Musique
Le Festival de Hollande de musique ancienne
Avant l'ouverture du dixième Holland Festival Oude Muziek (Festival de Hollande de musique ancienne), qui s'est déroulé à Utrecht du 30 août au 13 septembre 1991, le directeur du festival Frans de Ruiter s'est quelque peu querellé avec le British Council. Pour illustrer la musique anglaise du xve, du xvie et du début du xviie siècles, la plupart des ensembles invités étaient britanniques. Une bonne raison de solliciter l'aide financière du Council en alléguant, comme le faisait Fr. de Ruiter, que son Festival de musique ancienne n'a pas peu contribué, au cours de ses dix années d'existence, à la mise en évidence du patrimoine musical d'outre-Manche.
La légitime fierté du directeur ne peut cependant faire oublier que le festival doit cinquante pour cent de sa réputation à des formations telles que le Hilliard Ensemble et The Consort of Musicke ou à des solistes de premier plan comme Michael Chance et Catherine Bott (qui ont, cette année encore, recueilli un franc succès), autant de grands noms britanniques.
Aux Pays-Bas, de méchantes langues affirment que le festival a tendance à oublier les artistes locaux, ne laissant à ceux-ci que la portion congrue et les concerts marginaux. Dans
Mens en melodie (juillet 1991), Marijke Fergusson, fondatrice de l'ensemble de musique médiévale
Studio Laren, stigmatisait cette attitude du festival face aux musiciens néerlandais. De Ruiter a répliqué en produisant une énumération de solistes et d'ensembles hollandais
inscrits au programme principal, visant ainsi à démontrer que la musique ancienne aux Pays-Bas ne doit pas seulement son essor à l'engouement des mélomanes - ils étaient 77 000 en 1991, nouveau record pour Utrecht - mais aussi à des musiciens de talent.
Gustav Leonhardt, doyen de la discipline aux Pays-Bas, a joué Bach devant la reine Beatrix avec le jeune Français Christophe Coin à la viole de gambe. Ton Koopman, élève de Leonhardt, a accompagné un autre gambiste, l'Espagnol Jordi Savall, qui, après quelques années d'absence, revenait à Utrecht à la fois comme soliste et dirigeant de la formation Hesperion XX. Si différents qu'ils soient par la manière - imposante et quasi olympienne chez Leonhardt, toute de vivacité chez Koopman - l'un et l'autre captivent l'auditeur par une forte personnalité qui nous réserve constamment des surprises.
Bart van Oort est actuellement un des meilleurs praticiens du piano-forte. Issu du Conservatoire royal de La Haye, il a ensuite étudié durant plusieurs années chez Malcolm Bison aux États-Unis. Lors du dernier festival, il a inteiprété un Concerto pour piano de Mozart avec le Barockorchester de Fribourg (Allemagne) dirigé par Thomas Hengelbrock.
De Ruiter, en fait, n'avait pas l'intention d'inscrire Mozart au programme en 1991, mais il est revenu sur cette décision pour accueillir des offres de concerts aux accents inhabituels. C'est ainsi que les dernières manifestations du festival, quatre jours plus long qu'à l'ordinaire en raison du dixième anniversaire, ont été concentrées sur les oeuvres du maître de Salzbourg. Joshua Rofkin et l'ensemble Contrapunctus ont présenté une interprétation dépouillée du Requiem. En contraste, Frans Brüggen a dirigé son orchestre du xviiie et l'Orchestra of the Age of Enlightenment, réunis pour la circonstance, dans une interprétation monumentale, parmi d'autres, de la Symphonie no 34. Herman Jeurissen, chef de l'ensemble Idomeneo et corniste du Residentie-Orkest, a donné du livret écrit par Goethe en prolongement de La flûte enchantée une illustration sonore s'apparentant au théâtre chanté.
Malgré ses moments forts, le dixième Festival d'Utrecht n'a pas livré de grandes révélations. S'il est évident que la danse ne peut être jugée sur sa première apparition, la fidélité ‘historique’ aux partitions ne suffit plus à rendre les concerts attrayants. En un mot comme en cent, avant de se demander si l'archet glisse sur d'authentiques crins au boyau plutôt que sur des cordes d'acier ordinaires, une question reste essentielle: Le musicien passe-t-il ou non la rampe?
Peul Luttikhuis
(Tr. J.-M. Jacquet)