Ed van der Elsken (1925-1990) à Saint-Germain-des-Prés ex 1951: le chasseur d'images à l'oeuvre.
gammes. Ed était doué comme tant de jeunes Néerlandais qui fréquentaient le pavé de Paris avec pour simple ambition - mais elle était grande - de vivre l'aventure du quotidien. La transcription journalière en peinture et en photo était d'inégale valeur expressive dans le processus de création: il manquait chez les uns la polychromie du milieu amblant, le mouvement situationniste chez lez autres. On n'en était pas encore aux possibilités inépuisables en télévision de ‘l'arrét sur l'image’. Né en novembre 1948, résolument opposé au constructivisme et à diverses autres orientations abstraites - suprématisme, géométrisation,
Stijl... - l'art spontané de Cobra, sa joie esthétique, ou comme le disait Gaston Bachelard, son ‘imagination matérielle’ représentait une véhémente expérimentation. Chez Van der Elsken, comme chez les Néerlandais de toujours, le nomadisme était une vocation et Paris, un ‘must’ comme on ne disait pas encore à l'époque. Lorsque je rencontrai Ed pour la première fois, il venait de se réveiller sous le Pont-Neuf où il avait passé la nuit parmi les clochards. Il arrivait d'Amsterdam bardé de lettres d'introduction et il trouva du travail sans coup férir. C'est que ce jeune homme était non seulement entreprenant, mais il suscitait l'enthousiasme. Était-ce une caractéristique des preneurs d'images? D'autres vivaient à Paris comme Nico Jesse par exemple qui venait de publier un album de photographies sur les
Femmes de Paris dont le texte d'accompagnement était de la main d'André Maurois. Il s'agissait bien des Femmes de Paris et non de la Parisienne, ce qui
n'est pas la même chose. Au sein du monde des étudiantes, artistes, modèles, cousettes, danseuses, marchandes de fleurs et des quatre saisons on rencontrait aussi le gouailleur amstellodamois Sem Presser, l'américanisant Eddy van der Veen, le photographe de mode Fred Brommet, le reporter Dominique Berretty auxquels d'autres venaient de temps en temps se mêler, la douce et talentueuse Emmy Andriesse, le brillant collectionneur de négatifs Cas Oothuys... Ed, après avoir développé la pellicule des Henri Cartier Bresson ou
La perspicacité d'Ed van der Elsken était légendaire. Voici un instantané de Van der Elsken dans un cours de danse. Photo d'une jeune fille totalement inconnue à l'époque. Elle s'appelle Brigitte Bardot.
Robert Capa, ce qui lui assurait le gîte et le couvert, trouva sa propre voie comme flâneur de Paiis. Son album des photos de la capitale de 1950 à 1954 le montre attentif aux scènes de la rue, parfois caricaturales, mais souvent baignées d'une touchante et attrayante humanité. En feuilletant ce recueil parisien, je retrouve parmi les scènes de genre le visage d'innombrables célébrités, de Maurice Chevalier à Karel Appel, d'Édith Piaf à Hugo Claus, de l'abbé Pierre à Bert Schierbeek ou Gary Cooper et ainsi de suite. Cette brochette de personnalités ne représente jamais un who's who de la notoriété, mais un témoignage pris sur le vif d'individualités identifiées, jamais portraiturées. Trente ans plus tard, un recueil publié sous le titre ‘Are you famous?’ lui permet de réunir, lors de l'exposition d'adieu du directeur du
Stedelijk Museum (Musée de la ville) d'Amsterdam, Edi de Wilde, le dessus du panier des gens dont on parle. Et qu'il voit tels qu'en euxmêmes enfin l'éternité les change. Excusez mon intrusion dans la poésie de Mallarmé, d'autant que j'ai tronqué le vers. Mais c'est que l'oeuvre photographique de Van der Elsken, ses films et vidéos, recèlent un humour qui tient à la nature propre de sa faconde, exercée aussi bien au Japon et ailleurs que sur les terres d'Edam où il vécut dans une ferme de longues années durant. Me permettrai-je d'emprunter ce mot merveilleux de l'écrivain néerlandais Cees Nooteboom sur Ed van der Elsken lors de sa disparition? ‘Wat hij van de wereld zag, was wat hij van de wereld dacht’: il ne voyait du monde que ce qu'il pensait du monde. ■
Sadi de Gorter