Septentrion. Jaargang 2
(1973)– [tijdschrift] Septentrion–
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Portrait de Johan Huizinga, par H.H. Kamerlingh Onnes (Senaatskamer, Academiegebouw, Leyde).
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johan huizinga, historien aristocratehans van der hoevenNé à Rotterdam, le 7 mai 1946. A terminé ses études d'histoire (section histoire moderne) à l'Université d'Utrecht en 1972. Actuellement fonctionnaire du corps scientifique de la Bibliothèque Royale de La Haye. Auteur de quelques articles. ![]() Jetant un regard sur sa vie, à la fin de ses jours, Johan Huizinga écrivait: ‘Même quand j'allais sur mes trente ans, j'étais resté un homme fantasque et rêveur’Ga naar eind(1). Il jouissait alors d'une réputation internationale comme historien de la culture et comme critique de son propre temps, réputation dont l'éclat n'à guère pâli depuis lors, comme le prouve le congrès organisé à Groningue en décembre 1972 pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance, où des savants originaires de différents pays ont pris la parole. La popularité de ses oeuvres le prouve encore davantage. Traduites dans toutes les langues européennes ou presque, elles ont trouvé une audience internationale. Huizinga naquit à Groningue le 7 décembre 1872. Il était le fils d'un professeur de physiologie et le petit-fils d'un prédicateur mennonite. Plus tard, il a qualifié luimême cette origine de ‘plébéienne’Ga naar eind(2), ce qui caractérise un homme qui se voulait en premier lieu aristocrate, aristocrate de l'esprit, bien entendu. Mais il est inévitable que cette aristocratie de l'esprit entraîne une fonction sociale spéciale dans la société, car on exige un niveau social plus élevé pour les travailleurs de l'esprit; plus exactement, on accepte ce niveau sans se poser de questions. Ce phénomène s'explique par une aversion manifeste pour certaines tendances matérialistes et rationalistes, qui auraient dégradé la culture bourgeoise à la fin du dix-neuvième siècle. A l'instar de Nietzsche, certains esprits contestataires cherchaient leur salut dans un irrationalisme absolu; d'autres nombreux, continuaient à manifester une certaine dualité intérieure. Tel fut le cas de Huizinga. Bien que conscient de son origine bourgeoise, il | |
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![]() Manuscrit de Johan Huizinga. Première page de Mijn weg tot de historie (Comment je suis venu à l'histoire).
se révolta surtout contre certains aspects matérialistes et mesquins qu'elle comportait. Le ‘mouvement des années quatrevingts’ qui, vers la fin du siècle dernier a insufflé une vie nouvelle à toute la culture néerlandaise, n'est certainement pas étranger à cette attitude. L'individualisme, l'esprit antibourgeois, et des préoccupations surtout esthétiques caractérisaient ce mouvement. L'art fut divinisé, porté au pinacle, et élevé au-dessus de toutes les autres occupations, y compris la science. L'artiste, l'individu créateur était considéré comme un artisan divin, qui devait faire figure d'interprète et mettre le spirituel et la beauté à la portée de l'homme. L'influence de cet état d'esprit, Huizinga ne l'a pas seulement subie dans sa jeunesse, lorsqu'il est devenu ‘un homme fantasque et rêveur’. Tout au long de sa vie ultérieure, il a eu tendance à considérer trop vite comme ‘vulgaires’ toutes sortes de choses qui ne s'accordaient pas avec son sentiment de la culture et du raffinement, telles que la radio et le cinéma, par exemple. Cette attitude l'éloigna de plus en plus de l'évolution réelle de la vie culturelle telle qu'elle se déroulait autour de lui, évolution qui tendait à la vulgarisation plus qu'elle ne s'orientait vers l'approfondissement individuel et le raffinement. Huizinga n'a ni pu ni voulu admettre la superficialité et la vulgarité qu'une telle vulgarisation entraîne inéluctablement. A son avis, la culture était le travail d'une élite qui, en vertu de ses facultés spirituelles et de sa place dans la société, est éminemment susceptible de donner forme aux valeurs spirituelles et à la beauté dans la musique, les arts et les lettres. Ayant acquis une grande réputation, grâce notamment à des oeuvres comme Le déclin du Moyen Age (1919) et la biographie d'Erasme (1924), Huizinga s'est fait de plus en plus le critique de son temps. Un livre qui a paru en 1935, In de schaduwen van morgen, devint très vite un bestseller, au niveau européen. La traduction française, Incertitudes. Essai de diagnostic du mal dont souffre notre temps, parut en 1939. C'est à juste titre que ce livre fut appelé un ‘réquisitoire’ contre la ci- | |
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vilisation du vingtième siècleGa naar eind(3). Huizinga y démontrait de façon très éloquente qu'un équilibre entre les valeurs spirituelles et matérielles est indispensable à toute culture, mais que, à son époque, cet équilibre se trouvait être rompu au détriment des valeurs de la première catégorie. Il émanait de toute cette oeuvre une certaine conception pessimiste de la culture, pessimisme qui était assez répandu entre les deux guerres mondiales. Qu'on se souvienne à cet égard de La Rebelión de las Masas (1930 - La Révolte des Masses) d'Ortega y Gasset. Il serait toutefois injuste de classer purement et simplement le livre de Huizinga comme une protestation conservatrice contre l'époque, énoncée par un homme qui idéalisait le passé au détriment du présent. Aujourd'hui encore, on peut apprécier particulièrement les protestations de Huizinga contre les inconvénients de la culture de masse, contre le culte de la vie et l'irrationalisme. Sa mise en garde contre la puérilité d'une société qui se comporte d'une façon moins émancipée que la qualité de ses moyens ne lui permettrait de le faire est parfaitement valable de nos jours encore. Si Huizinga pouvait revenir et contempler le monde actuel, il constaterait indubitablement que ses sombres prophéties étaient justifiées. Signalons en passant qu'en 1935 déjà, il avait prédit qu'à l'avenir le mot ‘existentiel’ serait le terme à la mode. Mais ses protestations étaient assez faibles, parce qu'il ne savait pas proposer de meilleure solution lui-même. Il préconise la sobriété et l'austérité, plus le retour au christianisme, qui pourtant n'a pas réussi à éviter certains excès non plus. Il faut mentionner ici l'horreur que Huizinga a ressentie à l'égard du nazisme, qu'il considérait comme l'une des excroissances de la culture moderne. Déjà en 1933, il a fait éloigner de l'Université un national-socialiste allemand, Von Leers, pour cause d'antisémitismeGa naar eind(4).
C'est surtout sa forte conscience éthique, très proche de ses conceptions esthétiques, qui est à l'origine de son dégoût de son époque. Cet élément éthique peut se ramener à une conscience normative chrétienne protestante. C'est précisément parce qu'on portait atteinte aux normes traditionnelles que Huizinga s'est cru appelé à prévenir le monde et à le défendre contre la décadence de la culture. Les solutions qu'il a proposées ultérieurement à plusieurs reprises, notamment l'austérité et le retour aux valeurs chrétiennes, étaient peu convaincantes. Conscient de la faiblesse de ses protestations, mais moraliste - né comme tout Néerlandais, il est resté jusqu'à sa mort en 1945 l'un des principaux porte-parole d'une protestation aristocratique contre l'avènement de la culture de masse moderneGa naar eind(5).
Huizinga se refugia assez tôt dans le passé pour fuir la chancelante réalité du présent. Son esprit y trouvait les satisfactions esthétiques que le présent ne pouvait lui procurer. Historien, il pouvait recréer le passé de façon à l'évoquer et à le projeter comme une image passionnante et multicolore, pour lui-même et pour les lecteurs. C'est pour cette raison qu'il refusait de considérer l'histoire comme l'un des secteurs du grand domaine des sciences. L'histoire ne pouvait répondre à l'exigence positiviste d'une science qui, à l'instar des sciences naturelles, chercherait dans son domaine les tendances générales et normatives du passé. Dans | |
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son discours inaugural comme professeur à Groningue en 1905, Huizinga prit la même position que des penseurs allemands tels que Rickert et Windelband, qui avaient distingué le domaine des sciences humaines et philosophiques, de celui des sciences naturelles. A cette occasion, il proclama que l'histoire appartenait également au domaine de l'art. Il ne fallait pas, dans cette branche, supprimer le patient travail critique et scientifique, mais le but primordial était tout de même de fournir une image du passé et des individus qui, ensemble, l'avaient forgé. Il avertit que les grandes personnalités de
![]() 1685: Beaucoup de Français se réfugient dans notre pays en apportant leur savoir. Dessin de Johan Huizinga dans son livre Keur van gedenkwaardige tafereelen uit de Vaderlandsche historën (Amsterdam, 1950).
ce passé n'étaient pas de simples ‘étiquettes’ collées sur certains événements. Au sujet de la Révolution française, plus précisément, il dénonça ‘notre façon de traiter tout unilatéralement, et de réduire tous ces hommes pleins de haine, de colère et d'illusion à un groupe de potentialités politiques ou économiques’Ga naar eind(6). Jusqu'à sa nomination de professeur d'histoire à Groningue en 1905, rien n'avait permis de prévoir l'avenir d'historien de Huizinga. Durant sa vie d'étudiant, il avait à peine exploré le domaine historique. C'était la philologie qui l'attirait, et son mémoire de 1897 traitait un sujet re- | |
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latif à la littérature sanscrite. Puis, il enseigna pendant quelques années l'histoire culturelle de l'Inde ancienne comme professeur privé. Mais finalement, ce ne fut pas le monde très éloigné de l'Orient ancien qui l'attira. Il a dit lui-même que ce fut une exposition de peintres ‘primitifs’ des Pays-Bas anciens qui l'orienta davantage vers le passé de l'Europe occidentale, le passé médiéval surtout. En 1915, il quitta Groningue pour la chaire correspondante à Leyde, et en 1919, il publia le livre qui devait le rendre célèbre, Herfsttij der Middeleeuwen, dont la traduction française, Le déclin du Moyen Age, parut en 1932. Plus que l'étude laborieuse des chartes médiévales, c'est la vie très mouvementée, riche et diversifiée, de la fin du Moyen Age, telle que les chroniques de l'époque nous la dépeignent, qui a retenu son attention d'historien. Cette époque offrait l'entière possibilité d'encréer une image captivante, et ‘l'homme fantasque et rêveur’ ne manqua pas d'en profiter à merveille. Dans ce dernier livre, Huizinga retraça ‘une image des formes de vie et de pensée en France et aux Pays-Bas aux quatorzième et quinzième siècles’, siècles considérés non pas en tant que période annonçant la nouvelle culture de la Renaissance, mais plutôt en tant que fin du Moyen Age, ‘la civilisation médiévale dans la dernière saison de sa vie, toute épanouie, comme un arbre portant des fruits trop mûrs. D'anciennes formes de pensée étouffant le noyau vital des idées, la sclérose et l'engourdissement d'une riche civilisation’Ga naar eind(7), voilà ce qu'il cherchait à nous décrire. On peut ramener cet intérêt pour la culture médiévale périclitante à une sorte d'obsession du ‘déclin en beauté’ caractéristique de la fin du dix-neuvième siècle. Mais ce ne fut pourtant pas une affinité intérieure qui mit Huizinga sur le chemin de son sujet. C'était plutôt le contraste remarquable qu'il avait observé entre la vigueur de la vie à la fin du Moyen Age et l'atmosphère aimable et délicate de la peinture de cette époque, les oeuvres notamment des frères Van Eyck et de leurs successeurs. Mais son livre nous présente en outre un vaste panorama des dernières splendeurs de la culture chevaleresque. En guise d'introduction à l'étude de cet aspect de la fin du Moyen Age, il évoque avec perspicacité en quelques pages l'extrême vitalité de cette époque. Il insiste particulièrement sur ‘les contrastes perpétuels avec lesquels toute chose se présentait à l'esprit (et qui) donnaient à la vie quotidienne une émotivité qui se manifestait par ces alternatives de désespoir ou de joie délirante, de cruauté ou de profonde tendresse, entre lesquelles oscillait la vie au Moyen Age’Ga naar eind(8). Huizinga réussit à esquisser cet état d'âme de l'homme de la fin du Moyen Age avec un sens psychologique raffiné et un grand pouvoir d'évocation. C'est dans ce monde impitoyable que florissait ‘un rêve d'héroïsme et d'amour’. Ce rêve, c'était l'idéal d'une culture chevaleresque qui n'a jamais été plus belle que lorsque la chevalerie se survivait déjà en tant que classe sociale bien définie et qu'elle était supplantée par la classe bourgeoise dont l'astre montait. Ce culte de la vie chevaleresque était le divertissement d'une classe sociale supérieure qui cherchait à fuir dans le culte du passé une réalité quotidienne qui lui répugnait. Ici s'impose une comparaison avec la façon dont Huizinga lui-même aborde le passé, lorsqu'il écrit au sujet du Moyen Age: ‘toute épo- | |
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que aspire à un monde plus beau. Plus le présent est sombre et confus, plus ce désir est profond’Ga naar eind(9). Il serait impossible, dans les limites de cet article, de nous pencher davantage sur le contenu de ce livre éminemment riche, où l'esprit visionnaire de l'auteur se manifeste si bien, et qui débouche sur une comparaison entre la littérature et les arts plastiques de l'époque. Les historiens ont formulé plusieurs critiques qui ne semblent que partiellement justifiées. La classe bourgeoise joue à peine un rôle dans le livre, mais c'est précisément parce que l'auteur avait fait de la culture chevaleresque du Moyen Age finissant le sujet principal de son étude. On lui a reproché aussi, et avec plus de raison, de passer sous silence les tendances économiques et politiques sous-jacentes. L'image des luttes de partis de cette époque, dont les motifs n'étaient pas seulement d'ordre psychologique, est en effet un peu unilatérale. Cela n'empêche nullement que Le déclin du moyen âge soit devenu un livre classique, un pendant tout à fait valable de Kultur der Renaissance in Italien (1860 - La Civilisation de la Renaissance en Italie) de Jacob Burckhardt, historien auquel Huizinga se sentait très apparenté. Huizinga a aussi étudié intensément la culture de la Renaissance et de l'Humanisme, comme nous le voyons dans sa biographie d'Erasme (1924), livre qui peut être considéré comme sa meilleure étude à côté de l'oeuvre susdite. D'après ses propres déclarations, Huizinga admira Erasme mais ne ressentit aucune sympathie pour lui. Sa biographie révèle une attitude assez critique et circonspecte à l'égard du grand humaniste, auquel il reproche son ambiguïté et son indécision. Il y a pourtant une affinité indéniable entre l'humaniste du seizième siècle et son biographe. Que Huizinga ait nié cette affinité constitue une nouvelle preuve du fait que nous cherchons souvent à nous défendre contre les figures auxquelles nous ressemblons le plus. Erasme et Huizinga prônent tous deux l'idéal d'une aristocratie internationale de l'esprit qui, par un style de vie raffiné et par une attitude modérée devant la vie, servirait d'exemple au monde. Tous deux avaient besoin de tranquillité et d'harmonie dans leur existence, et ils avaient un dégoût presque physique du vulgaire, de l'irrationnel et de tout ce qui était de nature à troubler leur repos d'esprit. Aussi maîtrisaient-ils, jusqu'à un certain point, l'art de fermer les yeux sur les éléments troublants. Huizinga a dit d'Erasme qu'il était un esprit apolitique, et par là enclin au conservatisme. Cela est vrai pour Huizinga lui-même. Celui-ci a reproché à Erasme de ne pas avoir voulu prendre parti dans les grandes querelles au sein de l'Eglise, de ne pas avoir choisi entre Luther et Rome. On a dit récemment de Huizinga que, finalement, il est resté une figure intermédiaire entre la culture bourgeoise et la révolution conservatrice antibourgeoise du vingtième siècleGa naar eind(10). Tout cela ne signifie nullement qu'Erasme et Huizinga soient des figures identiques, mais chacun à son époque, ils ont adopté des positions parallèles et comparables. Tous deux, ils étaient d'excellents dessinateurs, attirés par la caricature. Qu'on regarde les deux dessins de Huizinga qui illustrent cet article; ils représentent deux invasions françaises différentes aux Pays-Bas. Par le biais d'Erasme, nous voici arrivés aux Pays-Bas. Bien qu'Erasme ait écrit | |
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des remarques peu flatteuses au sujet de son pays natal, il est pourtant bel et bien un fils de ces basses contrées, et c'est ainsi que Huizinga le décrit. Huizinga qualifie le pays natal d'Erasme de rude et de rustique, de gourmand, tant pour la nourriture que pour la boisson, mais il dit également: ‘ces contrées étaient ce qu'elles sont toujours restées: un peu repliées sur elles-mêmes et un peu sauvages, et ses habitants plus aptes à contempler et à sermonner le monde qu'à l'étonner par le scintillement de l'esprit’Ga naar eind(11). Même si Huizinga, comme Erasme, réussit à étonner le monde par son esprit brillant, il est indéniable qu'il était extrêmement conscient de son caractère de Néerlandais. C'est pourquoi il a cherché
![]() 1794: Pichegru traverse les fleuves gelés et entre dans les Pays-Bas. Dessin de Johan Huizinga dans son livre Keur van gedenkwaardige tafereelen uit de Vaderlandsche historiën (Amsterdam, 1950).
à définir dans plusieurs essais les caractéristiques communes des habitants des Pays-Bas, notamment dans Nederland's beschaving in de zeventiende eeuw (= la Civilisation des Pays-Bas au dixseptième siècle). Comme dans un essai ultérieur plus court sur Nederland's geestesmerk (1934 - La caractéristique spirituelle des Pays-Bas), il aboutit finalement à une culture bourgeoise (dans cette acception, il faut éliminer toutes les associations trop négatives que ce mot pourrait évoquer). ‘L'unité du peuple néerlandais réside surtout dans son caractère bourgeois. Que nous visions haut ou bas, nous, Néerlandais, nous sommes tous des bourgeois, que nous soyons notaire ou poète, baron ou prolétaire’Ga naar eind(12). | |
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Cette caractéristique permet d'expliquer quelques travers du caractère du peuple: une certaine mesquinerie, un manque de fantaisie: ‘l'esprit aristocratique nous fait défaut’Ga naar eind(13). S'y opposent quelques vertus: une certaine douceur, la modération, ainsi que la célèbre propreté hollandaise. Dans le domaine spirituel, Huizinga en déduisit un grand besoin de vérité directe et sans ornement, d'honnêteté et de fidélité, toutes qualités qu'il avait déjà vénérées chez Erasme et qu'il imputait à ses origines hollandaises. L'explication des causes des particularités du caractère du peuple néerlandais, Huizinga l'a cherchée dans le passé national. Lors de la révolte contre le roi d'Espagne au seizième siècle, la République des Sept Provinces Unies s'était constituée. La province de Hollande y occupait une place prépondérante. Les grands propriétaires terriens n'y jouaient qu'un rôle limité, et il n'y avait qu'une classe extrêmement réduite en nombre de noblesse héréditaire qui, le plus souvent, se maintenait à l'arrière-plan. Comparé à ce qu'il était dans d'autres pays, l'élément citadin était beaucoup plus important, et le gouvernement reposait en premier lieu entre les mains de la bourgeoisie commerçante de ces villes. La couche supérieure se développa jusqu'à devenir une classe dirigeante isolée, le patriciat, qui gardait toutefois le contact avec les milieux commerçants. Une nation de bourgeois prospères dans les villes et de paysans plutôt satisfaits à la campagne n'aspire guère à l'héroïsme. Bien sûr, les bourgeois de la République partirent en exploration, cherchant à conquérir des terres partout dans le monde pour leurs entreprises commerciales, mais la nation ne nourrissait guère d'ambitions militaires. On pourrait avancer que le caractère même de cet esprit bourgeois faisait obstacle à la pénétration des grands courants spirituels. D'autre part, cet esprit bourgeois s'est exprimé avec clarté dans tout ce que la civilisation néerlandaise a produit de meilleur au dixseptième siècle. Simplicité et tranquillité, Huizinga souligne ces deux caractéristiques en commentant par exemple l'oeuvre d'un peintre comme Vermeer. En peinture et en littérature, le réalisme hollandais disparaît à la fin du dix-septième siècle sous l'influence du classicisme français. Au moment de son apogée, la République n'en donne pas moins l'image d'une culture bourgeoise qui est comparable aux cultures bourgeoises grecque et romaine des grandes époques antiques. Très sensible à cet aspect de l'histoire, et autant que le lui permettait toutefois sa volonté d'être avant tout un aristocrate, Huizinga était fier aussi de ses origines bourgeoises. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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