Refuser en acceptant
Par Tom Lanoye
Traduit du néerlandais par Alain van Crugten.
Et te rappelles-tu, lecteur, dans l'odeur de poudre de cette pitoyable révolution ratée, te rappelles-tu ce garçon-là, qui était toujours assis au premier banc dans la classe? Ce petit emmerdeur qui avait oublié de grandir et qui, à chaque question d'un prof, prétendait connaître la réponse avant même que le brave homme ait fini de s'exprimer et levait constamment en l'air un doigt agité comme un arbrisseau dans la tempête. L'infatigable fayot qui monopolisait toutes les tâches, du nettoyage des tableaux à l'organisation de l'élection du délégué de classe. Une élection qu'il gagnait haut la main, parce qu'il était le seul à vouloir se porter candidat pour une telle connerie. Le petit trouduc qui, seul parmi les délégués, continuait systématiquement à aller à tous les conseils de classe dans l'espace de méditation et tapait sur les nerfs de tout le monde avec ses discours interminables, agitant les résultats d'enquêtes et de pétitions qu'il avait lui-même imaginées et mises sur pied. Cette demi-portion avec ses lunettes des Mutualités Chrétiennes et sa grande gueule. Ce petit garçon, c'était moi. C'était moi, lecteur, qui troublais ton ennui confortable et te rendais dingue.
Et je peux te l'avouer: j'y mettais tout mon coeur. Te rendre dingue était mon but. Je jouais un jeu avec toi, même si c'était sans calcul. C'était plutôt par désespoir. J'imitais le seul mécanisme dont je voyais là tous les jours qu'il fonctionnait sans faille: refuser en acceptant. Survivre grâce aux fausses concessions. Moi aussi j'appliquais inconsciemment cette stratégie. C'est la seule chose que j'aie vraiment apprise dans ce collège. L'hypocrisie subversive.
Bien sûr, j'aurais pu m'enfuir, comme un vrai rebelle. Quitter l'école, la maison, pour la grande vie. La navigation au long cours, l'usine, l'armée. Mais je n'étais pas assez fort pour cela. Ou plutôt: j'étais trop lâche, trop paresseux, trop inexpérimenté. La seule chose que je possédais, moi, le petit général, c'était la certitude intuitive qu'à côté de la véritable rébellion, si l'on désirait la liberté, il devait exister une autre façon de combattre l'absence de liberté. Appliquer tous les décrets et ordonnances de cette non-liberté d'une manière fanatique, pour qu'elle finisse par s'embrouiller. Pour qu'elle devienne, fût-ce dans ma seule imagination, une caricature dérisoire. Quod erat demonstrandum.