De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français. Jaargang 1984
(1984)– [tijdschrift] Franse Nederlanden, De / Les Pays-Bas Français–
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Le tourisme à Boulogne-sur-Mer avant le chemin de fer
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puisqu'avant le chemin de fer les déplacements étaient bien moins commodes, nous devrons donner aussi quelques éclaircissements sur ce qui permit l'essor touristique de Boulogne en dépit de ces conditions restrictives. | |
I. Des excursionnistes anglais à Boulogne en 1828.Depuis 1826, paraissait à Arras, deux fois par semaine, la Revue départementale, ou feuille d'annonces judiciaires, commerciales et administratives de la ville d'Arras. Dans son numéro 286, en date du mercredi 24 septembre 1828, on lit l'article suivant, dont l'intérêt pour l'histoire, peu connue, du tourisme à cette époque, justifie, à notre avis, une transcription in-extenso: ‘Notre correspondant de Boulogne-sur-Mer nous mande ce qui suit, sous la date du 19 de ce mois. La facilité des communications entre la France et l'Angleterre fait naître le désir à nos voisins d'outre-mer, en général plus voyageurs que nous, de venir visiter les villes de nos côtes qui peuvent leur offrir quelque attrait; ces petites parties de plaisir qui ne durent guère que 36 heures se font cependant par fois sur une assez grande échelle, surtout lorsqu'elles s'organisent à Londres. Qu'on se figure deux ou trois cents personnes de cette grande ville qui, sans se connaître, se réunissent, frêtent, à frais communs, un des plus grands paquebots à vapeur que porte la Tamise, viennent aborder nos rivages avec pavillons déployés, musique nombreuse, salve de pierriers, fusées volantes, fanaux (si c'est la nuit) et autres démonstrations joyeuses annonçant l'approche du plaisir, et on aura une idée de ces sortes de fêtes improvisées. Déjà, les années précédentes et dans le courant de celle-ci, la ville de Boulogne avait vu, non sans intérêt, quelques-uns de ces bâtiments entrer dans son port. Deux à trois cents passagers, amis de la joie, qui aiment nos bons vins, notre cuisine et qui, trouvant nos magasins d'orfèvrerie, de modes et autres objets de goût à leur gré, ne sont pas des hôtes incommodes. Pressés de jouir dans un espace de temps donné, on les voit circuler dans tous les lieux publics, prendre part à tous les divertissements, compléter leur garde-robe en effets, en bijoux, et s'empresser de se rembarquer, non moins gaiement pour aller | |
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rejoindre leurs pénates, sitôt que la marée vient faire flotter leurs nerfs (sic - lire “nefs”). Jusqu'ici, aucun accident n'avait contrarié ces petits voyages d'agrément; mais il n'est pas de bonheur constant et, malgré le talent reconnu de nos voisins pour l'art nautique, il est arrivé à un de leurs paquebots un événement qui aurait pu avoir des suites fâcheuses; voici ce que nous avons recueilli à ce sujet. D'après les diverses versions qui circulent, deux de ces bâtiments à vapeur dont nous venons de parler, le Romano et la Columbine, frêtés à Londres et ne contenant pas moins de 550 passagers, qui se proposaient aussi de prendre une petite récréation, comme l'avaient fait déjà plusieurs de leurs compatriotes, descendirent en même temps la Tamise et traversèrent la Manche. On prétend, ce que nous sommes bien éloigné de vouloir garantir, qu'ayant voulu rivaliser entre eux pour atteindre plus tôt le terme d'un voyage qui avait le plaisir pour objet, la marche du Romano se trouva supérieure à celle de la Columbine, et que le capitaine de ce dernier bâtiment, voulant regagner le terrain perdu, serra la côte si près qu'il vint toucher sur une roche dans les parages d'Ambleteuse. Le paquebot s'entr'ouvrit promptement et de manière à inspirer quelque crainte aux personnes qui le montaient et qui étaient loin de s'attendre à un véritable naufrage, dans un trajet si court, si facile et par un aussi beau temps: heureusement qu'il faisait encore assez clair, que beaucoup de nos pêcheurs étaient à la rade Saint Jean et qu'ils se portèrent rapidement au lieu du désastre. Non seulement les 270 passagers de la Columbine furent promptement sauvés, mais encore tous leurs bagages, un peu plus, un peu moins mouillés, furent également retirés du bâtiment enfoncé, qu'on renflouera, nous l'espérons et qui ne tardera pas à reprendre la mer. Cet événement toutefois ne nous a pas privés du plaisir de voir les voyageurs d'outre-mer qui, accoutumés à se moquer du perfide élément, ne ressemblaient pas du tout à des naufragés, et n'ayant eu d'ailleurs, dans cette bagarre, qu'une mauvaise nuit à passer, se sont dédommagés amplement pendant le court séjour qu'ils ont fait parmi nous’. Ce texte fait ressortir quelques traits spécifiques de l'époque: | |
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Bateau d'excursion arrivant à Boulogne au début du XXe siècle. On reconnaît à droite la Crèche (la digue Nord n'était pas encore construite); au-delà, vers le Nord, la baie St. Jean; à gauche, derrière le bateau, une barque de pêche (ou flobard) comme celles qui se portèrent au secours de la Columbine. Celleci n'était sûrement pas aussi moderne que ‘Le Holland’, mais portait sans doute autant de ‘pavillons déployés’ et de passagers.
les bateaux d'excursionnistes sont un phénomène récent, survenu ‘les années précédentes’. On verra plus loin pourquoi. En outre, ils sont très dépendants de la marée qui fixe leur arrivée, même la nuit (avec des ‘fanaux’) et leur retour vers ‘leurs pénates’. La modernisation, depuis lors du port de Boulogne, a permis aux excursionnistes d'adopter un rythme diurne indépendant de la marée et aux Boulonnais de jouir de nuits plus paisibles... Mais il s'agit toujours d'excursions brèves, se déroulant maintenant sur une journée plutôt que sur ‘36 heures’, groupant de 200 à 300 personnes (ce qui, eu égard à la taille des bateaux de l'époque, était un déplacement de masse). Le motif du déplacement reste, depuis un siècle et demi, essentiellement le ‘shopping’, et la gastronomie vient toujours largement en tête, devant les parfums, souvenirs, vêtements... puisqu'actuellement ‘environ 90% des produits achetés sont des produits alimentaires’.Ga naar eindnoot(3) Tout cela s'effectue dans une | |
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ambiance joyeuse qui, l'alcool aidant, n'a pas disparu de nos jours. Enfin, autrefois comme maintenant, la concurrence entre compagnies était très vive, mais elle conduit désormais à moins d'imprudences et à plus d'émulation dans la fréquence des dessertes ou la qualité des services offerts. Ces excursionnistes venaient à Boulogne surtout pour faire du ‘shopping’. Mais ils pouvaient aussi profiter, déjà en 1828, d'autres équipements ou facilités mis à leur disposition par la grande station balnéaire. Jetons donc un coup d'oeil sur les atouts touristiques que Boulogne possédait outre ses commerces. | |
II. L'attrait touristique de Boulogne à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle.A l'époque du récit relaté plus haut, les bains de mer ne sont pas une nouveauté sur les rives de la Mer du Nord et de la Manche, à Boulogne ou ailleurs. C'est à Scarborough, sur la côte du Yorkshire, qu'ils apparaissent pour la première fois vers 1730, puis à Brighton en 1736. Mais leur vogue s'étend à partir de 1750. Cette année-là, le docteur Richard Russell publie à Oxford son ouvrage décisif ‘de tabe glandulari sive de usu aquae marinae in morbis glandularum dissertatio’, traduit en anglais en 1752 sous le titre: Dissertation on the use of seawater in the diseases of the glands. Russell s'installe lui-même à Brighton en 1753 et contribuera ainsi à l'essor de ce qui reste l'une des plus grandes stations balnéaires européennes. Puis la pratique des bains de mer franchit le Détroit: en 1763, l'écrivain anglais Tobias Smolett prend des bains de mer à Wimereux, et Boulogne est bientôt touchée: ‘à partir de 1782, il y eut à Boulogne une sorte d'organisation des bains de mer’,Ga naar eindnoot(4) tandis qu'en Belgique, les premières cabines de plage apparaissent à Blankenberge en 1778 et à Ostende en 1784.Ga naar eindnoot(5) Vers la même époque, et parallèlement aux ‘bains à la lame’ plus faciles à pratiquer, apparaissent les établissements de bains de mer qui permettent l'usage de l'eau de mer froide ou chaude pour des bains en toute saison dans des établissements couverts. Ce type d'établissement était connu depuis longtemps dans les stations thermales. Mais l'utilisation de l'eau marine | |
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Boulogne-sur-Mer et ses rivales dans la première moitié du XIXe siècle.
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est alors une nouveauté. Le premier en Europe est créé en 1769, à Brighton, par le docteur John Awsiter.Ga naar eindnoot(6) A la suite de Brighton, Boulogne se trouve à la pointe de l'innovation car s'y trouve en 1790 ce qui semble être le troisième établissement de bains de mer de ce genre en Europe (le deuxième sur le continent, après Dieppe, située face à Brighton, en 1778).Ga naar eindnoot(7) Cet ‘établissement de bains chauds d'eau de mer sur le quai du petit Paradis à Boulogne-sur-Mer... a été commencé en 1785, continué sans relâche et fini en 1790. Le bâtiment a 100 pieds de façade...’.Ga naar eindnoot(8) Il fut ouvert au public le 1er août 1790. Il avait été conçu par M. Cléry, qui en avait rapporté les plans d'un voyage en Italie.Ga naar eindnoot(9) Il était pourvu de baignoires fixes et mobiles et, comme à Brighton, avait sans doute bénéficié de l'appui du corps médical puisque la publicité d'ouverture, en 1790, indiquait que ‘les bains chauds d'eau de mer conviennent à tout âge... Monsieur Courtin, médecin à Boulogne-sur-Mer les a fait prendre avec un succès étonnant à des enfants attaqués du rachitisme’.Ga naar eindnoot(10) Malheureusement, cet établissement, par lequel Boulogne fait figure de pionnière, n'eut qu'une existence éphémère, pour diverses raisons: ‘ensuite, la révolution et la guerre sont arrivées en même temps; les personnes aisées concentraient leur fortune; on n'osait s'exposer à se rendre dans une villefrontière; la thérapeutique n'avait pas comme de nos jours démontré l'efficacité des bains de mer...’.Ga naar eindnoot(11) L'établissement fut abandonné. La situation de Boulogne, port militaire face à l'Angleterre, ruina ce tourisme balbutiant mais valut à la ville des parades et réceptions dont elle semble avoir gardé, pour les temps meilleurs qui suivirent, un goût marqué pour la vie mondaine. Par cet établissement, Boulogne cependant prenait date pour l'avenir et se plaçait au rang de stations qui, elles aussi et après un démarrage un peu plus tardif, naissaient au tourisme balnéaire. Ce n'est qu'en 1791 que le Royal Sea Bathing Infirmary for Scrofula de Margate crée en Angleterre le deuxième établissement de bains, suivi de ceux de Harwich, Deal, Southampton, de l'île de Wight, Portsmouth... De retour de Margate en 1793, l'Allemand Lichtenberg crée en 1794 un établissement | |
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de bains à Doberan (près de Rostock) et bientôt un chapelet s'en succède sur les côtes de la Baltique et de la mer du Nord, à Sopot, Kolobrzeg, Putbus, Stralsund, Travemunde, Åbenrå, Cuxhaven, Wangeroog, Norderney, jusqu'à celui de Scheveningen en 1818.Ga naar eindnoot(12) Il fallut attendre la Restauration pour que se réinstalle en France un tel établissement. Mais Boulogne fut encore devancée par Dieppe, qui en construisit un en 1822. Le 16 mars 1824, un Grenoblois, M. Versial, posa la première pierre de celui de Boulogne, qui fut inauguré le 29 mai 1825. L'été suivant, la duchesse de Berry y séjourna du 24 au 28 août et s'y baigna les 25 et 26. Cela lança la station qui connut un succès croissant jusqu'à la fin du IIe Empire. En 1835, il y avait 1648 abonnés aux bains. La même année, 30.000 bains furent délivrés à Boulogne, en comptant ceux que donnaient aussi les particuliers; en 1850, ce fut 64.000 bains, mais le chemin de fer arrivait alors depuis peu à Boulogne. Pourtant, le coût de l'entretien d'un tel bâtiment avec son casino, ses salles et salons était fort élevé et M. Versial le céda en 1832 à M. Mancel, aux héritiers duquel la ville le reprit en mai 1858 pour le remplacer par un nouveau, construit de 1861 à 1863 et inauguré le 29 juin 1863.Ga naar eindnoot(13) Toutefois, sans attendre l'ouverture de l'établissement, les trois premières voitures de bain avaient été mises en service le 7 août 1824, sans doute pour satisfaire les baigneurs que la vue du chantier rendait impatients. En même temps, en août 1824, des Anglais et des Français fondaient la Société Humaine des Naufrages, reconnue d'utilité publique le 30 novembre 1825.Ga naar eindnoot(14) Dans les années qui suivirent, la ville renforça son potentiel touristique: création, en juin 1826, de la Société Philharmonique de Boulogne qui donnait plusieurs concerts par an, ouverture en septembre 1827 du théâtre municipal de la rue Monsigny, ouverture du champ de courses de Wimereux en 1836, première exposition de tableaux, en juillet 1837, par la Société des Amis des Arts. Les régates n'apparaîtront que plus tard (en 1852), à l'initiative des Anglais. Quant au tennis et au golf, qui, eux aussi, traversent le Channel, ce n'est qu'à partir de 1904 et 1907 que les touristes peuvent en user, mais à Wime- | |
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reux qui était, depuis les débuts du tourisme balnéaire, un but d'excursion apprécié.Ga naar eindnoot(15) La clientèle touristique comporte une majorité d'Anglais dont une colonie s'était installée à Boulogne depuis longtemps. 24 familles s'y trouvaient en 1770. La Révolution et l'Empire interrompirent cette présence qui reprit sous la Restauration: 140 Anglais environ en 1821, 1400 en 1831, 3500 en 1843, 2300 en 1846. En 1839, 11 médecins anglais exercent à Boulogne.Ga naar eindnoot(16) Cette ambiance britannique attire beaucoup de visiteurs d'Outre-Manche et l'on a vu plus haut l'exemple des excursionnistes londoniens. Mais son équipement vaut surtout à Boulogne une clientèle aristocratique et de haute bourgeoisie (artistes, médecins, banquiers...) venue de toute l'Europe. Entre 1831 et 1842, H. Heine séjourne à Boulogne pour y soigner sa paralysie grâce aux bains de mer. Il y rencontre Liszt, Meyerbeer, Paganini.Ga naar eindnoot(17) Mais c'est surtout l'aristocratie qui donne à Boulogne son caractère mondain: le roi et la reine des Belges y passent sur la route d'Eu (1839, 1841...), le duc et la duchesse de Nemours (1840, 1845), Louis-Philippe et la famille royale (1840), le prince de Joinville et le duc d'Aumale (1843), la duchesse de Kent (1844), le duc et la duchesse de Saxe-Cobourg-Gotha (1845)... Le caractère international de Boulogne est marqué par la publication, à partir de 1818, du Boulogne Telegraph. On a donc, à l'échelle de l'époque, une vie touristique intense, due à la qualité des équipements, et cela en dépit du fait que Calais reste le principal point de passage vers l'Angleterre, mais sans vie touristique réelle, et malgré la médiocrité persistante des communications. | |
III. La desserte de Boulogne et sa situation face à ses rivales.C'est surtout grâce à ses bains et à ses fêtes que Boulogne attire alors le public. Il faut croire que les uns et les autres sont de qualité et empreints d'un certain snobisme, car il n'est pas aisé de s'y rendre. Avant que le chemin de fer ne soit ouvert en 1848, on ne peut accéder à Boulogne que par mer ou par route. Situation relativement privilégiée, car l'accès terrestre est alors très incommode. En 1814, la durée du voyage Paris-Boulogne en dili- | |
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gence est de 35 heures, elle est encore de 32 heures en 1830, mais tombe quand même à 16 heures en 1848.Ga naar eindnoot(18) Dès le 28 juin 1843, avec l'ouverture de la ligne Londres-Folkestone, le voyage Londres-Boulogne ne prend plus que 5 h 30.Ga naar eindnoot(19) La voie n'est prolongée vers Douvres que le 7 février 1844. Il faut donc considérer que, tant que le chemin de fer n'atteint pas Boulogne, la ville est plus accessible aux Londoniens par bateau (et chemin de fer dans les dernières années) qu'aux Parisiens. L'exemple cité des excursionnistes le montre amplement. En effet, au cours de la première moitié du XIXe siècle, la navigation fait des progrès considérables. Lorsqu'elle reprend, en 1814, entre la France et l'Angleterre, il ne s'agit que de petits voiliers de 50 à 60 tonneaux, transportant une soixantaine de passagers. Dès 1816, la première traversée du Détroit par un bateau à vapeur est assurée par le Majestic, bateau à aubes, entre Margate et Calais. Ce n'est qu'en 1821 que le premier service à vapeur (avec les voiles en plus) est réalisé entre Douvres et Calais. La traversée dure alors entre 2 h 45 et 3 h 30.Ga naar eindnoot(20) Il faut attendre le 22 mai 1822 pour que le premier bateau à vapeur atteigne Boulogne, venant de Douvres avec 6 passagers.Ga naar eindnoot(21) Les lignes, parfois éphémères, vont ensuite se multiplier: Rye-Boulogne en 1823, fermée la même année, Ramsgate-Boulogne de 1836 à 1846, Boulogne-Folkestone qui ouvre le 1er août 1843, un mois environ après la voie ferrée Londres-Folkestone. Cette ligne deviendra rapidement la meilleure liaison de Boulogne avec l'Angleterre. Il s'agit d'un service régulier de paquebots que Boulogne s'efforce sans cesse d'améliorer pour concurrencer la ligne Calais-Douvres. Le 24 juillet 1845, le paquebot ‘Reine des Français’ fait la traversée Folkestone-Boulogne en 1 h 45 et le retour en 1 h 42: ‘cette rapidité extraordinaire place pour ainsi dire notre ville aux portes de l'Angleterre’.Ga naar eindnoot(22) Tant que la navigation se perfectionne, ce sont donc surtout les Anglais qui bénéficient de meilleures conditions d'accès. La croissance de la colonie britannique l'a bien montré. Dans le domaine ferroviaire, la situation de Boulogne est plus quelconque. Or, c'est, si l'on peut dire, la conquête du marché intérieur qui en dépend. Son avantage vis-à-vis de Calais est | |
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mince, mais réel. La ligne Paris-Boulogne n'est ouverte que le 17 avril 1848, devançant de peu la liaison Lille-Calais (2 septembre 1848) qui assurait la jonction avec Paris. Il faudra attendre le 7 janvier 1867 pour que soit inauguré le tronçon Boulogne-Calais, ‘si essentiellement inutile et improductif’,Ga naar eindnoot(23) dont Boulogne ne voulait pas, car il permettait à sa rivale d'être terminus de la ligne de Paris et de mieux exploiter les avantages nautiques de son port, la meilleure régularité de ses dessertes et le meilleur confort de ses liaisons avec Douvres. Aussi les avantages de temps n'étaient souvent pas décisifs pour le touriste désireux de gagner la Grande-Bretagne ou en revenant. Jusqu'en 1867, 5 h 30 seulement suffisaient par chemin de fer entre Paris et Boulogne, et 12 h pour atteindre Londres via Folkestone, contre 14 h 30 via Calais et Douvres. La médiocrité du port de Boulogne ne lui permet donc pas de tirer tout le parti espéré de sa desserte ferroviaire. Bien que l'une des stations-reines du tourisme européen, Boulogne ne fut pas spécialement avantagée, dans le domaine ferroviaire, vis-à-vis de ses rivales, particulièrement anglaises qui, de bonne heure, lui prélevèrent une part croissante de sa clientèle. Parmi les grandes stations, c'est cependant Ostende qui est la première desservie par voie ferrée, à partir de Malines, en 1839. Le chemin de fer touche Brighton en 1841, Folkestone en 1843, Douvres en 1844, Ramsgate en 1846, Deal en 1847. Pour gagner les rives du Channel, il devenait plus simple de prendre le train que de descendre la Tamise en bateau... Sur le continent, Boulogne précède à peine Calais, on l'a vu, Dieppe où le chemin de fer arrive en 1849, davantage Blankenberge (1863) et Scheveningen (1908) (mais celle-ci est desservie par tramway depuis longtemps). | |
Conclusion.Partout, l'arrivée du chemin de fer va marquer l'avènement d'un autre type de tourisme. L'essor des trains de plaisir amènera une clientèle plus nombreuse et plus populaire, exigeant des hébergements et des équipements plus importants. Une autre phase s'ouvre dans l'histoire du tourisme. Pour l'aborder, Boulogne a tiré grand profit de sa situation de ville-frontière | |
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maritime qui lui a valu un développement balnéaire précoce. Avant l'arrivée du chemin de fer, l'amélioration de la navigation a été pour elle un facteur décisif, et jusqu'à présent peu mis en évidence, de développement. Ce fut vrai aussi dans d'autres grandes stations touristiques, par exemple à Brighton où, à partir de 1836, en été, deux paquebots par semaine quittaient le ‘pier’, transportant de nombreux voyageurs qui préféraient passer par Dieppe et Rouen que par Calais pour gagner Paris. Lorsque la voie ferrée atteignit en 1847 Newhaven dont le port était meilleur, la jonction Brighton-Dieppe devint Newhaven-Dieppe,Ga naar eindnoot(24) et cette dernière ville conserva le triple avantage d'un port, d'un établissement de bains et d'une voie ferrée (à partir de 1849). Boulogne eut aussi ces atouts, même si son port était moins bon que celui de Calais. Cela devait lui permettre de connaître un essor touristique brillant pendant plusieurs décennies, mais qui donnait déjà des signes d'essoufflement avant la Première Guerre Mondiale. Ensuite, le tourisme n'y disparut pas, mais devint, de façon durable, beaucoup plus discret, surtout dans le concert des grandes stations nationales et internationales. Aussi pourrait-on dire que Boulogne fut surtout une station touristique de l'ère de la vapeur, cette vapeur qui actionnait les bateaux et les trains qui firent son succès. | |
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SamenvattingDe eendagstoeristen maken thans de meerderheid uit van de passagiers die de haven van Bonen (Boulogne-sur-Mer) passeren, maar ook al bij het begin van de negentiende eeuw kreeg Bonen een belangrijke stroom passagiers te verwerken. De auteur brengt een tekst uit 1828 ter sprake die de overtocht behandelt van twee stoomschepen die met 550 passagiers Londen verlieten. Een bewogen overtocht want één van de schepen dat zich haastte om voor zijn rivaal op het continent aan te leggen, liep ter hoogte van Ambleteuse vast. Gelukkig maar zonder slachtoffers onder de passagiers te maken zodat ze allen, zoals gewoonlijk, in Bonen hun inkopen konden doen. Inkopen doen is nog altijd de hoofdreden waarom Britten naar Bonen een uitstapje ondernemen. Bonen was in die tijd een van de toonaangevende badplaatsen in Europa. Er werd op grote schaal in zee gebaad maar men kon ook terecht in een badhuis dat van zeewater voorzien was. Het badhuis dat in 1825 te Bonen geopend werd, was niet het eerste. Er was er al een geweest in 1790, maar de Franse Revolutie en het Keizerrijk waren het initiatief noodlottig geweest. Het eerste badhuis in Europa stond in Brighton en dateert van 1769, waarna Dieppe in 1778 het Britse voorbeeld volgde. Het nieuwe badhuis dat in 1825 te Bonen openging, was daarentegen uitgerust met gokzalen en salons en zo werd het het centrum van een bloeiend mondain leven. De Britse kolonie en de Britse dagjestoeristen versterkten hun positie te Bonen dankzij de ontwikkeling die zich in de jaren 1820 in de stoomvaart voordeed. Zo was Bonen vanuit Londen het makkelijkst te bereiken per schip. Dat bleef zo tot Londen een treinverbinding kreeg met Folkestone en korte tijd later de scheepvaartlijn Folkestone-Bonen werd ingelegd. Bonen was vanuit Parijs evenwel moeilijker te bereiken. In 1830 had je daarvoor 32 uur nodig, in 1848 nog altijd 16 uur. In april 1848 kwam er een spoorverbinding tussen Parijs en Londen en die | |
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zou ervoor zorgen dat de stad met haar Franse, Britse, Belgische en Nederlandse concurrenten de strijd kon aanbinden. Het toerisme werd in die periode immers overal ontzettend populair dankzij de ‘pleziertreinen’ die mensen voor een uitstapje naar zee brachten. De vlucht die de scheepvaart nam was vóór de komst van de trein een beslissende factor in de ontwikkeling van Bonen, iets wat wel eens vergeten wordt. Het toerisme kende een bloeiperiode in Bonen en die hield decennia lang aan. Verzwakking trad pas in in de jaren naar de Eerste Wereldoorlog toe. Het toerisme verdween er evenwel niet. Bonen bleef in de context van nationale en internationale badplaatsen voort zijn rol spelen.
(Samenvatting door Werner Duthoy) |
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