrées dans sa mémoire. La manipulation moderne - numérique ou autre - s'inscrit dans le prolongement de ce que les photos n'ont jamais cessé d'être: une nouvelle réalité.
L'oeuvre d'Edwin Zwakman suit un fil conducteur. Au début des années 1990, il a signé une série de ‘musées imaginaires’. C'étaient des ‘espaces à angles droits’, sans oeuvres aux cimaises mais avec des fenêtres verticales et des paysages uniformément plats à l'arrière. Plus tard, il a réalisé des intérieurs, des vues aériennes de carrefours, des photos de petits jardins et de façades.
www.akinci.nl
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Martijn van de Griendt (o 1970)
Coney Island (New York)
La prise de vue à hauteur d'yeux, le soleil dans le dos du photographe, la plage, le choix d'utiliser la couleur, le désordre à l'arrière-plan, la composition naturellement en place donnent à cette photo l'allure d'une photo d'amateur. Maarten van de Griendt n'a pas cherché à faire étalage de ses compétences techniques ou de son talent artistique. C'est ainsi qu'il se classe parmi les photographes qui utilisent les caractéristiques de la photo d'amateur comme mode d'expression tant artistique que journalistique. Journalistique paree que les photos sont davantage le reflet de la réalité. Le caractère sans apprêt de la prise de vue se traduit par exemple par la présence de bouteilles et de sachets en plastique sur le sol, ou de vacanciers à l'arrière-plan. Ces éléments rendent le sujet plus identifiable et plus crédible. Mais également artistique en ce sens que cette photo n'est pas tout simplement conservée dans le secret d'un tiroir mais publiée dans un contexte artistique. Ce n'est pas par hasard que Martijn van de Griendt a une préférence marquée pour des photographes comme Martin Parr et Nick Waplington. Eux aussi ont élevé le populaire et l'ordinaire au rang de l'artistique.
Martijn van de Griendt privilégie la photographie par séries. Ainsi, par exemple, les consommateurs de chez McDonald's et les habitués d'un restaurant Hema. Il a reçu sa formation à l'École de journalisme d'Utrecht et à l'Académie de photographie de La Haye. Il a obtenu entre autres distinctions le prix Martijn de Utrecht (qui faisait partie du Zilveren Camera, aujourd'hui le prix Canon) et travaille pour des organes de presse tels que Nieuwe Revue, HP / De Tijd. ‘M’ (NCR), Oor, Avantgarde et Intermediair. Il affectionne particulièrement ‘les scènes de rue et les reportages d'ambiance sur la vie de tous les jours’.
www.martijnvandegriendt.nl
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Stephan Vanfleteren (o 1969)
Eddy Merckx
Eddy Merckx enfermé dans un cadre noir aux traits épais. Dans ce rectangle, les mots MOLTENI et ARCORE prennent autant de place que le visage du coureur. Les mots se trouvent à hauteur de l'objectif. Un certain manque de netteté fait paraître les lettres plus larges et plus pesantes. La netteté est concentrée sur une partie du visage. La lumière semble crue, quasi fluide. Elle accuse les plissements et la texture de la peau. Eddy Merckx laisse tomber en oblique vers l'objectif un regard où ne perce qu'un minuscule point lumineux. Le sommet de sa tête est coupé. L'arrière-plan est d'une blancheur dure. La photo est impitoyable.
Même sur le papier ingrat du journal, les photos de Stephan Vanfleteren sont monumentales. Il s'en dégage une impression de force, qui ne résulte pas seulement du cadrage rigide et serré, mais aussi du grain minutieusement calibré et du regard du photographe. Stephan Vanfleteren, quand il opère, ne choisit pas un moment fugace. Il ‘fait’ le moment. Ses portraits sont rarement le reflet bienveillant d'une personne, mais la traduction de la vision qu'il a de cette personne. Habituellement publié en regard d'une interview ou d'un article, le portrait du personnage concerné apporte souvent une nuance, voire un correctif. Vanfleteren photographie uniquement les personnes qui - selon lui - ont un rayonnement particulier. Il a glané un nombre incalculable de distinctions et est l'auteur de divers livres de photographie. Il a publié dans le journal flamand De Morgen et dans la plupart des grands quotidiens et hebdomadaires d'Europe.
www.stephanvanfleteren.com
Johan De Vos
Directeur de la Stedelijke Academie voor Beeldende Kunsten à Sint-Niàlaas.
Adresse: Grote Peperstraat 11, B-9100 Sint-Niàlaas.
Textes traduits du néerlandais par Jean-Marie Jacquet.
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