Septentrion. Jaargang 2
(1973)– [tijdschrift] Septentrion–
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l'enseignement du néerlandais en walloniejean-pierre du ryNé en 1923 à Godinne-sur-Meuse. Etudes de philologie classique et germanique aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur. Professeur au Collège du Sacré-Coeur à Charleroi, Inspecteur et Membre de la sous-commission ‘Néerlandais’ de la Fédération Nationale de l'Enseignement moyen catholique. A publié des articles dans les revues De Maand, Humanités Chrétiennes, La Nouvelle Revue Pédagogique et Ons Erfdeel. ![]() Depuis 1932 la loi a divisé la Belgique en deux régions unilingues. La langue officielle du Nord est le néerlandais celle du Sud le français. Mais une loi ne change pas les habitudes du jour au lendemain. Tandis que les dialectes flamands et le français ont été, jusqu'à une époque récente, les langues véhiculaires en Flandre, le français est toujours la seule langue parlée en Wallonie. Quant au néerlandais, la langue policée qui correspond aux dialectes flamands et qui est aussi la langue parlée aux Pays-Bas, on peut dire qu'il fut un temps où c'était une langue étrangère à la fois pour les Wallons et les FlamandsGa naar eind(1). Ce n'est qu'en 1910 que le néerlandais - en fait un would-be néerlandais - fut utilisé dans les collèges catholiques flamandsGa naar eind(2) comme langue véhiculaire de l'enseignement. Et cela pour deux cours seulement, les autres continuant à se donner en français! En Wallonie ce qu'on appelait alors le flamand fut enseigné comme branche à option bien avant 1910. Au collège des jésuites de Charleroi il y avait plus d'élèves inscrits au cours de ‘flamand’ qu'au cours d'anglais en... 1878. Evidemment les collégiens flamands apprirent plus vite le néerlandais que leurs homologues wallons. Encore que même aujourd'hui et en dépit d'une néerlandisation radicale de tous les secteurs de la vie publique, la plupart des Flamands parlent un néerlandais bourré de gallicismes et de tournures dialectales ou impropres. En 1893 les lois belges qui jusqu'alors n'étaient promulguées qu'en français le furent dorénavant également en néerlandais. Cette langue prenait ainsi officiellement place à côté du français com- | |||||||||||||
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me langue nationale. Du coup le néerlandais devint la première langue étrangère enseignée dans la plupart des écoles secondaires de Wallonie. De quelle manière, dans quel esprit et avec quels résultats? C'est ce que nous allons examiner. | |||||||||||||
Les anciens cours de ‘flamand’.Il est possible de se faire une idée de l'ambiance dans laquelle se donnaient les cours de ‘flamand’ au temps où Monsieur Leburton, Wallon de 58 ans, l'actuel premier ministre de Belgique, était élève à l'Athénée Royal de Waremme. A cette époque la méthodologie d'un cours de langue moderne ne différait guère de celle d'un cours de langue ancienne. Les anglicistes et les germanistes faisaient étudier des règles de grammaire, proposaient des thèmes et des versions, commentaient des auteurs. Amener les élèves à comprendre des messages oraux et à en formuler n'était pas un objectif systématiquement poursuivi. Pour la plupart des professeurs de ‘flamand’ ce n'était pas un objectif du tout. La plupart d'entre eux donnaient leur cours en français, ce que l'on considère aujourd'hui comme un péché méthodologique. Pis encore, il arrivait souvent que la classe des petits Wallons se mette en joie en entendant l'un ou l'autre pataquès du ‘Meneer’ (Monsieur) dont le français n'était pas la langue maternelle. Effectivement le titulaire du cours de ‘flamand’ jusqu'aux environs de 1950 était un Flamand. Mais en s'exprimant en français ces professeurs gaspillaient leur principal atout: la connaissance, la prononciation correcte de la langue qu'ils devaient enseigner. De plus, en ce qui concerne l'enseignement catholique tout au moins, les professeurs du secondaire ne devaient pas être détenteurs d'un diplôme d'instituteur ou de professeur. On se contentait assez fréquemment d'un certicat de fin d'études secondaires. Même si l'initiation pédagogique dispensée dans les hautes écoles était sommaire, la formation académique donnait du poids et du prestige. Un prestige qui manqua à beaucoup de titulaires du cours de ‘flamand’. Il convient néanmoins de rendre hommage à ces anciens qui, en l'absence presque complète de soutien pédagogique, avec des manuels et des anthologies surannées, eux-mêmes membres d'une communauté culturelle et linguistique convalescente mais toujours handicapée, ont rempli avec courage une tâche ingrate dont les fruits ne furent pas, hélas, à la mesure de la difficulté. | |||||||||||||
Entre le mépris, la peur et l'intérêt.Cet échec des anciens cours de ‘flamand’ s'explique par les causes que nous venons d'évoquer. Les déficiences pédagogiques ont été aggravées par l'environnement social. Les tiraillements entre les Belges des deux cultures, presqu'aussi anciens que l'Etat lui-même, ont eu une influence néfaste sur la motivation des élèves. Hier le Wallon moyen considérait son concitoyen Flamand certes comme un paysan ou un ouvrier courageux mais aussi comme un être grossier, fruste et borné. Les plaisanteries wallonnes dont le Flamand fait toujours les frais reposent toutes sur cette conception peu flatteuse. De plus, voyageant en Flandre, il arrive qu'un Wallon demande un renseignement en utilisant son néerlandais scolaire. Souvent son interlocuteur lui répond en dialecte ou en français. Alors, se dit-on, à quoi bon apprendre une langue dont l'aire | |||||||||||||
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de diffusion est restreinte mais qui ne semble même pas utile en Belgique? Alors que l'ancienne image de marque du Flamand n'a pas tout à fait disparu, le Wallon d'aujourd'hui prend peur devant la puissance grandissante de la communauté flamande. De plus en plus il entend parler de la menace de la colonisation flamande de la Belgique. Alors comment susciter de l'engouement pour la langue des coolies en train de devenir des colonisateurs...? Une cause unique peut avoir des conséquences différentes et même divergentes. C'est ainsi que l'augmentation de la puissance politique et économique flamande dans le pays inspire à de plus en plus de Wallons et de Bruxellois francophones d'autres réactions que celles de la peur et du repliement sur soi. Les Bruxellois devraient se crever les yeux pour ne pas voir dans les pages d'annonces de leurs journaux du samedi les offres d'emploi qui ne sont valables que pour des bilingues. Dans le secteur tertiaire on pourrait établir une assez longue liste d'emplois où le Wallon bilingue double ses chances de réussite professionnelle s'il a une connaissance sérieuse du néerlandais. On ne s'inscrit pas pour autant à un cours du soir. Néanmoins il en est qui consacrent une ou deux soirées par semaine à ce recyclage; ils sont très nombreux à Bruxelles, nombreux dans les villes wallonnes. | |||||||||||||
Néerlandais d'abord.Plus significative est le décision que prennent ces adultes à l'égard de leurs enfants en âge scolaire. Depuis 1969 la direction de l'enseignement catholique qui, en Belgique, accueille près de 60% de la population scolaire totale, permet aux parents des enfants entrant dans le cycle secondaire de faire un choix entre le cours de néerlandais et le cours d'anglais. A vrai dire ce n'est qu'un choix de priorité. Car l'élève qui choisit l'anglais à son entrée en 6e recevra néanmoins une initiation au néerlandais à partir de la 4e. En 1969-1970, première année scolaire où pouvait s'exercer la décision des parents 75,2% des élèves originaires des provinces wallonnes, ont suivi le cours de néerlandais, 1ère langue étrangèreGa naar eind(3). L'année suivante le pourcentage passait à 71,6%. Les établissements francophones de Bruxelles, aussi bien ceux du réseau officiel que ceux du catholique, restent obligés de maintenir la priorité du néerlandais. En 1971 il n'y avait que trois établissements où le néerlandais n'était plus enseigné en première année d'humanités. Il faut savoir que dans les agglomérations industrielles de Wallonie, Charleroi et Liège, de nombreux enfants de travailleurs émigrésGa naar eind(4) fréquentent les établissements. Presque tous choisissent le cours d'anglais. Pour les deux dernières années scolaires dont celle en cours les statistiques n'ont pas été publiées. Toutefois des renseignements obtenus auprès d'éditeurs de manuels scolaires indiquent que jusqu'à cette année scolaire 72-73 le néerlandais reste largement prioritaire. | |||||||||||||
Séjours linguistiques en Flandre et aux Pays-Bas.Depuis une vingtaine d'années garçons et filles du secondaire vont à l'étranger avec l'intention de tester et d'améliorer leurs connaissances de la ou des langues étrangères étudiées à l'école. Ils y consacrent plusieurs semaines de leurs vacances. L'Angleterre attire chaque année | |||||||||||||
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des millions d'adolescents. Malgré la séduction du séjour à Londres ou à Bournemouth les stages en Flandre et aux Pays-Bas ne sont pas délaissés par les jeunes Wallons. Si trois parents sur quatre donnent la priorité au néerlandais pendant l'année scolaire, actuellement des milliers de parents font aussi un important sacrifice financier pour que leurs enfants bénéficent d'un bain estival de néerlandais. C'est sans difficulté que nous avons repéré une vingtaine d'organisations belges et hollandaises qui se chargent de trouver des familles d'accueil ou mettent sur pied des cours en internat. Quatorze de ces institutions ont bien voulu nous communiquer le nombre des participants - garçons et filles - pour les dernières années. Ceci nous permet de dresser le tableau suivant:
La plupart de ces organisations n'ont pas 10 ans d'âge. On constate que cette formule attire chaque année plus de participants. Dans nos cours scolaires nous reconnaissons sans peine les garçons et le filles qui en reviennent: ils sont toujours volontaires pour les drills oraux. Leur timidité a été exorcisée: s'ils poursuivent leur effort ils sont en passe de devenir d'honorables bilingues. | |||||||||||||
Equipement audio-visuel.Les élèves qui ne peuvent, ne songent ou ne veulent pas partir en Flandre ou aux Pays-Bas pendant les vacances n'ont que leurs quelques heures de cours hebdomadaires pour accéder à une certaine maîtrise du langage. La compétence et l'enthousiasme de leurs professeurs est d'importance capitale: nous terminerons par ce sujet. Mais de quelle infrastructure disposent ces enseignants dans leurs écoles? En 1966 le Secrétariat National de l'Enseignement Catholique (S.N.E.C.) a fait un un recensement des appareils didactiques suivants: électrophones, enregistreurs, projecteurs de diapositives, rétroprojecteurs, appareils T.V. et radio. Pour les quatre provinces wallonnes on arrivait à un total de... 59 appareilsGa naar eind(5). Encore n'étaient-ils pas nécessairement utilisés pour les cours de langues. Quant aux laboratoires de langues il n'y en avait à cette date et pour tout l'enseignement primaire et secondaire libre de Wallonie que... 14. Durant les cinq dernières années le parc audio-visuel s'est enrichi. L'absence d'un nouveau recensement nous empêche de pouvoir donner des précisions. Voici cependant quelques indications. Actuellement en Belgique une dizaine de firmes vendent des laboratoires de langues. Une seule d'entre elles a installé et assure l'entretien de 51 labos. Il est probable que quelques 200 labos sont aujuord'hui en service dans les écoles du réseau libre en Wallonie. Les conseillers pédagogiques de l'Etat préfèrent équiper les classes de langues en enregistreurs et en projecteurs de dias. Dans le courant de 1972 il n'y avait que deux établissements de l'Etat sur 205 qui possédaient un laboGa naar eind(6). D'après un inspecteur régional du réseau libre, à peu près | |||||||||||||
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tous les professeurs au travail dans les écoles de son ressort disposent de l'enregistreur. L'introduction de l'enseignement rénové en 1970 a favorisé l'introduction des méthodes et des moyens audiovisuels.
Par ailleurs les éditeurs font de gros efforts pour offrir des ensembles didactiques pouvant être utilisés en laboratoire de langues et en studio audio-visuel. Deux d'entre eux dont l'un est Parisien ont fait appel à des spécialistes de la linguistique appliquée pour bien mettre au point leur matériel. Ces cours sont longuement testés avant d'être enregistrés et imprimés. Les Pays-Bas ne semblent pas s'intéresser au consommateur wallon: ils se bornent à apprendre le néerlandais à leurs étudiants et travailleurs étrangers. Mais parfois les éditeurs belges et... français font superviser leurs textes par des correcteurs néerlandais.
L'acquisition des machines à enseigner est dispendieuse pour les écoles du réseau libre, les subsides de l'Etat n'étant pas accordés pour ce genre d'équipement scolaire. Il n'est pas rare que des professeurs utilisent leurs propres appareils. | |||||||||||||
Les nouveaux professeurs.Les laboratoires de langues ne seront d'aucun profit si le professeur n'est pas un bon pédagogue. D'autre part la fragilité de la motivation des jeunes Wallons pourra être compensée si ceux-ci constatent que leur professeur aime la langue qu'il enseigne, la parle bien et facilement, discerne dans les modes de vivre et de sentir de la communauté néerlandaise ce qu'ils pourront apprécier. Qui enseigne le néerlandais aujourd'hui en Wallonie? Presqu'uniquement des Wallons. Ce sont eux qui au cours des 15 dernières année sont pris à peu près partout la relève des folkloriques professeurs de ‘flamand’ d'entre les deux guerres. Un cycle court de deux ans ou un cycle long de quatre ans dans une université francophone les prépare à leur tâche. En pleine année académique 72-73 l'effectif des étudiants francophones en philologie germanique s'élévait à 4.814 unités, soit une augmentation de 26% par rapport à 1970Ga naar eind(7). Malgré les échecs et les défections l'avenir de l'enseignement du néerlandais en Wallonie est assuré. Du moins du côté de la quantité. Mais seront-ils des professeurs efficaces? Sauf l'exception du talent, le débutant tâtonne, fait des erreurs, perd du temps. Mais sur le terrain ils seront aidés par les anciens qui, depuis les années 60, ont donné aux cours de néerlandais un sérieux et un intérêt qu'ils n'avaient pas autrefois. Aujourd'hui en Wallonie le cours de langue moderne, quelle que soit celle-ci, n'est plus pris à la légère. En Belgique le recyclage n'est obligatoire pour aucun des professeurs du secondaire. De l'avis de plusieurs inspecteurs c'est parmi les professeurs de langues vivantes que se recrute le plus grand nombre de participants à des sessions d'initiation et d'entrainement aux méthodes modernes. Ils répondent ainsi à des initiatives prises par certains d'entre eux ou par leurs conseillers pédagogiques. Les instituts de linguistique appliquée de Mons, de Louvain, de St. Ghislain attirent aussi, chaque année, des volontaires. Tout compte fait, ceux ci sont rares. La participation à des stages longs et approfondis n'est encore le fait que d'une minorité. Aujourd'hui les professeurs de langues modernes n'ont | |||||||||||||
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que l'embarras du choix en matière de jouets pédagogiques. Mais pour que le rendement soit à la mesure de la nouveauté, ceux-ci, quel que soit le niveau auquel ils évoluent, doivent être sérieusement initiés à la linguistique moderne et aux méthodes de contrôle des connaissances et d'évaluation. Le professeur de langue vivante doit exceller lui-même dans le maniement de la langue qu'il enseigne. L'élève de la génération audio-orale assiste à la confrontation permanente du langage de son professeur avec celui du modèle enregistré. Or le néerlandais n'est pas la langue maternelle de ceux qui paradoxalement, sont les seuls à être autorisés par la législation actuelle, à enseigner dans les écoles de Wallonie. En général les néerlandisant wallons relèvent honorablement le défi. Néanmoins il est regrettable que l'autonomie culturelle, renforcée par la dernière révision de la Constitution belge, ait comme résultat de priver l'enseignement du néerlandais en Wallonie de l'aide des germanistes flamands. Ce serait un gain important si chaque école de Wallonie pouvait compter parmi ses professeurs de néerlandais un Flamand de la nouvelle génération celle pour qui le beau néerlandais n'a plus de secret.
Dans cet quelques notes sur l'enseignement du néerlandais en Wallonie nous avons souligné les circonstances qui dans le passé ont freiné l'accession des Wallons au bilinguisme français-néerlandais. Certes l'enseignement du néerlandais a largement profité du renouveau de la didactique des langues vivantes. Néanmoins l'action corrosive de la mauvaise motivation continue à se faire sentir. Le Wallon continue à aller au cours de néerlandais en renâclant. Hier il pensait à la langue des arracheurs de betteraves au sabir incompréhensible, aujourd'hui à celle des nouveaux riches aux dents trop longues.
Je crois que les Wallons sont moins doués que d'autres peuples pour les langues étrangères. Ce handicap n'est-il pas d'ailleurs partagé par toute la francophonie qui tarde à secouer la fausse sécurité de posséder une langue universelle!
A l'inverse de ce que les circonstances historiques ont fait en faveur du bilinguisme des Flamands il faut bien constater que l'Etat belge n'a rien fait de sérieux pour favoriser le bilinguisme des Wallons. Et pour cause, d'abord Etat faussement bilingue, ensuite communautés en proie au démon du protectionnisme régionaliste, ni l'un, ni les autres n'ont jamais stimulé le partage culturel et linguistique. Si la Belgique fédérale voit le jour prochainement, peut-être l'Etat wallon, enfin débarrassé de sa crainte de l'impérialisme du Nord, conclura-t-il avec l'Etat flamand un accord culturel qui lèvera l'hypothèque la plus lourde qui pèse sur les chances du néerlandais en Wallonie. Quoi qu'il en soit de l'avenir, les professeurs wallons de néerlandais font bien, entretemps, de se souvenir de la devise du Taciturne: ‘Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.’ |
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