Septentrion. Jaargang 2
(1973)– [tijdschrift] Septentrion–
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à propos d'un cinq-centième anniversaire (1473-1973): le parlement / grand conseil de malineslouis-théo maesNé à Den Dungen (province du Brabant septentrional), le 5 décembre 1918. Docteur en philosophie et lettres (histoire) et docteur en droit. Professeur à l'Athenée royal d'Anvers (1969). Secrétaire de rédaction du Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis (Revue d'Histoire du Droit) (jusqu'en 1962). Professeur aux facultés universitaires d'Anvers (U.I.A.). Inspecteur de l'enseignement secondaire et supérieur de l'Etat pour l'histoire et la formation sociale. Examinateur en chef d'Histoire de l'Office du Baccalaureat International (Genève). ![]() 1973 est une année commémorative remarquable. Non seulement c'est l'année Copernic, mais c'est également l'année Thierry Martens. L'un changea totalement la conception de l'Univers, l'autre contribua au développement de l'imprimerie.
Mais 1973 est également le 500ème anniversaire de la création du Parlement de Malines, la plus haute cour de justice du Benelux avant la lettre, cour qui plus tard est devenue le Grand Conseil et qui resta en fonction jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, c'est-à-dire jusqu'en 1796.
Relativement à notre temps, le Parlement/Grand Conseil jouait le rôle de la Cour de Cassation et des Cours d'Appel.
Le Parlement de Malines de Charles le Téméraire, et le Grand Conseil qui lui succéda, peuvent, à vrai dire, avec l'Ordre de la Toison d'Or de Philippe le Bon, être considérés comme les principales réalisations durables des ducs de Bourgogne, issus des Valois.
Il est bien connu que notre procédure et notre droit civil ont une origine française par le Code Civil et les autres Codes Napoléoniens. La procédure du Parlement/Grand Conseil avait, quant à elle, son origine dans le droit romain canonique par l'intermédiaire du Parlement de Paris mais aussi une origine franco-bourguignonne par les livres du grand juriste flamand Philippe Wielant. Contrairement aux autres tribunaux de basse instance, qui suivaient le droit commun coutumier, le Grand Conseil était doté d'une procédure ne différant pas beaucoup de celle qui nous fut léguée, au début du XIXème siècle, par Napoléon. Il n'existe au contraire donc ici nulle césure, nulle brisure comme il en existe au contraire entre la plupart des autres institutions et l'ancien | |
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![]() Monogramme CM (Consilium Magnum) Corbeau de poutre de la salle de réunion du Grand Conseil à Malines au XVe siècle.
droit belge d'une part, et, d'autre part, les institutions et codes nouveaux des XIXème et XXème siècles. L'histoire complexe du Parlement / Grand Conseil peut être divisée en quatre grandes périodes. D'abord la création du Grand Conseil ducal itinérant, se séparant du Conseil de la Cour (vers 1433, jusqu'en 1473). Ensuite, ce fut le point culminant: le Parlement de Malines (de décembre 1473 à janvier 1477). Puis, après Nancy et le Grand PrivilègeGa naar eind(a), ce fut à nouveau le Grand Conseil itinérant (de février 1477 à janvier 1504) et enfin, la période la plus longue: le Grand Conseil de Malines (1504 à 1796). Dans la seconde moitié du XVème siècle, la France, les ‘Pays de par deça’ et le Saint-Empire reçurent définitivement leurs collèges judiciaires suprêmes. En effet, le Parlement de Malines, créé en 1473, se situe entre le Parlement de Paris, réorganisé complètement en 1454 par le beau-père de Charles le Téméraire, Charles VII, dans l'Ordonnance de Montils-lès-Tours, et le Reichskammergericht, fondé par l'Edit de Worms en 1495 par le gendre du duc, l'empereur Maximilien. Indubitament il existe une filiation européenne entre les ordonnances de Montils, de Thionville et de Worms.
La fondation du Parlement de Malines était la phase finale d'une longue évolution, qui avait commencé au ‘Déclin du Moyen Age’. Suivant l'exemple de ce qui avait été fait en France depuis la seconde moitié du XVème siècle grâce à la fondation du Parlement de Paris, les deux derniers ducs de Bourgogne désiraient également une centralisation judiciaire audessus des bancs de justice locaux et des conseils régionaux.
Le duc de Bourgogne de la race des Valois, Charles le Téméraire, s'efforça tout comme son père et le sage chancelier Nicolas Rolin, tels aussi les autres souverains dans les pays voisins, d'unifier et centraliser ses Etats. Il ne faut donc pas s'étonner qu'il ait voulu stimuler le développement d'un collège suprême de justice, nommé ‘Grand Conseil’, car il y voyait un moyen d'augmenter son pouvoir et de combattre le particularisme de chaque province. Charles le Téméraire, duc juste et fascinant, fut aussi un grand législateur, ‘un prince passionné de droit’Ga naar eind(1). Ses ordonnances sont des modèles de précision et de clarté. La plus importante de toutes est indubitablement l'Ordonnance du 8 décembre 1473, avec 33 articles, par laquelle il créa le Parlement de MalinesGa naar eind(2).
Cette ordonnance, signée entre la conquête de la Gueldre et l'échec devant NeussGa naar eind(b), se trouve d'autre part en rapport direct avec la tentative de Charles le Téméraire de fonder un grand Etat bourguignon indépendant entre la France et le Saint-Empire. En effet, depuis le 1er | |
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![]() L'Ancien Palais du Parlement / Grand Conseil de Malines (1474-1616). Aquarelle de J.B. de Noter (Archives de la ville de Malines).
octobre jusqu'au 24 novembre 1473 il avait négocié à ce sujet à Trèves avec le ‘faible’ empereur Fréderic III, lorsque celui-ci mit brusquement fin aux négociations le 25 novembre, probablement à cause des exigences du Téméraire. (Toutefois ils étaient d'accord pour se revoir au printemps). Le jeudi 25 novembre, donc le duc quittait, mais sans courroux, contrairement à ce que certains prétendent, l'abbaye de St. Maximin, près de Trèves, où il avait résidé pendant deux mois; et il arrivait le vendredi 26 novembre, par la Moselle, dans ‘nostre ville de Thionville’ où il resta jusqu'au samedi 11 décembreGa naar eind(3). Ainsi Thionville et Malines entraient dans l'histoire occidentale: pour Malines la décision du duc mit la ville baignée par la Dyle sur le même rang que Paris et Frankfort. Devenue aussi capitale financière par une autre ordonnance la seigneurie de Malines était une enclave dans le duché de Brabant et un territoire à part, ce | |
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![]() Installation officielle du Parlement de Malines, le 3 janvier 1474. Peinture de Jehan Coessaet (1587).
qui est en somme un avantage pour toute cour supérieure. Cette seigneurie resta un Etat autonome jusqu'au XVIIIème siècle avec des institutions et des coutumes spécifiques. La composition du Parlement était imposante: les 8, 9 et 10 décembre le duc signait la nomination de deux présidents, de quatre chevaliers, de six maîtres de requêtes; des douze conseillers laïcs et des huit conseillers ecclésiastiques. Egalement des deux avocats fiscaux, du procureur général et de son substitut, des quatre secrétaires, des trois greffiers ainsi que du premier huissier et des dix-huit autres: en somme la fine fleur des juristes bourguignonsGa naar eind(4). En effet, 80% de ces 62 élus étaient bourguignons, ceci malgré le fait que le Parlement n'était compétent ni pour le duché, ni pour le comté de BourgogneGa naar eind(5). Relevons parmi ces élus bourguignons le premier président Jean I Carondelet, et Ferry de Clugny, évêque de Tournai et plus tard | |
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cardinal à Rome. Parmi les non-bourguignons, citons le Picard Gui de Brimeu, seigneur de Humbercourt, qui sera justicier en avril 1477 avec le chancelier Guillaume Hugonet; le Luxembourgeois Nicolas de Rutre, greffier civil, ecclésiastique humaniste, qui deviendra en 1478 audiencier ou chef de la chancellerie et plus tard évêque d'Arras; le Flamand Philippe Wielant, grand juriste, conseiller, et le Malinois Jean Lyon, conseiller (Jan de Leeuw).
Après la nomination des membres du Parlement et leur arrivée à Malines, la plus haute cour de justice des ‘pays de par deçà’ fut installée le 3 janvier 1474 dans le Vieux Palais, bâti vers 1375. La cérémonie eut lieu en présence des chevaliers de la Toison d'Or et de beaucoup de hautes personnalités des différents ‘pays de par deçà’.
Nous tenons à souligner que c'est une légende que le duc et son chancelier Hugonet auraient personnellement présidé cette cérémonie. Cette légende est restée tenace, du fait du tableau de 1587 du peintre malinois Jehan Coessaet, à l'Hôtel de Ville de Malines, tableau dont il existe une dizaine de copies et qui y représente le TéméraireGa naar eind(6). En effet, le 3 janvier 1474, le duc était en Alsace, très exactement à Ensisheim, en route pour DijonGa naar eind(7). D'autre part, le chancelier accompagnait toujours son souverain. D'après les données dont nous disposons actuellement, cette installation fut présidée par l'évêque de Tournai, Ferry de Clugny, chef du Grand Conseil et du Parlement, en l'absence du chancelier. Le plus ancien arrêt ‘donné en nostre court de Parlement à Malines’, daté du 2 avril 1474, concerne un procès entre la ![]() Jean I Carondelet, premier président du Parlement de Malines (1473-1477), puis chancelier de Bourgogne. Peinture de J.C. Vermeyen (Musée des Beaux-Arts, Bruxelles).
Ville de Malines et l'audiencier Jean III Gros, qui avait authentifié, en tant que chef de la chancellerie l'Ordonnance de Thionville, au sujet d'une violation des privilèges communaux. Probablement pour illustrer son indépendance vis-à-vis du duc, et pour se rendre sympathique dans sa nouvelle résidence, le Parlement donna droit à la Ville et débouta le puissant audiencierGa naar eind(7).
La mort du Téméraire, le 5 janvier 1477, mit fin aux activités du Parlement. Avec le Grand Privilège, Marie de Bourgogne et Maximilien, commençait la jurisprudence du Grand Conseil ambulatoire qui dura jusqu'au moment où celui-ci fut à nouveau fixé à Malines par le petit-fils du Téméraire, Philippe le Beau, le 3 janvier 1504, avec un président et quatorze conseillers, dont neuf laïcs et cinq ecclésiastiques - pour y rester jusqu'à la fin de l'Ancien Régime.
Bien que l'on doive situer le plus grand essor dans la première moitié du XVIème | |
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![]() Béatrice de Cusance, épouse de Charles IV de Lorraine (ca. 1640). Peinture d'Antoon Van Dyck (Musée du Louvre, Paris).
siècle, le Grand Conseil vit ensuite progressivement se réduire sa compétence, en partie parce que certains conseils provinciaux furent déclarés souverains. C'est ainsi que le Grand Conseil perdit le Hainaut en 1515, le Brabant et le Limbourg en 1530, et en 1782 le Luxembourg et l'ensemble de Tournai et du Tournaisis. D'autre part, la perte de certains territoires au cours de la Guerre de 80 ans et des guerres de Louis XIV a également, par voie de conséquence, réduit la compétence du Grand Conseil: la perte la plus grave eut lieu entre 1580 et 1585, lorsque la Hollande, la Zélande, Utrecht, la Frise et la Gueldre (sauf la région de Roermond) furent perdues; plus tard, l'Artois se retira également, et au cours de la période de 1675 à 1700 certaines parties de la Flandre et du Luxembourg en firent autant.
Pendant cette période d'environ 360 années, le Magnum Consilium fut non seulement grand par le ressort de sa juridiction, mais aussi par son rayonnement: tous les grands juristes des anciens Pays-Bas en faisaient partie: Jean I Carondelet, Philippe Wielant, Jean II Carondelet, Nicolas Everardi, Lambert de Briaerde, Jerôme de Busleyden, Joachim Hopperus, Pierre Peckius, Viglius ab Aytta, Jacques Stalins, Jean Richardot, Charles de Hovynes, Jean-Baptiste Christyn, Christophe de Baillet, Jean-Alphonse de Coloma, Henri de Vicq, Goswin de Fierlant et tant d'autres.
Toutes les personnalités importantes et ‘grandes familles’ y défilèrent tant pour les affaires civiles que pour les affaires criminelles. Pour ne citer qu'eux: Giovanni Arnolfini, Olivier de la Marche, Everaert 't Serclaes, Simon de Taxis, le grand voyageur Bousbecque, le chancelier Gattinara, le vice-chancelier Matthias de Helt, Guillaume d'Orange, le prince d'Epinoy, Lamoral d'Egmont, François ler, Guillaume III d'Angleterre, le Prince de Ligne et Béatrice de Cusance, qui était considérée comme la plus jolie femme d'Europe. D'autre part, des procès célèbres s'occupaient de problèmes aussi actuels que l'hygiène du milieu et la question de l'Escaut.
D'autre part encore, les plus grands artistes ont travaillé pour le Parlement / Grand Conseil et pour ses conseillers. Ce fut le cas de Jean van Eyck, Roger de la Pasture, Adrien Ysenbrant, Josse de Clèves, | |
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Raphaël, Jean C. Vermeyen, Jean Gossart, Jean Mone, Bernard van Orley, Michel Coxcie, Pierre Pourbus, Simon et Corneille de Vos, Guyot de Beaugrant, Rombaut et Laurent Keldermans, Pierre-Paul Rubens, Antoine van Dijck, J.P. Sauvage, C. Herreyns, Carl van Loo et bien d'autres, dont les portraits des conseillers se trouvent dans les grands musées mondiaux. Qui eût pensé que le Brevarium Grimani et le premier édifice de la Renaissance au Nord des Alpes sont rattachés d'une certaine manière au Parlement et au Grand Conseil? La bibliothèque du Grand Conseil nous a été léguée presque intacte et les dizaines de milliers de procès avec les registres et les dossiers, dont la plupart n'ont encore jamais été explorés, se trouvent dans les Archives Générales du Royaume à Bruxelles, - un kilomètre d'archives! -, à Lille, Dijon, Paris, Simancas, Vienne, Arlon et Malines, ainsi que dans un grand nombre d'archives de l'Etat, de villes et de personnes privées. Tous ces documents, disons-nous, forment une source extrêmement riche pour les historiens et les juristes de toutes les disciplines, qui se penchent sur le passé. Si on pouvait en entreprendre l'examen systématique, on obtiendrait une image entièrement différente de notre passé national dans le cadre des ‘Parlements’ de l'Europe. |
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