La guerre de toutes les guerres
Par Tom Lanoye
Traduit du néerlandais par Alain van Crugten.
Agamemnon (à ses troupes, ravalant ses larmes)
Si nous sommes quelque chose, nous sommes des soldats.
Les soldats connaissent le sens du sacrifice.
Les soldats savent que toute guerre est cruelle.
Cruelle avant tout envers les innocents.
Les morts collatérales d'un combat véritable
Sont le prix à payer pour défendre le Droit.
En tant que la plus vieille des démocraties,
Nous avons une mission. Nous ne pouvons pas
Voir les citoyens d'un autre pays souffrir
Esclavage, arbitraire et terreur, et hausser
Les épaules parce que tout va bien chez nous.
C'est notre destin, nous en endossons la charge.
Quel qu'en soit le prix, nous poursuivrons la mission
Conscients qu'il n'existe pas d'autre solution:
La paix, c'est un paradoxe, se conquiert par la force.
(de plus en plus virulent, de plus en plus convaincu)
Qui ose dire le contraire tire une traite
Sur plus de cruauté et plus de servitude.
C'est pourquoi nous devons frapper une fois pour toutes. (applaudissements)
Cette guerre connaîtra aussi ses revers,
Ses pertes et ses dégâts. Pour nous aussi la guerre
Est, comme dit le vieil adage, ‘une série
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De catastrophes qui nous mènent au triomphe.’
Oui, une armée, même la nôtre, compte toujours
Quelques acteurs troublant le bon fonctionnement,
Mais ces pommes pourries sont une part infime
Face aux milliers d'hommes loyaux et courageux
Qui font leur devoir dans les combats les plus rudes,
Qui honorent leur pays et leur uniforme
Avec dignité, conscience et humanité
Face aux plus directes des provocations. (applaudissements)
Et nous, les Grecs, nous saurons, au moment voulu
Dresser le tableau et tirer les conclusions:
Qui a le pouvoir à Troie? Le peuple troyen?
N'est-il pas mené par des potentats brutaux
Et corrompus qui l'exploitent? Le monde libre
Risque d'être entraîné par eux dans la spirale
De conflit et de non-droit. Une telle ville,
Un tel pays mérite que nous le secourions,
Que nous le conduisions vers un futur nouveau,
Fait de sécurité, avec de nouveaux chefs
Choisis parmi le peuple, vivant enfin en paix
Au lieu d'être ennemi de soi-même et des siens,
Ennemi des voisins, de tout le monde libre! (applaudissements)
Notre but n'est pas d'occuper Troie, de piller
Ou de coloniser cette belle cité. Non!
Nous voulons seulement défendre nos principes,
Notre manière de vivre, nos libertés,
Nos valeurs, nos acquis, les sauver d'un danger
Que nous devons à tout jamais éradiquer.
Ce n'est qu'alors, quand chaque obstacle sera levé,
Que tous les Troyens opprimés auront accès
À nos normes, nos libertés et notre savoir.
Cet enjeu, l'ennemi le reconnaît aussi.
Lui-même évoque ‘la Guerre de toutes les Guerres’
Nos troupes sont aussi conscientes de ceci.
La question n'est donc pas ‘Pouvons-nous gagner?’ Mais
‘Avons-nous la volonté d'aller jusqu'au bout?’
Jusqu'à la victoire? Oui! Nous l'avons! Car jamais
Nous n'avons oublié les leçons de l'histoire:
La folie, c'est ne pas vouloir voir le danger,
Au lieu de l'écraser quand c'est encore possible.
Que les dieux bénissent et donnent prospérité
Et force à tous ceux que vous aimez. Qu'eux aussi
Tiennent bon et continuent à nous soutenir,
Nous et notre grand et magnifique pays.
Extrait d'Atropa, Toneelhuis, Anvers, 2008.
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