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Augustin Laurent
Bernard Vanneste
Professeur d'Histoire
Lys lez Lannoy (F)
Le nom d'Augustin Laurent est aujourd'hui inconnu de la quasi-totalité des habitants du Nord de la France et à fortiori du pays tout entier. Mis à part les Lillois et les anciens socialistes, beaucoup de gens ignorent le rôle important qu'il a joué pendant la durée de plus d'une génération tant dans le département que dans le pays. Ce paradoxe apparent s'explique en grande partie par la discrétion et l'extrême modestie dont fit preuve celui qui fut, entre autres choses, deux fois ministre dont une fois d'Etat, président du Comité Départemental de Libération, président du Conseil Général du Nord pendant 22 ans et maire de Lille pendant 18 ans.
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Les fondements idéologiques de son socialisme
Celui qu'un grand journaliste surnomma ‘le pape de la SFIO’ est né dans le terreau le plus fertile du socialisme français, dans le Nord, à Wahagnies, à une époque où l'industrie de la région est à l'acmé de sa première révolution et au moment où le Parti Ouvrier Français de Jules Guesde est maintenant bien implanté, en 1896, le 9 septembre.
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Un socialisme vécu.
Tout dans son enfance et sa jeunesse fait de lui l'archétype de l'ouvrier avec tout ce que cela comporte de conditions d'existence: sa mère est l'aînée de neuf enfants et son père est au service
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L'Homme Libre. Journal clandestin, manuscrit d'Augustin Laurent.
La IVe République. Journal clandestin.
militaire lors de sa naissance. Il est élevé au domicile de son grand-père, maçon de profession qui tient un estaminet servant de local aux socialistes qui s'y réunissent. Quinze jours avant sa venue au monde, l'établissement est saccagé par les adversaires politiques. Le grand père est montré du doigt et il doit désormais aller chercher du travail plus loin. Ce climat familial, intimement mêlé aux combats de la classe ouvrière, n'empêche pas le jeune Augustin de poursuivre sérieusement sa scolarité jusqu'au certificat d'études mais, malgré ses capacités et l'insistance de son instituteur, il doit mettre fin à ses études pour entrer dans le monde du travail, d'abord comme colporteur puis comme mineur à l'âge de 13 ans. On lui donne les tâches les plus ingrates car son père est connu pour son activité syndicale. Cela lui vaut de travailler du côté bas de la taille, les pieds dans l'eau. Plus tard il est surpris dans un éboulement et échappe de justesse à la mort grâce au passage d'une équipe à proximité de là.
Lorsqu'éclate la première guerre mondiale, le jeune homme Augustin Laurent est encore à quelques semaines de ses dixhuit ans, mais à peine les a-t-il atteints qu'une affiche de mobili- | |
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sation pour les volontaires le pousse à s'engager. Que signifie cet empressement de la part d'un socialiste alors que, il l'avoue lui-même, l'influence de Jaurès en 1914 avait supplanté celle du vieux Guesde? La participation de ce dernier au gouvernement d'Union Sacrée peut l'expliquer en partie mais c'est surtout la prise de conscience que les régions du nord de la France font partie du plan d'annexions du Kaiser qui justifie cet engagement.
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Un socialisme pensé
Avec le temps, progressivement, l'expérience aidant, la synthèse entre le socialisme guesdiste, plus intransigeant sur la doctrine marxiste, et le socialisme jauressien, plus souple et davantage humaniste, s'incarne en la personne d'Augustin Laurent qui épouse parfaitement les thèses de son maître à penser Jean Lebas, premier dirigeant de la fédération du Nord du Parti socialiste et maire de Roubaix.
En 1920, lors du fameux Congrès de Tours, c'est Léon Blum qui parvient le mieux à la théoriser et à partir de ce moment la fidélité d'Augustin Laurent à son égard sera sans faille. En 1936, avec le gouvernement de Front Populaire dans lequel le département du Nord est bien représenté par ses ministres Jean Lebas, Roger Salengro et Léo Lagrange, le nouveau député Augustin Laurent agit par son soutien à la majorité parlementaire. Lorsque celle-ci éclate et que le radical Daladier, successeur de Léon Blum à la présidence du Conseil, porte atteinte aux lois sociales et en particulier à celle des 40 heures, le Groupe parlementaire socialiste confie à Augustin Laurent le soin d'aller expliquer à la tribune de l'Assemblée nationale les raisons de son passage à l'opposition. C'est à l'ancien ouvrier mineur que l'on fait appel lequel, mieux que tout autre, dans son discours du 9 décembre 1938, prouve qu'il est à la fois capable de sincérité authentique dans ses propos et de démonstration intellectuelle. Son socialisme vécu dans sa chair s'est peu à peu doublé d'un socialisme pensé et théorisé.
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Un socialisme total
Pour atteindre le stade ultime qui est le dépassement de sa propre
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Augustin Laurent (à droite) et Léon Blum à Phalempin en 1948.
personne et de sa propre vie, la Résistance a offert au socialisme et à ses militants la possibilité d'une mise à l'épreuve. Suivant l'exemple de Jean Lebas qui, sitôt la défaite militaire de 1940, refuse de baisser les bras, ce qui lui vaut d'être arrêté et emprisonné à Bruxelles par l'occupant allemand, Augustin Laurent reprend alors le flambeau de la Résistance: les socialistes du Nord sont parmi les premiers à s'organiser. Il le fait sans compter, au mépris des précautions les plus élémentaires, ne cherchant pas à passer inaperçu, ce qui paradoxalement est parfois la meilleure façon de ne pas se faire remarquer. Il rédige et imprime, en cachette dans les caves lilloises, des journaux clandestins: ‘L'Homme libre’ puis ‘la IV e République’, publication dont il est le fondateur.
Il voyage beaucoup, dans le but de multiplier les contacts mais en accroissant par la même occasion les risques. Il rencontre à Bouillon-sur-Meuse les socialistes belges et hollandais, sous le couvert d'études archéologiques. Il se rend fréquemment à Paris où il rencontre les socialistes organisés dans d'autres réseaux de Résistance et les responsables nationaux. En 1942, il quitte sa région car il est recherché par la Gestapo qui a mis sa tête à prix. Il rejoint alors Lyon en zone sud où il poursuit sa lutte dans l'organisation Libé-sud. Il est là au bon moment car
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en 1943, dans cette ville, les socialistes mettent au point leur programme et achèvent leur unification organisationnelle. Il devient l'un des neuf secrétaires nationaux du Parti socialiste clandestin dont la première tâche est de désigner un des leurs pour le représenter au Comité National de la Résistance qui regroupe l'ensemble des organisations résistantes. De sa prison, Léon Blum propose le nom d'Augustin Laurent mais celui-ci n'ayant en tête que l'intérêt du parti préfère laisser sa place à André Le Troquer dont l'origine parisienne conforterait l'image des socialistes dans la capitale.
Quelques mois avant la Libération il est de retour dans le Nord où il est élu président du Comité Départemental de Libération. La paix enfin revenue, il met à profit la courte période d'euphorie militante de l'après-guerre pour fonder le journal Nord-Matin dont il assume la responsabilité de directeur politique. La guerre nous a fait découvrir un homme qui, jusque là dans l'ombre de son maître Jean Lebas, se révèle comme le véritable leader des socialistes du Nord.
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Un itinéraire politique volontairement original
Dans les jours qui suivent la libération de Lille, le général de Gaulle, chef de l'Etat provisoire, appelle Augustin Laurent pour lui confier le ministère des PTT mais rapidement il n'a qu'une obsession: revenir au pays où il sent devoir accomplir son destin. Négligeant les honneurs parisiens il sera pendant près de trente ans la première personnalité politique du Nord.
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L'homme d'Etat
Ce modeste mineur est donc ainsi devenu un des responsables du gouvernement de la France, atteignant par-là la plus haute marche des fonctions politiques, d'une manière naturelle. Il est à l'opposé du Rastignac de Balzac qui savourait orgueilleusement sa montée à Paris. Au contraire, chacune de ses responsabilités lui était échue et il les acceptait comme un service à rendre à son parti et non comme une étape dont un ambitieux avide eût tôt fait de ne pas se satisfaire. Il avait donc successivement exercé les tâches de secrétaire de mairie en 1918, de secrétaire administratif de la fédération du Nord du Parti socialiste,
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Lettre du Général de Gaulle à son ministre des P.T.T. démissionnaire Augustin Laurent.
de conseiller municipal de Fretin, de conseiller général, de député, tout cela avant la guerre.
Maintenant gestionnaire au nom de la France et plus seulement du Parti socialiste, il se lance de manière passionnée dans l'exercice de son ministère, de septembre 1944 à avril 1945, passant des nuits entières pour se mettre au courant des dossiers. Il se montre partisan de la rigueur financière proposée par le ministre Pierre Mendès-France contre celle de Pleven, davantage laxiste, qui a pourtant la préférence de De Gaulle. Profitant d'une bénigne opération, il donne sa démission au chef de l'Etat qui le reçoit néanmoins à Colombey dans le but de le retenir mais en vain. Il ne revient à Paris que pendant la courte période du gouvernement Léon Blum qui lui confie un ministère d'Etat, de décembre 1946 à janvier 1947, afin d'assurer la transition avant l'élection du président de la République, en l'occurrence Vincent Auriol.
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Le ‘pape’ du parti socialiste - SFIO
Ce qualificatif journalistique, apparemment surprenant, est
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loin d'être usurpé lorsqu'on connaît le rôle joué par Augustin Laurent dans la politique du Parti socialiste.
En 1946, au Congrès socialiste, le secrétaire général Daniel Mayer, soutenu par Léon Blum et la fédération du Nord derrière Augustin Laurent, est mis en minorité. L'opposition, animée par Guy Mollet, mécontente de la participation socialiste au gouvernement, réclame davantage le retour à un intégrisme doctrinal marxiste que l'apparition d'un socialisme humaniste prôné par Blum. L'élection du secrétaire général semble alors une formalité pour les nouveaux majoritaires et pourtant ce n'est que par seize voix contre quatorze que le Comité directeur choisit Guy Mollet de préférence à Augustin Laurent.
La plus puissante fédération socialiste de France va-t-elle désormais passer dans l'opposition à la direction nationale? C'est méconnaître les sentiments profonds de son leader pour qui l'intérêt général de son parti passe avant son intérêt particulier et c'est ainsi que très rapidement Augustin Laurent se range tout d'abord derrière Guy Mollet par discipline puis soutient de plus en plus fermement ce dernier, scellant ainsi l'union des deux premières fédérations socialistes pour plus de vingt ans, lesquelles feront à elles seules toutes les majorités dans tous les congrès, les autres ne jouant que le rôle de force d'appoint. De là est née la fameuse tradition de synthèse de la fédération du Nord qui, forte de sa représentativité militante et par conséquent de son poids important dans les congrès, a toujours voulu rapprocher les points de vue au départ différents et ne jamais pratiquer la politique du pire en tombant dans l'opposition (si ce n'est la très courte période de 1979 à 1981).
Pendant de très longues années Augustin Laurent est un homme très écouté au Comité directeur du Parti socialiste dont il est la conscience tant son expérience et sa compétence sont reconnues par ses principaux dirigeants. Guy Mollet ne prend jamais une grande décision sans le consulter. Les deux adversaires d'un jour sont maintenant de fidèles amis et il ne s'est trouvé qu'un seul événement pour les mettre en désaccord: l'affaire de Suez où l'intervention des troupes franco-anglaises décidée par Guy Mollet souleva la réprobation d'Augustin Laurent qui préconisait de ne rien faire sans l'O.N.U.
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Le Maire de Lille visitant les centres aérés municipaux.
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Le polémiste face aux communistes
Une seule phrase d'Augustin Laurent résume le fond du problème de ses relations avec le parti communiste et ses militants: ‘je leur en veux car ils nous ont empêché d'être nous-mêmes’, c'est-à-dire les meilleurs défenseurs de la classe ouvrière car seuls capables d'assurer son émancipation tout en préservant la liberté. La défense de cette dernière passant par celle des institutions démocratiques de la IVe République, durant la longue période de la guerre froide qui commence en 1947, il n'est question que de conflits idéologiques entre les deux frères ennemis de la classe ouvrière: le Parti socialiste et le Parti communiste. Ce n'est donc pas un hasard si en pareil cas, lors des grandes grèves de 1947-1948 que beaucoup qualifièrent ‘d'insurrectionnelles’, Augustin Laurent monte à la tribune de l'Assemblée nationale pour dénoncer au nom même du socialisme les agissements de ceux qui n'ont d'autre but que de renverser le régime républicain. Dans un long discours placé sur un plan historique et théorique, il donne une leçon de socialisme aux staliniens de l'époque (novembre 1948). Il approuve l'action des ministres qui font preuve de fermeté et dresse un véritable réquisitoire en désignant la C.G.T. La conséquence en sera la scission de ce syndicat et la création de la C.G.T.-F.O.
Plus jamais Augustin Laurent ne siégera aux côtés de ceux avec qui il avait contribué à libérer la France. Dans aucune des élections auxquelles il sera candidat il ne demandera les suffrages
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des communistes, mais encore une fois il sera discipliné et compréhensif le jour où son parti décidera l'union avec eux.
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En 1971 à Epinay: le bon choix
Cette année les socialistes de toutes origines bâtissent le nouveau Parti socialiste et choisissent la stratégie de l'Union de la Gauche. Stratégie ou tactique? il y a chez certains une volontaire confusion des mots mais il est encore trop tôt pour que l'Histoire puisse trancher sur ce point. Plusieurs textes sont concurrents dans ce congrès dont un présenté par Pierre Mauroy au nom de la Fédération du Nord et de celle des Bouches-du-Rhône et de son leader Gaston Defferre. Lors de la réunion de la Commission des résolutions il faut réaliser l'alliance majoritaire avec un autre texte drainant son compte de mandats. Le choix se résoud entre celui de Savary-Mollet et celui dénommé Mermaz-Pontillon qui a le soutien de François Mitterrand. Après avoir rencontré Guy Mollet qui lui confirme son intention de ne plus jouer aucun rôle dirigeant, Augustin Laurent prend la décision de choisir Mitterrand, souhaitant par avance son élection au poste de premier secrétaire. Il en fait part à Pierre Mauroy qui l'approuve.
Les dés sont jetés et le destin de François Mitterrand en marche. Les embûches seront nombreuses et il n'est pas question ici de les énumérer. Nous ne retiendrons que l'épisode du Congrès de Metz en 1979. Depuis 1967 Augustin Laurent a renoncé à la direction de la Fédération du Nord du P.S. et c'est en tant que simple militant qu'il soutient la motion Mitterrand face à celle de Chevènement, celle de Rocard et aussi celle de Mauroy. Combat difficile, rude, qui laissera dans la bouche du fidèle au secrétaire général comme un goût d'amertume. Mais la désignation du candidat Mitterrand aux élections présidentielles en 1981 efface en partie cette sensation en lui donnant raison. Au congrès socialiste de la fédération du Nord, en janvier 1981, qui prépare cette investiture, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, il monte à la tribune pour dénoncer le faible enthousiasme des militants déçus de n'avoir pu choisir entre Rocard et Mitterrand et stigmatise la ‘morosité’ de certains en lançant ironiquement: ‘prenez garde (à la morosité) car ça n'est pas très loin de la neurasthénie!’.
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A. Laurent, lors d'un débat durant son ultime campagne électorale en 1971 sous le regard de son adversaire F.-X. Ortoli.
Mais le vieux militant reste lucide après les victoires de mai-juin 1981 et pense aux immenses difficultés qui attendent les socialistes au pouvoir. Dès les premiers mois il confie prophétiquement: ‘la France n'est pas socialiste (contrairement à ce que disent les immenses affiches qui fleurissent un peu partout)... on ne réussira pas de si tôt à faire baisser le chômage... il y a un grand danger corporatiste’. C'est en pensant à tout cela qu'il ne peut se laisser aller à l'euphorie générale le soir du 10 mai. Néanmoins le 21 mai lors de la prise des fonctions présidentielles de François Mitterrand, quand ce dernier se rend au Panthéon, il pense certainement au 20 juillet 1957 où c'était lui qui se trouvait dans les mêmes lieux pour prononcer un discours commémorant la mort de Jaurès ainsi que le trente cinquième anniversaire de la disparition de Jules Guesde. Intitulé Deux grandes figures, une même leçon, ce discours est le seul texte écrit, publié en brochure, qu'Augustin Laurent nous laisse en ce qui concerne le fond de sa pensée théorique. Il incarne luimême cette synthèse entre la générosité et l'humanisme éclairé de Jaurès et la froide raison et le sens de l'organisation de Guesde. Blum est pour lui l'héritier de cette fusion, c'est pourquoi il lui est fidèle. De la même manière, Mitterrand étant
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devenu pour lui celui qui méritait le mieux de reprendre le flambeau, il ne peut que lui apporter un soutien sans faille.
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Le gestionnaire socialiste des Flandres et de sa capitale
Même si ses rôles nationaux d'homme de parti et d'homme d'Etat furent loin d'être négligeables, c'est au double titre de président du Conseil général du Nord et de maire de Lille qu'Augustin Laurent évoque un souvenir dans la mémoire de ses habitants. C'est pourquoi nous terminerons ce bref résumé biographique par l'exercice qu'il fit de ces deux magistratures. On connaît d'autre part la fameuse distinction de Léon Blum entre l'exercice et la conquête du pouvoir. Commencée dès la fin du XIXe siècle, la gestion des affaires locales a appris aux socialistes à concilier l'idéal et le réel. Agir concrètement pour plus de justice en donnant la priorité aux plus défavorisés, tel fut tout bonnement l'objectif d'Augustin Laurent, lequel inspire encore aujourd'hui le respect de toutes les formations politiques.
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Le président anti-conformiste du conseil général
A la Libération en 1945, après les élections cantonales qui voient les socialistes du Nord être confirmés comme la première force politique du département, après la mort de son ancien président Jean Lebas, c'est tout naturellement qu'Augustin Laurent, auréolé de son passé de résistant, lui succède.
Comment cet homme si discret, si sage et si réfléchi peut-il être qualifié d'anti-conformiste?
Dès 1950, il crée un Syndicat Départemental de l'eau potable (S.I.D.E.N.) lorsqu'il réalise les énormes besoins: 456 communes du département n'ont pas encore l'eau courante et le ministère de l'Agriculture ne prévoit que 2 adductions par an! Ce n'est pas tout à fait de la compétence de l'Assemblée départementale et d'autre part il existe de puissantes compagnies privées. Qu'à cela ne tienne, il faut agir et montrer l'exemple à la fois à l'Etat trop modeste dans ses prévisions et aux Compagnies qui négligent par trop les petites communes peu rentables pour elles.
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A un moment où tous les efforts du pays sont concentrés vers la reconstruction du pays, il n'hésite pas à mettre en oeuvre des projets à long terme. Il veut planifier les réalisations départementales alors que cette idée est toute neuve et commence à peine à se concrétiser au niveau national. Malgré l'incrédulité du ministre socialiste de tutelle, il se lance dans de coûteux aménagements du port de Dunkerque, bravant la très forte concurrence d'Anvers et de Rotterdam.
En 1954 il lance un appel prophétique au patronat du Nord en lui suggérant vivement des reconversions industrielles et un renouvellement des méthodes de production. Malheureusement les licenciements et les fermetures d'entreprises lui donnent encore une fois raison depuis plus d'une dizaine d'années. Sur un autre plan, essentiellement politique cette fois, au moment des événements de mai 1958 en Algérie française, il n'hésite pas à convoquer le Conseil général en séance extraordinaire afin de prévenir toute prise du pouvoir par un gouvernement illégal. Faisant référence à une loi de 1872, il fait adopter une résolution dans laquelle l'Assemblée départementale affirme qu'elle prendrait toutes les mesures nécessaires si la situation l'exigeait. Il invite également tous les présidents des autres Conseils généraux à suivre son exemple. Quand on sait que les préfets nommés par le gouvernement exercent leur tutelle sur les départements, on peut mesurer le caractère frondeur et régionaliste de la décision. Trois ans plus tard, alors que les généraux d'Alger lancent leur putsch contre l'Etat français dirigé par le général De Gaulle, il renouvelle le même appel.
Celui qui avait commencé par des responsabilités nationales comme ministre et qui volontairement avait choisi d'agir dans sa région montra très tôt les nécessités de la décentralisation en faisant du Conseil général une Assemblée maîtresse de ses choix ou désireuse de l'être et non une simple Chambre d'enregistrement soumise au préfet.
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Le maire de Lille de 1955 à 1973
Dirigée par des socialistes depuis 1919, la mairie de Lille tombe aux mains des gaullistes lors du raz-de-marée de 1947 qui les
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avait poussés à de nombreuses victoires aux élections municipales. En 1953, Augustin Laurent est pour la première fois désigné tête de liste par son parti mais ne parvient pas à reprendre la mairie. Ce n'est que partie remise puisqu'en 1955 à la suite de scandales immobiliers et de détournements de fonds publics, le maire M. Gaiffie, alors que son procès est en cours, démissionne. Les élections municipales qui s'ensuivent donnent la première place au parti socialiste. C'est ainsi qu'en toute logique, Augustin Laurent revendique le poste de maire et qu'il consulte à cette fin les autres formations politiques. Semant le trouble dans tous les esprits lorsqu'il propose la répartition des postes d'adjoints à la proportionnelle, il reçoit l'approbation des centristes du M.R.P. et des Indépendants avec qui il forme sa majorité qu'il ne modifiera plus guère au cours des autres consultations de 1959, 1965 et 1971. Les communistes et les gaullistes, quant à eux, s'excluent mutuellement de la direction de la mairie.
Le programme électoral d'Augustin Laurent et des socialistes est très simple: deux priorités sont mises en évidence, la construction de nouveaux logements avec la destruction des quartiers insalubres, les équipements scolaires. Le retard dans ces domaines doit, selon eux, être rattrapé de toute urgence.
Le nouveau maire de Lille tient le même langage devant le président de la République René Coty en visite dans le Nord en 1955. Il lui parle des 13.000 logements manquants, de prêts à taux d'intérêt réduit, des hausses de salaires pour que les travailleurs puissent acquitter le loyer des logements décents en prévision.
Les priorités étant peu à peu en voie de réalisation, le programme municipal de l'équipe d'Augustin Laurent se modifie en se diversifiant. Après 1965, période de croissance oblige, l'action municipale couvre les champs artistiques, culturels et l'ensemble du cadre de vie. Ne citons qu'à titre d'exemple la création d'un Orchestre de musique de chambre en 1967 et la restructuration de l'Ilot Comtesse ainsi que de tout le Lille ancien dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine historique en 1970.
Mais il est d'autres choix municipaux posant le problème des
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risques politiques. Celui de la destruction du vieux quartier Saint-Sauveur l'illustre parfaitement. L'oeuvre avait déjà été entamée par Gustave Delory, entre les deux guerres, qui avait fait bâtir la nouvelle mairie et dressé l'imposant et célèbre beffroi en plein milieu de cet habitat des plus populaires, leur donnant une valeur hautement symbolique. Malgré les critiques des communistes lillois, les attaques des partis de Droite et l'incrédulité de certains de ses amis politiques, Augustin Laurent n'hésite pas à faire ce qu'il considérait comme son devoir sans penser aux conséquences éventuelles pour sa réélection.
Il devra pour l'obtenir en 1971 jeter toutes ses forces dans la bataille électorale et, malgré un ulcère à l'estomac, livrer des joutes oratoires difficiles devant son adversaire F.X. Ortoli, ministre du président Pompidou, aussi bien sur les antennes de radio que dans des meetings publics. Ayant conscience d'avoir livré sa dernière grande bataille et conservé la mairie aux socialiste, il décide, comme il l'avait prévu, sans tapage, de démissionner de sa fonction de premier magistrat de Lille pour laisser la place aux jeunes, comme il le dit lui-même, en l'occurrence à Pierre Mauroy, en 1973. C'est de la même façon que deux ans plus tôt, après avoir été depuis 1967 le premier président de la Communauté Urbaine de Lille, groupant un ensemble de communes de près d'un million d'habitants, il se retira au profit d'Arthur Notebart, socialiste au tempérament fantasque mais doué d'une ‘mémoire d'éléphant’ et administrateur efficace reconnu comme tel par les personnalités de tous les horizons politiques.
Ces deux derniers actes traduisent mieux qu'une longue démonstration sa sagesse et sa lucidité politiques. L'ancien ouvrier mineur sut garder la tête froide et considérer ses mandats non comme des propriétés personnelles mais comme des services envers sa formation politique et ses concitoyens. C'est un exemple à méditer qui prouve à lui seul qu'il est possible de faire coexister la morale avec la politique.
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Samenvatting:
Bij het grote publiek in Noord-Frankrijk, en zeker in heel Frankrijk, is Augustin Laurent vandaag de dag onbekend. Toch heeft hij als socialistisch
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politicus twee generaties lang zijn stempel gedrukt op het lokale, regionale en landelijke politieke leven. Laurent verzoende, in een perfecte synthese, het strenge doctrinaire socialisme van Jules Guesde en het meer humanistische en soepele socialisme van Jaurès met elkaar. Vanaf de jaren twintig was Leon Blum voor Laurent het grote voorbeeld. Toen Daladier Blum opvolgde en een politiek van sociale afbraak wilde gaan voeren, was Augustin Laurent de spreekbuis van de oppositie tegen Daladier. Tijdens de Tweede Wereldoorlog ging Laurent meteen in het verzet. Hij was ook de grote organisator van het socialistische verzet in het Noorden. Hij was stichter en uitgever van de clandestiene uitgaven L'homme libre en La IVe République. Direct na de oorlog stichtte hij de krant Nord Matin waarvan hij ook politiek directeur werd. Onder De Gaulle werd hij, in september 1944, minister van PTT, maar in april 1945 stapte hij al op. Laurent speelde zo'n grote rol in de socialistische partij dat hij ooit door een journalist de paus werd genoemd van de S.F.I.O., grosso modo de voorloper van de huidige Parti Socialiste. Direct na de oorlog werd Laurent voor de functie van secretaris-generaal van de partij op het nippertje verslagen door Guy Mollet, die vond dat de partij een meer doctrinaire koers moest varen. Toch voerde Laurent, voor wie de partij belangrijker is dan zijn persoonlijke ambitie, geen oppositie tegen Mollet. Integendeel, hij bouwde met Mollet een goede verstandhouding op en deze nam geen verregaande beslissingen zonder Laurent te raadplegen. Laurent droeg de communisten helemaal niet in het hart. Hij vond dat alleen de socialisten de emancipatie van de arbeiders konden verzekeren, zonder de democratie in gevaar te brengen. Zo reageerde hij fel tegen de door de communisten geïnspireerde grote stakingen van 1947-'48, omdat ze volgens hem alleen de val van de
republiek beoogden en op de installatie van een stalinistisch regime aanstuurden. Op het Congres van Epinay in 1971, waar de basis werd gelegd voor en de strategie werd bepaald van de huidige Parti Socialiste, steunde Laurent onmiddellijk François Mitterrand en hij is altijd achter Mitterrand blijven staan. Hij volgde na de oorlog Jean Lebas op als voorzitter van de Departementale Raad van het Noorden. Hij realiseerde een aantal langetermijnprojecten: de uitbouw van de Duinkerkse haven en de drinkwatervoorziening in alle gemeenten van het departement. In 1958 vroeg hij aan de Departementale Raad maatregelen te nemen om te voorkomen dat er, ten gevolge van de moeilijkheden in Algerije, een onwettige regering in Parijs aan de macht zou komen. In 1955 werd hij burgemeester van Rijsel. Op lokaal gebied gaf hij direct prioriteit aan de huisvesting, de sanering van verkrotte wijken en het onderwijs. In de jaren 60 krijgt het artistieke en culturele voorrang. Zo liet hij in 1967 een kamerorkest oprichten en werd in het kader van de stadsvernieuwing het gebouwenbezit van het Oude Rijsel gerestaureerd. In 1971 moest hij in de verkiezingskampagne alle zeilen bijzetten om zijn tegenstander minister Ortoli uit het stadhuis te houden en dat lukte hem. Het waren zijn laatste verkiezingen, want in 1973 trad hij af en liet hij de burgemeestersjerp aan Pierre Mauroy.
(Samenvatting door Werner Duthoy)
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