Septentrion. Jaargang 20
(1991)– [tijdschrift] Septentrion–
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Heinrich Isaac
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Haras Burgmair l'Ancien, ‘La chapelle musicale de Maximilien Ier’, après 1516. Au-dessus de la tête du second personnage à partir de la gauche, on a ajouté à tort ultérieurement ‘Ysaac’: il s'agit en fait de Ludwig Senfl. Cabinet des estampes, Dresde.
maîtrisait d'une manière magistrale, comme on peut le voir entre autres dans la composition de ses nombreuses messes. Il pratiquait aussi avec une étonnante facilité la musique italienne plus légère de l'époque, notamment les vivants ‘canti carnascialeschi’ florentins ou chants de carnaval, qui connurent un essor exceptionnel sous le règne de Laurent de Médicis, lui-même auteur de textes. Suite à l'intervention de Savonarole qui interdit les chansons profanes souvent assaisonnées d'obscénités, la plupart de ces petites oeuvres se sont toutefois perdues. A la mort de Laurent, Isaac écrivit un magnifique lamento à quatre voix sur un texte d'Ange Politien: Quis dabit capiti meo aquam. Pendant les années passées en Flandre et en Italie, Isaac composa, de plus, beaucoup de musique religieuse, entre autres des messes et des motets. Le passage à la chapelle de Maximilien fut accompagné d'une intensification de la pratique de la musique religieuse, ainsi que d'une évolution de la musique profane. En épousant Marie de Bourgogne en 1477, l'année de la mort de son père Charles le Téméraire, le Habsbourg Maximilien, fort intéressé par les | |
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Hans Schwarz, ‘Ludwig Senfl’, vers 1519/20. Compositeur allemand, élève de Heinrich Isaac. Il lui succédera à la maîtrise de la chapelle de la cour impériale. Cabinet des estampes, Berhi.
arts, devint l'héritier véritable de la riche tradition musicale édifiée par les ducs de BourgogneGa naar eind(3). En effet, c'est sous leur règne que l'art polyphonique néerlandais s'était développé pendant la première moitié du xve siècle. Aussitôt cet art musical d'un niveau exceptionnellement élevé connut également une expansion internationale. A la qualité technique exceptionnelle s'ajouta, grâce au contact avec l'humanisme italien, une expressivité très marquée, en sorte qu'avec la génération de Josquin Desprez la raison et l'affectivité se trouvèrent fondues dans une synthèse jusqu'alors inégalée. Depuis le xve siècle déjà, les compositeurs des Pays-Bas affluaient dans la presqu'île italienne. Sous Laurent de Médicis, Isaac était la figure centrale à Florence. Son activité fut cependant encore plus significative dans la région de langue allemande où il faisait fonction de compositeur à la cour de Maximilien. Grâce à Isaac, la musique allemande qui, au moins en ce qui concernait la polyphonie vocale, se trouvait encore dans un stade relativement primitif, acquit d'emblée une dimension internationale. Les genres allemands typiques aux couleurs locales très prononcées, il sut les imprégner de techniques propres à la polyphonie d'origine flamande. Ce qui était typiquement allemand, c'était l'utilisation de mélodies grégoriennes dans les ordinaires de la messe, ainsi que la préférence accordée aux arrangements à plusieurs voix pour les propres de la messe. Pour ce répertoire de propres Isaac réalisa un projet réellement grandiose qui constitue l'un des plus grands monuments de la musique occidentale: il s'agit d'une série d'environ cent arrangements à quatre voix de cycles de propres pour tous les dimanches et les fêtes les plus importantes de toute l'année liturgique. Cette oeuvre étendue qu'il laissa toutefois inachevée et qui fut publiée en trois volumes à titre posthume entre 1550 et 1555, est connue sous le nom de Choralis Constantinus. L'appellation renvoie à la ville de Constance où Isaac séjourna quelque temps, entre autres en 1507, à l'occasion de la diète qui s'y tenait. Le chapitre du dôme de Constance commanda chez | |
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Isaac en 1508 un cycle de propres qui furent introduits dans la deuxième partie du Choralis Constantini. Les première et troisième parties comprennent des compositions qui étaient destinées à la chapelle impériale. Cet opus monumental fut complété après la mort d'Isaac par son talentueux disciple et successeur, Ludwig Senfl (autour de 1486-1542/43). Ce fut le premier
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Frontispice (partition pour ténor) de la première partie du ‘Coralis Constantini’ d'Heinrich Isaac, édité à titre posthume en 1550.
compositeur allemand dont l'oeuvre fût capable de rivaliser avec celle de ses contemporains flamands. Le genre de la chanson allemande à plusieurs voix dont Isaac avait rehaussé la qualité, Senfl le conduira à un point culminant jamais atteint auparavant. Une des caractéristiques de la chanson allemande de l'époque était l'emprunt d'une mélodie existante que l'on plaçait généralement au ténor (d'où l'appellation Tenorlied) et à laquelle on ajoutait des parties nouvellement composées, souvent exécutées par des instruments. L'utilisation de techniques contrapuntiques trahissait une fois de plus l'origine flamande d'Isaac. Sa chanson la plus populaire, Innsbruck ich muss dich lassen, transformée plus tard en choral protestant (O Welt ich muss dich lassen), constitue une exception par son écriture simple en accords qui renvoie à l'art italien. Par sa déclamation expressive, elle reste un exemple frappant de l'unité du texte et de la musique, qui retenait en ce temps-là de plus en plus l'attention des compositeurs. A côté des compositions latines, italiennes et allemandes, Isaac ne négligea pas non plus la chanson française ni la chanson néerlandaise, quoique cette dernière fût moins souvent pratiquée. Là aussi il se montre un maître dans l'arrangement de mélodies populaires (par exemple dans Mon père m'a donné mari, chanson typique de l'époque à propos de la ‘mal mariée’). Au xvie siècle Isaac était considéré comme l'un des plus grands, à côté de ses compatriotes Josquin Desprez, Pierre de la Rue et Jacob Obrecht. Comme Haydn a longtemps souffert de l'intérêt quelque peu partial pour Mozart, ainsi l'oeuvre | |
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Kyrie de la ‘Missa Paschale’ à six voix d'Heinrich Isaac. Bibliothéque Royale, Manuscrit IV. 992, Bruxelles.
d'Isaac reste-t-elle aujourd'hui encore à l'ombre de celle de Josquin Desprez. Contrairement à ce dernier, Isaac n'a pas encore fait l'objet d'une monographie faisant autorité ni d'ûne édition scientifique complète des opera omniaGa naar eind(4). Même en discographie il n'a pas encore reçu l'attention qu'il mériteGa naar eind(5). Pour celui qui s'intéresse à la musique des années 1500, au moment où la polyphonie flamande était à son apogée, l'oeuvre abondante d'Isaac constitue réellement une mine d'or. Avec Ludwig Senfl nous espérons qu'un jour se réalisera de nouveau ce que le disciple d'Isaac a pu écrire à son sujet: Er ist in alle welt bekanndt, lieblich an kunst, frölich Im thonGa naar eind(6). ■
ignace bossuyt Docteur en musicologie. Professeur à la ‘Katholieke Universiteit Leuven’. Adresse: Lostraat 40, B-3212 Pellenberg. Traduit du néerlandais par Jean-Pierre Roobrouck. |
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