geois. En Europe, aliéné de sa propre culture et rejeté par les Blancs, il va droit à l'échec. Dans ses livres, Geeraerts montre le fossé infranchissable séparant la civilisation blanche aveuglante et l'obscure civilisation noire qui plonge ses racines profondes dans la tradition et la culture populaire africaines. Dans Schroot (Scories, 1963), un roman trop peu remarqué, il exprime clairement l'idée selon laquelle quiconque a été ‘contaminé’ une fois par l'Afrique, se réadapte difficilement à la froide et trépidante Europe. L'auteur y relate comment le personnage principal se sépare douloureusement de sa concubine noire, symbole de la liberté débridée, dans le Congo tumultueux de la crise de l'indépendance. En Europe, dépaysé et nostalgique, il essaie en vain de recréer l'atmosphère de l'Afrique.
Geeraerts est ‘malade’ de l'Afrique et, thème après thème, il veut guérir de cette maladie à l'aide de l'écriture. Dans Gangreen 1 (1968), il évoque, dans un style enlevé et empreint de sensualité, l'exaltation sexuelle dans laquelle l'Afrique l'a jeté, cette exaltation étant une composante d'un vitalisme primitif qui n'est pas tempéré par une morale bourgeoise oppressante. Ce vitalisme est machiste par de nombreux aspects (histoires gaillardes relatant beuveries et parties de chasse ou de pêche, où la femme apparaît exclusivement comme objet sexuel) et imprégné d'une conscience latente du danger et de la mort. Ce dernier aspect se manifeste surtout dans Gangreen 2. De goede moordenaar (Gangrène 2. Le bon meurtrier, 1972), où Geeraerts évoque la période trouble et violente d'avril 1959 à mars 1960, dont il n'avait pas retracé les événements dans Gangreen 1. A ses yeux, la barbarie et la férocité sanguinaire dont il a fait l'expérience à la tête d'une mission militaire ne sont que des manifestations d'une pulsion destructrice instinctive et stupide qu'il croit universelle et propre à l'humanité. Ces deux premières parties de la série des Gangreen constituent le sommet absolu de son oeuvre et, à l'évidence, elles ont produit l'effet thérapeutique souhaité. En effet, il ressort des Tien brieven rondom liefde en dood (Dix lettres sur l'amour et la mort, 1971), adressées à des amis appartenant ou non au monde littéraire, que Geeraerts a pris un certain recul par rapport aux années qu'il a passées en Afrique. Désormais, son vitalisme s'exprime dans la
sélection critique de valeurs et de produits culturels raffinés, inhérents à la civilisation occidentale.
A part d'autres romans, Geeraerts a encore écrit Gangreen 3. Het teken van de hond (Gangrène 3. Le signe du chien, 1975), où il se penche sur son éducation sévère, et Gangreen 4. Het zevende zegel (Gangrène 4. Le septième sceau, 1977), où il fait le procès du mariage en tant qu'institution (mais il stigmatise en réalité son propre mariage). La critique s'est montrée beaucoup moins enthousiaste au sujet de ces deux parties - écrites, il est vrai, avec un dynamisme nettement amoindri -, dont la dernière, surtout, ne dépasse pas, par sa thématique, le niveau d'une autobiographie gênante à force de révélations.
Geeraerts décide alors de clôturer la série. Depuis 1979, il publie régulièrement des romans policiers mêlés d'une légère touche de critique à l'égard de la société et, dans ce genre littéraire, il acquiert peu à peu une notoriété internationale. La ‘contagion’ semble donc avoir cessé.
Dans l'évolution de Geeraerts, un revirement s'est effectué avec la parution d'un joyau de prose déplaisante, la très intimiste Laatste brief condom hefde en dood (Dernière lettre sur l'amour et la mort, 1980), adressée à sa