In Memoriam Anton Pieck
Dans une imitation de bulletin radiodiffusé, début décembre 1987, un ‘présentateur’ lança: ‘En raison du décès de l'artiste peintre Anton Pieck, l'hiver ne sera pas au rendez-vous cette année.’ L'homme en question aurait très bien pu dire: ‘il n'y aura ni Noël ni Saint-Sylvestre.’ Au-delà de la simple boutade, cette réflexion est révélatrice de l'opinion dans laquelle Anton Pieck est tenu aux Pays-Bas; elle évoque surtout ces cartes de Noël ou de nouvel an, aux paysages enneigés et romantiques à souhait, au dos desquelles les Néerlandais envoient leurs voeux.
A la fois peintre, graveur, graphiste et illustrateur, Pieck était une figure nationale. Il s'est éteint à l'âge de 92 ans. Depuis son 65e anniversaire, il accordait une interview chaque lustre. Il se tenait alors ainsi: droit comme un I, devant le musée consacré à son oeuvre, dans le parc féerique créé par lui ou, sans lunettes et le trait assuré, en train de dessiner, comme chaque année, un calendrier. Parmi les peintres néerlandais contemporains, Pieck était un artiste chanceux. Lui-même refusait cette définition; il se voyait plutôt comme un artisan d'autrefois. S'il lui arrivait d'être taxé de ‘romantique sentimental’ par des critiques d'art, il recevait des fleurs de tous côtés à son domicile et atelier d'Overveen. Le Néerlandais moyen ne voulait pas que l'on s'en prît au peintre artisanal certainement le plus reproduit.
Né en 1892 dans la ville portuaire du Helder, Pieck était fils de marin. Avec son frère jumeau Henri, il fréquenta plusieurs écoles des beaux-arts. Anton devint professeur de dessin et Henri architecte. Les premières commandes d'Anton Pieck furent des illustrations. Il illustra ainsi plus de trois cents livres au cours de sa carrière. Dans certains cas, c'était plutôt le dessin qui dictait le texte! A l'occasion de son 90e anniversaire, il déclara qu'il pouvait encore travailler - avec passion - pendant quarante ans au moins, vu l'importance de son carnet de commandes. Discipliné, il travaillait de neuf heures du matin à neuf heures du soir. Ni télévision, ni journaux. ‘Je reste dans ma coquille, reconnaissait-il, en avouant que son ardeur au travail l'avait coupé de la vie en société.
Pieck vivait dans son monde intérieur. Il avait arrêté la marche du temps à l'époque de son enfance. Né à la fin du siècle dernier, il était ‘fier d'être du xixe’. L'oeuvre de Gustave Doré l'enchantait; il adorait Dickens. Chez Pieck, tout n'était que chaleur humaine, une chaleur que l'on retrouvait dans les moindres recoins des églises, des ruelles étroites, des petites épiceries éclairées à la lampe à pétrole, dans lesquelles farine et légumes secs étaient exposés dans des pots de verre. Des arches de ponts, des patineurs agiles, des traîneaux, des pignons inclinés, des boutiques foraines ou des boulangeries à l'ancienne constituaient le décor de son oeuvre. Au sein de cet univers ordonné avec minutie, l'humour avait aussi sa place, dans le coin le plus inattendu. En réalité, il avait créé un monde fait d'harmonie, tel qu'il aurait aimé le connaître dans le passé: ‘Je sais pertinemment que tout n'était pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, autrefois, mais aujourd' hui une grande agitation s'est emparée de l'humanité; l'automobile a tout gâté’ (Trouw, 15 avril 1985).
Pieck compte parmi ses oeuvres les plus remarquables et les plus célèbres des illustrations des contes de Grimm et des Lieder de Schubert. A dire vrai, il a