pousse un cri déchirant à fendre le coeur, comme un chat crache une boule de poils. Le chagrin est à peine dissipé que déjà la danseuse apparaît telle une péripatéticienne aux cheveux platinés, trébuchant sur ses talons trop hauts et vêtue d'une jaquette en cuir. C'est la femme qui se prostitue à son public et affronte avec son propre corps le monde des impresarios, des concepteurs de programmes et des critiques. Une femme aussi qui n'a pas accouché d'un enfant mais d'art et qui, par son succès, risque de devenir un patrimoine artistique public. Pour finir c'est la femme crucifiée, percée au flanc d'un glaive et coiffée d'une couronne d'épines. Sa passion est devenue la Passion. Et ainsi Goud ferme la boucle. La couronne en or est devenue une couronne d'épines. Dans Goud, qui est considéré par les critiques comme un des événements théâtraux les plus importants de 1989, Truus Bronkhorst a résumé et sublimé toute sa carrière. Auparavant déjà elle nous avait fait voir sa conclusion. Assise au premier rang, elle attend que le public ait pris place, montrant ainsi à quel point elle se trouve du côté des spectateurs. Pour elle aussi le podium est un endroit vide: un endroit que l'on applaudit et vers lequel montent des acclamations spontanées. Pour mériter ces applaudissements, il faut risquer des pas rigoureux. A cet effet, la danseuse doit oser se produire tel un livre ouvert. Non pas pour élever des expériences privées à une sensation publique, mais pour les débarrasser de cette sensation et leur permettre de vivre une vie tout à fait à part, indépendante du créateur, mais créée tout
de même. Néanmoins des indices autobiographiques sont stockés dans ce Goud comme dans une mine d'or. Celui qui a suivi sa carrière chorégraphique depuis 1978 ne peut se dérober à cette donnée. Dans Goud, le défi du vide scénique a été comblé dans une lutte contre le temps, contre son propre corps, contre une vie personnelle. Goud s'identifie à Truus qui, un jour, a dit d'elle-même: ‘je suis danseuse d'origine et de passion’. Qu'est-ce qui peut encore suivre après une boucle aussi parfaite? Sa production suivante, Branco (blanc en portugais), est surprenante. Truus Bronkhorst retourne chez son ancien maître, le chorégraphe et professeur de danse, Max Dooyes. Elle lui demande de réaliser un duo, un acte pour deux clowns. Bien qu'ayant déjà dépassé les soixante-dix ans, son professeur et maître spirituel accepte d'inverser les rôles. C'est maintenant son ancienne élève qui l'invite à danser pour elle. Que l'on ait choisi pour cela la simbolique clownesque n'a rien d'étonnant, mais peut être considéré comme typique. Bronkhorst sait relativiser les choses, refuse de se laisser perdre dans une sentimentalité juvénile. Trois mois plus tard, en avril 1991, confrontée à trois jeunes danseurs disco noirs, elle hume le parfum de Zwarte Bloesem (Fleurs noires). Fidèle à elle-même, elle est toujours à la recherche des extrêmes, se balançant sur le fil du rasoir.
Son identité plonge ses racines aux Pays-Bas, où elle a été nourrie de l'ambiance de la danse néerlandaise et de la montée de la danse moderne dans les années 70 et 80. Mais l'impact de ses interprétations s'étend loin au-delà des frontières néerlandaises. Truus Bronkhorst n'a pas seulement réalisé Dutch export, elle est aussi elle-même exportation néerlandaise en réponse artistique internationale à Philips et à Shell. Elle recourt pour cela à une langue qui peut être comprise de tout le monde. Son importance réside dans le fait que sa danse artistique dispose de ces possibilités. C'est la raison pour laquelle elle mérite plus que la seule reconnaissance néerlandaise. ■
eva van schaik
Critique de danse.
Adresse: Keizersgracht 70, NL-1015 CT Amsterdam.
Traduit du Néerlandais par Jean-Pierre Roobrouck.