aux Pays-Bas il faut toujours dire ce qu'on pense. On trouve cela spontané et franc, mais quand je le faisais, je m'attirais des difficultés, aussi bien à la maison que dans la rue ou à l'école. J'ai compris que si l'on veut s'exprimer de façon directe, il faut le faire de façon à convaincre et même à en retirer de la considération. Bref, je voulais devenir écrivain.
Mohammed B. voulait aider les gens. Il faisait du bénévolat dans un foyer. Il était en route vers la réussite. Il disait ce qu'il pensait.
Les Pays-Bas offrent un espace vital au talent. Vous recevez une chance et si vous la galvaudez, vous en recevez une seconde. Voilà comment nous sommes. Nous en sommes fiers, nous nous sommes battus pour cela.
Mais si vous demandiez quand et comment cette lutte s'était déroulée, on ne savait que répondre. Les Pays-Bas connaissent d'incroyables libertés et peu d'histoire. Mohammed B. se détourna à un moment donné de ces libertés et se mit à la recherche de l'histoire, dans laquelle il voulait jouer un rôle. Je voulais être un écrivain. Je trouvais que j'avais quelque chose à dire qui n'avait pas encore été dit - ou fait - auparavant. Je trouvais même que je devais exploiter la langue néerlandaise et on m'encouragea dans cette voie. C'était permis, on ne demandait pas mieux.
Tels sont les Pays-Bas dans lesquels Mohammed B. et moi, nous avons grandi. Les Pays-Bas des bonnes intentions. Le pays qui avait un profond respect pour ses idéaux et, parfois contre toute logique, tenait absolument à être progressiste et tolérant. A un certain moment, le mécontentement commença à croître légèrement, à grésiller, puis à se manifester plus nettement. Les gens voyaient que l'élite au pouvoir ne s'attaquait pas vraiment aux problèmes. Il était clair que beaucoup d'allochtones s'entassaient les uns sur les autres, mais pourquoi La Haye n'en parlait-elle pas? On savait pourtant que la criminalité était plus grande parmi les Marocains que parmi les Néerlandais, pourquoi donc ne prenait-on pas les mesures nécessaires? Ces questions, qui dans une autre société seraient peut-être formulées à haute voix, furent tout au plus chuchotées. On ne pouvait pas en parler, car ce n'était pas ‘hollandais’. Pas tolérant. Après le 11 septembre 2001, la situation se durcit. Le musulman devint la cible directe de la critique et du ressentiment.
Nos libertés se trouvèrent menacées par la présence d'un groupe de plus en plus fourni de musulmans intolérants, conservateurs, ne jurant que par la tradition. L'incompréhension se développa. Rotterdam et puis les Pays-Bas entiers tombèrent sous le charme de Pim Fortuyn. Les doutes concernant la société multiculturelle furent exprimés à haute voix, de plus en plus fort, jusqu'à en faire éclater les tympans. Je ne m'en inquiétai pas. Les Pays-Bas sont un pays si libéral, où il y a de la place pour des idées diverses, et c'était peut-être une bonne chose que la démesure des rêves socialistes d'une prospérité générale fût quelque peu tempérée. Le débat ne pouvait qu'en profiter. C'était un fait: la société changeait à un rythme accéléré et il convenait de s'accommoder de façon adulte d'une telle situation. Bref, je pensais moi aussi que l'élite politique résoudrait bien le problème. Je me trompais: elle a continué à somnoler tandis que les critiques ne cessaient de s'amplifier.
Ces critiques toutes crues n'ont pas toujours eu cours. Si vous disiez au début des années 1990 que l'appartenance aux Pays-Bas devait représenter davantage pour les allochtones et les