De Franse Nederlanden / Les Pays-Bas Français. Jaargang 1996
(1996)– [tijdschrift] Franse Nederlanden, De / Les Pays-Bas Français–
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Boulogne, ville romaine. Pour une étude archéologique systématique d'un site majeur de Gaule septentrionale
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80 n'a pas permis de positionner Boulogne parmi les villes archéologiquement importantes, alors même que la science archéologique française se dotait de programmes de recherches dynamiques en cadres urbains. Boulogne demeura souvent méconnue des synthèses sur la Gaule romaine qui ont été dès lors publiées sur la base du renouvellement des connaissances. Les collections municipales, gravement perturbées par les deux conflits mondiaux et non intégralement réinventoriées, sont restées en marge des travaux récents portant sur le mobilier gallo-romain.Ga naar eind(3) Ce patrimoine muséologique demeure néanmoins considérable, les pertes sont moins importantes qu'il a pu paraître; sculptures, bronzes, pierres épigraphiées, céramiques, placent toujours, quantitativement et qualitativement, les collections d'archéologie boulonnaises parmi les premières du Nord de la France et attendent les chercheursGa naar eind(4); des salles d'antiquités romaines ont pris place en 1990 au sein de la nouvelle présentation établie depuis 1988 dans le cadre du Château-Comtal. L'ensemble de verreries notamment, remarquable, en cours d'étude par Véronique Canut, étonne considérablement le visiteur et va permettre un tangible enrichissement des connaissances au fur et à mesure de sa publication.Ga naar eind(5) Les fouilles menées depuis 1990 par le nouveau Service Archéologique ont d'ores et déjà permis un accroissement sensible des données concernant la topographie de la ville antique ainsi que la chronologie de l'occupation romaine, et ont mis au jour de multiples structures et un mobilier considérable, en effectuant par ailleurs les premières recherches boulonnaises portant sur l'archéologie des époques tardo-médiévale et moderne.Ga naar eind(6) Il est intéressant dans cette perspective de dresser à ce stade des recherches un panorama des acquis anciens et nouveaux les plus significatifs, car nous sommes au début d'une stratégie de fouilles régulières: ce tour d'horizon sera en fait l'occasion de pointer les objectifs d'étude; il sera d'autre part profitable de le comparer d'ici quelques années aux résultats obtenus. Nous ne tenterons pas d'effectuer ici un panorama complet des informations dont nous disposons, à notre sens prématuré, mais souhaiterons mettre l'accent sur quelques axes de développement de la nouvelle archéologie boulonnaise. | |
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Pénétrons dans Boulogne antique par la ville des morts, comme le faisaient les Anciens, qui avant de franchir les limites urbaines traversaient les nécropoles cantonnées à l'extérieur des agglomérations, le monde des vivants ne pouvant coïncider avec l'univers des défunts. Ce sont essentiellement les fouilles du siècle dernier qui fondent notre connaissance des cimetières romains de Boulogne. Deux nécropoles principales furent mises en évidence, l'une au sud, sur le territoire de l'actuel quartier de Bréquerecque, l'autre à l'est, le cimetière du ‘Vieil-Atre’, vaste champ mortuaire qui s'étendait entre les actuelles route de Saint-Omer et rue de la Porte Gayole et fut l'objet de multiples fouilles par d'importants archéologues et savants comme D. Haigneré et E.-T. Hamy.Ga naar eind(7) A Bréquerecque comme au Vieil-Atre on distingue dans le courant du IIIe siècle la succession progressive des inhumations aux incinérations, comme partout en Gaule. On a observé la présence au nord de la ville de ‘lambeaux’ de cimetières à inhumations du Bas-Empire, l'un sur le secteur du Mont-à-Cardons, au nord-est, l'autre rue du Bras d'Or, à proximité du rivage.Ga naar eind(8) On peut de la sorte poser l'hypothèse, bien entendu à vérifier, de l'existence d'une (?) nécropole tardive septentrionale. En l'absence de comptes rendus détaillés et surtout de relevés systématiques, on peut difficilement entreprendre pour l'heure une étude véritablement rigoureuse des cimetières antiques boulonnais. Une part appréciable du mobilier récolté demeure cependant au sein des collections municipales, considérables, mais il est difficile d'apprécier la proportion de matériel dispersé. Une fouille lucrative a même été menée au Vieil-Atre, dont l'entrepreneur vendit le produit de ses activités, heureusement sour la surveillance de l'érudit V.-J. Vaillant qui consigna ses observations dans son Épigraphie de la MorinieGa naar eind(9); une exceptionnelle coupe en verre à décor gravé figurant le sacrifice d'Abraham a de la sorte été acquise par le grand collectionneur Bellon de Saint Nicolas les Arras.Ga naar eind(10) Maints documents primordiaux issus des fouilles du siècle dernier sont néanmoins restés dans le domaine public. Mentionnons en particulier le remarquable ‘coffret de Bréquerecque’, mis au jour dans une tombe à inhumation en 1826Ga naar eind(11): les lames de bronze de son décor au repoussé juxtaposent divinités du panthéon classique ou | |
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![]() 1. Coffret de Bréquerecque. Lames de bronze décorées au repoussé ayant revêtu un coffret funéraire.
Iconographie pagano-biblique. On discerne de gauche à droite: (en haut) Sol radié, Luna lampadophore, Mars casqué cuirassé, Mars, Sol (fragments du couvercle); Amour ailé, (en bas) Jupiter au foudre et à l'aigle, Adam et Ève, Minerve casquée cuirassée. (fragments de côté du coffret) (Photo B. Devos) romano-oriental et scènes bibliques (ill. 1); un fragment fait coexister Jupiter, l'aigle à ses pieds et le foudre brandi, Minerve casquée cuirassée, et Adam et Ève de part et d'autre de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, sur le tronc duquel est lové le Serpent. Découverte remarquable, trop peu connue, oubliée le plus souvent des synthèses sur les prémices du christianisme en Gaule septentrionale; elle confirme si besoin était que Boulogne n'est pas un site anodin et montre que les travaux archéologiques ne doivent pas se limiter à la recherche de terrain, évidemment primordiale, mais aussi promouvoir un fonds muséologique de premier ordre. L'examen des collections fait donc aussitôt appréhender l'ampleur des nécropoles qui attestent la vigueur de l'agglomération. Aujourd'hui comme dans l'Antiquité, l'importance de la ville des morts est le témoignage le plus immédiat du prestige de la ville des vivants; le visiteur des collections archéologiques du musée appréhende aussitôt par la quantité et la qualité du matériel exposé la richesse de Boulogne antique, de même que le voyageur des premiers siècles de notre ère prenait conscience en traversant les vastes champs mortuaires de la prospérité de la ville à laquelle ils formaient écrin. | |
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Entrons avec lui dans le monde des vivants. Un problème s'offre à lui, un problème de choix: où pénètre-t-il? Boulogne est sans doute alors plurielle: un camp et un port militaires, un port (?) et une ville civiles... On situe les escadres de la Flotte dans l'anse de Bréquerecque, de façon logique, l'agglomération antique et son port dans l'actuelle basse ville sur le versant ouest du promontoire de la haute ville et dans le quartier de Bréquerecque; tout ceci ne repose au vrai que sur des déductions anciennes et des conjectures davantage que sur des observations de terrain, en l'absence d'une carte archéologique résultant de sondages systématiques; on se fonde par exemple traditionnellement sur les découvertes de tuiles portant l'estampille de la Flotte, qui décline le plus souvent les lettres CL BR, pour délimiter le périmètre d'installation de la classis britannicaGa naar eind(12); la méthode est cependant à notre sens d'une fiabilité limitée, car ces tuiles peuvent être mises au jour en remblai dans tous les secteurs de la ville, la propension à la récupération de matériel s'étant de tout temps manifestée. Une seule certitude pour l'heure, celle de la présence militaire en haute ville, s'appuyant sur la découverte par le Cercle Archéologique de la Côte d'Opale, sous la direction de J.-Y. Gosselin et Cl. Seillier, de casernes sur le site de l'Enclos de l'Évêché ainsi que, sur le site du Palais de justice en 1978, d'un segment nord-occidental de la courtine du Haut-Empire, dont une tour interne quadrangulaire a été dégagée et préservée dans le parking du TribunalGa naar eind(13); une fouille de sauvetage menée en 1989 par O. Nillesse rue Saint-Martin a mis en évidence la même enceinte et une tour interne similaire, de l'autre côté de la haute ville, au sud-est; ces découvertes, fort malheureusement inédites ou non encore publiées de façon détaillée, ont pu réamorcer l'étude des enceintes successives de la ville hauteGa naar eind(14) et poursuivre la problématique d'analyse des courtines boulonnaises initialisée par Ernest Will.Ga naar eind(15) Trois murailles se sont en l'état actuel des informations succédé du Haut-Empire au Moyen Age: une courtine alto-impériale enserrant le camp de la Flotte, dotée de tours internes quadrangulaires, dérasée à la fin du IIIe siècle, une enceinte du Bas-Empire assise dans le fossé externe de la première muraille, puis une fortification médiévale édifiée au XIIIe siècle sur et/ou contre les vestiges de la courtine tardo-antique, dont elle enchâsse les structures. | |
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![]() 2. Fouilles des souterrains du Château-Comtal (1993): Fondation de la muraille romaine tardo-antique, constituée de blocs architectoniques en remploi; élévation conservée de la courtine romaine; voûte en berceau du XIIIe siècle s'appuyant sur l'enceinte antique (Photo E. Belot, Service Archéologique)
Le problème se pose de la limitation du camp au périmètre actuel de la haute ville; il est commode et non dénué de vraisemblance de considérer que les schémas de succession des courtines relevés rue Saint-Jean et rue Saint-Martin se répètent aux quatre côtés de la muraille médiévale, mais il importe toutefois de ne pas céder en quelque sorte aux attraits de la géométrie et de multiplier les observations avant de conclure, particulièrement en ce qui concerne le segment sud-ouest de l'enceinte, où aucun sondage récent n'a eté pratiqué. L'enceinte tardo-antique était pourvue dans une première phase de tours internes quadrangulaires, dont certaines furent aperçues à l'issue des sauvetages du Palais de Justice et de la rue Saint-Martin; dans un deuxième temps, des tours externes hémicirculaires furent ajoutées; elles furent aussi scellées dans le flanquement de la courtine médiévale qui, ici encore, a repris le dessin des structures romaines, comme l'a montré l'examen du blocage interne de deux spécimens arasés au XVIe siècle récemment mis en évidence à l'issue de travaux d'aménagement du Service des Espaces Verts. La courtine tardo-antique est bien visible dans l'angle oriental de la haute ville, dans les souterrains du Château-Comtal; les bâtisseurs | |
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médiévaux en ont conservé le parement et le blocage en élévation afin d'y asseoir la retombée des voûtes en berceau de l'étage inférieur de la forteresse. Les sondages qui y ont été récemment menés par le Service Archéologique municipal permettent l'étude des fondations de l'ouvrage romain, dans laquelle, suivant un schéma traditionnel, ont été enchâssés sur deux ou trois assises des blocs de grand appareil prélevés sur des édifices désaffectésGa naar eind(16) (ill. 2). L'un d'eux porte l'épitaphe de Tiberius Avitius Genialis Sulpicianus, notable de la Cité des Morins, qui a géré tous les honneurs dont le sacerdoce, prêtrise du culte officiel.Ga naar eind(17) Un autre arbore un fragment de scène en bas-relief, figurant un bras brandissant une massue, appartenant probablement à une représentation d'Hercule. Un chapiteau corinthien de très belle facture, orné d'un buste dont le visage a été arraché par les récupérateurs antiques, a également été mis au jour à l'issue des fouilles récentesGa naar eind(18) (ill. 3). Les casernes du Haut-Empire repérées sur le site de l'Enclos de l'Évêché se présentent sous la forme traditionnelle de bâtiments oblongs, d'environ 50 × 8 m, comprenant dix cellules en enfilade, subdivisées chacune en ‘chambre et antichambre’, et un logement d'officier d'extrémité doté d'une pièce chauffée par le sol suivant le système romain de l'hypocauste.Ga naar eind(19) Des investigations menées en 1990 par le Service Archéologique ont révélé l'existence au Bas-Empire, sur le site de l'Évêché, de bâtiments à colombages reposant sur de volumineux blocs de remploiGa naar eind(20), installations dont les sols, constitués de robustes radiers hétérogènes, de débris de constructions concassés pris sur les vestiges du camp du Haut-Empire, s'apparentent aux niveaux d'occupations des casernes d'époque théodosienne découvertes récemment à Arras par A. Jacques sur le site de Baudimont IGa naar eind(21); la nature militaire des structures boulonnaises n'est cependant pour l'heure pas démontrée, du fait de la faible extension des observations que nous avons menées. Il n'en demeure pas moins fondamental d'avoir pu prouver que la haute ville n'était pas devenue un désert au IVe siècle de notre ère, contrairement aux allégations antérieures, mais faisait bien l'objet d'une occupation cohérente. Les fouilles menées en 1993 rue Saint-Martin, toujours en ville haute, ont confirmé ces conclusions, en montrant un ‘empilement’ de bâtiments sans solution de continuité du Haut-Empire à | |
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![]() 3. Fouilles des souterrains du Château-Comtal (1993). Détail de blocs remployés dans la fondation de l'enceinte du Bas-Empire; à droite, chapiteau corinthien à buste. (Photo V. Canut, Service Archéologique).
l'Antiquité tardive; la voie périphérique du camp, qui a fait l'objet de recharges et réempierrements jusqu'au Bas-Empire, a été mise en évidence (ill. 4), ainsi qu'une venelle entre deux casernes donnant sur l'axe principal périmétrique par un petit escalier encadré de bases de colonnes ayant dû soutenir un porche d'accès.Ga naar eind(22)
La démonstration du maintien de l'occupation dans l'Antiquité tardive est sans doute l'une des conséquences les plus fondamentales des fouilles récentes. Le Bas-Empire, longtemps considéré comme une époque de déclin consécutif aux troubles du IIIe siècle, est traditionnellement le parent pauvre des synthèses archéologiques, particulièrement en cadre français; tout est censé y aller mal, les villes s'y restreignent, n'enfermant que des survivants attendant, terrés dans l'angoisse, la fin de la romanité. Les recherches menées à Arras-Baudimont ont dans le courant des années 1980 mis à mal cette vision catastrophiste en mettant en évidence des occupations sans hiatus jusqu'au début du Ve siècle et, dans le secteur de la Préfecture, jusqu'aux VIe-VIIe siècles.Ga naar eind(23) Les fouilles menées dans le cadre du projet TGV sur le site de Zouafques ont dégagé les vesti- | |
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ges d'une villa tardo-antique, en infirmant l'hypothèse d'une désertification rurale radicale dans l'Antiquité tardive. Il était ‘naturel’ en quelque sorte que les recherches systématiques menées à Boulogne depuis 1990 emboîtassent le pas à ces découvertes. Le ‘Terrain Landrot’ en particulier a livré en 1993 cinq installations successives des IIIe-IVe siècles de notre ère, dont trois bâtiments valentinothéodosiens; il s'agit d'édifices à parois en terre à armatures de bois, montées sur des solins empierrés, et à sols de mortier ou de radiers hétérogènes; la fouille en est délicate, les soubassements des murs, sols et axes viaires consistant en empierrements compacts fort similaires, de sorte que les limites structurelles sont beaucoup plus difficiles à appréhender que dans le cadre des fouilles classiques, ce qui explique d'ailleurs que les recherches antérieures les aient traversés ou ignorés. Il demeure que le mobilier en connexion avec ces structures tardives est fort riche et abondant et atteste des occupations totalement étrangères aux conceptions simplistes de décadence ou de dégénérescence; l'apparence souvent peu spectaculaire des vestiges (pour le classicophile) n'induit pas d'autre part qu'il se soit agi de taudis: nous sommes en présence de bâtiments à colombages (fort prisés de nos jours par les adeptes de la maison de campagne...) aux substructions naturellement peu profondes, qui obéissent à des critères d'édification rapide et profitent de façon optimale du processus éternel de récupération, en une époque où l'on reconstruit fréquemment; ils poursuivent des traditions artisanales locales qui sont en phase avec les ressources régionales, notamment en ce qui concerne le travail du bois; il ne correspondent pas à des solutions architecturales précaires et fragiles, comme en témoignera quiconque a dû démonter les denses radiers de sols ou de voies tardo-antiques, qui présentent par ailleurs d'incontestables avantages d'assainissement en des secteurs humides. Il en découle de façon fondamentale que le Bas-Empire n'a pas vu une désertification de Boulogne antique, intra- comme extramuros. Se forge par ailleurs une nouvelle image de l'urbanisme romain, où, conformément aux résultats des recherches les plus avancées menées dans le cadre d'autres villes de Gaule septentrionale, se fait jour l'importance de l'architecture en terre à pans de bois (ce qui explique l'efficacité des incendies enregistrables en stratigraphies), et où l'on bâtit et reconstruit, où l'on récupère; bref une | |
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![]() 4. Fouilles de la rue Saint-Martin (mars-mai 1993): vue du dernier état antique préservé sous les remblais modernes; voie empierrée tardo-antique bordant une façade de bâtiment; on y discerne un seuil de double porte composé de deux pierres de remploi; de part et d'autre de l'entrée deux volumineux dés quadrangulaires supportaient les colonnes d'un portique ou d'un porche (Photo V. Canut, Service Archéologique)
image dynamique très éloignée des conceptions traditionnelles d'une antiquité frappée d'immobilité minérale, édifiant en dur comme pour l'éternité sans jamais consentir à rien modifier au paysage urbain.
Cette vitalité se manifeste également dans le cadre artisanal et décoratif. Carrefour commercial, site militaire à la population cosmopolite, Boulogne livre un mobilier archéologique abondant et souvent original. Nous avons déjà mentionné la remarquable collection de verreries, qui met en évidence des liens privilégiés au Bas-Empire avec les villes rhénanes, en attendant peut-être la détermination de productions régionalesGa naar eind(24) (ill. 5). Véronique Canut a récemment porté l'attention sur les barillets frontiniens, bouteilles en forme de tonnelets estampillées, dont on avait oublié que Boulogne avait été un important centre de diffusion.Ga naar eind(25) Nous ne pouvons ici envisager tous les types de documentation, dont certains sont en cours de réévaluation, comme en particulier | |
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le matériel céramique. Nous prendrons en considération, pour revenir au cadre urbain et à sa parure, les thèmes du décor pictural et de la sculpture. Nous avions prélevé, à l'issue des dernières fouilles menées par le CACO en 1983-84 sur le site de l'Évêché, une vaste plage d'enduit peint de 2 × 2 m environ, fracassée d'un seul tenant sur le niveau d'abandon d'une chambre de caserne de la Flotte.Ga naar eind(26) Elle montre une composition à fond blanc profondément brossé dont nous conservons deux vastes panneaux délimités par des bandes rouges, doublées intérieurement par des filets d'encadrement noirs. Le centre de chaque panneau arbore un oiseau sur ligne de sol; aux filets sont accrochées des guirlandes bichromes en demi-festons. Au-delà des panneaux, en bordure de la composition, court un rinceau stylisé. Les fouilles menées par le Service archéologique au printemps 1993 rue Saint-Martin ont permis le prélèvement d'une nappe d'enduit d'ampleur similaire, pareillement fracassée sur une couche d'abandon. Le décor à fond blanc se compose de panneaux déterminés par des bandes roses, rouges ou jaunes; des guirlandes au feuillage vert enrubannées en demi-festons s'accrochent latéralement aux encadrements et sont retenues au faîte des panneaux par des oiseaux stylisés à corps jaune et tête verte, représentés en vol, d'une facture résolument ‘plate’, sans suggestion de volume (très Matissienne...). Ces décors, réalisés au troisième siècle, de styles d'exécution relativement différents, offrent des schémas de composition globalement très proches, qui ne sont pas sans rappeler les peintures mises au jour en Angleterre sur le site de Verulamium qui mêlent, sur des fonds monochromes, oiseaux et guirlandes, et sont datées de la fin du IIe siècleGa naar eind(27), de sorte que l'on serait tenté de définir un ‘style’ britanno-continental... Il faut certes attendre d'autres découvertes, mais l'analogie est intéressante; il importe en tout état de cause d'insister sur la mise en évidence, dans le cadre de la haute ville de Boulogne, de deux décors d'aspects fort similaires associant guirlandes et oiseaux sur des enduits rigoureusement identiques, de très faible épaisseur (5 mm. à 1 cm. max.), effondrés d'un seul tenant, en l'absence de débris de cloisons les recouvrant; on est tenté de les identifier comme des plafonds, hypothèse que la lecture du décor, en l'état actuel des connaissances, ne renforce pas immédiatement, puisque les compositions conviendraient aisément, | |
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![]() 5. Verrerie gallo-romaine du Bas-Empire découverte au siècle dernier au ‘Vieil-Atre’. Aiguière à anse en chaînette (CANUT 1991, no Cr 5/CE. Château-Musée, no inv. 2673/5. Photo O. Blamangin, Service Archéologique).
de prime abord, à un contexte pariétal, mais on connaît pour l'heure en réalité bien peu de chose en cadre gallo-romain septentrional aux décors picturaux de voûtes et plafonds... Dans le domaine de la sculpture, les dernières découvertes ont confirmé la présence à Boulogne ou en Morinie occidentale d'ateliers de production de grande qualité travaillant la pierre locale et que les recherches futures permettront peut-être de classer avec finesse stylistiquement et chronologiquement. Les collections héritées du siècle dernier nous avaient d'ores et déjà légué de belles pièces, comme le couple de statuettes jumelles figurant Castor et Pollux, les Dioscures protecteurs des marins et militairesGa naar voetnoot(28), ou la remarquable stèle funéraire, mise au jour dans le blocage de la muraille du Bas-Empire, figurant une défunte, vêtue d'un drapé mouillé, présentant une patère remplie de fruits de la main gauche et brandissant de la main droite une branche de laurier en geste de lustration; elle est sommée par un toit en bâtière arborant à son faîte un sphinx et à ses extrémités latérales des lions prédateurs, postés en acrotères, plaquant au sol un bovidé et un cervidé.Ga naar voetnoot(29) Les fouilles récentes ont amené la découverte sur le site du Terrain Landrot de deux documents exceptionnels: le premier, exhumé le 12 septembre 1992, est un fragment de statuette conservant le torse et les mains d'une Vénus pudique arborant une fascia pectoralis, un bandeau pectoral, dont l'enroulement d'extrémité est visible sous la paume de la main droite plaquée immédiatement sous la poitrineGa naar voetnoot(30) (ill. 6); le parti morphologique observé, seins menus et bassin large, amplifié par le hanchement à l'hellénique, est caractéristique | |
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![]() 6. Vénus pudique fragmentaire. ‘Terrain Landrot’, 1992, rue Nationale (Photo B. Devos)
du canon féminin gallo-romainGa naar voetnoot(31), ici rendu avec une élégance toute particulière. Le vendredi 13 août 1993, les fouilles ont fait appraraître, dans le comblement d'une tranchée d'épierrement de maçonneries altoimpériales, une sculpture qui fut totalement renversée par les récupérateurs; d'une facture remarquable, elle présente une nymphe allongée sur le côté, s'appuyant sur une urne en calice véritablement fluente, puisque le vase constitue le débouché d'un canal d'expulsion de l'eau, dont l'autre extrémité s'ouvre sous le socle plat quadrangulaire de la statue: elle a donc fait office de fontaine (ill. 7). Cette pièce offre d'incontestables qualités d'exécution, notamment dans le travail des denses plis du drapé mouillé qui recouvre les jambes, ainsi que dans la traduction des formes souples du torse dénudé; le souci du détail est bien marqué dans le rendu de la chevelure s'écoulant en longues tresses sur les épaules, de l'armille portée à chaque bras dont les maillons ont été nettement individualisés, de l'urne dont le décor géométrique du col et du pied a été traité avec minutie; le bloc est travaillé sur ses quatre côtés, le revers montrant une série d'herbes aquicoles, très nettement ciselées, et laissant voir la plante et le dessin des orteils du | |
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pied gauche passé sous la jambe droite. Nous sommes en présence d'une belle figuration de nymphe de source et/ou de rivière, peutêtre symbolique de la Liane dont le rivage ancien n'était pas éloigné du site de découverte de l'objet. Il s'agit de facon indéniable d'une des plus belles découvertes effectuées ces dernières années sur le territoire de la Gaule septentrionale. Sa facture est proche de celle de la stèle à acrotères précédemment mentionnée, qui ne constitue donc plus un document isolé, celle de la Vénus pudique s'apparentant davantage à l'exécution des Dioscures. Il est beaucoup trop tôt pour définir véritablement des styles, mais la mise au jour régulière de sculptures d'incontestable qualité autorise, compte tenu de l'emploi de pierres issues des carrières locales, à poser Boulogne et/ou la Morinie occidentale comme un centre important de réalisation et de diffusion de sculptures gallo-romaines, ce qui augure de découvertes intéressantes.
La mise au jour de cette pièce importante, alors même que nous rédigeons le présent article, est tout à fait significative et symbolique du sens que nous avons voulu lui accorder; il s'agit d'un bilan inévitablement provisoire, en considération de la régularité des découvertes qui, en trois ans de fouilles, ont apporté une multitude de données propres à renouveler la connaissance du passé romain de la ville, de façon beaucoup plus tangible et radicale que ne le permet la prise en compte des travaux des savants et érudits du siècle dernier; les recherches récentes cependant ont moins fonction d'accumuler une documentation déjà exceptionnelle que de susciter des problématiques, de poser de nouvelles questions à résoudre. Nous ne pouvons de la sorte resituer la nymphe dans son contexte d'origine, en l'état des travaux en cours sur le site du Terrain Landrot: le bâtiment de l'état initial n'est pas encore appréhendé en son intégralité, l'attention ayant d'abord été portée, comme il se doit, sur les niveaux riches et denses du Bas-Empire qui l'ont scellé; il s'agit d'une construction installée dans la seconde moitié du IIe siècle (probablement identifiable à un entrepôt, dans le périmètre des installations portuaires autiques); les murs maçonnés en sont très soigneusement appareillés et portent sur leur face interne des ressauts supposant l'existence d'un vide sanitaire sous plancher; l'édi- | |
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![]() 7. Nymphe des eaux couchée sur une urne fluente. Fontaine sculptée en ronde bosse. ‘Terrain Landrot’ (1993) (Photo A. Masse, Service Archéologique)
fice est bordé extérieurement par un égout en bois dont le fond consiste en un fin radier de galets.Ga naar voetnoot(32) Cette incomplétude obligée du compte rendu, loin d'être limitative, se révèle à notre sens des plus positives: le projet archéologique de Boulogne n'est désormais plus figé dans l'exploitation obligée des acquis du passé, mais se place sous le signe de la promesse et dans la perspective de la menée à bien d'une problématique à long terme. Cette garantie d'une évolution dynamique de la connaissance permet de placer Boulogne d'ores et déjà parmi les grands sites romains du Nord de la France, cette présentation non exhaustive des données dont nous disposons se posant davantage comme le point de départ, rapidement dépassable, de recherches fructueuses, que comme un tableau définitivement brossé d'un passé immobile. Le présent exposé ne vaut que par sa caducité même, souhaitée et revendiquée, car elle sera la meilleure preuve de l'importance du site romain boulonnais, toute nouvelle investigation archéologique ne pouvant que modifier l'appréhension d'une réalité éminemment riche et complexe. | |
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Samenvatting:De Romeinse site van Bonen (Boulogne-sur-Mer) is van groot belang voor het historisch onderzoek over Noord-Gallië. Bonen (Boulogne) was de continentale basis van de ‘Britse vloot’ (Classis Britannica), een belangrijke haven aan het eindpunt van de wegen uit Zuid-Gallië en de Rijnsteden en ten slotte ook een bevoorrecht kruispunt aan de noordwestelijke grens van het Romeinse Keizerrijk. De vermoedelijke ontwikkeling tot een niet te onderschatten stedelijke site hield verband met de haveninstallaties en het militaire kamp. Bonen (Boulogne) biedt een archeologisch terrein van de grootste wetenschappelijke waarde. Deze stelling wordt bevestigd door het ‘Boulogne-fonds’ in de musea. Dit fonds is zowel kwantitatief als kwalitatief van uitzonderlijk belang, maar het is vooral het resultaat van ontdekkingen uit de vorige eeuw. Hoewel in de jaren zeventig de kazernes werden blootgelegd en een strook met gevels van de ‘Britse basis’ in de bovenstad, moeten we constateren, dat de stad uit de Romeinse periode bij gebrek aan recente opgravingen niet kan worden gereconstrueerd. Toch werd in Frankrijk in de jaren tachtig | |
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gestart met talrijke degelijke projecten van stedelijke archeologie, met name in het Département du Nord en in Picardië. Het is verheugend, dat in 1990 een gemeentelijke archeologische dienst werd opgericht die systematisch onderzoek doet. Hierdoor wordt de spoedige realisatie mogelijk van een archeologische kaart die is gebaseerd op waarnemingen op het terrein en niet meer op gegevens uit de negentiende eeuw. Dit artikel is niet meer dan een voorlopige balans, een onvolledige presentatie van enkele recente onderzoeksgegevens, die over enkele jaren kunnen worden vergeleken met het aangepaste beeld van het oude Bonen (Boulogne). Dit toekomstige beeld wordt mogelijk gemaakt door de huidige opgravingen.
Met de huidige gegevens is het moeilijk de verschillende delen van de oude stad te beschrijven. De opgravingen uit de vorige eeuw verschaffen nog steeds de meest essentiële gegevens over een klein aantal verbindingswegen en over de dodenakkers. De belangrijkste dodenakkers werden gevonden in het zuiden en het oosten van de site (respectievelijk Bréquerecque en Vieil-Atre). De meest in het oog springende resultaten van het onderzoek uit de jaren zeventig houden verband met de kazerne op de site van l'Enclos de l'Évêché en met een gevelrij van de Britse basis in het noordwesten van de bovenstad. Het zuidoostelijk deel van deze gevelrij werd ontdekt in 1989 bij opgravingen in de rue Saint-Martin. Als het noordoostelijke en zuidwestelijke deel van deze muur wordt ontdekt, zal het mogelijk zijn de precieze ligging van de bovenstad in de site van de Britse basis te beschrijven. De ommuring die dateert uit het laat-Romeinse rijk werd gebouwd op de oorspronkelijke grondvesten van de basis. Deze laat-Romeinse muur zat verborgen onder recentere bouwwerken uit de dertiende eeuw. Sinds 1991 worden zijn fundamenten wetenschappelijk onderzocht in de ondergrond van het Château comtal. Meerdere gesculpteerde stukken die herhaaldelijk werden gebruikt, zijn volgens een klassieke methode versteend.
De opgravingen die in 1990 werden uitgevoerd in de site van l'Enclos de l'Évêché leidden tot de ontdekking van ‘vakwerkhuizen’. Deze huizen werden in de laat-Romeinse periode gebouwd op de resten van de Britse basis. De ontdekking van gestructureerde bouwwerken in de bovenstad weerlegt de traditionele hypothese van het ‘kraken’ of van een bijna volledige ontvolking van de site in de vierde eeuw. Naar analogie van recente ontdekkingen in de site van de colline Baudimont in Atrecht (Arras), kan in Bonen (Boulogne) een grote laat-Romeinse bevolking worden vermoed. Deze nieuwe hypothese werd slechts onlangs geformuleerd. Zeer lang bleef het beeld bestaan van een ontaard laat-Romeins Rijk dat niet bij machte was het hoofd te bieden aan onlusten en de invasies van barbaren in de derde eeuw. De opgravingen die door de archeologische dienst in 1993 werden uitgevoerd in de rue Saint-Martin (bovenstad) hebben aangetoond dat de site permanent werd bewoond tot ver in de laat-Romeinse tijd. Dit blijkt uit de ophoging van een verbindingsweg en uit ononderbroken verbouwingen.
Het vermoeden van de laat-Romeinse aanwezigheid werd bevestigd door het onderzoek op het terrain Landrot aan de rue de l'Ancien rivage (buitenzijde van de bovenstad). Meerdere op elkaar liggende bouwwerken uit de laat-Romeinse periode werden blootgelegd. Daarbij werd een schat aan aarden en houten meubilair ontdekt, zeer gevarieerd en met sierlijke vormen. Deze bouwwerken laten geenszins het bestaan van ‘krotten’ vermoeden. Naar we menen, moeten ze eerder | |
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worden geïnterpreteerd als het gevolg van herhaalde verbouwingen. Deze verbouwingen vonden volgens de gallo-romeinse methodes plaats met ‘vakwerk’, het gebruik van stenen voor muren en vloeren en klei voor ophogingen.
Door recent onderzoek is het mogelijk ambachtelijke producten uit Bonen (Boulogne) en/of Morinie occidentale te bestuderen. De studie van Véronique Canut over de glascollecties in musea en fragmentarische ontdekkingen bij opgravingen toont het hoge niveau van deze kunstvorm in het oude Bonen (Boulogne). Veel mooi bewerkte glazen voorwerpen met een complexe vormgeving herinneren aan de glaskunst in de Rijnstreek. Een recente studie maakt duidelijk dat Bonen (Boulogne) een grote rol speelde bij de verspreiding van gewaarmerkte vaatjes. De vraag rijst of de stad tevens een centrum was van glasproductie.
Bij opgravingen in l'Enclos de l'Évêché (1984) en bij recent onderzoek van de archeologische dienst in de rue Saint-Martin (1993) werd telkens één grote laag plamuur ontdekt. Beide lagen zijn maximaal een centimeter dik en zijn aan een stuk ingezakt op een oppervlakte van ongeveer 2 × 2 meter. Ze werden aangebracht op een wit vlak en laten een beperkt kleurenpalet ontstaan met vooral rood, geel en groen. Ze herinneren aan het kleurengamma van grafkamerdecors in Pompei of Ostia. In grote naast elkaar geplaatste vlakken worden vogels en guirlandes afgebeeld.
Tijdens de opgravingen op het Terrain Landrot werden in minder dan één jaar twee belangrijke beeldhouwwerken gevonden. Beide werden ontdekt in ophogingen die dateren uit de derde eeuw; een deel van een ‘Kuise Venus’ die haar borsten bedekt houdt met een zgn. borstband (fascia pectoralis) en een nimf steunend op een urne die dienst deed als fontein. De vakkundige kwaliteit van het tweede kunstwerk moet worden onderstreept. Opvallend is de natuurgetrouwe weergave van het vrouwelijk naakt en van de plooien in de stof die de benen van de nimf bedekt. Beide sculpturen herinneren aan vondsten in Bonen (Boulogne) tijdens de negentiende eeuw. Mede daardoor lijkt het langzamerhand mogelijk een overzicht te maken van de verschillende ambachtelijke ateliers in en rond Bonen (Boulogne).
De ontdekking van de nimf op 13 augustus 1993 bewijst de dynamiek van de nieuwe archeologische dienst, voor wie de Romeinse site van Bonen (Boulogne) uiteraard een dankbaar onderzoeksterrein is. Op dit moment is het nog te vroeg voor een definitieve balans en een synthese van alle gegevens. De opgravingen die nog aan de gang zijn, kunnen nieuwe resultaten opleveren en alle huidige hypotheses ontkrachten. In de site op het Terrain Landrot werd onder het laat-Romeinse niveau een groot gebouw ontdekt met gemetselde muren. Bij het schrijven van deze tekst was het onmogelijk een verklaring te geven voor het bestaan van deze muur. Eigenlijk is de onvolledigheid van onze synthese kenmerkend voor de grote archeologische waarde van de Romeinse site van Bonen (Boulogne).
(Uit het Frans vertaald door Hans Vanacker) |
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